Enfin, après une période de déclin, l’épigramme eut une dernière floraison, surtout dans la deuxième moitié du XVIIIe S. , d’abord avec la poétesse TCHIYO, puis avec divers poètes dont le plus célèbre fut le peintre BOUçON
°
TCHIYO :
°
La plus fameuse haïkaï de la poétesse la plus illustre en ce genre. Nous avons déjà rencontré SONO-JO, qui d’ailleurs était l’élève d’une autre femme (MITSOU-JO, XVIIe S.) , puis TCHIGETSOU-NI et SHOUSHIKI ; mais KAGA NO TCHIYO ( 1703-1775 ) est la figure la plus éminente du groupe. La poésie que je viens de traduire :
Par des liserons
Mon seau ayant été emporté,
Eau reçue ! *
est l’idéal de la concision ; six mots en tout, ou même cinq, dans le texte :
Açagao ni
Tsouroubé torarété
Moraï-mizou
–
* Un matin, Tchiyo était allée à son puits, lorsqu’au moment de tirer la corde, elle s’aperçut que les liserons s’y étaient enroulés ! Comment se décider à détruire cette harmonie ? Elle y renonce et va demander de l’eau à sa voisine (moraï-mizou, eau reçue, donc eau demandée) .
–
Coucou !
Coucou ! À ces mots
Le jour est venu…
:
Hototogiçou
Hototogiçou toté
Aké ni kéri.
–
Sera-t-il âpre ?
Bien que je l’ignore, le kaki
Pour la première fois j’ai cueilli. *
–
* : à propos de son mariage.
–
Au réveil je vois,
Au coucher je vois, de la moustiquaire
le vide, hélas ! *
–
* : le mari de Tchiyo avait été enlevé par une mort prématurée.
–
Le pêcheur de libellules !
Aujourd’hui, jusqu’où
est-il allé ? *
–
* : à la mort de son petit garçon.
°
Yokoï YAYOU
(1703-1783), se distingua dans le haïboun :
–
Ah ! le Visage-du-jour !
À qui aucune des rosées
N’arrive à temps ! *
–
* : il exprime sa sympathie pour le hirougao, le liseron des haies japonaises. Lequel n’est rafraîchi ni par la rosée du matin, ni par la rosée du soir, comme le Visage-du-soir.
°
BOUçON :
–
Le prunier est en fleurs.
Lesquelles sont « moumé » ,
Lesquelles sont « oumé » ? *
–
* : le poète se moque des philologues qui discutaient sans fin le point de savoir si on devait prononcer oumé ou moumé.
°
RYÔTA :
–
Oh ! le clair de lune !
Si je change en renaissant,
(Que) je sois un pin de la cime ! *
–
* : Ryôta ( 1719-1787), un des plus féconds auteurs de haïkaï ; il a laissé une soixantaine d’ouvrages. (…) Il voudrait renaître pin au sommet d’un pic ; car alors il serait le premier à voir la lune !
°
ISSA :
–
Avec moi,
Moineaux sans
Parents, venez jouer ! *
–
* : On dit qu’il composa ces vers à cinq ans, alors qu’il venait de perdre sa mère.
–
Qu’est-ce que son
Million de kokou ?
De la rosée sur un bambou ! *
–
* : opulence du daïmyô de Kaga.
Kokou : monnaie.
°
(À suivre : 8) « La prose légère : Haïboun » (p. 399)
Archive for the ‘fleur’ Category
Anthologie de la Poésie Japonaise – M. Revon – 7)
23 septembre 2020« Une histoire du haïku » R.H. Blyth – 4) : Teitoku et l’école Teimon :
30 mai 2017P. 64 :
Teitoku Matsunaga (1570-1653) :
Son poème de mort :
Goutte de rosée ma vie
s’évanouit
les vêtements dans le coffre à bijoux
ne pourront plus jamais être portés :
c’est la Loi.
–
Un autre de ses jisei :
Demain sera comme aujourd’hui,
pensons-nous le jour d’avant
Mais aujourd’hui nous réalisons
que tout est changement :
Ainsi va le monde.
