°
pp. 389-93 :
–
Bashô eut de nombreux imitateurs, entre lesquels se distinguèrent surtout dix de ses élèves, les « Dix Sages » (Jittetsou) de l’école. Ce sont : Enomoto Kikakou (1661-1707) et Hattori Ranncetsu (1654-1707) qu’il faut ranger en première ligne parce qu’eux-mêmes furent à leur tour fondateurs de deux écoles nouvelles : d’une part l’école d’Edo (Edo-za) , d’autre part l’école de la Neige (Setsou-mon) ainsi appelée parce que Ranncetsou s’était donné encore le pseudonyme de Setchouan, « la hutte dans la neige » ; puis Moukaï Kyoraï (1643-1704), Morikawa Kyorokou (1652-1715), Kakami Shikô (1665-1731) ; enfin, comme poètes moins célèbres Naïto Jôçô (1663-1704), Shida Yaha (1663-1740), Kawaï Sôra (?-1709), Tatchibana Hokoushi (?-1718) et Otchi Etsoujinn (?-1702?)
°
Ranncetsou :
–
Ah, une feuille (morte)
Qui vient se reposer en caressant
La pierre tombale !
°
Kyoraï :
–
Le long sabre
D’un homme qui regarde les fleurs
Oh ! Qu’est-ce que cela ? *
–
* Contraste entre la vulgarité brutale du guerrier et les délicates beautés de la nature.
–
L’insensible
Résidence du daïkwan. Oh !
Et le coucou ! *
–
* Le chant poétique de l’oiseau, à côté du bâtiment officiel !
°
Kyorokou :
–
L’Île d’Awaji :
La (pêche à) marée basse étant finie,
La lune du troisième jour ! *
–
* Simple paysage.
–
Bien froid, l’intervalle avant que sèchent
Les points pour le moka :
Brise du printemps ! *
–
* Pour le traitement par le moka, les malades se rendaient d’ordinaire à un temple bouddhique ; là, nus jusqu’à la ceinture (…)
°
Shikô :
–
Oh ! Les blancs nuages !
Traversant la haie,
(Ce sont) des fleurs de lis ! *
–
* Les lis du voisin, passant à travers la haie mitoyenne, étaient d’abord apparus au poète comme une blancheur nuageuse.
°
Jôçô :
–
Une cigale de l’automne
Morte à côté
De sa coque vide
°
Yaha :
–
Oh ! le rossignol !
À la porte, juste à ce moment,
Le vendeur de tôfou ! *
–
* Ces marchands ont un cri qui n’a rien d’esthétique (…)
°
Sôra :
–
Le voyage…
Même si je tombe,
C’est sur des fleurs de Haghi ! *
–
* Lespedeza bicolor (proche du sainfoin).
°
Etsoujinn :
–
Au temple de la montagne
Le bruit du riz qu’on pile,
Par une nuit de clair de lune ! *
–
* Les paysans ménagers de leur temps utilisent volontiers, pour ce travail, la clarté lunaire.
°
À suivre : – 6) Autres représentants de l’école de Bashô
Archive for the ‘tanka’ Category
Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô
22 septembre 2020Anthologie de la Littérature Japonaise – 4) Bashô
22 septembre 2020–
À la mort de son compagnon d’enfance (le fils du Daïmyô local) quand il avait seize ans, « il s’enfuit pour aller se réfugier dans un monastère bouddhique » (…) Il fut toujours un mystique épris d’humilité, de pauvreté, de bonté universelle ; il eut constamment pour idéal d’amener les hommes à la haute morale qu’il avait atteinte (…) On comprend dès lors pourquoi ce genre mineur, qui, jusqu’à lui, n’avait eu qu’un caractère humoristique, reçut de lui une profondeur que ne connaîtront jamais les oeuvres des partisans de l’art pour l’art.
–
Par les nuages de fleurs,
La cloche : est-elle celle d’Ouéno,
Ou celle d’Açakouça ? *
–
* Les masses de cerisiers en fleur sur les bords de la Soumida forment un épais nuage rose, si dense qu’on ne peut plus distinguer si les vibrations de la cloche entendue viennent des temples d’Ouéno ou de ceux d’Açalouça.
–
Moineau, mon ami !
Ne mange pas l’abeille
Qui se joue sur les fleurs
–
Réveille-toi, réveille-toi
Je ferai de toi mon ami,
O papillon qui dors
–
Ah ! le vieil étang !
Et le bruit de l’eau Où saute la grenouille ! *
–
* Cette poésie célèbre évoque admirablement la paix d’un monastère japonais, avec son vieil étang, couvert de lotus, dont le silence n’est rompu que par la plongée d’une grenouille, de temps à autre.
