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1. Humour et Jeux de mots
L’humour des haïkus fait difficilement partie de leur technique, car il n’en est pas détachable, mais appartient à leur esprit plutôt qu’à leur forme. C’en est un élément indispensable, sans lequel le haïku peut difficilement exister, un équilibre de l’esprit, une balance d’éléments conflictuels desquels naît ce plaisir dont la qualité particulière nous entraîne à lui donner le nom d’humour. L’origine historique en a été expliquée plus haut (page 196). On devrait peut-être remarquer que le caractère sérieux et plutôt sans humour de Bashô n’a pas pu – heureusement – enlever l’élément comique inhérent au haïku. Au lieu de quoi Bashô, en recevant son inestimable bénéfice, donna au haïku une profondeur et une force morale qui, grâce à son héritage d’humour inaliénable, ne tomba jamais dans la philosophie ou le didactisme.
L’origine spirituelle se trouve dans la nature paradoxale des choses que le but du haïku est d’exprimer. Dans beaucoup de haïkus, c’est évident; on peut la ressentir légèrement dans la plupart. On peut l’extraire même dans ceux qui semblent dénués de tout élément humoristique, mais c’est une tâche ardue et ingrate de tirer à la lumière ce qui ne peut qu’exister dans l’obscurité de la nature élémentaire des choses. En tout cas, on ne peut écrire sur l’humour – si on le peut – qu’avec humour, et il est meilleur d’en rester là sur ce sujet.
Les jeux de mots sont censés être une forme d’humour, mais dans le sens qu’ils n’ont pas l’effet dévastateur d’une histoire drôle. D’un autre côté, ils relâchent les connotations fixes des mots et adoucissent leurs angles aigus, ils télescopent des idées qui sont irréconciliables en pensée, et introduisent une plaisante suspension d’incrédulité par le biais de ce qui est souvent un effet mécanique et verbal, mais parfois une sorte de gaieté linguistique de l’esprit.
Dans les renga et les haïkus anciens, comme dans la littérature du Nô, les calembours et jeux de mots étaient utilisés non pas comme des plaisanteries, et pas seulement pour le seul plaisir de faire des tours de passe passe verbaux ou en tant qu’ornement verbal et musique du langage, mais pour apporter du sens où grammaire et syntaxe se séparent, unissant les idées les plus éloignées que le langage puisse diviser, cassant ainsi les barrières que l’intellect érige sans cesse :
» Et l’habitude pèse sur toi d’un poids
aussi lourd que le gel, et profond comme la vie presque. »
Le haïku qui suit fut composé lors du départ de Bashô pour Ise, se séparant de ses amis. Il conclut le Oku no Hosomichi :
Hamaguri no futami ni wakare yuku aki zo
Bashô :
Automne –
Nous séparant nous allons, les palourdes s’ouvrent,
vers Futami.
Ce verset n’a pas de valeur poétique autre que les jeux de mots qu’il contient. « Futami » signifie « deux regards ». C’est le nom d’un endroit près d’Ise. Les palourdes avec leurs deux coques comme futa, paupières, couvercles, sont les symboles de deux amis séparés. « Allons » s’applique à la fois au départ de Bashô et à celui de l’automne. Un tel haïku, aujourd’hui, est considéré comme ayant peu de valeur; néanmoins l’intention est admirable. Cet Euphuisme, avec son plaisir étymologique et verbal dans l’unité, à unir, est significatif d’un profond désir d’harmonie. Dans la poésie anglaise, presque à cette même époque, un procédé quelque peu différent était à la mode. Richard Crashaw, qui mourut quand Bashô avait cinq ans composa la strophe célèbre dans sa In the Holy Nativity of Our Lord :
» Elle endort Tes larmes en chantant, et plonge
ses baisers sur Ton oeil en pleurs :
Elle écarte les feuilles rouges de Tes lèvres
qui reposent dans leurs bourgeons encore rougissant;
Elle teste aux diamants mères
la pointe des yeux de son jeune aigle. »
Ce qui signifie que Marie endort l’enfant Jésus en chantant, et il s’arrête de pleurer. Elle fait disparaître ses larmes en les embrassant, puis embrasse ses lèvres disjointes. Elle teste les yeux du bambin, leurs rayons, par rapport à ses propres yeux brillants comme des diamants, de la même manière que l’aigle teste ses yeux dans le soleil. Un autre exemple, plus simple, extrait du Daybreak de Donne :
» Reste, ô douce, et ne te lève !
La lumière qui brille vient de tes yeux :
le jour ne point pas : c’est mon coeur,
parce que toi et moi devons nous séparer. »
Les calembours font partie de la vie poétique du Nô. Parce qu’ils sont de nature intraduisibles, nous n’en citerons qu’un, extrait du Sotoba Komachi. Komachi elle-même parle :
» Maintenant enhardie, Je vais entonner une chanson à rire :
Si j’étais dans le Paradis,
ce serait vraiment mauvais;
En dehors,
le sujet est-il grave ?
Le jeu de mot porte sur sotoba, un stupa, reposoir d’une relique du bouddha, et soto wa, en dehors. C’est assez faible, mais cela exprime la joie de Komachi d’avoir triomphé des deux prêtres dans un argument théologique. Ils disent que le stupa est ke symbole de l’incarnation du Bouddha; elle soutient que l’homme également, et donc qu’elle n’a pas tort si elle s’assied sur le stupa.
Les premières lignes de ce Sotoba Komachi, la plus grande de toutes les pièces de Nô, contiennent un jeu de mots plus poétique :
» Notre maison cachée se situe sur des collines peu élevées, sur des collines peu élevées, mais profondes dans le coeur. »
Mais, comme nous l’avons écrit précédemment, la raison de ces jeux de mots n’est pas le jeu séparé des mots, mais la manière dont, à travers eux, se fait la continuité, liant un passage au suivant. Le texte, bien sûr, y aide, qui dans sa forme cursive relie souvent les mots.
2) La brièveté
(à suivre, p. 315.)