Archive for the ‘haïbun’ Category

Anthologie de la Poésie Japonaise – M. Revon – 7)

23 septembre 2020

Enfin, après une période de déclin, l’épigramme eut une dernière floraison, surtout dans la deuxième moitié du XVIIIe S. , d’abord avec la poétesse TCHIYO, puis avec divers poètes dont le plus célèbre fut le peintre BOUçON
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TCHIYO :
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La plus fameuse haïkaï de la poétesse la plus illustre en ce genre. Nous avons déjà rencontré SONO-JO, qui d’ailleurs était l’élève d’une autre femme (MITSOU-JO, XVIIe S.) , puis TCHIGETSOU-NI et SHOUSHIKI ; mais KAGA NO TCHIYO ( 1703-1775 ) est la figure la plus éminente du groupe. La poésie que je viens de traduire :
Par des liserons
Mon seau ayant été emporté,
Eau reçue ! *
est l’idéal de la concision ; six mots en tout, ou même cinq, dans le texte :
Açagao ni
Tsouroubé torarété
Moraï-mizou

* Un matin, Tchiyo était allée à son puits, lorsqu’au moment de tirer la corde, elle s’aperçut que les liserons s’y étaient enroulés ! Comment se décider à détruire cette harmonie ? Elle y renonce et va demander de l’eau à sa voisine (moraï-mizou, eau reçue, donc eau demandée) .

Coucou !
Coucou ! À ces mots
Le jour est venu…
:
Hototogiçou
Hototogiçou toté
Aké ni kéri.

Sera-t-il âpre ?
Bien que je l’ignore, le kaki
Pour la première fois j’ai cueilli. *

* : à propos de son mariage.

Au réveil je vois,
Au coucher je vois, de la moustiquaire
le vide, hélas ! *

* : le mari de Tchiyo avait été enlevé par une mort prématurée.

Le pêcheur de libellules !
Aujourd’hui, jusqu’où
est-il allé ? *

* : à la mort de son petit garçon.
°
Yokoï YAYOU
(1703-1783), se distingua dans le haïboun :

Ah ! le Visage-du-jour !
À qui aucune des rosées
N’arrive à temps ! *

* : il exprime sa sympathie pour le hirougao, le liseron des haies japonaises. Lequel n’est rafraîchi ni par la rosée du matin, ni par la rosée du soir, comme le Visage-du-soir.
°
BOUçON :

Le prunier est en fleurs.
Lesquelles sont « moumé » ,
Lesquelles sont « oumé » ? *

* : le poète se moque des philologues qui discutaient sans fin le point de savoir si on devait prononcer oumé ou moumé.
°
RYÔTA :

Oh ! le clair de lune !
Si je change en renaissant,
(Que) je sois un pin de la cime ! *

* : Ryôta ( 1719-1787), un des plus féconds auteurs de haïkaï ; il a laissé une soixantaine d’ouvrages. (…) Il voudrait renaître pin au sommet d’un pic ; car alors il serait le premier à voir la lune !
°
ISSA :

Avec moi,
Moineaux sans
Parents, venez jouer ! *

* : On dit qu’il composa ces vers à cinq ans, alors qu’il venait de perdre sa mère.

Qu’est-ce que son
Million de kokou ?
De la rosée sur un bambou ! *

* : opulence du daïmyô de Kaga.
Kokou : monnaie.
°
(À suivre : 8) « La prose légère : Haïboun » (p. 399)

Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô

22 septembre 2020

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pp. 389-93 :

Bashô eut de nombreux imitateurs, entre lesquels se distinguèrent surtout dix de ses élèves, les « Dix Sages » (Jittetsou) de l’école. Ce sont : Enomoto Kikakou (1661-1707) et Hattori Ranncetsu (1654-1707) qu’il faut ranger en première ligne parce qu’eux-mêmes furent à leur tour fondateurs de deux écoles nouvelles : d’une part l’école d’Edo (Edo-za) , d’autre part l’école de la Neige (Setsou-mon) ainsi appelée parce que Ranncetsou s’était donné encore le pseudonyme de Setchouan, « la hutte dans la neige » ; puis Moukaï Kyoraï (1643-1704), Morikawa Kyorokou (1652-1715), Kakami Shikô (1665-1731) ; enfin, comme poètes moins célèbres Naïto Jôçô (1663-1704), Shida Yaha (1663-1740), Kawaï Sôra (?-1709), Tatchibana Hokoushi (?-1718) et Otchi Etsoujinn (?-1702?)
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Ranncetsou :

Ah, une feuille (morte)
Qui vient se reposer en caressant
La pierre tombale !
°
Kyoraï :

Le long sabre
D’un homme qui regarde les fleurs
Oh ! Qu’est-ce que cela ? *

* Contraste entre la vulgarité brutale du guerrier et les délicates beautés de la nature.

L’insensible
Résidence du daïkwan. Oh !
Et le coucou ! *

* Le chant poétique de l’oiseau, à côté du bâtiment officiel !
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Kyorokou :

L’Île d’Awaji :
La (pêche à) marée basse étant finie,
La lune du troisième jour ! *

* Simple paysage.

Bien froid, l’intervalle avant que sèchent
Les points pour le moka :
Brise du printemps ! *

* Pour le traitement par le moka, les malades se rendaient d’ordinaire à un temple bouddhique ; là, nus jusqu’à la ceinture (…)
°
Shikô :

Oh ! Les blancs nuages !
Traversant la haie,
(Ce sont) des fleurs de lis ! *

* Les lis du voisin, passant à travers la haie mitoyenne, étaient d’abord apparus au poète comme une blancheur nuageuse.
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Jôçô :

Une cigale de l’automne
Morte à côté
De sa coque vide
°
Yaha :

Oh ! le rossignol !
À la porte, juste à ce moment,
Le vendeur de tôfou ! *

* Ces marchands ont un cri qui n’a rien d’esthétique (…)
°
Sôra :

Le voyage…
Même si je tombe,
C’est sur des fleurs de Haghi ! *

* Lespedeza bicolor (proche du sainfoin).
°
Etsoujinn :

Au temple de la montagne
Le bruit du riz qu’on pile,
Par une nuit de clair de lune ! *

* Les paysans ménagers de leur temps utilisent volontiers, pour ce travail, la clarté lunaire.
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À suivre : – 6) Autres représentants de l’école de Bashô

Anthologie de la Littérature Japonaise – 4) Bashô

22 septembre 2020
pp. 385-9 :

À la mort de son compagnon d’enfance (le fils du Daïmyô local) quand il avait seize ans, « il s’enfuit pour aller se réfugier dans un monastère bouddhique » (…) Il fut toujours un mystique épris d’humilité, de pauvreté, de bonté universelle ; il eut constamment pour idéal d’amener les hommes à la haute morale qu’il avait atteinte (…) On comprend dès lors pourquoi ce genre mineur, qui, jusqu’à lui, n’avait eu qu’un caractère humoristique, reçut de lui une profondeur que ne connaîtront jamais les oeuvres des partisans de l’art pour l’art.

Par les nuages de fleurs,
La cloche : est-elle celle d’Ouéno,
Ou celle d’Açakouça ? *

* Les masses de cerisiers en fleur sur les bords de la Soumida forment un épais nuage rose, si dense qu’on ne peut plus distinguer si les vibrations de la cloche entendue viennent des temples d’Ouéno ou de ceux d’Açalouça.

Moineau, mon ami !
Ne mange pas l’abeille
Qui se joue sur les fleurs

Réveille-toi, réveille-toi
Je ferai de toi mon ami,
O papillon qui dors

Ah ! le vieil étang !
Et le bruit de l’eau Où saute la grenouille ! *

* Cette poésie célèbre évoque admirablement la paix d’un monastère japonais, avec son vieil étang, couvert de lotus, dont le silence n’est rompu que par la plongée d’une grenouille, de temps à autre.

D’huile
Manquant, couché la nuit. Ah !
La lune à ma fenêtre ! *

* Elle lui apporte sa brillante lumière.