–
D’huile
Manquant, couché la nuit. Ah !
La lune à ma fenêtre ! *
–
* Elle lui apporte sa brillante lumière.
–
Qu’il mange les serpents,
En apprenant cela, combien terrible
La voix du faisan vert ! *
–
* Kiji, le faisan vert du Japon. Phasianus versicolore. La beauté d’une femme n’excuse pas ses péchés.
–
Qu’elle doit bientôt mourir,
À son aspect il ne paraît pas,
La voix de la cigale ! *
–
* Adieu mélancolique de Bashô à un ami qui lui avait fait visite dans une hutte temporaire qu’il occupait, sur le lac Biwa.
–
Tombé malade en voyage,
En rêve, sur une plaine déserte
Je me promène !
°
À suivre : Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô
Anthologie de la Littérature Japonaise – 3) par Michel Revon (1910)
22 septembre 2020Voici d’abord une poésie de chacun des cinq émules de Bashô :
°
I) SÔKAN :
–
À la lune, un manche
Si l’on appliquait, le bel
Éventail ! *
–
* Outchiwa, éventail qui ne se plie pas.
°
II) MORITAKÉ :
–
Une fleur tombée, à sa branche
Comme je la vois revenir :
C’est un papillon ! *
–
* Un proverbe japonais dit que « la fleur tombée ne revient pas à sa branche » ; la poète a eu, un instant, l’illusion contraire.
°
III) TÉITOKOU :
–
Pour tous les hommes,
Semence du sommeil pendant le jour :
La lune d’automne ! *
–
* Elle est si belle que tout le monde veille très tard pour la contempler : le lendemain, somnolence générale.
°
IV) TÉISHITSOU :
–
Cela, cela
Seulement ! En fleurs,
Le mont Yoshino ! *
–
* Les cerisiers de Yoshino, dont les gens de bien parlaient bien en regardant bien : Allusion à une poésie du Manyôshou (Livre Ie) qui repose toute entière sur des jeux de mots et des allitérations :
Yoki hito no
Yoshi to yokou mité
Yoshi to iishi
Yoshino yokou miyo
Yoki hito yokou miyo
–
Des gens de bien
Ayant bonne réputation, en regardant bien,
Disaient bien :
Qu’on regarde bien Yoshino,
Que les gens de bien regardent bien !
–
On note donc le contrepied pris par Téishitsou ! – À rapprocher de « Ah Matsushima » , de Bashô, ultérieurement.
°
V) SÔÏNN :
–
De Hollande
Les caractères s’étendent :
Telles les oies sauvages du ciel ! *
–
* À cette époque où le Japon ne voulait avoir de relations avec l’Europe que par l’intermédiaire de qualques Hollandais parqués à Nagaçaki, notre écriture était une rareté pour les gens de la capitale. Ils trouvaient étrange qu’au lieu d’écrire comme eux, par lignes verticales (…) nous suivions des lignes horizontales. Cette bizarrerie des « caractères de Hollande » pouvait donc leur rappeler, très naturellement, un spectacle familier à leurs yeux et à leurs souvenirs classiques : le vol d’une bande d’oies sauvages traversant le ciel.
°
À suivre : – 4) : BASHÔ (p. 385)
Anthologie de la littérature japonaise 2) Michel Revon (1910)
22 septembre 2020°
(…)
» L’élite lettrée compose des vers légers, et le vulgaire va écouter les déclamations rythmées du théâtre. «
–
A. La Poésie Légère :
–
Sous cette dénomination, vague à desein, je réunis deux nouvelles formes d’art qui, durant cette période, remplacent l’antique tanka dans la faveur des poètes. *
* La tanka subsiste toujours : les Wagakousha surtout s’y distinguent (voir p. 343, 347) et même les Kanngakousha (par ex. p. 340) ; mais c’est la poésie légère qui prend le dessus, comme création originale et caractéristique de l’époque.
–
a) L’épigramme japonaise : Haïkaï.
