Archive for the ‘religion’ Category

« Une histoire du haïku » : R.H. Blyth – 1)

29 mai 2017

P. 43 :

« Une tradition voudrait que le premier hokku à devenir indépendant du renga soit celui-ci, de l’Empereur Horikawa (1087-1107), dans le Tsukubashû :

Le flûtiste « Kuro-otoko » *

joua de la flûte

près du kurodo **

* « kuro-otoko » signifie : « l’homme noir ».

** : une partie du Palais, près de la cuisine. »

« On ne sait pas quand on commença à écrire des haïkus, probablement du temps de l’Empereur Gotoba.

Exemples de haïkus très anciens :

L’orage

poursuit 

les fleurs qui s’éparpillent

: Fujiwara Saide (1162-1241).

Une éclaircie dans les nuages

d’où tombe la neige

sur les monts lointains

: Senjun. »

P. 45 :

Deux poètes : Sôkan (1465-1553) et Moritake (1473-1549) furent à l’origine du haïkaï renga, qui constituait l’origine immédiate du haïku.

Haikai signifie « badin » et « joueur », pas solennel ni sérieux.

°

(A suivre :)

Sôgi :

Unforgotten Dreams / Rêves non oubliés – poèmes

3 février 2017

du moine zen Shôtetsu (ou Shôgetsu), 1381-1459 :

7/208 (thème : « Amour, en relation avec « attelage » ») :

furihateshi / ashiyowaguruma / yasurai ni / yukitsukarenuru / koi no michi kana

Un vieil attelage

ses jambes prêtes à s’effondrer

s’arrête pour faire une pause –

épuisé de voyager loin

sur

le chemin

de l’amour

12/208 (thème : « Voyageurs traversant un pont ») :

omou koto / shibashi zo iwanu / tabihito no / watarinarawanu / hashi hosoku shite

pendant un certain temps

les voyageurs

s’arrêtent de parler :

si étroit

est le chemin

qui traverse

un pont non familier.

21/208 (thème : « Vivant reclus ») :

iwagane no / koke no shizuku mo / kogakurete / oto no kokoro o / sumasu yado kana

Sous la falaise,

l’eau gouttant

sur la mousse

est cachée par des arbres –

mais

son bruit

lave le coeur

de celui

qui loge là

27/208 (thème : « Lucioles sur un pont ») :

yamabito wa / taenuru mine no / kakehashi ni / yowataru hoshi to / hotaru to zo yuku

Où les gens de la montagne

ont tous disparu,

du sommet

et de son pont de planches *

maintenant

les étoiles

traversant la nuit

et les lucioles

cheminent

 

* un pont de corde et de planches suspendu au-dessus d’une gorge montagneuse.

31/208 (thème : « Se souvenant ») :

omokage ni / mishi yo no arite / nani ka sen / wasurenu yume o / harae matsukaze

Toutes ces images

d’un monde

d’il y a longtemps –

à quoi bon ?

Vents des pins,

venez souffler

s’il vous plaît

sur ces rêves

non-oubliés. *

 

* : Variation allusive au Shin kokinshû (1564) par Minamoto Michiteru :

Perdues dans les herbes folles, / mes manches pourrissent sous de dures larmes / deviennent le gel automnal – / comme les vents d’orage dispersent / mes rêves inoubliés. (asajifu ya / sodé ni kuchinishi / aki no shimo / wasurenu yume o / fuku arashi kana)

(à suivre…)

 

Pierre-Emile Durand, 3/ , in

26 août 2016

Le Japon des 4 saisons, éd. du Carabe, 1998. (Extraits) :

°

Le fin fond du sacré (p. 120) :

L’union mystérieuse de la mer, des arbres et de la montagne, tel est le triptyque sacré sur lequel s’établit la création du pays et de son identité. (…)

C’est en s’éloignant du monde des hommes et en s’approchant d’un monde sauvage intact de toute souillure que le Japonais retrouve le contact avec le sacré et se purifie. (…)

Le fragile équilibre qui régit les lois du monde japonais, primordiale interaction entre la nature, les dieux et les hommes.

°

« Dieu, les kami et l’Empereur » (pp. 121-2) :

(…) les mots sont des pièges (…)

°

L’épicentre de la terre des dieux (pp. 124-6) :

Fréquemment masqué par le brouillard et les nuages, le Fuji entretient aussi avec les éléments naturels un subtil jeu du caché et de l’apparent, inéluctable ambivalence de toute chose, inaccessible mystère de la vérité. (…)

et le Fujisan a maintenant disparu.
Là où il était, le brouillard et les nuages ont renoué leur immortelle et inexplicable complicité.