Qu’il mange les serpents,
En apprenant cela, combien terrible
La voix du faisan vert ! *

* Kiji, le faisan vert du Japon. Phasianus versicolore. La beauté d’une femme n’excuse pas ses péchés.

Qu’elle doit bientôt mourir,
À son aspect il ne paraît pas,
La voix de la cigale ! *

* Adieu mélancolique de Bashô à un ami qui lui avait fait visite dans une hutte temporaire qu’il occupait, sur le lac Biwa.

Tombé malade en voyage,
En rêve, sur une plaine déserte
Je me promène !
°
À suivre : Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô

Anthologie de la littérature japonaise 1) Michel Revon (1910)

22 septembre 2020

Kyōbun de Millau (4/5 Nov. 2008) :
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Millau.

Sa Salle des Fêtes
dans le Parc de la Victoire.

Son Cimetière de l’Égalité.

Sa bibliothèque
(avec) son (exemplaire de l’) Anthologie de la Littérature japonaise des origines au XXe siècle,
par Michel Revon
(Ancien Professeur à la Faculté de Droit de Tôkyô,
Ancien conseiller-légiste du gouvernement japonais,
Professeur à la Faculté des lettres de Paris) ,
: Librairie Delagrave, 1910 (6e édition : 1928).

Son chapitre (p. 381) : L’épigramme japonaise : HAÏKAÏ

Son chapitre (p. 399) : La prose légère : Haïboun

Son chapitre (p. 400) : La poésie comique : Kyôka et Kyôkou

Son chapitre (pp. 404-5) : La prose folle : Kyôboun.
°
( À suivre : La Poésie (époque des Tokugawa, 1603-1868) : p. 381… )
°

« Le poète et le moine », par Sean Dunne (Irlande)

22 février 2016

dans Round the Pond, éd. Muntenia, 1994, pp. 167-73 :

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Quand je pense au poète japonais Bashô, je pense à deux bâtiments. L’un est une petite maison en bordure de Tokyo, où il alla pour devenir ermite, en 1693. C’était un homme qui avait visité beaucoup de maisons de poètes pendant ses pérégrinations sur les routes, errant à travers le Japon et écrivant ces petits poèmes qui en firent le plus grand poète japonais de son temps. Maintenant, approchant de la cinquantaine, il décida de passer quelque temps en sa seule compagnie dans sa cabane. Il écrivit, à propos de sa décision : « J’ai décidé de vivre en complet isolement, avec ma porte bien fermée. Ma solitude sera ma seule compagne et ma pauvreté ma richesse. Bien qu’âgé de cinquante ans, je pourrai garder cette discipline auto-imposée. »

Il en ressortit cependant encore pour entreprendre le dernier de ses nombreux voyages avant sa mort en 1694. Il demeura dans de nombreuse maisons en chemin, quelques unes étant des cabanes de poètes. Il écrivit nombre de ces petits poèmes connus sous le nom de haïkus, sorte de poésie dont il est le plus grand écrivain de tous. Chaque poème ne comptait pas plus de dix-sept syllabes et obéissait à certaines règles. Cependant, à l’intérieur de ce petit espace, Bashô fit se produire beaucoup de choses merveilleuses.
Mais j’ai dit que je pensais à Bashô en connexion avec deux bâtiments. L’autre est une cabane quelque part en Irlande, au VIII ou IXè siècle. Disons qu’elle se trouve sur la côte dans un champ non loin d’une falaise. Dedans se trouve un moine travaillant à un manuscrit, écrivant sur son vélin. Il est fatigué. Le seul bruit est le léger grattement de sa plume à travers la page. Il s’arrête et étire son bras raidi. A travers la porte de sa cellule, il voit les rayons de soleil tomber. La lumière du soleil s’étale sur la page sur laquelle il vient d’écrire. Quelques mots lui viennent à l’esprit, et il les transcrit rapidement. Quelques siècles plus tard, Thomas Kinsella allait traduire ses mots ainsi :

« Comme il fait beau aujourd’hui! / la lumière du soleil se casse et clignote / dans la marge de mon livre »

Ce ne sont que quelques lignes, mais il y a beaucoup d’autres petits poèmes semblables à celui-ci. Dans beaucoup d’entre eux le moine irlandais griffonna de brèves observations de la nature dans des manières qui me rappellent toujours Bashô et la poésie japonaise. Tous deux écrivirent sur des oiseaux. Voici un des plus célèbres de tous les vieux poèmes irlandais, traduit par John Montague :

« Le sifflet / du clair / petit oiseau / à bec jaune : / sur le lac / sur un ajonc doré / un merle / s’est ébroué »

Et Bashô, écrivant dans le livre connu sous le nom de Notes d’un squelette exposé aux intempéries :

« Pivoines du milieu de l’hiver / et un pluvier lointain chantant, / entendis-je un coucou / dans la neige ? »

Dans chaque cas, le poème est court. Dans chaque cas le poème est écrit par un homme qui connait les monastères et auquel le silence n’est pas étranger. Bashô était adepte du bouddhisme zen et il avait beaucoup de moines bouddhistes parmi ses amis. Dans chaque cas aussi il y a une observation du monde naturel. Quand je lis Bashô en long et en large, j’en ressors avec une impression de neige, de montagnes, de cours d’eau, de cascades et de silences. Ses poèmes sont comme des galets tombant dans une pièce d’eau. Les rides s’étalent tandis que vous méditez à leur propos, et elles nous engagent à réfléchir plus que bien des poèmes cent fois plus longs.

Comme les vieux poèmes irlandais, les poèmes de Bashô sont généralement très vivides. On peut trouver beaucoup de haïkus sur des rouleaux accompagnés de peintures. Les images sont semblables à des poèmes. Très peu de choses s’y passent, mais, une fois encore, ils laissent en vous le sentiment d’un événement composé en silence. Tout est suggéré. Beaucoup de célèbres artistes japonais ont également été influencés  par le bouddhisme zen, et nombre d’entre eux était aussi poètes. Si vous regardez une peinture faite par le célèbre artiste Sesshu, vous verrez de rapides coups de pinceaux semblables aux quelques mots que Bashô pose dans ses poèmes. Si quoi que ce soit de plus y était mis, l’oeuvre deviendrait encombrée. Et plus ils semblent simples, plus ils sont difficiles à imiter. Un poème de Bashô, juste quelques lignes avec quelques mots, peut sembler si simple que vous pourriez passer à côté. Cependant, une telle simplicité est quelque chose que réalisa Bashô. Ce fut une réussite en soi.

Pour les vieux moines irlandais, l’idée de pèlerinage et de voyage était importante. Saint-Colmcille voyagea jusqu’à Iona. Le voyage de Saint-Brendan est un événement rempli d’aventures et de mythologie. Un des mots utilisé pour décrire un tel voyage était « immram » et ces voyages forment à eux-mêmes toute une littérature. C’est un voyage selon le désir du coeur, une quête du paradis ou du pays de la jeunesse.