–
La « hokkou », ou « kami no kou », c-à-d. les « vers supérieurs » (…)
comme, au début, ces poésies minuscules eurent d’ordinaire un caractère plaisant, on les appela aussi « haïkou », « vers comiques », ou simplement « haïkaï », « poésies comiques », par abréviation de l’expression « haïkaï no rennga », « poésies comiques enchaînées ». (…)
Haïkou et haïkaï impliquant l’idée d’une fantaisie humoristique ne répondant nullement au contenu réel de compositions qui, à partir de Bashô, c-à-d. justement du poète qui amena ce genre à son apogée, prirent un caractère généralement sérieux et souvent profond. (…)
–
C’est dès le XVIe siècle que la nouvelle forme poétique reçut son impulsion du bonze Yamazaki Sôkan (1465-1553) ; elle fut illustrée ensuite par Arakida Moritaké (1473-1549) , Matsounaga Téitokou (1571-1653) , Yaçouhara Téishitsou (1610-1673) , Nishiyama Sôïnn (1605-1682) , enfin et surtout par le fameux Bashô, qui lui donna le plus vif éclat dans la 2e moitié du XVIIe S. Les Japonais voient dans ces six poètes les « Six Sages de la poésie haïkaï » , « haïmon no rokou-tetsou » . Voici d’abord une poéise de chacun des cinq émules de Bashô :
°
À suivre : I) Sôkan…
: sur https://haicourtoujours.wordpress.com/
°
Anthologie de la littérature japonaise 1) Michel Revon (1910)
22 septembre 2020Kyōbun de Millau (4/5 Nov. 2008) :
°
Millau.
Sa Salle des Fêtes
dans le Parc de la Victoire.
Son Cimetière de l’Égalité.
Sa bibliothèque
(avec) son (exemplaire de l’) Anthologie de la Littérature japonaise des origines au XXe siècle,
par Michel Revon
(Ancien Professeur à la Faculté de Droit de Tôkyô,
Ancien conseiller-légiste du gouvernement japonais,
Professeur à la Faculté des lettres de Paris) ,
: Librairie Delagrave, 1910 (6e édition : 1928).
Son chapitre (p. 381) : L’épigramme japonaise : HAÏKAÏ
Son chapitre (p. 399) : La prose légère : Haïboun
Son chapitre (p. 400) : La poésie comique : Kyôka et Kyôkou
Son chapitre (pp. 404-5) : La prose folle : Kyôboun.
°
( À suivre : La Poésie (époque des Tokugawa, 1603-1868) : p. 381… )
°
Compte-rendu du 128e kukaï de Paris
25 juin 2017du 24 juin 2017, au Bistrot du Jardin (33 rue Berger, 75001).
En présence de 18 personnes, 34 haïkus ont été échangés. 23 ont obtenu une ou plusieurs voix : 3 à 4 voix, 9 à 3 voix, 4 à 2 voix et 7 à 1 voix.
°
Avec 4 voix :
–
métro bondé –
la mouche affolée
cherche une place
: Philippe Macé ;
–
son sourire
d’une oreille à l’autre
– mousse au chocolat
: Patrick Fetu ;
–
un tour chez IKEA –
meubler le vide
d’un dimanche
: Philippe Macé.
°
Avec 3 voix :
–
entre les deux rosiers blancs
un papillon blanc ?
: Daniel Py ;
–
Jour d’été –
un coquelicot s’enracine
à la grille d’égout
: Danièle Etienne-Georgelin ;
–
le bleu du lin
caresse
le bleu du ciel
: Philippe Gaillard ;
–
le bruit sombre du clapot
cendres dispersées
: Patrick Fetu ;
–
merle en silhouette
le choeur de l’aube
entonne le jour
: Eléonore Nickolay ;
–
Métro du soir
L’odeur du lilas
Répand des sourires
: Christiane Bardoux ;
–
polar –
sur la page du crime
une tache de vin
: Minh-Triêt Pham ;
–
rappel de paiement
le sourire du facteur –
gratuit
: Eléonore Nickolay ;
–
sentier fleuri –
deux chiens se reniflent
le derrière
: Michel Duflo.
°
Avec 2 voix :
–
deux cyprès penchés
tendrement vers la lune
écoutent un piano
: Philippe Bréham ;
–
fête médiévale –
toujours sur sa tablette
le chevalier
: Minh-Triêt Pham ;
–
sous la canicule
les jardins morts de soif
les migrants aussi
: Annie Chassing ;
–
une feuille vert tendre
de plus à l’arbuste…
une aile de papillon
: Marie-Alice Maire.
°
Avec 1 voix :
–
Canicule –
Le chat tire un maillot humide
de l’étendoir
: Danièle Etienne-Georgelin ( – « retravaillé ».)
–
dans le mauve
du bougainvillier
déjà l’été
: Michel Duflo ;
–
dans son esprit
le temps
ramassé
: Valérie Rivoallon ;
–
fête de la musique –
l’aube
sans le merle
: Annie Chassing ;
–
Jacquemart-André
Les Vénitiens de Tiepolo
Etudient le menu
: Dominique Durvy ;
–
jardin de ville
le gendarme joue
à saute-mouches
: Marie-Alice Maire ;
–
pluie torrentielle –
abritée sous le ceiba
l’araignée sous moi
: Valérie Rivoallon.