°

Ce qui fait la valeur d’un homme (pp. 128-9) :

Le Japon a la fibre tragique et c’est par et dans l’échec que l’homme révèle sa vraie valeur. (…) La réussite et l’échec sont au Japon éminemment relatifs.
En fait, le Japonais ne croit ni à la « bonne nature » de l’homme, ni à celle du monde. Il constate qu’un sort contraire s’acharne sur lui et rend l’échec fatal, et cette conscience de livrer une partie perdue d’avance établit en lui un profond pessimisme. Les épreuves sociales peuvent être surmontées mais, de toute façon, les Forces Naturelles vaincront. Shikata ga nai, dit-il, nous n’y pouvons rien.

(…)

Il n’existe pas au Japon de bonnes et de mauvaises causes et ce qui réunit ces héros, c’est la fidélité à leur cause et le makotoma signifiant pur ou vrai  et koto, choses, une pureté d’intention, donc, qui doit rester étrangère à tout intérêt personnel. (…)

Aller au bout de sa cause de manière désintéressée et en toute bonne foi, c’est valoriser sa vie à jamais. L’Acte final étant pur et parfait, il éclairera la vie entière et rejoindra la Vérité du kû, le monde permanent. (…)

Au bout du compte et plus que l’objectif, c’est le voyage qui importe, ainsi que l’intention qui l’inspire (…)

Avant le Grand Voyage, le parcours de l’homme sur terre est plus un dépouillement qu’un enrichissement et au Japon c’est en perdant qu’on s’enrichit.

°

« Les clous qui dépassent… » (pp. 129-30)

Ôshio (Heihachiro, ce réformateur utopiste du XIXè siècle) était par là un clou (« attirant le marteau » dort le proverbe japonais bien connu) qui avait délibérément choisi de dépasser pour défendre la justice sociale. (…)

« Une fois le lièvre tué, le chien rapide sera mis en marmite », dit le proverbe chinois qui montre le danger du succès et de l’individualisme.

°

Le shanjûsangen dô (p. 130) :

Malgré l’inéluctable assèchement du corps, celui qui vit tendu vers l’Elévation va et construit l’essentiel.

°

Les moines ne sont plus ce qu’ils étaient (pp. 131-2) :

le dénuement et la tranquillité nécessaire à la méditation (…)

°

Vous avez dit « Elévation » ? (pp. 132-3) :

Pour atteindre la suprême illumination, le bouddhisme Shingon préconise la voie du dénuement, seule susceptible d’apporter  la connaissance de soi.

°

Au bout des baguettes la mort (pp. 133-4) :

Cette doctrine (de la secte Jôdo) insiste sur la sincérité profonde et la nécessité de dépouiller toute pratique religieuse de la superstition et du factice. Simplicité de vie et pureté du coeur sont ainsi les deux fondements moraux du Jôdo shinshu dont la superbe devise est (…) Kenshin, voir la Vérité. (…)

La Vérité n’est pas donnée. Sa recherche (étant) une tension jamais relâchée, c’est par une pratique de vie intérieure et par un cheminement visant à dépouiller de l’inutile qu’elle se construit. (…)

La nature représente une permanente allégorie du temps qui passe (…) Les pétales de cerisiers sont à l’image du corps du vieil homme et il n’en restera rien.

°

Par-delà le bien et le mal (pp.134-5) :

A partir du XVIIIè siècle, la morale occidentale a été marquée par deux philosophies, la morale kantienne froidement basée sur la raison pure et la morale de Rousseau fondée sur la pitié et imprégnée de l’émollient amour de soi. Toutes deux en fait impliquent un sujet replié sur lui-même, ego centré. (…)

Là-bas (en Chine, au Japon) et contrairement à l’ego centrage occidental, l’individu s’établit sur une perspective trans-individuelle, c’est-à-dire sur une relation. (…)

« … quand la somme du bien dans chaque action dépasse la somme du mal, ainsi que dans un bon tableau les qualités l’emportent sur les défauts, alors le résultat est un progrès. Et peu à peu, par de tels progrès, tout le mal sera éliminé. »

Tel est au Japon le principe d’épuration du mal.

°

Le Ryoanji (pp. 135-6) :

La perception que nous avons de la réalité ne peut être que fragmentaire. (…) « Si vous croyez avoir compris, vous avez sûrement tort ». (: Jacques Lacan).