Pour Bashô également, l’idée de faire un voyage était importante. Il en réalisa un certain nombre. Il avait ce qu’il décrivait comme un esprit battu par les vents. Il écrivit en voyage, tenant un journal dans lequel il notait les choses qu’il voyait ou les gens qu’il rencontrait. Comme le T’ain Bo Cualigne, ses livres sont des mélanges de prose et de poésie. La poésie transparaît quand il expérimente quelque chose à un niveau supérieur. Dans son ouvrage le plus célèbre : La sente étroite du bout du monde, prose et poésie se rencontrent dans une perfection sans coutures. Voici un exemple de sa méthode. Il est tiré d’un autre de ses livres dans lequel il voyagea jusqu’à son village natal.
Bashô a noté beaucoup de choses durant son voyage. Il a écrit de brefs poèmes à propos du vent rugissant dans les pins et à propos d’un papillon en équilibre sur un orchidée.Maintanant, en septembre, il arrive dans son village natal. Il écrit dans son journal :

« Je ne pus trouver aucune trace des herbes que ma mère avait l’habitude de faire pousser devant sa chambre. Les herbes avaient été complètement mordues par le gel. Rien dans mon village natal n’est resté semblable. Même le visage de mes frères devenus ridés et blancs de cheveux, et nous nous réjouîmes simplement de nous revoir en vie. Le plus âgé de mes frères sortit un petit sac d’amulettes et me dit en l’ouvrant : « Vois les cheveux gelés de ta mère. Tu ressembles à Urashima dont les cheveux blanchirent en ouvrant une boîte miraculeuse. » Après être resté en larmes un moment, j’écrivis :

Les tiendrais-je dans ma main / qu’ils disparu^itraient / au chaud de mes larmes, / fils raides de gel »

Ces quelques dernières lignes forment le poème. C’est une simple méditation sur les cheveux gris de sa mère. C’est une image claire. Et en voyant ces fils raidis par le gel, Bashô saisit la froidure de la mort et la profondeur de sa tristesse. C’est une image de la vie de tous les jours, et c’était de la vie de tous les jours que Bashô composa ses meilleurs poèmes. Comme ces vieux moines irlandais, il savait que le banal peut souvent être le miraculeux, fût-ce l’appel soudain d’un merle au-dessus d’un lac ou la vision de la lune entre des montagnes. Pour le poète irlandais ou japonais, le monde naturel était le moyen par lequel il pouvait obtenir une expression naturelle. Ses poèmes sont des formes de révélation, un mélange étonnant d’images, d’expériences et de réflexion.

John Keats écrivit dans une de ses lettres que si la poésie ne vient pas aussi naturellement que les feuilles à un arbre, alors, il était préférable qu’elle ne vienne pas du tout. Ce naturel était ce à quoi Bashô aspirait aussi. Il avait cela à dire à ce propos :

« Allez vers le pin, si vous voulez apprendre à propos du pin, ou vers le bambou, si vous voulez apprendre à propos du bambou. Et en le faisant, délaissez vos préoccupations subjectives. Votre poésie sortira de son propre accord quand vous et l’objet serez devenus un – quand vous aurez plongé assez profondément dans l’objet pour voir comme une lueur qui y est cachée. Combien même votre poésie serait excellemment tournée, si l’objet et vous êtes séparés, alors votre poésie n’est pas de la vraie poésie, mais seulement une apparence de poésie. »

Les objets avec lesquels Bashô s’unifia varièrent selon ses voyages. Un jour, par exemple, il est assis en complet silence avec quelques autres poètes en train de regarder la lune. Ils écrivent ensuite une série de poèmes. Un autre jour, il se dirige vers Nagoya quand il se joint à un groupe de gens pour admirer la neige. Cet événement était le sujet d’un poème, et le titre d’un livre publié en 1975 par le poète irlandais Derek Mahon. Bashô écrivit quelques poèmes à propos de la neige, à ce moment :

Content je vendrais / pour profit / chers marchands de la ville / mon chapeau chargé de neige

même un cheval / est un spectacle, / je ne peux pas m’arrêter de le voir / ce matin de neige

sur la mer assombrie / seule la voix d’un canard volant / est visible – / en léger blanc

Derek Mahon n’est pas le seul poète moderne qui se réfère à Bashô. Il fait souvent surface dans l’oeuvre du poète écossais Kenneth White. Son plus récent ouvrage est paru en France il y a quelques années. Appelé Les Cygnes suavages, c’est le récit d’un voyage entrepris par White à travers le Japon sur les traces de Bashô, trois siècles après que ce dernier eût voyagé jusqu’au nord profond, en 1689. Comme Bashô, Kenneth White écrit une poésie qui vous laisse avec des images et du silence, et remarquablement ouverte et sans limites, bien qu’elle semble souvent petite et frêle. « Si je devais vivre avec seulement dix livres », dit Kenneth White, La Sente étroite du Nord profond serait l’un d’eux. Encore une fois, c’est un poète qui produit de grands effets avec les touches les plus simples. Et tandis qu’il est rempli d’enseignements, il travaille à partir de la réalité, car c’est une des leçons qu’il a apprises de Bashô.

La poésie de Bashô est autant une attitude qu’une collection de mots. C’est dur et immédiat. Clair et coupant. C’est une expérience immédiate comme un jaillissement d’eau froide sur le visage. C’est aussi une méditation qui approfondit le lecteur. Comme l’éclat soudain de ces vieux poètes irlandais, c’est autant une perception spirituelle qu’une perception sensorielle.

Je pense à Bashô dans beaucoup d’endroits. Récemment, j’ai pensé à lui en escaladant les montagnes au dessus du lac à Gougane Barra, dans l’ouest du comté de Cork, et j’écrivis ensuite un ensemble de vingt petits poèmes qui jaillirent de l’expérience sans avoir été recherchés ou réclamés. Ils vinrent naturellement, comme Bashô a dit qu’ils le devraient.

Un autre jour, je traduisais le poème irlandais « Machnamh an Duine Doiliosach », un poème situé dans les ruines de l’abbaye de Timoleague. J’allai à l’abbaye et marchai tout autour. J’avais un livre de Bashô avec moi, et dans une section il y avait le compte-rendu d’une visite que Bashô fit à un temple japonais en ruines. Cela avait une similitude troublante avec le poème sur Timoleague. Comme je me promenais parmi les tombes et sentais le vent se précipiter par les fenêtres étroites, je sentis encore une fois la connexion entre l’Est et l’Ouest, entre Bashô et le moine dans sa cellule froide sur la côte irlandaise, entre le sanctuaire en ruines au Japon et l’abbaye en ruines dans le Comté de Cork. Car c’est la même lune

qui brille sur nous tous, et la lune que Bashô vit au-dessus d’un temple était la même lune que je voyais au-dessus de Timoleague.
Bashô et ses amis écrivirent à propos de cette lune :

Sans tenir compte du temps, / la lune brille pareillement; / ce sont les nuages qui dérivent / qui la font paraître différente / lors de nuits différentes

rapide la lune / dans le ciel, / cime des arbres en dessous / dégouttant de pluie

Ayant dormi / sous la pluie, / le bambou corrigea sa posture / pour regarder la lune

Comme c’est solitaire / de regarder la lune / entendant dans un temple / des gouttes battre sous l’avant-toit

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: Sean Dunne. 

(Ce texte parut auparavant dans la revue « Aisling ».)

 

Le haïbun : quelles directions ? – par Manuela Miga

16 octobre 2015

Le haïbun, quelles directions ?

par Manuela Miga.

In « Albatross » 2000-2001, pp. 85-7.