–
Retraite hivernale :
même les insectes
respectueusement
–
Meilleures que les fleurs de cerisier
sont les boulettes de pâte –
oies sauvages de retour
A propos de ce haïku, Nobuyuki Yuasa, proposa un commentaire, dans la revue « Blithe Spirit » vol 8, n° 3 (pp. 12-24), sous sa version :
Plus que les fleurs de cerisier
elles semblent aimer les boulettes,
oies sauvage de retour
: « Ce poème représente l’étape où les objets naturels sont employés comme métaphores évidentes des affaires humaines. Dans ce poème, le poète ne s’intéresse pas du tout à la description des oies sauvages retournant chez elles, dans le nord, au printemps, mais il les utilise comme métaphore des hommes qui souhaitent remplir leur estomac avant de régaler leurs yeux avec les fleurs de cerisier. De plus, les oies sauvages retournant chez elles constituent un thème standard du waka traditionnel. Le poète se réjouit donc de jouer le rôle d’un iconoclaste. »
(cité dans A Silver Tapestry , le meilleur des écrits critiques de la BHS, des 25 premières années. Editeur Graham High, The B.H.S., 2015, p. 55)
°
Ses disciples :
Ryûho (mort en 1744).
Il grava son poème de mort sur sa propre tombe et mourut peu après, à 71 ans :
La lune et les fleurs de cerisier –
Maintenant, de ce monde,
je connais le troisième vers
°
Ishû (ou Shigeyori) (mort en 1680, à 74 ans) :
Les bâtons des pèlerins seuls
passent
sur la lande estivale
–
Le pied sait que c’est
le premier matin de l’automne
sur la véranda fraîchement lavée
–
C’est l’équinoxe de printemps
la compassion du Bouddha
nous permet de casser les branches fleuries
°
Teishitsu (mort en 1673, à 64 ans) :
Allons à Saga,
mouettes,
manger de la truite !
°
Bôitsu (1548-1630). Etait aveugle.
Je suis ici au milieu des fleurs !
J’entends les gens rire
dans les montages printanières
–
Attendant le vent depuis si longtemps,
jusqu’à aujourd’hui,
feuilles tombées !
°
Tokugen (mort en 1647, à 89 ans).
Son dernier verset :
Jusqu’à maintenant
je racontais des balivernes –
Une nuit de lune
–
N’importe comment nous la voyons,
il n’y a rien de plus noir
que la neige
: « Voici un exemple de comment le zen intellectuel, et la philosophie de Lao-tseu et de Tchouang-tseu, ne peuvent jamais devenir de la poésie. » (R.H. Blyth.)
°
Kigin. (Professeur de haïku de Bashô ; Prêtre shintô) :
Les herbes de la pampa
prennent la forme
du vent d’automne
–
De l’eau trouble coulant
sous les fleurs de cerisiers
le long de la rivière Yoshino
°
Saimu (mort à 73 ans ; Elève préféré de Teitoku.)
Son jisei :
A l’aube
la cloche résonne dans les fleurs
autour du portail du temple Jôdô
–
Son corps a fini
en vacuité –
Quelle chose est une cigale !
°
Baisei (mort en 1699, à 89 ans. Disciple de Teitoku.) :
Sont-ce des tourniquets,
ces papillons
volant au milieu des vagues de fleurs de cerisier ?
–
Le bateau sous la lune
a besoin d’un bon vent
dans le brouillard matinal
°
Dôsetsu (mort en 1654. Disciple de Teitoku.) :
Si cela existait,
la femme-fantôme-de-neige aussi
serait comme un melon blanc
°
Tadatomo (mort en 1676, à 52 ans. Elève de Herukiyo (mort en 1657.))
Charbon blanc ;
c’était autrefois
une branche enneigée
°
Gensatsu (mort en 1689, à 83 ans. Un des « 5 sages d’Edo ».) :
Un faon *
tétant les seins de sa mère
sous les flèches **
* = un bébé en habits de faon
** = un kimono à motif de flèches.
°
Mitoku (mort en 1669, à 82 ans) :
Ces fleurs enneigées
doivent être une réponse
aux « fleurs-de-neige » *
* : « snow-flowers ».