(…) Raffinement suprême de l’esthétique japonaise, les shibui, sabi et wabi, ce détachement, ce dépouillement et cette beauté qui sont autant de vecteurs pour progresser sur la voie du simple et du pur, celle qui mène à l’essentiel, au monde vrai.

°

(à suivre…)

Le Tanka Japonais Moderne – 5/6 par Makoto Ueda

8 mai 2016

in Modern Japanese Tanka, introduction (suite) , extraits :

Le tanka d’avant-garde :

Le tanka d’avant-garde désigne les oeuvres de certains jeunes poètes qui, avec leurs énergie saisissante et technique audacieuse  , choquèrent les lecteurs lambdas de tanka au milieu des années 1950. (…) Leurs tankas étaient moins lyriques que ceux des « Modernistes ». Ils semblaient plus socialement conscients. Ils avaient aussi tendance à avoir une technique plus intellectuelle, un ton plus ironique et une expression plus abstruse.

On peut voir clairement ces éléments dans les oeuvres de Tsukamoto Kunio (1922-2005). (…) Il défendait le « réalisme de l’âme » (…) Comme font souvent les haijins, il prend avantage de la forme fixe courte pour présenter des images entrant mutuellement en conflit, créant ainsi une comparaison ou un contraste saisissants. (…) Il y ajoute souvent la technique du waka de l’allusion classique. Le sens de ses poèmes est souvent enrichi par des allusions ironiques à l’héritage culturel du Japon et de l’Occident, dans lesquels il est immensément versé.

Nakajô Fumiko (f. 1922-1954) : Ses tankas étaient hardiment radicaux et une un impact saisissant sur la scène du tanka du milieu du siècle. (…) Pendant la période où elle écrivit ses plus beaux tankas, elle savait qu’elle allait mourir d’un cancer du sein. Sa vie, avant cela, avait été très malheureuse. (…) Elle était à l’aise avec la forme du tanka parce qu’elle ressentait que son enfermement syllabique était semblable à la vie confinée qu’elle menait dans un pavillon de cancéreux. (…) Pour Fumiko, qui ne croyait en aucune religion, le tanka était sa lumière et son salut.

Le tanka dans le Japon d’aujourd’hui :

(à suivre…)

 

(Trad. de l’anglais : D. Py.)

 

 

 

Yosano Tekkan (h)(1873-1935) par Makoto Ueda

8 mai 2016

in Modern Japanese Tanka, pp. 1-12 (extraits) :

Fonda la revue « Myôjô » (Le bastion du romantisme) en 1900. Epousa Akiko (Yosano) en 1901 en troisièmes noces.

°°°

j’oublierai que je t’ai vue

debout avec un regard stupéfait

mains tenant tes seins

quand un tremblement de terre se produisit ce matin

alors apporte-moi à boire, ma chère

les coquelicots en fleur

me rappellent

ces lèvres que j’embrassai

allongé dans un grenier

éclairé par le soleil du soir

yeux fixés

sur le cou d’un chameau

qui se tient immobile

moi aussi j’attends tranquillement

l’approche de mon heure

sans bourgeons

cette vigne continue de grimper

tout droit

avec l’intention de ne fleurir nulle part

sauf dans les cieux

elle chante et chante

fort, longtemps et sans honte

ne connaissant pas

l’art du poème plus court

cette cigale

à la différence de leur père

quelles heureuses carrières attendent

tous mes enfants

qui ne montrent absolument aucune crainte

de l’algèbre ni d’un chien

sans bruit

un groupe de nonnes en robes noires

passe

ne laissant derrière elles

que la lueur du soir

°°°

(trad. de l’anglais : D. Py).

Toki Zenmaro (h)(1885-1980) par Makoto Ueda

6 mai 2016

in Modern Japanese Tanka, pp. 97-108 (extraits) :

Toki Zenmaro (1885-1980) traduisit le grand poète chinois Tu Fu en quatre volumes. Publia plus de trente livres de tanka. Ses derniers mots : « J’ai vécu pleinement. Je suis reconnaissant. »

comme il est triste

d’être un travailleur

aux mains blanches!

je lis un livre censuré

des larmes ruissellent de mes joues

il est hasardeux

de vivre au Japon et de dire

dans la langue

des Japonais

ce que j’ai sur le coeur

« Nous sommes pauvres

parce que nous ne travaillons pas »

 

« nous serons pauvres

même si nous le faisons »

 

« nous travaillerons de toute manière »

Tous les jeunes gens que je connais

sont sans le sou,

cet homme-ci et celui-là aussi.