°
Nous remercions Annie Chassing de nous avoir confectionné – et distribué des grenouilles en origami !
Nous saluons Ben Coudert, venu au début de notre séance nous présenter son premier (et dernier) né : La revanche des petits riens, Ed. Unicité, 2017.
D’autres recueils ont été présentés :
Entre Ciel et Mer, de Patrick Fetu (Ed. Unicité),
Alsace-Vietnam, de Christiane Ranieri et Minh-Triêt Pham (Ed. Unicité),
Haïku, vol. 1 (« La Culture Orientale ») de R.H. Blyth, traduit en français par D. Py (Ed. Unicité.)
Passion Haïku et Horizon Haïku, deux anthologies contemporaines de haïku, Ed. Pippa (2017).
°
Certains d’entre nous sommes enduites allés à la librairie Pippa, pour une lecture par le groupe « Haïkoustics » (en l’occurrence Valérie Rivoallon et Philippe Gaillard) de haïkus de recueils publiés (ou republiés) en 2017 : En plus d’extraits d’Alsace-Vietnam et d’Entre Ciel et Mer mentionnés plus haut, ont été lus certains de Bulles de Musique de D. Py (Ed. Pippa, 2013, 2017) et de Les Haïkus de la Corde à linge (Dir. Danièle Duteil) de la revue Rivalités (Québec), janv. 2017.
°
Nos prochains kukaïs auront lieu les :
9 septembre 2017
(en présence de Janick Belleau et Danièle Duteil, qui présenteront leur recueil de « tankas doubles » : de Villes en Rives, Ed. du tanka francophone, fév. 2017.)
14 octobre
18 novembre
16 décembre.
°
Merci ! Et bel été à tous !
°°°
Sur la forme du haïku, par Noboyuki Yuasa :
1 juin 2017dans « The Englishness of English Haiku and the Japaneseness of Japanese Haiku », in A Silver Tapestry, The best of 25 years of critical writing from the British Haiku Society, 2015, pp. 51-64 :
(Extraits, pp. 56-9) :
« Le prochain élément de base du haïku dont j’aimerais discuter est sa forme. Certains pourraient dire que la question de la forme n’existe pas dans le haïku japonais, parce que, traditionnellement, la soi-disant forme 5-7-5 a été généralement acceptée comme étant la norme. C’est vrai d’une certaine manière parce que, pour le moment, la plupart des haïkus japonais s’écrivent dans un japonais semi-classique, particulièrement adaptable à cette forme traditionnelle. Mais, si un jour les haijins (japonais) devaient décider d’écrire en japonais moderne, la question de la forme sera un problème sérieux. Certains poètes, en fait, on déjà pris cette décision.
Taneda Santoka (1882-1940) en est un bon exemple. Il écrivit la plupart de ses haïkus dans un japonais familier moderne. Avec pour résultat qu’il a dû rejeter la forme traditionnelle dans beaucoup de ses haïkus :
wakeittemo / wakeittemo / aoi yama
dans ce poème, in a adopté un plan en 5-5-5, mais dans le poème suivant, il adopta un plan en 5-7-2 :
mozu naite / mi no sutedokoro / nashi
Bien que Santaka utilise beaucoup de formes irrégulières, je pense que c’est une erreur de penser qu’il a écrit des vers libres. Ses poèmes montrent deux motifs plutôt contradictoires. Il souhaite utiliser un japonais familier moderne aux dépends de la forme traditionnelle, mais en même temps, il ne peut pas complètement ignorer la forme traditionnelle. Il souhaite donc la garder où cela est possible. La forme traditionnelle dans les poèmes de Santoka est semblable à la face à moitié effacée de la surface d’un rocher. (…)
Je pense que c’est ce que fait un grand écrivain à une forme littéraire : il la détruit de façon à pouvoir la recréer de nouveau pour pouvoir l’adapter à son propre usage. Pour faire court, une forme littéraire existe à la fois pour qu’on l’observe et pour qu’on la casse.