°
Ryôtoku (un des plus anciens disciples de Teitoku) :
Sur la rive de Sumi-no-e
les tambours des vagues
avec la musique des pins
–
Papillons dansant
parmi les fleurs de cerisier ;
Kagura * sous les Ise-zakura **
* : une sorte de cerisier-saule
** : la danse sacrée du sanctuaire d’Ise.
°
(A suivre :
Sôin et l’école Danrin. (p. 78))
Pierre-Emile Durand, 2/ , in
26 août 2016Le Japon des 4 saisons, éd du Carabe, 1998. (Extraits)
°
Le chauffeur de taxi qui admire l’instinct de l’homme (pp. 101-2) :
Profitant de l’éphémère beauté du naturel rendez-vous, les Japonais se regroupent sous l’immaculée floraison (…) C’est ainsi que les Japonais communient avec la source sacrée qu’est la nature, vitale et purificatrice à la fois.
°
Le sourire de l’homme ruiné (pp. 105-6) :
La notion de personne varie considérablement d’une civilisation à une autre et, au Japon, je suis l’autre de l‘autre.
La langue française marque le sujet par le seul je; le sujet reste identique et unique, dans quelque circonstance que ce soit et face à n’importe quel interlocuteur. Défini indépendamment de la situation et de l’action qu’il va entreprendre, invariant et individualisé , le sujet occidental est le point de départ de la relation.
Par contre la langue japonaise recourt à un large ensemble de possibilités qui désignent avant tout les rôles mutuels des interlocuteurs, leurs rangs hiérarchiques, c’est-à-dire en réalité la relation que le sujet entretient avec son interlocuteur. La différence d’âge ou de position sociale, le sexe, le degré d’intimité… vont intervenir pour ainsi faire varier l’identité japonaise, par définition inexistante sans relation, indéfinie et ouverte. Face à l’ego occidental, le soi japonais est l’alter de l’alter.
°
Dans la foule un masque blanc (pp. 110-1) :
Le Japonais est avant tout membre d’une collectivité et le Français a bien des difficultés à prendre la mesure de la constante contextualisation de son comportement.
°
La couleur des pins (pp. 116-8) :
Vivant dans un espace exigu et menant une vie trépidante, il (le Japonais) mesure peut-être encore plus qu’avant le luxe que représentent un espace vide et un temps retrouvé.
Îlots de richesse intérieure où règnent encore harmonie, pureté et sérénité, les grandes traditions restent vivaces car c’est là que le Japonais retrouve encore le mystère spirituel du dépouillement. Redécouverte du vide de l’espace et de la lenteur du temps
(…)
Le Japon moderne vit dans ce que le grand architecte contemporain Maki Fumihiko a appelé l’anarchie progressive, irrationalité et aléatoire étant les deux conditions d’un dynamisme constamment renouvelé.
(…)
Pourtant, à l’aube du troisième millénaire, le beau koan du maître zen imprègne encore profondément l’âme japonaise et le regard qu’elle porte sur l’immuabilité de l’essentiel :
les pins n’ont de couleur
ni ancienne
ni moderne
°
(à suivre…)
Yosano Akiko (Hô Shô)(f)(1878-1942) par Makoto Ueda
8 mai 2016in Modern Japanese Tanka, pp. 43-48 (Extraits) :
Yosano Akiko (Hô Shô), 1878-1942.