Tous les jeunes gens que je connais

sont sans le sou.

Hiver.

A LA NAISSANCE DE MON FILS :

Ne sois pas comme

ton poltron

de père.

Ne prends jamais

sa nature compromettante

PREMIER SEPTEMBRE 1923

danger!

sors maintenant!

appelant

je scrute l’obscurité

aucun signe de vie nulle part *

* écrit le jour du grand tremblement de terre du Grand Tokyo. La maison de Zenmaro fut entièrement détruite dans un feu qui ravagea son quartier.

AU LUTRIN :

quand je dis quelque chose

pour les faire rire

ils rient

vivant à une époque

qui ne peut se passer dans le rire

ayant vécu

depuis le début

à une époque déprimante

je ne la sens pas –

dit un homme

plus jeune que moi

un vieux soldat

logé dans notre maison

raconte une histoire de guerre

qui ne dit rien

à propos de tuer un ennemi

pas de nouvelles de lui *

après qu’il a mené une troupe

dans les montagnes

fleurs de volubilis

commencent à faner 

* son gendre disparu pendant la guerre

Travaillez sur l’impossible

et changez-le en possible

prêchaient nos chefs militaires du passé

notre gouvernement aujourd’hui

travaille sur le possible

et le change en impossible

A L’EXPOSITION VAN GOGH :

la vie folle

de quelqu’un qui atteignit la vérité

à la fin

d’une quête de la beauté

est ici avec moi

SUR LE MUMONKAN * :

 

où il n’y a ni

pierre ni bambou

 

je souhaite entendre

 

le bruit d’une pierre

frappant un bambou

 

* Le Mumonkan = La barrière sans porte, un classique zen écrit par le moine chinois Hui K’ai, pendant la dynastie Sung.

 

Ogiwara Seisensui par M. Ueda – 19/19.

10 avril 2016

(pp. 333-4) :

Pour Seisensui, écrire du haïku était un mode de vie, une discipline morale. Il remplissait beaucoup des fonctions d’une religion. Composer du haïku aidait à soulager la douleur face à la tragédie. Il permettait de vivre une vie spirituelle satisfaisante, même si matériellement appauvrie. Il aidait à maîtriser les passion qui, si on les laissait libres, pouvaient atteindre une taille monstrueuse. Il apportait paix et calme au milieu de l’époque moderne affairée. Pour faire court, écrire du haïku aidait les gens à atteindre un état d’esprit suprêmement heureux.

Pour appuyer son assertion, Seisensui citait des exemples de personnes pour qui le haïku fonctionnait comme une sorte de religion. L’une d’elles était Kaitô Hôko (1902-40) *, un jeune patient tuberculeux d’abord attiré par le christianisme et qui chercha ensuite du réconfort dans le haïku.
Une libellule rouge aussi

est venue en visite

tout seul

satisfait

Ce haïku de style libre de Hôko suggère que non seulement la libellule mais aussi le poète malade étaient satisfaits. Il savait qu’il allait mourir, car la tuberculose était alors incurable. Cependant il était calme, à la fois philosophiquement (sans cela la libellule aurait été trop effrayée pour l’approcher) et spirituellement (sinon il n’aurait pas pu écrire un haïku). Il avait été capable d’atteindre cette paix de l’esprit en s’identifiant à une libellule, qui fait partie de la nature.

Les exemples préférés de Seisensui de la fonction religieuse, suprême, du haïku incluaient aussi des poèmes des moines Hôsai et Santôka. Le haïku suivant, de son cru, écrit pendant une maladie, pouvait également en faire office :

maintenant dans le lit

maintenant hors du lit…

des grappes de glycine

sont visibles 

aussi du lit

Clairement, la maladie de Seisensui n’était pas aussi grave que celle de Hôko, puisqu’il pouvait sortir de son mlit de temps à autre. Mais il n’avait pas la force de rester debout pendant de longues heures, et le lent processus de recouvrement l’irritait parfois. Ce qui pacifiait son esprit, c’était de s’approcher de la nature et d’en apprécier la beauté.