Me tournant vers le haïku anglais, maintenant, que peut-on dire à propos de sa forme ? Des essais ont été réalisés pour garder le procédé syllabique japonais dans le haïku anglais. Je l’ai fait ainsi dans cet article pour des raisons évidentes, mais beaucoup de poètes ont trouvé cela trop restreignant. Dans ma traduction de Bashô, j’ai utilisé une forme sur quatre lignes, ce qui a été critiqué par certains comme étant une violation. Je ne souhaite pas particulièrement m’en défendre ici, mais j’avais des centaines de poèmes à traduire, et j’ai trouvé impossible de garder le procédé syllabique originel de bout en bout. De plus, j’ai déjà fait remarquer quelle haïku a débuté comme une révolte contre la tradition du waka, et cela inclut une révolte contre son formalisme. En traduisant des walka, j’essaierais de garder le procédé syllabique même en anglais, ce que j’ai fait dans ma traduction de Ryokan (1757-1831), mais en traduisant des haïkus, j’ai pensé que je pouvais prendre plus de libertés. (…)
Je ne vais pas dire quelle forme est la meilleure pour le haïku anglophone. Finalement, le choix de la forme doit être laissé aux poètes, individuellement. Un poète peut trouver que garder le plan syllabique est trop contraignant ; un autre peut penser que c’est un challenge excitant. Un poète peut trouver que la forme sur quatre lignes est plus adaptée à son propos ; un autre peut la trouver trop longue et lâche. Les variations à l’intérieur de la forme en trois lignes sont si grandes et nombreuses qu’il n’est même pas possible de dire s’il y aura une forme standard en trois lignes ou pas, dans le haïku anglophone. Cependant, j’aimerais voir un petit peu plus de conscience de la forme chez les poètes de haïku anglophone. (…)
En discutant des poèmes de Santoka, j’ai déjà dit qu’il y a des motifs contradictoires dans son esprit : un désir de préserver la forme traditionnelle, et un désir de la détruire et de la recréer. Je pense que ses poèmes ont émergé de la tension entre ces désirs contradictoires. Je crois que cela s’applique aussi bien et autant au haïku anglophone.
(…)
°°°
« Une histoire du haïku » R.H. Blyth – 4) : Teitoku et l’école Teimon :
30 mai 2017P. 64 :
Teitoku Matsunaga (1570-1653) :
Son poème de mort :
Goutte de rosée ma vie
s’évanouit
les vêtements dans le coffre à bijoux
ne pourront plus jamais être portés :
c’est la Loi.
–
Un autre de ses jisei :
Demain sera comme aujourd’hui,
pensons-nous le jour d’avant
Mais aujourd’hui nous réalisons
que tout est changement :
Ainsi va le monde.
–
Retraite hivernale :
même les insectes
respectueusement
–
Meilleures que les fleurs de cerisier
sont les boulettes de pâte –
oies sauvages de retour
A propos de ce haïku, Nobuyuki Yuasa, proposa un commentaire, dans la revue « Blithe Spirit » vol 8, n° 3 (pp. 12-24), sous sa version :
Plus que les fleurs de cerisier
elles semblent aimer les boulettes,
oies sauvage de retour
: « Ce poème représente l’étape où les objets naturels sont employés comme métaphores évidentes des affaires humaines. Dans ce poème, le poète ne s’intéresse pas du tout à la description des oies sauvages retournant chez elles, dans le nord, au printemps, mais il les utilise comme métaphore des hommes qui souhaitent remplir leur estomac avant de régaler leurs yeux avec les fleurs de cerisier. De plus, les oies sauvages retournant chez elles constituent un thème standard du waka traditionnel. Le poète se réjouit donc de jouer le rôle d’un iconoclaste. »
(cité dans A Silver Tapestry , le meilleur des écrits critiques de la BHS, des 25 premières années. Editeur Graham High, The B.H.S., 2015, p. 55)
°
Ses disciples :
Ryûho (mort en 1744).
Il grava son poème de mort sur sa propre tombe et mourut peu après, à 71 ans :
La lune et les fleurs de cerisier –
Maintenant, de ce monde,
je connais le troisième vers
°
Ishû (ou Shigeyori) (mort en 1680, à 74 ans) :
Les bâtons des pèlerins seuls
passent
sur la lande estivale
–
Le pied sait que c’est
le premier matin de l’automne
sur la véranda fraîchement lavée
–
C’est l’équinoxe de printemps
la compassion du Bouddha
nous permet de casser les branches fleuries
°
Teishitsu (mort en 1673, à 64 ans) :
Allons à Saga,
mouettes,
manger de la truite !
°
Bôitsu (1548-1630). Etait aveugle.
Je suis ici au milieu des fleurs !
J’entends les gens rire
dans les montages printanières
–
Attendant le vent depuis si longtemps,
jusqu’à aujourd’hui,
feuilles tombées !
°
Tokugen (mort en 1647, à 89 ans).
Son dernier verset :
Jusqu’à maintenant
je racontais des balivernes –
Une nuit de lune
–
N’importe comment nous la voyons,
il n’y a rien de plus noir
que la neige
: « Voici un exemple de comment le zen intellectuel, et la philosophie de Lao-tseu et de Tchouang-tseu, ne peuvent jamais devenir de la poésie. » (R.H. Blyth.)