°°°
chacune avec la forme
d’un petit oiseau doré
des feuilles de ginkgo
dans le soleil du soir
volètent en bas d’une colline
–
dites-leur
qu’elle apprécie la vue
de la lune
une robe de gaze rose
couvrant à peine son corps
–
la terre a l’air
d’une magnifique
fleur de lotus
comme le soleil se lève
sur le paysage enneigé
–
l’aster
a fleuri
son pourpre pâle
comme la couleur de la fumée
s’élevant de ma rêverie
–
évanescente
comme le blanc pâle
des fleurs de cerisier
épanouies dans les arbres
ma vie ce jour de printemps
°°°
(tr. de l’anglais : D. Py)
Okamoto Kanoko (f) (1889-1939) par Makoto Ueda
6 mai 2016in Modern Japanese Tanka, pp. 109-120 (extraits) :
Okamoto Kanoko (Ônuki Kano) (f) (1889-1939) :
°°°
vingt jours
de séjour dans les bois
et cependant
pas un seul arbre volontaire
pour me prendre en sa chaude étreinte
–
toute nue
je tiens dans ma main
une pomme rouge
la tenant dans ma main
je prends un bain matinal
–
des fleurs de cerisiers
fleurissant de toutes la force
qu’elles possèdent
m’obligent à les regarder
avec toute la force que je possède
–
comme je regarde
un bouquet de petites roses rouges
la peur au coeur
chaque fleur
se change en oeil
–
une fleur s’épanouit
montrant la couleur naturelle
dans laquelle elle est née
tandis que je n’ai jamais su
de quelle couleur je fleurirai
–
je mesure
la taille de ma tête
ne sachant pas
quoi faire d’autre
de mon propre entêtement
–
mon esprit éclaté
en milliers de fragments
souhaite passer
tout ce jour sur un bateau
dérivant sur la rivière
–
où un pommier sauvage laisse tomber
ses pétales roses
quelques petites larves
rampent sur la terre
–
des pétales de cerisier
chacun se désintégrant
de sa forme de fleur
se mêlent aux petits graviers
piétinés par les gens qui passent
°°°
Miya Shûji (1912-1986), par Makoto Ueda
6 mai 2016in Modern Japanese Tanka, pp. 169-180 :
Miya Shûji (Miya Hajime) (1912-1986).
Prix Yomiuri de littérature en 1961.
Prix Shaku Chôkû en 1975.
Prix de l’Académie de l’Art Japonais en 1976.
Elu à l’Académie d’Art Japonais en 1983.
°°°
hors de l’ombre
vers le soleil
une volée de poules
aux nombreuses pattes
marche
–
soudain
au milieu d’une bataille
momentanément calme
une poule glousse
cette terrible solitude *
–
* ce tanka fur écrit au front, pendant le service militaire du poète en Chine.
°
des coquelicots fleuris
apparaissent dans mon imagination
et la remplissent de rouge
toutes les choses passées
emplissent mon coeur de chagrin
–
comme s’il venait
regarder ma peine
un scarabée de couleur bronze
tout seul
au profond de la nuit
–
lentement en moi
une pensée s’est durcie
en croyance
la paix mondiale ne sera jamais
le cadeau de la nature
–
PENDANT LA SAISON DES PLUIES :
s’en vont flottant
pailles et ordures et tout
comme si
liés pour l’éternité
à la surface de l’eau
–
tiges grandissant
droites, vertes et acérées
une forêt de bambous
avec parfois quelque chose
qui me fait paniquer
–
comme la longue
flamme d’une bougie
oscillant
et flamboyant un moment
ma jeunesse venue et en allée
–
sur mon chemin de retour
du travail
je m’arrête pour regarder
des légumes chez un épicier
se faire vaporiser
–
dans un coin
de la tonnelle ventée
des panaches de glycine
se caressent
dans une obscurité violette
–
mon corps
dépérit dans un lit de malade
cette douleur
ressemble à une vieille feuille
tombant d’un néflier
°°°
(Tr. d’après Makoto Ueda : D. Py).
Tawara Machi (1962 -), par Makoto Ueda
5 mai 2016in : Modern Japanese Tanka, Columbia University Press, 1996, pp. 229-240.
(Extraits) :
Elle devint une porte-parole éloquente des « shinjinrui » ou « nouvelle espèce humaine », génération de Japonais qui ne montrent que peu d’intérêt pour les croyances traditionnelles, même envers l’institution traditionnelle du mariage.