Ces exemples sont des haïkus de style libre, et ils illustraient bien les idées de Seisensui à propos de l’utilité de la poésie. On se demande cependant si ces idées ne s’appliqueraient pas tout aussi bien à la tradition entière du haïku. Presque tout ce que Seisensui dit à propos du plaisir et de l’utilité du haïku de style libre peut remonter jusqu’à Bashô. Seisensui ne cachait pas ce fait ; en vérité, il citait souvent Bashô pour conforter ses arguments. Eu égard à l’utilisation du haïku, il ne fut pas du tout un innovateur. Mais ce fait prouve que la nouvelle forme de poésie à laquelle il dédia sa vie était le haïku et pas le vers libre. Il n’y avait aucun doute dans son esprit qu’il suivait fidèlement la voie du haïku traditionnel. La question de forme mise à part, Seisensui concevait le haïku d’une manière plutôt traditionnelle, même si beaucoup de ses contemporains ne reconnurent pas qu’il le fit.

* Hôko joignit le groupe « Nuages stratifiés » en 1925. Beaucoup de ses haïkus, recueillis dans « Trois grues » reflètent sa bataille prolongée, perdante, contre la tuberculose.

°°°

Fin du chapitre 7 consacré à Ogiwara Seisensui, dans Modern Japanese Poets, Stanford University Press, 1983, par Makoto Ueda (Professeur de japonais à la Stanford University, N.Y….)

(tr. fr. (c) Daniel Py, Paris-Orly, 1er trimestre 2016).

Ogiwara Seisensui par M. Ueda – 18/19

10 avril 2016

pp. 329-333

TOUT CE QUE NOUS VOYONS DEVIENT FLEUR.

Dans la préface à « Comment écrire et apprécier le haïku », Seisensui énuméra trois plaisirs que le haïku peut procurer. Il les appela le plaisir de créer, le plaisir d’apprécier, et le plaisir de voir. Ses idées sur la jouissance de la poésie se centrent sur ces trois concepts.
L’observation que le haïku apporte le plaisir de créer se base sur le prémisse que la plupart des gens concernés par le haïku ne sont pas seulement des lecteurs, mais des auteurs également. Comme nous l’avons vu, Seisensui estimait que 99 % de tous les lecteurs de haïkus étaient aussi poètes; il croyait que le haïku faisait de chacun un artiste. « Le plaisir de créer s’approche de la gratification d’un instinct humain. », dit-il « Quand un homme des temps premiers modelait un objet semblable à une bouteille en argile, il a dû ressentir une joie très humaine d’avoir créé quelque chose de ses propres mains, même s’il le fit dans un but pratique. » Composer un haïku, insista-t-il, était plus facile que de faire une bouteille ou presque tout autre objet d’art, puisque cela ne nécessitait pratiquement aucun temps, ni matériau, ni équipement. « Même un écolier de base peut écrire un haïku qui a l’air sincère », remarqua-t-il. « Chacun, pratiquement, peut être un poète de haïku. On n’a besoin de presque pas de temps; une heure après le souper suffira. Avec un carnet et un crayon, un banlieusard peut composer des haïkus pendant son trajet en train le matin ou le soir. » Seisensui lui-même fut introduit à ce plaisir, quand il était étudiant. Il se souvint :

« Lors d’une de mes vacances de printemps, j’allai, lors d’un voyage-haïku de Kasumigaura à Tsukuba, puis à Harma, portant sur moi un carnet et un crayon, que je gardai plus chèrement que ma vie. J’étais déterminé à composer cent haïkus chaque jour. C’était un essai téméraire, mais je pus en écrire autant. Ce furent les jours les plus heureux de ma vie, parce que je pouvais écrire autant de haïkus que je voulais. Le plaisir d’un poète de haïkus consiste non à devenir un expert, mais à créer, à être capable de créer. »

Shiki avait parlé d’une telle sorte de plaisir. Dans ses jours estudiantins, il avait aussi l’habitude d’aller se promener avec un carnet et un crayon. En plus de la joie de créer, Seisensui reconnaissait un plaisir cathartique à écrire du haïku. Il croyait qu’on pouvait soulager la douleur en la transformant en haïku parce que la douleur était objectivée pendant le processus. « Quand une personne se concentre pour écrire du haïku », expliquait-il, « son observation de lui-même s’éclaircit et sa vision de lui-même devient plus distincte. Puisque douleur et souffrance sont subjectives, il est inévitable qu’elles s’éloignent quand il les rend objectives, minutieusement. » Il comparait le haïku à pleurer, à une confession, et à la guérison d’une éruption cutanée. Il était conscient que d’autres gens de poésie avaient aussi un effet thérapeutique, mais il semblait ressentir que pour beaucoup de personnes au Japon, le haïku était la cure la plus accessible parce qu’il était bref, familier, et qu’il ne demandait aucun entraînement particulier. Il était accessible même aux enfants des écoles élémentaires.