« Dès la deuxième Anthologie européenne de littérature japonaise signée par Michel Revon en 1910, on traite du haïbun – surprise ! – dans le chapitre dédié à la poésie légère, le haïkaï, que l’on considérait comme la plus haute réalisation du système poétique national et aussi de la concision. Comme on connaît, en général, le haïbun comme étant de la prose de style haïku, nous pouvions assumer que Revon se trompait, mais non : des sommités tels que Haruo Shirane et Hiroaki Sato le définissent comme de la prose poétique, Donald Keen et Makoto Ueda parlent de la structure et de l’enchaînement dans le haïbun de Bashô en tant que semblables à ceux du renga. Bashô mentionne le terme de « haibun » pour la première fois en 1690 pour définir une nouvelle catégorie littéraire sous la forme du journal traditionnel japonais, qui emprunterait cependant des modèles de la prose poétique chinoise. Comme les deux autres genres apparentés dérivant du haïkaï : le haïku et le haikai no renga, le haïbun se caractérise par un style laconique, elliptique, détaché (pas d’implication personnelle), allusif, qui repose sur la suggestion. Dans son ouvrage Matsuo Bashô, Makoto Ueda parle d’une omission fréquente de mots, utilisés dans la syntaxe conventionnelle, d’une utilisation volontaire de formes verbales et de particules ambigües afin d’engendrer chez le lecteur un sentiment d’inachèvement.. Les mots précisant des concepts, les abstractions et les généralités sont évités afin de favoriser le règne des images concrètes – particulièrement visuelles. Le haïbun s’écrit sur le mode de la confession. Il contient principalement des descriptions de « sites poétiques », d’événements mythiques, et d’allusions mythiques, historiques et littéraires, quelques portraits de personnes, des haïkus et (cités, commentés) des tanka. Jugeant que le rustique et même le vulgaire sont valables du point de vue poétique, Bashô construit le haïbun dans un langage commun, en opposition au « wabun » – la prose élégante écrite en japonais classique. L’humour – caractéristique du haïkaï – joue un rôle important. Une certaine nuance de style elliptique peut être le signe d’un sens raffiné de la décence. On ne peut pas traduire en mots la beauté suprême, son expression la plus élevée se trouve dans la sérénité de l’esprit. Le haïku le plus célèbre à propos du Mont Fuji est celui dans lequel la montagne ne peut être vue parce qu’elle est recouverte de brouillard. Les haïbuns sans haïku ne sont pas rares chez Bashô. Mais si le haïku est toujours un style littéraire cultivé dans son pays natal aussi bien qu’à l’étranger, on peut placer le haïbun aux antipodes. Adoptant le haïku de façon résolue et en faisant une matière scolaire, collégiale et universitaire, les Américains, à la fin des années 1950 s’essayèrent aussi au haïbun formel. Grâce au fait que dans les dernières décennies, des revues spécialisées dans le haïku ont publié plus souvent des haïbuns, Jim Kacian et Bruce Ross ont publié en 1999 le premier volume de l’anthologie américaine de haïbun : Up against the window. Le livre contient également une anthologie de haïgas. Cet ouvrage fait un rapide compte rendu du genre, illustré par des textes de styles différents, commençant par des textes anciens pour finir par de plus récents. Les plus condensés (les contemporains, évidemment) comptent moins de cent mots et placent un seul haïku à la fin; le plus long est un texte de plus de trois mille mots qui comprend quatorze haïkus et un tanka. On pourrait les classifier comme de la prose courte avec une tendance autobiographique, dans un style souvent descriptif, les buts principaux étant la nature et l’introspection. On y emploie des dialogues ; l’un d’entre eux fait le portrait d’une tierce personne à travers son monologue ; un haïbun est écrit comme – il s’intitule même – une pièce en un acte. Beaucoup ont comme prétexte un voyage au Japon ou quelque part ailleurs, ou un voyage dans le passé. Les auteurs semblent être intéressés par l’exploration d’un nouveau genre littéraire, généreusement délimité ; à la grande joie de l’écrivain, tous les « outils » sont permis. Il est reconnu que des tentatives similaires ont été également faites dans la vieille Europe, le haïbun étant perçu comme un genre viable. A l’avenir, peut-être, migreront de nouvelles racines – tel un pont suspendu – vers leur source. Par le moyen de ses liens. »

Manuela Miga
(traduite en anglais par Denise Rotaru, et, de cette version, en français par Daniel Py, le 16 octobre 2015, à Orly.)

Un été 14 – Py

14 mars 2015

20 juin :

chaleurs de juin / femmes et oiseaux / rutilent

orage – / l’odeur des troènes / dans l’appartement

troènes et chèvrefeuilles / se disputent nos narines / au coin de l’été // – fourmi, / d’où cours-tu ?

coupe de cheveux / sur le balcon – / fête de la musique

fête de la musique : / une mouche / dans l’appartement silencieux

une prière bouddhique / pour l’insecte / que je viens de tuer

début de l’été – / des drapeaux / fleurissent aux balcons

des cornes dans l’avenue / des bouchons dans les oreilles

la montre / de ton père / disparu / a disparu

dernière semaine de travail – / mon ombre / monte sur le trottoir

dans une station de métro / un clochard / se fait raser la tête

tombe anépigraphe : / le lisse retour / au chaos

deux pigeons / bécotant la même flaque / – dernier vendredi de juin

pigeon sur un fil / – merle / sur un autre

juillet :

une épeichette / jusqu’au ruisseau / roule ses billes

journaliste brésilienne / : ses ballons / trop ronds

le bruit de l’aspirateur / s’arrête / un avion passe

début juillet / des avions / dans mon couloir

ensemble les sirènes / se mettent à pleurer / midi 2 juillet

ce matin le vent / laisse dormir les feuilles / – un oiseau les secoue

au-dessus de l’évier de la cuisine / le miroir / dans lequel mon grand-père / se rasait

devant le verre de pastis / passe une mouche – / premier jour des vacances

un coq ce matin – / pondre une préface

ce matin le coq, / ce soir la France / en quart-de-finale

un dieu vivant / un vieux divan

je t’emmerle / dit-il / au pigeon

Sarko / nous ferait-il / le V / de la Victime ?

à la télé / Sarko glisse / un imparfait du subjonctif / : nous enculturerait-il ?

quatre oies / rentrent en courant / avant la nuit / – dernier quart de finale

première nuit / table et bancs de jardin / baptisés par la pluie

devant le portail / ouvert sur le jardin / une flaque / joue aux bulles

dimanche après-midi – / à lui seul l’organiste / remplit la cathédrale

dimanche après-midi – / l’organiste / fait de la pub pour Dieu

un Christ vert sur sa croix ; / au-dessus de sa tête : un fer-à-cheval / – crypte Saint-Solenne

aujourd’hui / à Nouméa naît / ma deuxième petite-fille

métro – / les tapis roulants / eux aussi en vacances ?

une chose qu’elle ne saura jamais : / où elle a laissé tomber / son mouchoir blanc…

du front aux pieds voilée / elle roule sa poussette / et parle au téléphone

voyage en voiture : / – pas trop de vent, / derrière ?

un jour on est quelqu’un / un jour on n’est plus personne / – ainsi coole la vie…

deux chiens noirs / avec un ballon de foot / – ce soir de petite finale

la veille / de la finale de foot, / la pleine lune

bling – bling ! : Nicolas / traîne ses casseroles / judiciaires

vu à la télé / le film « Rubber » – de Quentin Dupieux – : / un « pneu » bien déjanté !

– Sommes-nous radio-passifs ?

manif pro-Gaza / : heurts près de la synagogue, / rue de la Roquette

les oiseaux / ouvragent le matin / – deux-tiers juillet

orage de grêlons : / en conserver au frigo / pour l’apéro

« je ne suis pas en tenue décente » / : non, tu serais plutôt en tenue « montée » !

couple harmonieux ? / : elle ronfle, / il pète

Allez, les chats ! / rendez-vous tous ce soir / 21 chemin de l’église !

« – J’ai toujours craqué sur le raku ! » / dit une dame / à Saint-Jean-Pied-de-Port

un beau Basque / torse nu / un beau piment rouge / devant son short

trois rides / sur le front du président / : un haïku ?

sur le couvre-lit / une mouche / et son ombre

une chatte traverse la place vide d’Hélette / – la fête de Bayonne

quittant le même arbre : / 19 vautours au-dessus du pic / de Garralda

de la ferme au sommet / puis retour : / le chien de berger / nous ouvre la voie

sur la place du village / une crêpe au miel / et aux guêpes

la fermière a dix chats / 2 chevaux / et 1 âne / au pied du chemin de Compostelle / – 763 kilomètres

l’ombre d’un moustique / dans les toilettes / d’un bistrot du port

Août :

les mains croisées / des visiteurs du musée / dans le dos

une plume ramassée / dans le jardin d’Edmond Rostand / (Chantecler)

« Entre deux assauts / il y avait beaucoup de temps / à tuer » °
° : Michel Rougier. (Dans la série : « entendu à la télé ».)