Rejoignit la revue « Kokoro no hana »(« Fleurs du coeur ») en 1983. N’exerça son métier d’enseignante que pendant quatre ans, grâce au succès de son premier livre de tanka : Sarada kinenbi (L’Anniversaire de la salade) paru en 1987, qui devint immédiatement un best-seller, causant le « phénomène Tawara ». « Mon premier recueil de tanka fut pour moi, initialement, une averse venue du ciel, mais à un certain point, elle se changea en orage et faillit m’emporter », se rappela-t-elle. Son deuxième livre de tanka Kaze no tenohira (La Paume du vent) parut en 1991.
°°°
Extraits de L’Anniversaire de la salade :
–
regardant en l’air
vers la pluie qui tombe
soudain
j’ai envie d’être embrassée
dans cette position
–
la solitude
de la vie où un plus un
font toujours deux
me tombe dessus
ce jour de décembre
–
« jusqu’à l’âge de trente ans
je me baladerai »
tes mots
me font me demander quelle part
de ton paysage je forme
–
ce jour de mars
sans qu’une partie de mon coeur
n’attende le printemps
j’admire avec toi
un prunier à floraison tardive
–
la lettre
déborde d’amour
l’amour
qui est ce qu’il était
le jour du timbre
–
à partir du moment
où je finis d’écrire
et où je colle le timbre
le temps commence à couler
attendant une réponse
–
essayant de nettoyer
la poussière
de ce qu’elles ont vu
je rince mes lentilles de contact
aussi minutieusement que possible
–
fleurs de cerisier
fleurs de cerisier fleurs de cerisier
commencent de fleurir
finissent de fleurir, et le parc
comme si rien ne s’était produit
–
le jour
où j’oublie d’écouter
les prévisions météo du matin
je ne suis pas contrariée
s’il pleut ou fait soleil
°°°
Autres extraits :
–
mon coeur
désirant blanchir
un certain temps
sort voir un lis songeur
et lui tient compagnie
–
comme s’il voulait desserrer
toutes les chaînes le liant
à la société
il retire sa veste de costume
sa cravate, son pantalon, sa chemise blanche
–
la femme
qui a mis au monde ton enfant
porte un sourire sur son visage
sur ses sourcils, ses lèvres, etcetera
une nuit de lune montante
–
bien que
pas assez épais pour mériter le nom
de haine
il y a un liquide opaque
qui s’accumule dans ma poitrine
–
figeant mon sourire
pendant une demi-seconde
je regarde
vers ton appareil photo
qui ne peut pas photographier mon coeur
–
arrivant
un petit peu plus tard que d’habitude
et me laissant
comme toujours déçue
le facteur
–
comme si
leurs oreilles étaient à l’unisson
du grondement de l’océan
les jonquilles sont en fleur
dans le village où je suis née
–
avec l’air serein
qu’on voit seulement après un accouchement
un pommier
ouvre grand ses mains
pour accueillir la saison de la neige
–
d’autant plus
qu’on ne peut pas le voir
je regarde éternellement
vers ce pays qu’on dit
se trouver de l’autre côté de l’océan
–
d’une manière ou d’une autre cette impulsion
de te questionner sur ton lieu de naissance
comme je marche avec toi
à travers un sombre passage
dans l’aquarium
°°°
(Choix et traduction : Daniel Py).
Ogiwara Seisensui 9/19 – pp. 300-2.
27 mars 2016(…/…)
Le poète verbalisa immédiatement la situation dans les mots les plus simples possibles, parlant de lui-même à la première ligne et à propos de la nature sur la deuxième. Il mit les deux lignes côte à côte et obtint un haïku de style libre.