A la catharsis s’ajoute le plaisir de ressentir qu’une émotion douloureuse sera partagée par d’autres personnes qui lisent le poème. Pour le voir de l’autre côté, on peut dire que le lecteur expérimente un plaisir cathartique également, puisqu’il s’identifie à l’émotion du poète et se sent soulagé quand le poème laisse libre cours à son émotion à travers le poème. C’est ce que Seisensui appelait le plaisir d’appréciation. « Quand une personne lit un haïku », expliquait-il, « il aime imaginer la scène ou l’émotion que le poète expérimenta. L’acte est agréable parce que le poème touche le coeur du lecteur et cause un phénomène psychique qu’on peut appeler « résonance ». En d’autres termes, lire du haïku donne à quelqu’un le plaisir de communiquer avec autrui et de partager une expérience avec eux. Un tel plaisir peut être obtenu en lisant également d’autres types de poésie, mais Seisensui semble avoir cru qu’un lecteur de haïku peut avoir un plus grand plaisir que d’autres lecteurs parce qu’il est un lecteur plus actif. Dans le haïku, le plaisir d’apprécier et le plaisir de créer se rejoignent ; pour employer la métaphore de Seisensui, le lecteur de haïkus doit compléter un cercle qui est seulement à moitié complété. A un degré plus grand que d’autres formes de poésie, le haïku incite le lecteur à devenir poète et à goûter au plaisir de la création, et à la purification qui l’accompagne : la sienne propre.

Seisensui sentait que le rôle du haïku de créer de la « résonance », était de plus en plus important dans la société moderne où un manque de communication de coeur à coeur était de plus en plus apparent. Seisensui voyait dans la poésie une possibilité de combler ce trou. « C’est seulement par la poésie », affirmait-il, « que nous pouvons vraiment nous parler, en tant que semblables, transcendant les différences d’âges, de métiers et de classes sociales. » Le haïku remplissait particulièrement ce rôle, parce que, depuis les temps anciens, il avait eu une fonction sociale. Cela avait également été la plus démocratique et la plus populairement attirante de toutes les formes poétiques japonaises. D’où il découle que la résonance de coeur à coeur causée par la lecture de haïkus n’apporte pas seulement du plaisir, mais assume aussi un sens social et moral.

Le troisième plaisir du haïku conçu par Seisensui était plus personnel, mais néanmoins aussi significatif. Par « le plaisir de voir », il signifiait l’appréciation de la beauté de la nature. Il écrivit :

« Quiconque peut voir et apprécier la beauté des fleurs. Mais entre ceux qui connaissent le haïku et ceux qui ne le connaissent pas, il y a une différence. Quand les gens sont éveillés au haïku, ils commencent à s’apercevoir des beautés de la nature  à travers des choses aussi improbables qu’une mauvaise herbe ou des feuilles tombées, ce genre de choses qu’ils auraient voulu rejeter avant leur « éveil ». Bien que certains poètes classiques chantassent les excréments, je ne soutiens pas un embellissement des choses sordides ; ce que je promeus, c’est la réalisation qu’il n’y a rien de sale dans la nature. Le bouddhisme enseigne : « L’herbe, les arbres, la terre – tout est Bouddha. » La bouddhéité se manifeste dans chaque herbe et dans chaque arbre. Bashô a dit : « Tout ce que nous voyons est fleur. » Une pierre au bord de la route ou une toile d’araignée sous l’auvent sont aussi belles qu’une fleur. Vivre en ce monde deviendra très plaisant si l’on acquiert une telle manière de voir. On pourrait être éveillé(e) à ce point de vue par le bouddhisme, mais cette route demande un entraînement excessivement difficile.  Il y a une voie plus facile, plus agréable : le haïku.

Les implications multiples du plaisir de voir énoncées ici vont de l’élémentaire au sublime. A la fin, le plaisir devient une sorte d’éveil moral, et le haïku devient une sorte de religion.