Les côtes du lévrier, / Les créneaux du château-fort °
° : « Lévrier de Castille », peinture de Ramiro Arrue (1892-1970)

Le clocher de l’église / de Souraïde / en forme de béret basque

un roulement de poubelle / : l’ouverture du jour

face à face : / l’arbre / et l’homme / en chi-kong

finale de pelote à main nue – / de la galerie / tombe une canne

bambins aux cailloux / mères à la balançoire / : jardin-garderie

escalier de la plage : / des confetti / des confetto / des confettu

milieu du 7 août / 2 ouvriers sur 1 toit / à Saint-Jean-de-Luz

milieu du 7 août / une cheminée fume / sur Saint-Jean-de-Luz

milieu du 7 août / les morts du cimetière AICE ERROTA / bien entourés

les morts du cimetière AICE ERROTA / dominent la ville / de Saint-Jean-de-Luz

À la mémoire de… / mort au champ d’horreur / le 26 septembre 1915

Pas mort au front, non : / mort au nez / voire mort aux dents…

sur un cache-pot de plastique rose : / « Bonne fête / Maman / Jean-marie »

2 Perrier-menthe à la paille / – la couleur de l’océan

un jus de pomme en terrasse / le décolleté de la serveuse

le soleil rase / l’herbe rase / ce soir du 7 août

Au milieu des « flammes de Guernica » ° / une araignée / avec ses fils
° sculpture de Jesus Echevarria (1916-2009)

Maison du sculpteur – / des empreintes de chien / dans la dalle de ciment

Du jardin du sculpteur / la visiteuse / emporte une pomme

des fils d’araignée / au milieu de la sculpture / « Le piège de la lumière » °
° sculpture de Jesus Echevarria (1916-2009)

Avant la visite / de l’atelier du sculpteur / une chasse aux toiles

malgré le soin du conservateur / quelques araignées / entre les sculptures

Après la visite / la femme du sculpteur / nous offre l’apéro

un bébé / sort de la maternité / en grandes pompes

la pleine lune / à son périgée / ce dix août

un président / au périgée / de sa popularité

Voici ma maison natale / dit-il en désignant / le parking du supermarché

Le poète déclame / et le poêle à bois

Appré – scier la branche…

un coup de cloche / dans l’air d’un matin d’août / l’éveil d’un volet

Balayage : / miettes, poussières, / plus une ou deux plumes du piaf

dans le bus / une femme / pycnique °
° : n. ou adj. : dont le physique est caractérisé par la rondeur

Allez, roule ma boule ! / dit le pétanqueur / au Mondial de Millau

coq, coq, / comment te faire comprendre / que c’est les vacances ?

nous jouons à qui / restera le plus longtemps / au lit le matin / : retraite.

Avenue d’Espagne / elle sort un sein de son haut / – dieu sait pourquoi

chacun fait le tour de sa taille ° – / scies électriques du chantier / jouxtant le gymnase
° « mo pan da mai », en Qi Gong

les lézards / murmurent-ils ?

cette nuit / les Hurluberlus / ont rencontré / les Ouolofs *
* : cousins éloignés des Oufs ?

jubilation / du Gradus ad Parnassum / : Ah ! l’antanaclase !

sans penser : / avant de se coucher, / se peigne

se répandant / oléagineusement / en son haïku

des grêlons / sautant dans la prairie / culs de lapins
(Mid-West USA)

une éolienne / près de l’aire d’autoroute / je touille mon café

Septembre :

premier jour en retraite / : la volupté de tailler / mes crayons-mine / (avec un excellent / couteau à anches)

premier jour de la retraite : / supprimer 3000 messages

premier jour de la retraite : / à poil / dans tout l’appartement

Shiki con carnet ?

Être couronné par ses pairs, c’est bien ; / être couronné par ses impairs : encore mieux !

Olkiluoto 3 : / le dernier EPR d’Areva en Finlande / en retard de neuf ans / (- facture doublée)

avant de se mettre à l’ouvrage / le coiffeur enclenche / une musique mélopéenne

sautant sur place / au feu rouge / la joggeuse / de bas / de haut

sortie de la chèvrerie / : sentir / les roses épanouies

le croa d’un oiseau dans un arbre / éveille la mare aux grenouilles

matin ensoleillé / une tige dans un champ / fait du morse

de part et d’autre du tracteur / les deux couleurs du champ

Après l’A-6 *, / la Cisse. **
* : autoroute. ** : rivière.

un coq / vers 14 h 39 / – sonne la sieste ?

milieu d’après-midi / vide d’activités / un avion creuse le ciel

beurré / le papillon / vole droit / ?

la lézarde / au soleil / mûrit ?

entre deux plants de géranium / une araignée / joue de la harpe

deux plants de géraniums / reliés par des fils d’argent / ce douze septembre

trois jardinières de géraniums / font le bonheur / d’une araignée

d’un géranium / à l’autre / reine araignée

l’araignée ce matin / prend le soleil / (dans ses fils)

le soleil ce matin / marche sur le(s) fil(s) / de l’araignée

le soleil ce matin / arpente le fil / de l’araignée

ce matin le soleil / d’un géranium à l’autre / par un fil d’araignée

sur le fil souple / de l’araignée / ce matin / le soleil

le soleil sur mon balcon / la cigarette de la voisine / – je rentre dans ma coquille

j’en ai cure : / douzième jour de raisin

ce matin / le soleil, / les géraniums, / l’araignée

la voisine a fini de fumer / – le thé vert-tiède

L’apparition / des pis de Fanny // … sacrée vache !

ce matin / manger le soleil de septembre / sur les grains de raisin

aiguiser son esprit / – jeûner

ce matin / l’araignée n’a pris / qu’un peu de poussière

un oiseau s’envole / de l’aéroport – / le battement inégal de ses ailes

admirant des fleurs / aux noms inconnus / – l’heure de la retraite

des ardoises / au pied des vignes / – sentir les roses

du temps a encore passé / : mère nona- / fils sexa-
(cf Chemins croisés, p.51, éd. Pippa 2014)

le sablier / se serre-t-il / la ceinture ?

tous les matins / perdre 333 grammes : / cure de raisin

dans le géranium rose / un duvet blanc / remue

concert : / voir le son

une femme sans soutien-gorge / décroche une mûre / et la mange

au soleil / elle brode / attendant son train du matin

°

(Haïbun vache :)

Quand on sait ce que les moustiques apportent à l’humanité, on a tendance à préférer les requins

Se requin-quer

°

son omni-gueule / de retour sur l’écran ? / (re)bazarder la télé

ni bien / ni mal : / encontreusement

rue de la gare / le vent / retourne une feuille

banc – / une feuille roule / sous mon col

atterrissage – / un pigeon / souffle les feuilles

septembre / un cil / tombé sur la page

entre deux plantes / le soleil / dans un hamac

d’une fleur à une autre / le soleil / se balance

d’une fleur / au bord de la jardinière / le soleil glisse

d’une fleur / au bord de la jardinière / le soleil avance, recule

encore une intello dans la famille ? / : ma vésicule biliaire / calcule

°°°

dp. (: l’été 2014)

Haïbun aux tranchées – D. Py

13 mai 2014

HAÏBUN AUX TRANCHÉES.

Nous avions rendez-vous chez Valérie pour son anniversaire. Elle avait prévu un brunch, un ginko, un kukaï, et un goûter pour terminer. Le temps, couvert en début de matinée, s’était éclairci, nous permettant cette promenade espérée. Direction le parc Robinson, de l’autre côté de la Seine, que jouxtait le « Cimetière des Chiens », mais où étaient inhumés également « chats, oiseaux, lapins, tortues, hamsters, poissons, chevaux, et même singe, gazelle, fennec, maki. », comme nous l’enseigna la brochure échangée par le préposé en contrepartie de notre écot d’entrée.
Ainsi put on découvrir quelques épitaphes remarquables :
« À notre bébé chéri KIKI »,
« SUSHI Ange Poilu »,
« TAMISE, ton Waouh Waouh nous manquera toujours »,
« À mon ChatChat tant aimé »,
« KOLA dors bien »,
« Ma MAMMINE Grand amateur de fromage »…

Quelques poèmes étaient également gravés en l’honneur de ces très chéris. Je remarquai parmi ceux-ci un premier vers :
« Ici repose Dick, des tranchées compagnon fidèle »…
et revins alors sur ses dates : 1915-1929.

Le centenaire de cette boucherie était alors partout célébré. Je me remémorai ces haïkus de la Grande Guerre, lus quelques années auparavant, à la bibliothèque Carnegie de Reims, où je travaillais à l’époque. Ils venaient d’être remis au goût du jour par une anthologie opportune.