Il va sans dire que la division esprit-nature qui existe au stade initial du processus créatif est moins claire dans beaucoup de haïkus achevés parce que les objets de la nature sont souvent employés littéralement ou métaphoriquement, ou les deux. Le haïku suivant de Santôka consiste d’images seules :
dans ma sébile aussi
des grêlons
Un orage de grêle a éclaté alors que le poète-mendiant se pressait au bord d’une route un jour d’hiver. De petits grêlons tombèrent dans la sébile qu’il tenait; ils avaient l’air de grains blancs de riz donnés par les bienfaiteurs qu’il avait rencontrés. Instantanément l’inspiration le frappa : les grêlons étaient un cadeau du plus grand des bienfaiteurs : le ciel. Seisensui présuma : « avec une âme d’enfant, le poète tendit le bol de métal et reçut ce qui tombait du ciel. » L’esprit du poète s’était joint à sa sébile.
Un exemple séculier, par Seisensui lui-même :
chaumières :
neige
tombante
s’amassant
Expliquant comment il écrivit ce poème, Seisensui dit qu’il regardait la neige tomber, l’esprit vide. Des pensées fragmentaires se succédèrent dans son esprit : « Oh, la neige tombe – tombant sur des maisons couvertes de chaume – oh, s’entassant » Quand la « transe » fut achevée, il réalisa que sa respiration avait été parfaitement unie au rythme de la neige tombante. Il essaya de noter l’extase, telle qu’elle s’était produite, et ainsi naquit ce poème.
Ce que Seisensui appelle « FERTILISANT », dans Une Nouvelle Introduction au Haïku, peut être interprété comme un moyen d’aider les poètes amateurs à atteindre l’esprit-haïku. Par « fertilisant » il voulait dire des livres, particulièrement des recueils de haïkus par les maîtres poètes du passé. Le conseil de lire est surprenant de la part d’un poète si farouchement indépendant, mais son intention principale était d’aider les poètes-à-venir à découvrir comment des générations de poètes de haïku s’étaient immergés dans la nature. Pour lui, l’essence du haïku – en fait, de la culture japonaise – est en étroite relation avec la nature. Dans Une Nouvelle Introduction au Haïku, il fit une généralisation audacieuse à propos de l’identité de la culture japonaise :
« En général, les Occidentaux croient que « la nature » est opposée à « l’homme », que la volonté humaine doit résister à la force de la nature. Regardez leur architecture. Une maison occidentale est construite solidement, de façon à résister à l’assaut des éléments. Ses murs sont épais, ses fenêtres petites. Par contraste une maison japonaise est soutenue par de minces piliers et fermée par des portes coulissantes » *
* Une maison japonaise traditionnelle a moins de murs extérieurs que sa contrepartie occidentale. A la place d’un mur il y a un assemblage de portes coulissantes, appelé « amado » ou « portes d’orage », qui est fermé la nuit et les jours d’orage.
« Quand les portes s’ouvrent, le vent souffle librement à l’intérieur et à l’extérieur. Ce qui sépare l’intérieur de l’extérieur n’est rien de plus que des écrans de papier que nous appelons « shôji ». Nous n’avons jamais peur de la nature, nous sentons que la nature est notre amie. Pour prendre un autre exemple : regardez les vêtements occidentaux qui couvrent le corps comme des armures; c’est comme s’ils avaient peur d’exposer leur peau. Les kimonos japonais ont des manches grandes ouvertes et sont plutôt lâches en bas. Les habits occidentaux sont faits pour protéger l’homme de la nature; les nôtres sont faits pour nous décontracter dans la nature. C’est la même chose pour les habitudes culinaires. La nourriture occidentale est placée sur la table seulement après qu’elle soit morte et absolument sûre. Au Japon, beaucoup plus de choses sont mangées vivantes, comme du poisson cru. Plus la nourriture est fraîche, plus nous l’apprécions. Ces faits prouvent encore qu’à l’Ouest la nature brute est considérée comme dangereuse, tandis qu’au Japon les gens n’ont pas peur de la nature et s’en font une amie. »
Le haïku illustrait ce trait culturel japonais, continuait Seisensui. Son contraste entre les cultures japonaise et occidentale, avec ses exemples arrangeants et ses généralisations hâtives n’est que trop familier, mais le passage aide à expliquer pourquoi, pendant tant d’années, il maintint si inflexiblement que sa poésie était du haïku et pas du vers libre. Il considérait que le vers libre était un produit de la culture occidentale, et il ne voulait pas que sa poésie y soit associée. Pour la même raison, il voulait que les étudiants débutants lisent les classiques du haïku et les utilisent comme « fertilisants » pour aider à cultiver leur « esprit-haïku ».
