Archive for décembre 2011

Les 1012 haikai de Bashô – 158-163 )

25 décembre 2011

°

yo ni furu mo
sara ni Sôgi no
yadori kana

vivre en ce monde
comme dit Sôgi dure aussi longtemps
s’abriter de la pluie

(été 1682)

NB : Furu peut signifier « vieillir » ou « la pluie ». Bashô admirait grandement le poète de renga Sôgi (1421-1502). Son admiration pour Sôgi était si grande que sa strophe est exactement comme celle de Sôgi (« yo ni furu mo / sara ni shigure no / yaadori kana ») excepté pour un mot. Bashô substitua à shigure (« averses hivernales ») le nom de Sôgi.

°

un pauvre temple
le gel sur la bouilloire en fer
a une voix froide

(hiver 1682)

NB : On considère que ce verset personnifie le pot de fer, mais si on pense à « voix » le sens change. Sonner une cloche de fer dans le temple pourrait être comme si l’on frappait la bouilloire.

°

des couettes si lourdes
on voit surement la neige
dans les contrées lointaines

(hiver, année inconnue)

NB : Bashô étudiait, c’est flagrant, les poètes chinois pendant sa solitude hivernale. Ici son influence semble être celle de Ke Shi : « mon chapeau est lourd de neige / sous les cieux de Wu » Il change le chapeau en couverture. À l’époque, les Japonais dormaient dans desrobes rembourrées, avec des manches, au lieu de sous des couettes ou des couvertures. Go ten renvoie aux cieux du pays de Wu, maintenant Jiang Su Sheng, qui signifie seulement « dans un pays lointain au-delà des montagnes ». La pile de couvertures entassées sur une personne ressemble à la neige sur les lointaines montagnes.

°

Jour de l’an
je revois que je suis aussi seul
qu’un jour d’automne

(Nouvel An, 1683)

°

La paruline
endort-elle l’esprit
du beau saule ?

(printemps 1683)

°

fleurs de ce monde
mon vin est blanc
mon riz est sombre

(printemps 1683)

NB : Le mot ukiyo a de nombreux sens, dont « se réjouir », « être ivre », « enjoué », aussi bien qu’il fait penser au « monde éphémère », ou à ce monde « troublé », « difficile », « ennuyeux », « mélancolique »… Le saké n’est pas filtré et le riz non raffiné. L’idée est que, peu importe que le pique-nique contienne des denrées pauvres, puisque les fleurs sont si belles. Une autre interprétation : même la nourriture de piètre qualité constitue les fleurs de Bashô.

°°°
(à suivre, 164-1012)

Haïkus d’avant la mort – de HAKURO à HOYU –

25 décembre 2011

°
HAKURO
(mort le 19è jour du 12è mois de 1766)

un colvert souffrant
tombe à travers la nuit froide
et part en chancelant

NB : à l’automne 1690, Bashô résida dans la ville de Katata, sur le lac Biwa. Là, il tomba malade et écrivit :

un colvert souffrant
tombe à travers la nuit froide –
mon assoupissement en voyage

A l’évidence, Hakuro pensait à Bashô en écrivant son poème de mort.

°

HAKUSEN
(mort le 23è jour du 8è mois de 1820, à 65 ans)

Ô, belle-de-jour,
soixante et cinq ans –
moi aussi disparais

°
HAKUSETSU
(mort le 7è jour du 6è mois de 1735, à 75 ans)

en paix,
au-dessus de ma maladie
l’été se consume

°
HAKUTO
(mort en 1727)

Fleurs de deutzies :
moi, qui réprimandais les paresseux,
je dors tard le matin

°
HANRI
(mort le 12è jour du 5è mois de 1835, à 71 ans)

Ma vie :
échos d’une langue qui claque
au-dessus des eaux pures

NB : shitauchi (claquement de la langue) se réfère au son qu’une personne fait avec sa langue pour signifier les regrets de ses échecs passés et sa résignation devant l’inévitable.

°
HOGYOKU
(mort le 11è jour du 5è mois de 1869, à 35 ans)

Sons vifs
d’un écho de coupe
Herbes du Nouvel An

NB : Hogyoku (Hijikata Saizo) fut un officier de l’armée du shogun, défaite par les forces impériales pendant la restauration Meiji. Il se retira avec son armée dans l’île d’Hokkaido, dans le nord. Là, monté sur un cheval, sabre au clair, il fit une sortie à la tête de ses hommes pour une bataille perdue au-devant des forces de l’empereur. Il fut blessé par une balle ennemie et tomba de cheval. Deux de ses amis le portèrent dans un abri au mileu de pins, où il mourut. Quand ils retirèrent son uniforme, ses compagnons trouvèrent, contre son dos, le rouleau ensanglanté sur lequel il avait écrit son poème de mort.