A un niveau de base, Seisensui croyait que le haïku cultivait le sens esthétique d’une personne. Non seulement le haïku approfondit-il son appréciation de la nature en aiguisant sa sensibilité, mais il élargit son expérience esthétique en l’aidant à découvrir la beauté dans les choses ordinaires. Dans ce respect, la croyance de Seisensui est semblable à celle des maîtres de thé japonais médiévaux qui cultivaient le « wabi », la beauté de l’indigence et de la sobriété, bien qu’il n’eût probablement pas apprécié son idée d’être associé à un concept esthétique pré-moderne. Comme avec les maîtres de thé, une telle sensibilité poétique, dans la poétique de Seisensui, est liée à une attitude morale. D’après lui, un poète de haïku ne doit pas simplement reconnaître la beauté de la nature ; afin de capturer cette beauté, il doit s’immerger dans la nature et la partager. Le poète doit obtenir l’esprit-haïku, à travers lequel il transcende son petit moi et devient une partie de quelque chose de bien plus grand, quelque chose de cosmique. Seisensui observa qu’un artiste a deux buts dans la vie : un but esthétique et un but moral. Un artiste doit s’efforcer de créer une grande oeuvre d’art, mais c’est aussi un être humain, et il devrait vouloir vivre une vie spirituelle riche. « Ce serait une expérience très satisfaisante pour l’artiste », dit Seisensui. « s’il pouvait immerger son petit ego dans la grande nature, pour atteindre un royaume de libération parfaite dans sa vie quotidienne. Dans cet énoncé, l’expression  « le plaisir de voir » devient équivalent à la joie d’atteindre l’illumination spirituelle, une extase obtenue quand on voit la nature si intensément qu’on s’y perd, se faisant. On se rappelle que Seisensui employa l’expression d' »exaltation religieuse » dans un contexte semblable, en citant Goethe. Le titre de l’article auquel il se référait : « La poésie de l’illumination » nous renseigne sur sa vue de l’utilité ultime du haïku.

(à suivre…)

Takahashi Shinkichi, 2/2 :

7 avril 2016

(p. 369 :)

(A propos du tanka et du haïku) : « Je les regarde de la même manière que je regarde des peintures antiques; je n’ai pas envie de composer ma poésie en les imitant. » Pour sa sensibilité, les tankas et les haïkus sont archaïques ou sont sur le point de devenir rapidement archaïques. (…) « Je soupçonne que le tanka et le haïku  seront absorbés par le vers libre, dans le futur. » En une autre occasion, plus impatient, il déclara : « Le tanka et le haïku appartiennent déjà au passé. »  (…) Les successeurs de Shiki essayèrent de moderniser le tanka et le haïku, mais ils ne réussirent pas complètement.

(p. 372 :) Shinkichi rejeta les formes de poésie fixes parce qu’elles semblaient trop restrictives. (…) Un poème court, intitulé : « Mots » :

« Les mots peuvent être de toutes sortes,

les formes peuvent être de toutes sortes, car

ce qui doit être saisi n’est qu’un ;

cela n’a rien à voir avec les mots ou la forme. »

Si le poème capture la vérité, Shinkichi ne se soucie aucunement des mots ou de la forme. Parce que la vérité est difficile – en fin de compte impossible – à saisir, il voulait le maximum de liberté de choix dans ses essais pour la mettre par écrit. Shinkichi  a eu très peu de choses à dire à propos de la forme et de la structure du vers libre. Il choisit d’écrire de la poésie en vers libres (« shi ») précisément à cause de la liberté d’expression qu’elle lui apportait; il n’aurait pas voulu restreindre cette liberté en favorisant une certaine forme ou structure à l’intérieur du vers libre. (…)

La raison principale pour laquelle ses poèmes sont courts a probablement à voir avec sa haute considération pour un processus créatif d’inspiration. Comme nous l’avons vu, il croit qu’un poème doit être composé par la force  de l’inspiration; il considère qu’un poème doit être essentiellement l’enregistrement spontané de « ce qui flottait dans mon esprit comme un nuage dans le ciel. » Vraisemblablement, l’inspiration, une compréhension intuitive de la vérité, est d’une courte durée.

Il a écrit un nombre significatif de poèmes d’une ou deux lignes. En voici deux exemples :

« Le soleil »

Le soleil rétrécit tous les jours.

(= 17 syllabes en japonais)

« Pomme-de-terre »

Dans une pomme-de-terre

il y a des montagnes et des rivières.