Seisensui déconseilla de lire sans discrimination les livres célèbres du haïku, parce qu’il pensait que certains poèmes classiques célèbres ne capturaient pas le moment-haïku vital. Il critiquait fréquemment Buson et Shiki pour cette faute. Bien qu’il fût fort au courant de leurs talents poétiques et qu’il leur vouât souvent un grand respect, il sentait qu’ils écrivaient trop souvent en tant que spectateurs, laissant rarement leurs esprits se fondre dans la nature. Par exemple, il n’aimait pas ce poème bien connu de Buson :
la pivoine tombe –
posés l’un sur l’autre,
deux ou trois pétales
Il admettait que c’était magistralement écrit, mais sentait que cela manquait de vitalité. Expliquant la raison de sa critique, il déclara : « Le poète travaille si durement à peindre la pivoine qu’il devient l’esclave de son propre dispositif… avec pour résultat qu’il réussit à créer une image intéressante de la pivoine, mais échoua à absorber sa vie dans son esprit propre. » Quelque part ailleurs, Seisensui cita huit autres poèmes de pivoines de Buson, qui ne montraient aucune trace de l’homme Buson. « Dans mon opinion », continua-t-il, « ce sont des peintures et non de la poésie. Les haïkus, étant de la poésie, devraient révéler le moi du poète. Ils devraient contenir le sens d’une union entre le sujet et le moi du poète. »
(à suivre…)
Haïkus, senryûs, kyôkus, etc. Py – Nov. 15 – 1):
3 décembre 2015°
grenouille,
bredouille
– l’étang dort
–
l’étang dure –
–
Lola (la grenouille) se détend
–
(Lola) se défend
au saut élastique
–
La grenouille se détend,
ressort…
–
, se détend, s’allonge
, quelle cuisse !
–
La cuisse (légère ?),
aérienne !
–
: Etang-tatives,
étang-tations
°
(pendant ce temps-là)
le jour monte,
hausse ses couleurs, *
1er novembre.
–
* (hisse les couleurs…)
°
tous les premiers mercredis du mois
une minute 41 de sirène à midi
(me dit le calendrier
des sapeurs-pompiers
–
si la si rè
ne retentit
: fermez les fenêtres
ouvrez la radio
°
« Pour avoir des lèvres de rêve » :
la labiaplastie
ou nymphoplastie
°
Suites de son opération :*
son visage-
Halloween
–
* : infection,
°
L’arbre à cons…
– Vérifions si nous y sommes !…
°
Les escargots *
caracollent au plancher
–
* = « caracol » (: esp.)
°
De l’ogre d’Halloween
à l’orgue de la morgue ?
– Toussaint
–
Toussaint,
la paix des mores ? *
–
* / la paie des morts… /
°
… de gros grains de raisin blond…
°
balcon nogentais :
une table, deux chaises
reçoivent
la pluie
°
(Kyôku :)
Les mots du haïku
ne sont pas là pour meubler
/ combler… le vide,
… mais pour le mettre en valeur… (?)
°
un mille-pattes
luit sous le lampadaire –
lune noire dans trois jours
°
Le monde sera-t-il plus sale
après que tu l’auras quitté ?
°
depuis des années
ce mendiant aveugle
qui ne s’accompagne que de Brassens
(dans le métro)
°
papa pousse bébé tient poupée
(rue de Rome, 5/11)
°
Tout ce monde affairé :
cohue capitale
du matin
(métro, RER, …)
–
(et) marcher à pas lents
(escomptés…),
c’est pas la vie, ça ?
–
RA
LEN
TISSEZ !
°
Fête des Pères –
une femme cueille des roses
au bout des rangs de vigne
(Orly-ville, juin 15)
°
(Bashôtage :)
Mes voisins de Dnipropetrovsk,
comment vivent-ils
(ce matin à 5h35) ?