°
HOKUSO
(mort le 6è jour du 6è mois de 1790)

Ô, esprit sacré,
laissez-nous nous mettre en route
vers les cieux de l’Ouest

°
HOROKU
(mort le 11 avril 1878)

temple de montagne :
aussi loin que l’oreiller où je suis étendu
le saule répand ses fleurs

°
HOU
(mort le 1er jour du 1er mois de 1811, à 86 ans)

hibernation :
avant longtemps je deviendrai
saumon séché

°
HOYU
(mort à la fin du XVIIè siècle)

Gloire aux cieux :
seul dans l’aurore à la lune
un coucou chante

°

(à suivre : INSEKI)

(En) Défense des kyôku…

25 décembre 2011

(En) Défense des kyôku °, kyôka ° kyôbun °, éventuellement,
° genres qui existent bel et bien depuis quelques centaines d’années au Japon (!) :

Vivre
c’est bien ;
réfléchir
sur la vie
ça peut aider
aussi,
non ?

Écrire haïkus,
écrire senryûs
c’est bien ;
réfléchir
sur haïku
sur senryû
ça peut aider
aussi,
non ?

= c’est le rôle
exact
du kyôku

(qui n’est ni un kyô-ci ni un kyô-ça
ni un kyô-n’importe-quoi
comme certain(s) peu(ven)t l’écrire
– et vouloir vous en persuader
si ignoramment ! *
, non !)

dp.(25/12/11)

* voir, très récemment, sur la liste d' »échanges » « haiku-fr » !

Entre chien et loup – (haïku-séquences)

25 décembre 2011

°

ce soir,
Entre chien et loup,
seul
dans la salle

°

– bientôt rejoint
par deux autres loups …

°

marchant
pieds nus dans la neige
sous la pleine lune

°

trois trous
fait le café
dans la neige

°

son visage
parmi les poissons
mouvants

°

la cherchant dans la ville,
l’énigmatique,
l’absente

°

saoûle
elle amble
dans le couloir de l’hôtel

°

les ongles (si) longs
des glaçons
méduses gelées

°

l’irrépressible ardeur
du darder
amoureux

°

sous l’arbre dénudé
un homme s’est assis
le crépuscule d’hiver

°

cendres jetées
sur les rochers
en bord de mer

°

courant en cercle
dans la neige
cent fois
mille fois
sans fin

°

: « Entre chien et loup », de Jeon-Soo-Il, 2006.

d.(24/12/11)

Jisei – Haïkus avant la mort – INSEKI – IPPU – ISAIBO

24 décembre 2011

°
INSEKI
(mort le 28è jour du 3è mois de 1765, à 67 ans)

je rends mon nom
en entrant dans
cet Eden de fleurs

NB : C’est une coutume bouddhiste de changer le nom d’une personne décédée.

°
IPPU
(mort le 24è jour du 5è mois de 1731, à 67 ans)

tombant sous le vent
une rafale
de feuilles persistantes

°
ISAIBO
(mort le 29è jour du 8è mois de 1780, à 66 ans)

Bien que je m’attarde
sur la route que prit mon maître,
au-dessus de nous brille
une lune

NB : Tanada Gochikubo, le maître de haïku d’Isaibo, mourut un ou deux mois avant son élève. D’anciennes sources relatent la relation orageuse qu’ils entretenaient. Un des poèmes d’Isaibo, à propos de la beauté de la baie de Matsushima (Préfecture de Miyagi) donne :

Matsushima
leurs genoux déchirent
les matelas du bateau

L’image des passagers s’assemblant sur un bord du bateau, afin de jouir du paysage, leurs genoux frottant les matelas couvrant le pont, paraissait grossière aux yeux de Gochikubo, qui suggéra un rendu moins fruste :