°
Kigin. (Professeur de haïku de Bashô ; Prêtre shintô) :
Les herbes de la pampa
prennent la forme
du vent d’automne
–
De l’eau trouble coulant
sous les fleurs de cerisiers
le long de la rivière Yoshino
°
Saimu (mort à 73 ans ; Elève préféré de Teitoku.)
Son jisei :
A l’aube
la cloche résonne dans les fleurs
autour du portail du temple Jôdô
–
Son corps a fini
en vacuité –
Quelle chose est une cigale !
°
Baisei (mort en 1699, à 89 ans. Disciple de Teitoku.) :
Sont-ce des tourniquets,
ces papillons
volant au milieu des vagues de fleurs de cerisier ?
–
Le bateau sous la lune
a besoin d’un bon vent
dans le brouillard matinal
°
Dôsetsu (mort en 1654. Disciple de Teitoku.) :
Si cela existait,
la femme-fantôme-de-neige aussi
serait comme un melon blanc
°
Tadatomo (mort en 1676, à 52 ans. Elève de Herukiyo (mort en 1657.))
Charbon blanc ;
c’était autrefois
une branche enneigée
°
Gensatsu (mort en 1689, à 83 ans. Un des « 5 sages d’Edo ».) :
Un faon *
tétant les seins de sa mère
sous les flèches **
* = un bébé en habits de faon
** = un kimono à motif de flèches.
°
Mitoku (mort en 1669, à 82 ans) :
Ces fleurs enneigées
doivent être une réponse
aux « fleurs-de-neige » *
* : « snow-flowers ».
°
Ryôtoku (un des plus anciens disciples de Teitoku) :
Sur la rive de Sumi-no-e
les tambours des vagues
avec la musique des pins
–
Papillons dansant
parmi les fleurs de cerisier ;
Kagura * sous les Ise-zakura **
* : une sorte de cerisier-saule
** : la danse sacrée du sanctuaire d’Ise.
°
(A suivre :
Sôin et l’école Danrin. (p. 78))
« Le Haïku au Sénégal… » 2/6
23 février 2017(suite)
Plutôt que de faire un topo général , je vais simplement donner quelques extraits des (nombreuses) interventions qui forment les 4/5 de ce livre, dans l’ordre de lecture :
°°°
De l’avant-propos de l’ambassadeur du Japon au Sénégal, S.E.M. Takashi SAITO (2007) :
« Avec des mots simples et bien agencés qui concentrent l’inspiration et donnent le rythme, le haïku, poème des saisons, fixe l’instant éphémère et l’image unifie l’événement, la circonstance, les sensations et les sentiments. Il indique aussi la présence subtile de l’être. Un haïku réussi est, pourrait-on dire, une esquisse adroite surgie de la créativité vivace du poète pour qui « l’extase sublime de l’âme » est à chaque instant possible.
Au Japon comme au Sénégal, le haïku est un mélange de beaux paysages colorés, de parfums délicats et de sons variés qui donnent des sensations vivifiantes. Le haïku caractérisé aussi par l’instantanéité est un véritable moment de synergie entre le poète et son environnement comme les autres arts du Japon tels le nô, la calligraphie, la cérémonie du thé et l’art des jardins en procurent subtilement.
(…)
Je suis persuadé que de nouveaux horizons vont s’ouvrir et que l’univers du haïku va s’élargir davantage au profit de l’amitié et de la paix dans le monde.
(…)
La parution de cet ouvrage (…) est une belle concrétisation des échanges culturels entre le Japon et le Sénégal.
°°°
D’Akira NAKAJIMA, Ambassadeur du Japon au Sénégal , extrait de son article : « L’Afrique et le Japon vus par Senghor » :
« En 1979, l’année même de la visite officielle de SENGHOR au Japon, Sonoo UCHIDA, ambassadeur du Japon au Sénégal (poste qu’il occupa entre juillet 1977 et janvier 1981) organisa dans ce pays un premier Concours de Haïku. L’ambassadeur UCHIDA oeuvra aussi pour la diffusion de ce genre poétique, notamment en écrivant une série de plus de vingt articles critiques sur le Haïku en général et Bashô en particulier (ces articles parurent dans le quotidien Le Soleil entre octobre 1978 et janvier 1981). Par la suite, en 1983, SENGHOR lui-même fut invité à assister à ce concours. (…) Au cours de la conférence qu’il donna à cette occasion, SENGHOR félicita Chiyuki HIRAOKA (qui succéda à Sonoo UCHIDA comme ambassadeur – entre janvier 1981 et nov. 1983) d’avoir insisté sur la nécessité de respecter en langue française le nombre exact de syllabes (5/7/5) qui composent le haïku. Lui même était bien placé pour savoir combien le rythme est essentiel en poésie. (…)
(2006)
°°°
De S.E.M. Sonoo UCHIDA, précurseur et initiateur du haïku au Sénégal et premier organisateur du concours de haïku en 1979.