(Millau, 30/10/15)
–
Six jours plus tard je vois (sur W9)
l’équipe de Saint-Etienne
qui rencontre Dniepropetrovsk
en Ligue Europa de football !
(Orly, 5/11)
°
l’ho
riz
on
°
(9/2006, métro :)
Elle tricote,
on dirait,
les fils de son baladeur
°
(16/9/06 – métro parisien :)
All the jewelry
atop her breast
– my silent hands
Toute cette bijouterie
sur sa poitrine –
– mes mains sages
°
L’homme qu’a bossé,
l’homme cabossé
°
(Kyôkus :)
Haïku :
Alléger le trait
–
Ecrire =
se vider la tête…
–
Affiner le trait
–
Haïku :
Laisser gagner le blanc.
°
les géraniums en pleine efflorescence –
approche de la lune noire
°
le trottoir sec
mouillé sous les feuilles
°
papillon brun dans la rue
lune noire de novembre
°
dessous féminins
(:) la légèreté
du fil
°
tout l’or
…
…
°
le rythme récurrent
…
…
°
(Saori Nakajima, au kukaï de Paris :)
« Le haïku n’est pas sentimental;
le tanka, oui ! »
°
des corps de métier
suspendus
bleu sur bleu
°
horizontal un oiseau
traverse le matin –
une grue au bout du gris
°
lacet sur le trottoir –
serpent noir de l’hiver ?
°
(Sur une illustration de Mitsuru Ikeda, p. 51 de Haïkus satiriques (de Kobayashi Issa), par Seegan (Laurent) Mabesoone, éd. Pippa, 2015 :)
du bord de la rive
les grenouilles regardent la capitale
et se marrent
(: 9/11, vers 7h55)
du bord de la rive
regardant la capitale
des grenouilles se marrent
(même jour, 9h25)
°
Je viens d’écrire un senryû sur des grenouilles,
ses chaussures de sport vertes
(métro, ligne 14, 8h)
… puis le sac vert
de sa voisine…
°
détachant une feuille de géranium,
une libellule verte
s’envole de sous le balcon
°
(Tanka – devant une peinture chinoise de montagne… :)
Seul compte
le paysage qui s’ouvre devant soi
– s’oublier
un peu
°
(Avenue de Clichy :)
fondue dans un décor
d’encombrants
la mendiante
(: vers 9h40)
–
d’un abri-bus
quelqu’un
a aménagé son chez soi
(: 9h48)
°
(à suivre (p.45)…)
La poésie et la philosophie du cerisier : 2)
18 novembre 2014Ryûki (?) :
chassant les cerisiers,
notre seule arme :
un pinceau
Issa :
Nous prions les dieux
pour ours et cerfs, pourquoi pas
pour la chasse aux cerisiers ?
Teitoku (1570-1653) :
pour les cerisiers
des collines tout alentour,
je veux un télescope *
* les Japonais prirent rapidement avantage de cette technologie au XVIè siècle, importée par missionnaires et marchands.
Issa :
une ligne ininterrompue
de chapeaux pour admirer les fleurs
d’ici jusqu’à Kyoto
Sôgi (1420-1502) :
pas âme
qui ne dise : nous allons
admirer les fleurs
sur des sentiers de montagne,
connus ou inconnus, un flot
d’admirateurs de fleurs
Anon (?) :
rue après rue
la floraison cracha
des pétales de cerisiers
Allez ici ou là,
toutes les routes
mènent aux fleurs
Kashiku (XVIIIè siècle) :
les panneaux d’interdiction ignorés :
chassant les fleurs
au temple
Shirao (1735-1792) :
se glissant
d’un temple à un autre :
la pleine floraison !
Tantan (1673-1761) :
Voyant un sentier
nous l’empruntons : un jardin ! :
cerisiers du temple
Kiin (1697-1748) :
écartant des branches
je tombai sur le portail de quelqu’un :
cerisiers de montagne
…/…