Matsushima
à votre vue
les matelas du bateau se froissent

Isaibo refusa la correction et dut quitter le cercle de Gochikubo. Quelqu’un d’autre les réconcilia. En honneur du retour d’Isaibo en sa faveur, Gochikubo écrivit un poème dans lequel il suggéra que tous deux « arrondissent leurs angles » et se comportent plus « élégamment » l’un avec l’autre.
Isaibo répliqua avec son propre poème à propos d’un prunier élevé en serre afin de hâter sa floraison. Ce poème ne plut pas à Gochikubo, peut-être parce qu’Isaibo pouvait suggérer qu’il devait mûrir en tant que poète, d’une manière pas tout à fait naturelle. Une fois de plus Isaibo dut quitter l’assemblée pendant un certain temps.
En dépit de leur rivalité, ou peut-être à cause d’elle, il semblerait qu’Isaibo aimait bien Gochikubo. La « route » du jisei d’Isaibo est celle qui conduit de la vie à la mort, et qu’empruntent le maître et l’élève, et la « lune unique » est symbole de l’unité parfaite qui sous-tend ce monde de changements multiples.

°
(à suivre : ISAN…)

‘Tierra de nadie’ 17 – Salim Bellen

24 décembre 2011

°

Nada especial
la gata se estira
las moscas vuelan

Salim Bellen

Rien de spécial
la chatte s’étire
les mouches volent

(in Tierra de nadie 17, 2006)
(tr. dp.)

‘Tierra de nadie’ 37 – Salim Bellen

24 décembre 2011

°

Sobre el tejado
persiguiendo la luna
el gato corre

Salim Bellen

Sur le toit
poursuivant la lune
le chat court

(in ‘Tierra de nadie’ 37, 2006)
(tr. dp.)

Tierra de nadie – Salim Bellen – 39

24 décembre 2011

°

alba naciente
al sonido del viento
muge la vaca

Salim Bellen

aube naissante
au son du vent
meugle la vache

(in Tierra de nadie, 39 – 2006)
(tr. dp)

Les 1012 haikai de Bashô – 153-157)

24 décembre 2011

°

un poisson globe dans la neige
l’équipe de gauche gagne avec
une carpe en juin

(été, année inconnue)

NB : Les concours de poésie se passaient toujours entre deux équipes, la gauche contre la droite. Ici, la décision devient le poème.

°

(En réponse au poème sur un poivron d’eau et une luciole, de Kikaku :)

près des belles-de-jour
je m’enfourne de la pâtée de riz
comme un homme

(été 1682)

NB : Le poème de Kikaku disait : « à une porte d’herbes / comme une luciole je mâche / une renouée », et Bashô conseillait à Kikaku de ne pas crâner en écrivant ce verset. Bashô utilise des termes vulgaires pour manger et évite le mot poli pour le riz cuit (gohan). Une fois encore, contempler les fleurs était considéré comme une occupation élégante, mais Bashô associe cette activité à la manière la plus vulgaire de décrire l’ingestion de nourriture.

°

la lune croissante
le soir doit être
une belle-de-jour fermée

(été 1682)

NB : Technique de comparaison. La lune croissante est comparée à une belle-de-jour, qui s’enroula et se ferma en se fanant.

°

une vie austère
les chants de thé de Nara
d’un contemplateur solitaire de la lune

(automne 1682)

NB : Tsuki Wabisai (« le contemplateur solitaire de la lune « ) était le psudonyme qu’utilisait Bashô. Wabi est devenu maintenant assez reconnu comme une condition esthétique de solitude et de pauvreté, nécessaire à une sensibilité artistique et spirituelle. Nara était la capitale du Japon de 710 à 784, avant de se déplacer à Kyoto. Le chant à boire concernait un simple plat de fèves et de châtaignes cuits dans du thé.

°

(Me remémorant Tu Fu :)

barbe soufflée par le vent
se lamentant tard en automne
quel est cet enfant

(automne 1682 :)

NB : La préface fait référence à un poème : « Quel est l’homme à canne chénopode, qui se lamente sur le monde ? ».

°

(à suivre : 158-1012)

haïku : du petit soi vers le Grand Tout

24 décembre 2011

°°°

Le haïku qui va
(-gue, vogue)
du petit soi
(le frêle esquif mesqu’un)
au Grand Soi
(Vaisseau Universel)
/ soit : du comique au Cosmique
ou : du cosmétique au Cosmique /
: haïku qui quitte
le petit soi
pour rejoindre
le Grand Tout !
Voilà son Orientation majeure !
Qu’elle soit aussi son Occidentation principale !

°°

moi
tié

moi
nillon

MOI
NE

moi
re

moi
sson

moi
neau

°

je
junum

je
table

je
une

j
et

je
tée

°°°

dp.(24/12/11)