(L’Ambassadeur UCHIDA est actuellement (en 2006) le Président de l’Association Internationale de Haïku qui regroupe une vingtaine d’associations à travers le monde.)
« A nos amis amateurs de Haïku au Sénégal. »
(…) Selon le premier président du jury, le professeur KANE, ancien doyen de la faculté des Lettres de l’Université Cheikh Anta Diop, le Haïku qui se compose avec des mots courts pour exprimer sa sympathie avec la nature, s’apparente ainsi à la tradition de la poésie classique sénégalaise.
°°°
De Samba TALL, employé à l’Ambassade du Japon au Sénégal, et Lauréat du Concours International de Haïku organisé en 1990 par la préfecture d’Ehimé dans le cadre du Festival Culturel National du Japon) : « 25 années de haïku au Sénégal (1979-2005) » :
« Poème des saisons, précis, simple et raffiné, il traduit l’instant qui unit intimement le monde de la nature et celui des émotions humaines.
(…)
Au cours de ces 25 années, le Concours de Haïku, organisé par l’Ambassade du Japon avec la collaboration de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar et dont la 20e édition a eu lieu en 2005, a permis aux nombreux participants de maîtriser les règles et de comprendre l’univers, l’essence et l’ambiance du haïku. (…)
Le Haïku est aujourd’hui enseigné dans les collèges et lycées comme un genre poétique caractérisé par la référence à la nature, la spontanéité, la simplicité, la concision et la rigueur. Il illustre des cours de littérature, au même titre que les poèmes classiques africains et français.
A propos du Concours de Haïku :
Après de nombreux voyages d’études aux quatre coins du Sénégal, à la recherche des origines du patrimoine culturel sénégalais et ouest-africain, l’Ambassadeur Sonoo UCHIDA comprend que les Sénégalais ont un amour et un respect profonds pour la nature, fondés sur les valeurs engendrées par leurs croyances et leurs religions traditionnelles, bien avant l’Islam et le Christianisme.
Il comprend aussi que les Sénégalais ont une croyance vivace en la force et au pouvoir spirituel du mot et de la parole, et, de plus, qu’ils ont l’habitude de composer des poèmes et des chants courts pour mettre en exergue leurs valeurs, traduire leurs sentiments et aussi leur sens esthétique. Ces chants de travail et poèmes gymniques valorisent l’honneur, le courage, l’effort, l’abnégation, etc.
(…)
En 1979, le premier Concours de Haïku a été organisé au Sénégal. La moisson a été très bonne. 60 participants dont des écrivains connus et des professeurs d’université ont proposé plus de 600 poèmes. (…)
Le haïku devenant de plus en plus populaire, et ses règles étant mieux maîtrisées, des thèmes comme le soleil couchant, l’hivernage, la jeunesse et la nature, l’aube, le jardin et la maison, la mer et le soleil, ont été proposés aux participants des concours suivants.
En 2005, plus de 700 personnes ont participé au 20e Concours de Haïku. Parmi elles, des amateurs de Haïku de France et du Canada. Des Sénégalais vivants aux Etats-Unis, en Mauritanie et au Kenya ont participé aux concours précédents. Le monde du Haïku s’élargit. »
°°°
De Sonoo UCHIDA : « Historique du haïku » (1980) :
(…)
La langue japonaise, mélodieuse, à la manière de l’italien, se prête volontiers à la poésie légère et allusive parce qu’elle est surtout émotive et phonétiquement pauvre, ce qui favorise et multiplie les jeux de mots et les sens possibles.
(…) « Hokku », « Haikai » et « Haïku », noms qui évoquent la vivacité de ces petites pièces écrites en langue vulgaire (…)
Les vers ne doivent pas briller d’un éclat trop vif ; ils doivent revêtir un aspect naturel, discret, une teinte semblable à la patine des âges. (…)
Chaque année, à la mi-janvier, une très importante manifestation poétique appelée UTAGOKAI-HAJIME est organisée au Palais impérial, à Tokyo. « UTAGO » signifie « poète » ou plus généralement « écrivain » et « HAJIME » signifie « début » ou « commencement ». Cette cérémonie marque l’ouverture de l’année poétique au Japon. C’est une sorte de Concours national de Haïku, et des dizaines de milliers de Japonais y participent. La lecture de leurs poèmes devant les membres de la famille impériale et les plus hauts dignitaires japonais est la seul récompense des lauréats.