Nous étions ensuite revenus partager et commenter nos tercets respectifs, concoctés au cours de cette marche, et nous étions enfin séparés après les gâteaux festifs et le champagne.

Ce même soir, rentré à la maison, je décidai de faire l’inventaire d’une malle héritée de ma mère.
Au milieu de divers bibelots figurait un cahier de « souvenirs », ainsi qu’elle l’avait intitulé. Je ne tardai pas à le feuilleter. Une lettre qu’elle m’avait écrite un an auparavant, mais ne m’avait pas envoyée, s’y trouvait insérée. En haut de la deuxième page j’y lus : « En ce moment je me rappelle les chiens qu’on a eus et qui étaient de vrais amis ». L’énumération commençait : « Toby dit Toto le premier chien de mon enfance (sa mère « Fifine » avait été rapportée de la guerre par mon père. C’était une chienne de tranchée) »…

Quelle coïncidence, me dis-je ! Le même jour, exactement, cette visite au Cimetière des Chiens où « repose Dick, des tranchées compagnon fidèle », puis cette lettre de souvenirs mentionnant Fifine, chienne de tranchée !

Balade-haïku
Sous le pont
une Africaine en boubou
devant sa tente Quechua

Daniel Py, Orly, le 28 avril 2014.

UBDLA de Salim Bellen – (31-40)

5 avril 2014

Le Christ-Roi sur le dôme
serre dans sa main
le paratonnerre

De qui la protège-t-on
au carrefour
cette vierge sous verre ?

« Toutes mes condoléances »
il ne manque pas une occasion
ce mendiant devant l’église ! *

* cf : Salim Bellen, dans son recueil de haïbuns Le singe renifle en décembre, co-édition AFAH-Unicité : « Toutes mes condoléances », p.82.

À la porte de l’église
il promet ciel et terre
le vendeur de loterie

Il entra dans l’église
et baisa le pied du Christ
le vendeur de lacets

Le sourire du Bouddha
l’humanité souffrante
ne l’ôte pas

Les enfants des banlieues pauvres
tous leurs espoirs au ciel :
cerfs-volants

Des têtards par-dessus
la fange du bidonville :
cerfs-volants

La-haut sur le câble
cerf-volant entortillé ;
l’enfant perd ses ailes

Privé du lien à l’enfant
le cerf-volant libre
ne sait plus voler

°°°

(à suivre… 41… / 222)

Notes de lectures sur « kyôku », « kyôka », « kyôbun »

28 octobre 2013

Recensions à propos de « Kyôku, Kyôka, Kyôbun »,
à travers les ouvrages suivants :

La Littérature Japonaise, par R. Bersihand, PUF, 1957, p.62.
Un haïku satirique, le senryû, par J.Cholley, POF, 1981, p.15, 46, etc.
– Pour avoir des renseignements sur tous ces genres (« secondaires » au haïku), on pourra consulter l’Histoire de la littérature japonaise T.2, par Schuichi Kato, Fayard, 1986, p. 246-259.
Le Char des poèmes Kyôka de la rivière Isuzu de Hokusai, In Medias Res, 2000
Writing and Enjoying Haiku, by Jane Reichhold, Kodansha Int., 2002
L’Anthologie poétique en Chine et au Japon , revue Extrême-Orient – Extrême-Occident, n°25, p.139-163 : « Les recueils comiques de kyôka » par Daniel Struve,PUV Saint-Denis, 2003.

**

– In La Littérature Japonaise, par R. Bersihand, PUF 1957,
p.62, on peut lire :

« On doit signaler encore deux genres secondaires : le « kyôka » (« poésie folle »), une sorte de « tanka » comique, et le kyôku (« vers fous »), ou « senryû », un « haïkaï » humoristique. (…) Ce sont souvent des parodies de poèmes réputés. Le « kyôka » existait dès le XII° siècle; il se développa au XVI° siècle, et fleurit dans la période Tokugawa. Le « kyôku » apparut à cette même époque. Tous les deux connurent la plus grande faveur au XVIII° siècle.
Enfin, de même que le « haïbun » correspond au « haïkaï », de même au « kyôka » correspond le « kyôbun » ou « ‘composition folle ». Ce dernier est pratiqué par les poètes de « kyôka » et par les auteurs de romans comiques, tel Samba. »

**

Le dernier paragraphe de l’Histoire de la Littérature japonaise par Schuichi Kato, Tome 2, Éd Fayard / Intertextes, 1986, isbn 2-213-01709-3, s’intitule :  » la littérature du rire « . Il couvre les pages 246 à 259.

En voici quelques extraits :

 » La tragédie des pièces où il était question de double suicide fut compensée par l’humour des vers comiques (kyôku et kyôka) et par des histoires drolatiques (kobanashi).  » (p.246).

 » Nous trouvons 3 formes principales de littérature humoristique dans la 2° moitié du XVIII° siècle; aucune n’était nouvelle. Les origines du « kyôku » (sorte de « haïku » humoristique) remontent à l' »Inu tsukubashû » et celle du kyôka (« poésie folle », forme humoristique de « tanka ») aux poèmes drolatiques dits « odoke uta » de l’époque de Heian.
Quant aux histoires dites « kobanashi » …, les « chônin » et les samouraïs qui écrivaient des vers humoristiques se prévalurent de ces formes établies, en amplifièrent les thèmes et en modifièrent, dans une certaine mesure, le caractère de l’humour pour en faire une forme culturelle qui convienne à l’époque et qui en soit caractéristique.  » (p.248).

 » Karai Senryû (1718-1790), chônin d’Edo, publia en 1765 la première partie du recueil de « kyôku » intitulé Haifû yanagidaru ;
Kimura Bôun, samouraï de rang inférieur et poète de « kyôka » ( 1719-1783) réunit une anthologie de kobanashi qui fut publiée en 1773 (…) et
Yomo no Akara (1749-1823) compila en 1783 une des premières anthologies de « kyôka », le Bansai kyôkashû (Recueil d’une kyrielle de kyôka)…
Senryû réunit encore 23 compilations vers la fin de sa vie ; et que 167 autres recueils aient été créés témoigne de la popularité de cette forme. On donna à ce genre de vers le nom du poète, et désormais on connaît les kyôku sous la désignation de senryû.(…). Les thèmes, pour la plupart, sont ceux de la vie quotidienne d’Edo, mais on y trouve également des vers au sujet des personnages célèbres du No, du kabuki et de classiques populaires, comme le Taikekiki et l’Ise monogatari.
Les thèmes de la vie bourgeoise sont multiples, y compris les rapports familiaux (entre mari et femme, parents et enfants, épouse et belle-mère), coiffeurs, menuisiers, moines itinérants, nourrices, servantes, réunions bouddhiques pour prière en commun, pièces de théâtre, aliments et boissons.  » (p.248/9)

 » Voici un vers bien connu au sujet d’une union qui laisse à désirer :

Tana naka de / Shiranu wa teishu / Hitori nari
Dans le quartier, / un seul l’ignore – / le mari

Mais la vaste majorité des senryû traite des rapports sexuels. Dans beaucoup d’entre eux l’action se déroule dans le Yoshiwara (= quartier des plaisirs d’Edo) ; certains autres traitent du double suicide. D’autres encore concernent les femmes de la cour shôgunale, leurs aphrodisiaques, godemichés et appareils anticonceptionnels. Il ne s’agit presque jamais de la vie paysanne ou du paysage des provinces… Le chônin d’Edo, tel que les senryû le révèlent, se suffit à lui-même, est oublieux du monde à venir et fort peu conscient de celui en dehors de la ville.  » (pp.249/50)

 » Pourtant on se moque également des samouraïs…
On trouve également des satires au sujet de moines et de médecins :

Isha shû wa Jisei wo homete Tataretari

Ayant loué le dernier poème° du défunt, le médecin s’en va.

° = Jisei = poème de mort (cf aussi : Japanese Death Poems, le livre de Yoël Hoffmann paru aux éd. Tuttle, 1986, isbn 0-8048-3179-3, et en grande partie traduit par votre serviteur : cf http://.haicourtoujours.wordpress.com ).

 » Il est évident que les senryû et les kobanashi ont des similitudes de thèmes et d’humour. On trouve jeux de mots, plaisanteries sur le quotidien, et légers malentendus psychologiques, railleries peu sévères, anachronismes délibérés; et, à l’occasion, on se moque des conventions sexuelles… (p.252)

 » Les kyôka étaient quelque peu différents de ces formes. L’époque la plus connue pour ces versions comiques de tanka est sans doute celle de Temmei (1781-1788), pendant laquelle elles jouirent d’une grande popularité parmi les intellectuels guerriers et certains chônin littéraires. À la différence des senryû, les kyôka étaient attribués à des poètes spécifiques lorsqu’ils furent réunis dans des recueils (…) Les noms des poètes les plus célèbres de l’époque se trouvent dans le recueil Azuma-buri kyôka bunko (Recueil de poèmes comiques à la manière d’Azuma), publié par Yadoya no Meshinori, agrémenté de portraits par Kitao Masanobu et de calligraphies du pinceau de Yomo no Akara. On y trouve le portrait de 50 poètes accompagné d’un kyôka de chacun.  » : pp. 252/3.

(C’est le principe exact du livre Le Char des poèmes Kyôka de la rivière Isuzu, illustré par Hokusaï ; éd. In Medias Res, 2000; isbn 2-9511719-1-9 = un kyôka et le portrait de son auteur.)

 » La moitié étaient des samouraï, l’autre moitié des chônin. (…) Des kyôka furent aussi écrits par des savants (…), par des peintres de l’école Kanô, par des acteurs (…) et par des courtisanes.  » : pp.253/4

 » Il fallait, pour écrire des kyôka, une certaine instruction littéraire, ce qui imposait des limites à leur popularité parmi les chônin. (…) La forme préférée du kyôka était la parodie de tankas célèbres  » : p.254.

 » Nous avons déjà dit que les kyôka pouvaient comporter la critique politique et la satire sociale, mais à quelques rares exceptions près, la poésie lyrique japonaise avait évité le commentaire politique et social et les kyôka, en général, se conformèrent à la tradition. Le domaine de la poésie comique, comme celui du waka, était celui de tous les jours, s’intéressant surtout au monde d’ici-bas, dominé par les valeurs ordinaires et hédonistes. Et là, les kyôka n’étaient pas différents des senryû. Les soucis principaux des poètes de kyôka étaient l’amour, le vin et l’argent. (…)

Yo no naka wa
Itsu mo tsuki yo ni
Kome no meshi sate
Mata môshi
Kane no hoshiki yo

Que veut-on de plus en ce monde ici-bas
Qu’un bol plein de riz et une nuit au clair de lune ?
De l’argent !

(: Yomo no Akara). « .

 » Les senryû abondent en descriptions concrètes de coutumes et de choses, alors que les kyôka ont tendance à être de caractère plus général et abstrait. Les descriptions de l’amour, dans les kyôka, par ex., utilisent des moyens plus détournés que ceux des senryû : le premier est de manière caractéristique ironique au sujet du poète et de sa vie, le second l’est rarement. Les kyôka traitent des aspects fondamentaux et constants de la vie humaine; et non pas de moments individuels, d’incidents et de phénomènes fortuits. On pourrait même dire que les senryû traitent des expériences d’un jour particulier et d’un lieu spécifique, alors que les kyôka portent sur les expériences de la vie entière. Cela révèle comment les poètes de kyôka étaient en mesure de se situer en dehors de leur expérience personnelle de la vie, tout en restant dans un système social apparemment permanent et inéluctable  » (p.256).

 » Le terme « sharenomesu » (tourner tout en plaisanterie) résume à lui seul ce genre de poésie. À n’en pas douter, les poètes de kyôka étaient le fruit de cette société qui prisait tant le drôle.
À l’époque, aucune croyance religieuse n’empêchait les poètes de kyôka de considérer leur propre mort dans la même optique. (…)

Kueba heru
Nebureba samuru
Yo no naka ni
Chito mezurashiku
Shinu mo negusami

Manger, avoir faim, / Dormir, se réveiller, / C’est normal. / En ce monde ici-bas, / Mourir sera sans doute un divertissement

: Hakurikan Bôun.

C’est le poème composé sur son lit de mort par un poète de kyôka perspicace. La plaisanterie l’emporte sur le trépas. L’humour face à la mort … (…) Dans la littérature japonaise, c’est chez les poètes de kyôka de la fin du XVIII° siècle que cette tendance arrive à son apogée dans ces poèmes qui constituent les meilleurs exemples de la littérature humoristique nippone. La popularité des senryû et des kyôka dura jusqu’au milieu du XIX° siècle.
(…)
Les limites de l’humour japonais avaient été atteintes à la fin du XVIII° siècle, et la drôlerie ne devait plus jouer un rôle si essentiel dans la culture. Au XIX° siècle, notamment vers son milieu, le gouvernement des Tokugawa fut ébranlé par des problèmes domestiques et des menaces extérieures. Les tentatives pour plaider en faveur du système ou l’attaquer n’eurent rien de drôle.  » (p.257/9)

(: Fin de l’Histoire de la Littérature japonaise, par Shuichi Kato, t.2, Éd. Fayard, 1986.)

**

In : Le Char des poèmes… d’Hokusai :

(p.13) : de Sanshûro Katamaru :

Hisakata no / hikari nodokeki Saho hime no / Goten.yama yori / kasumu akebono
Lumière douce de l’aube / de la belle Saho / voilée par la brume / du mont du Palais

Note 27 (p 35) :

La parodie part d’un makura-kotoba (« Hisakata no ») évoquant un poème de Ki no Tomonori :

Hisakata no / hikari nodokki / haru no hi ni / shizu kokoro naku / hana no chiruramu
La lumière douce / du jour printanier / Pourquoi donc ne cessent de tomber / sans sérénité / les fleurs de cerisier

Il évoque aussi un autre poème de type haïkaï-renga, compilé par Sôkan vers 1530-1535 :

La frange de son habit de brume / est légèrement humide / La déesse du printemps Saho / debout répand son urine
°

° « cette comparaison insolite exprime une esthétique expressionniste plutôt inhabituelle. La manière est caractéristique du premier recueil de Sôkan avec ses allusions crues voire scatologiques. (Il fut suggéré) que le compilateur Sôkan manifestait son anti-conformisme face à l’art élégant des poésies « en chaîne » (renga), en plaçant ce poème outrancier en tête de recueil. Il reflétait ainsi la réalité sociale d’une époque instable et tumultueuse.  » (p.36).

De Yashiki no Katamaru (p.20) :

Sakinarabu / aki no hiina no / kamuro-giku / hana koso hoshi no / hayashi kata nare

traduit ainsi (à cause des polysémies, doubles sens,…) :
Elles s’alignent épanouies
en ces jours d’automne / telles des poupées d’automne
les petites kamuro-giku / les apprenties courtisanes°
leurs fleurs telles des étoiles°° / c’est de l’argent qu’elles veulent
foisonnent / disent les musiciens°°°

° Kamuro, chrysanthème; ou jeune ou petit (kamuro-giku, petit chrysanthème… Kamuro-giku est le nom donné à la coiffure des fillettes dont les cheveux sont coupés au niveau des épaules. Dans les quartiers de plaisirs, le terme désigne une fillette de 6 à 14 ans, faisant l’apprentissage de son futur métier auprès d’une courtisane de rang élevé. (note 75).