ORIGINE DU HAÏKU
(…)
A la période médiévale, le jeu de la composition d’un tanka par deux poètes devint populaire et fut appelé renga, c-à-d. un jeu de poèmes liés. (…)
Au cours des temps, le système s’est développé pour prendre la forme de poèmes en chaîne, c-à-d. qu’il y avait une succession continue de strophes de 17-14-17-14 syllabes, ainsi de suite. (…)
Plus tard, le hokku, la première strophe du renga, devint indépendant et se développa comme un autre genre poétique très populaire, parce que 17 syllabes furent considérées comme suffisantes pour exprimer le sentiment poétique.
En résumé, on peut dire qu’à l’origine il y a eu le tanka, et que le renga se développa, divisant le tanka en deux groupes, dont la première partie, le hokku, devint indépendante et reçut plus tard le nom de Haïku.
QU’EST-CE QUE LE HAÏKU ?
(…) Sa caractéristique fondamentale est la saisie instantanée de l’essentiel même de la nature, de l’univers ou de la vie, à travers un objet ou une expérience concrète.
CE QUE LE HAÏKU NOUS APPREND
Le haïku nous apprend à écouter attentivement et à regarder, à bien observer notre cadre de vie réel, à parler de la nature avec sincérité, avec bon goût, avec le sens du concret.
Le haïku s’adresse à la vue, à l’ouïe, à l’esprit aussi, mais dans le sens de la concision.
Le haïku, c’est aussi lapidation d’un sentiment et d’une émotion (…)
Le haïku est un exercice difficile. Pour paraphraser les Peuls, le haïku, comme toute poésie réussie, ce sont « des paroles plaisantes au coeur et à l’oreille ».
En résumé, disons que le haïku est un poème marqué par la sobriété et la brièveté. Le haïku est un poème riche de sens où le son et l’image ne sont pas absents. Le haïku ne compromet pas la beauté de la poésie cérébrale car, il est important de le souligner, après avoir atteint un haut degré de l’esprit, il revient à la banalité quotidienne.
La beauté du haïku est dans l’image : elle est également dans notre coeur : dans le sentiment, mieux dans l’émotion qu’elle suscite au fond de notre coeur.
« Sentiment » et « Emotion » : ce sont les deux idées (qui n’en font qu’une d’ailleurs) qui saisissent le poète et qu’il transmet à ses lecteurs grâce à son art. »
: Sonoo UCHIDA (1980).
°°°
(à suivre… : « Spécificité du Haïku sénégalais », par Madior DIOUF – pp. 31-3)
Le concept de « ma » (« (l’)entre »), dans la musique (… et dans la poésie de Yosano Akiko):
22 février 2017« La musique japonaise possède un mot pour cet endroit de silence entre les sons : « ma« , littéralement « (l’) entre ». On considère que c’est en général un concept ésotérique, mais Didier Boyer, un critique et musicien contemporain qui vit au Japon, l’évoque vividement dans sa description du jeu du musicien de jazz Paul Bley :
« Dans une veine semblable à celle de Thelonius Monk, Bley semble vraiment couper ce qu’il juge inutile dans son langage musical. Maintes et maintes fois, il souligne l’espace qui sépare deux sons consécutifs. Il permet au dernier son de résonner jusqu’à sa toute fin, plutôt que de remplir l’espace qui le sépare du suivant avec des notes sans signification.
La musique, comme la nature, n’a pas peur du vide, et ce blanc, dûment annoté sur la partition, est ainsi traité comme un autre élément musical. Dans la musique qu’il joue, cette vacuité, cette absence de son, ou plutôt cet intervalle de temps entre deux sons, est en réalité plein de vie. C’est le moment où l’auditeur réalise soudain qu’il est entré dans le monde du musicien, et que les moments entre les notes deviennent des occasions d’entrer dans la musique et d’y voyager. Dans ces moments, le sens du son devient clair comme du cristal. » (dans : « The Poetry of Free-style Jazz Constantly Pushing the Limits » , »La poésie du jazz de-style-libre repoussant sans cesse ses limites », in The Japan Times, 29/5/1999.)
Le jeu de Bley, ainsi décrit, possède une simplicité délibérée qui, en surface, semble assez différente de la poésie d’Akiko YOSANO (1878-1942). Cependant la brièveté du tanka est en elle-même une sorte de simplicité et de minimalisation, et les poèmes en coups de pinceau d’Akiko permettent l’espace entre eux pour annoter le silence. »
: Janine Beichman, in Embracing the Firebird, Ed. de l’Université d’Hawai’i (Honolulu), 2002.
(tr. D. Py).