°° Les 2 derniers vers multiplient les doubles sens. Hana, fleur, argent que le client distribue sous forme de cadeaux dans les quartiers de plaisir. « Hoshi » : étoile, je veux. « Hoshi no hayashi » : forêt d’étoiles – métaphore très répandue depuis le VIII° siècle et qui se encontre dans le Man.yôshû. (note 76)

°°° « Hayashi kata », musiciens accompagnant au tambour ou à la flûte les représentations théâtrales de nô, de kabuki ou de fêtes populaires. Ce kyôka évoque le « oiran doshu », cortège de courtisanes renommées accompagnées de kamura et de hayashi-kata qui se déroulait le 1° jour du 8° mois (en plein automne), à Yoshiwara, quartier de plaisirs d’Edo où vivaient courtisanes, artistes et éditeurs. » (note 77)

De Matsutake no Kasabito (p.22) :

Surusumi mo / urami nigoreru / urokogata / waga tsuno moji o / fumi ni shirasen

traduit ainsi :
Je prépare l’encre / Un cheval tout noir
toute noire des rancoeurs / le célèbre Surusumi °
En forme d’écailles °° / débordant de rancoeur
Ma lettre d’amour / foulera de ses pieds
vous fera avoir mon coeur / ma lettre d’amour

° note 90:  » Surusumi : encre qu’on broie et nom du célèbre cheval noir. Minamoto no Yoritomo, fondateur du bakufu ( premier shôgunat) de Kamakura en 1192 offrit 2 de ses plus beaux chevaux à ses deux sujets Sasaki Takatsuna et Kajiwara Kagesue (ce qui occasionna une grande rivalité entre eux)…

°° note 91 : Uroko-gata. Motif d’écaille triangulaire apparaissant sur le costume du théâtre nô du personnage de la femme jalouse. Ce kyôka fait allusion au haïku composé par Matsuo Bashô (in Edo Sangin, 3 récitations à Edo) :

Kobuton ni / daija no urami / uroko-gata

Le petit coussin / Le gros serpent, sa rancoeur / en forme d’écailles

En continuant de compulser Le Char des poèmes Kyôka de la rivière Isuzu, choix de Senshûan °, illustré par Hokusai, les notes de fin d’ouvrage m’en apprennent de bien bonnes :

° Note 4 : Senshûan, pseudonyme du poète Sandara-hôshi (1731-1814), de son vrai nom Akamatsu Masatsune. Avant de se consacrer au kyôka, il s’intéressait alors plutôt au conte humoristique (shôwa, kyogen) mais semblait entretenir de bonnes relations avec les poètes de kyôka dont Karogoromo Kisshû (1734-1802). () Il dirigea un groupe de poètes et se distingua comme l’un des meilleurs poètes de kyôka. Sa poésie se caractérise par l’humour et l’équilibre…

Note 2 : « Kyôka, litt. poésie folle. La forme est celle du waka de 31 syllabes (5+7+5+7+7) mais les sujets traitent de la vie quotidienne d’une façon anticlassique. Ce genre requiert une large connaissance de la littérature en général comme de l’art et de la rhétorique propre à la parodie (mots-pivots polysémiques, homophonies et homographies, compositions complexes et astucieuses). Cette tradition qui remonte au VIII° siècle, se développe à l’époque Kamakura pour connaître son apogée à l’épque Edo. »

Note 25 : Les 4 saisons … posent les règles du concours : provocation, maîtrise technique absolue des poésies en chaîne (pastiche, jeux de symétrie, polysémie…), attachement à la littérature classique et à l’érudition *, comparaison et identification implicite avec l’un des six poètes sacrés (Rokkasen).

Note 32 :  » Le moine Kisen est l’un des 6 poètes du Parnasse japonais ou 6 poètes immortels (Rokkasen) avec Ariwara no Narihira, le moine Henshô, Ôtomo no Kuronushi, Bunya no Yoshihide et la poétesse Ono no Komachi.  »

* en ce sens, on pourrait dire que le poème de Jean Monod, cité page 14 de l’anthologie du haïku en France, éd Aléas 2003, est un kyôku, qui – sans le nommer – cite Mallarmé :
 » L’absente de tout / bouquet la voilà me dit-il / en se montrant l’aube  »

Note 16 : Tsutaya (ou Tsuta-jû, abrégé de Tsutaya-Jûzaburô, 1750-1797) de son nom, Kôshodô, libraire et éditeur, grand amateur des arts et amis des lettrés, tels (entre autres) Utamaro et Hokusai, était aussi leur mécène. Il publia un grand nombre de livres et d’estampes (…) Son succès le porta au 1° rang des éditeurs d’Edo (pendant environ les 15 dernières années du XVIII° siècle, « qui coîncidaient avec l’âge d’or du kyôka.) Tsutaya édita plusieurs recueils de kyôka dont la présente anthologie, illustrée par Hokusai. »

*

(À suivre … avec quelques exemples de ces kyôkas qui très souvent se réfèrent à, font allusion à, s’inspirent de, évoquent, parodient, pastichent d’autres poètes que ceux cités plus haut, tels Sôkan, Saigyô, Murasaki Shikibu, Sagami – une des 36 poètes immortels (sanjû Rokkasen) – et aussi Bashô, etc. et/ou font intervenir polysémies, etc.)

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Pour ajouter à mes « Plus sur le kyôka », celui-ci, de Iso no Wakame, p.16 du Char des poèmes kyôka de la rivière Isuzu (: op.cit.) :

Todokanedo / tatsuru misao o / uki hito no / kumite shirekashi / horiido no mizu
Même hors d’atteinte / voici mon coeur fidèle ° / Et toi coeur léger / puise °° et sache / cette eau du puits profond

° : « Misao o tateru » = jurer fidélité ou amour à quelqu’un. Le terme « sao » désigne la perche employée pour mesurer la distance, la hauteur et la profondeur. »

°° : « Kumite » = considérer les désirs de quelqu’un. Ce kyôka parodie un poème de Saigyô in Sanka shû (Recueil de la hutte des montagnes) :

Kumite shiru / hito mo aranan / onozu kara / Horikane no i no / oko no kokoro o *
En puisant de l’eau / sans doute comprendra-t-il / par lui-même / la sincérité du coeur profond / comme l’eau au fond du puits **

* Note du compilateur :
« o », n’est-ce la profondeur (de l’eau) du puits, cette unique allitération, cette unique voyelle la bouche en (« o » du) puits, du dernier vers (mais aussi progressivement tout au long du kyôka =
0 en première ligne
2 en deuxième
2 en troisième
3 en quatrième
7 en cinquième
?)

** le puits de Horikane, situé dans la province de Musashi est un « uta-makura ».

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Le terme « kyôku » fut revu après la lecture de Writing and Enjoying Haiku (A Hands-on Guide) ; Kodansha International Ed., 2002, pages 154/155 de Jane Reichhold, isbn 4-7700-2886-5.
Au chapitre « Kyôka : Really Mad Poetry » (« Kyôka : une poésie vraiment folle ») : « C’est le côté non-sérieux du tanka… En fait, on utilise le terme également pour des poèmes parfaitement sérieux, qui traitent de l’écriture d’écrivains écrivant sur la forme… En anglais, nous n’avons pas encore fait la distinction entre le tanka sur des sujets plus légers ou le tanka à propos de l’écriture du tanka, mais continuons d’utiliser le même terme pour les deux occurrences. »

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In L’Anthologie Poétique en Chine et au Japon, Extr.Orient-Extr.Occident, P.U.V. 2003 : l’article de Daniel Struve « Les recueils comiques de kyôka », p.139-163 :

« Très en vogue dans les milieux lettrés de la fin du XVI° siècle, le kyôka connaît alors un véritable âge d’or. (…) Matsunaga Teitoku (1571-1657), disciple de Hosokawa Yûsai et rpincipal promoteur du haikai est aussi considéré comme le fondateur du kyôka de l’époque d’Edo. » (p.140-141)

Le résumé de cet article dit : « Dans le Japon de l’époque d’Edo, l’introduction de l’imprimerie et le succès des genres poétiques comiques du haikai et du kyôka donnent lieu à la compilation de nombreux recueils. L’article retrace l’évolution des recueils du kyôka à partir du milieu du XVII° siècle jusqu’à l’apogée du genre à l’ère Tenmei (1781-1791), en relevant le statut ambigu que conserve tout au long de son histoire ce genre poétique… »

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: Compilé par Daniel Py, (mai 2007- octobre 2013).