(= 20 syllabes en japonais)

Ces poèmes courts de Shinkichi diffèrent du haïku de style libre par la grammaire et la syntaxe. La langue du haïku  détruit volontairement les relations ordinaires entre les mots, de manière à pouvoir transmettre la vérité qu’on ne peut pas exprimer par des formulations logiques. Les poèmes courts de Shinkichi ne font pas cela ; généralement parlant, ils conservent la grammaire et la syntaxe normale de la prose japonaise. Chacun des trois poèmes courts mentionnés auparavant (avec « La mort » : « Personne n’est jamais mort. ») comporte une phrase complète, avec toutes ses relations linguistiques normales intactes. Il n’y a aucun moyen de les confondre avec des haïkus de style libre.

(p. 374 :) A la différence de Sakutarô, qui essaya de verbaliser les sentiments avant qu’ils ne deviennent des idées, Shinkichi attend que les sentiments se solidifient en idées , et il spécule à leur sujet. Dans ce respect, il est plus philosophe que poète, et quelques uns de ses poèmes ont effectivement l’air d’aphorismes.

(p. 375 :) Avec lui, un poème est le résultat de la méditation…

(p. 376 :) Il était d’abord, et avant tout, en recherche d’une vie spirituelle meilleure. Il a été poète, en deuxième lieu.

(p. 377 :) D’un point de vue du zen, chercher la vérité au moyen du langage est aussi impossible qu’essayer de terminer la tour de Babel. Après tout, les mots sont un produit de l’esprit, et l’esprit pensant ne représente qu’une partie – et pas essentielle – de la vie humaine. (…)

Le zen et le bouddhisme ont perdu beaucoup de leur attrait populaire en ces temps modernes. (…) Le bouddhisme est devenue plus qu’une religion nominale pour beaucoup de japonais.

(p. 378) Pour Shinkichi, la littérature est la plus utile quand elle aide les lecteurs dans leur quête de vérité religieuse, même si elle ne peut faire cela qu’indirectement. La littérature peut n’être qu’un substitut verbal de la vérité, mais elle peut un jour servir de catalyseur dans leur recherche. La poésie, en particulier, est capable de fonctionner comme un kôan zen, grâce à sa capacité d’être plus illogique, plus provocatrice, et plus éloignée de la réalité quotidienne que la prose. Dans la manière de penser de Shinkichi, la poésie est la plus utile quand elle agit comme un kôan – quand elle plonge l’esprit du lecteur dans un type de méditation zen.

(p. 379:) Le moment meurt aussitôt qu’il est verbalisé. (…) Même s’il échoue, le poète présentera quand même une apparence du moment ou au moins un enregistrement de ses efforts, et son essai pourra aider le lecteur dans sa propre quête spirituelle. Dans l’opinion de Shinkichi, là réside la seule utilité dont peut se targuer la poésie.

°

(tr. : dp.)

Takahashi Shinkichi, par M. Ueda – 1/2 :

7 avril 2016

Extraits du chapitre 8 de Modern Japanese Poets, Stanford University Press, 1983, pp. 335-79 :

Takahashi Shinkichi, né en 1901, le seul poète Zen de stature majeure du Japon moderne. (…) Il a lui-même fait part de son expérience d’atteindre l’éveil (« satori »), plus d’une fois (…) et a écrit quatre livres sur le Zen. (…) Se spécialisa dans le vers libre, une forme importée de l’Occident, n’écrivit ni haïku ni kanshi, les deux formes poétiques traditionnellement associées au Zen.

(p. 341 :)

Shinkichi décida de délaisser Dada (…) parce qu’il découvrit que Dada était simplement « une imitation du Zen. » (…) En Europe Dada ouvrit la voie au surréalisme; pour Shinkichi, il dégagea la voie pour le Zen.

(p. 342 :)

Depuis 1924, a été un poète Zen. (…) Shinkichi affirma une fois : « Mes poèmes nient le langage, ils nient la poésie. » (…) « La poésie vient au plus près de la vérité, mais elle n’est pas la vérité. » (…) Dans un essai intitulé « Sous la tour de Babel » : « Que veux-je donc dire quand j’écris ? Je veux transmettre la vérité (…) A ces lecteurs qui se contentent de la compréhension verbale, on peut présenter par écrit quelque chose similaire à la vérité. » (…)

En bef, Shinkichi croit que la poésie est un substitut verbal de la vérité. Dans son optique,  la vérité ne peut être saisie que par intuition, après une longue période de méditation et autres exercices zen.

(p. 344 :)

Il considère, possiblement, que sa poésie est une sorte de kôan ou une version popularisée du kôan. (…) Ses poèmes essaient d’activer l’esprit du lecteur au moyen de la surprise ou de l’ironie.

Un de ses poèmes, qui ne comprend qu’une ligne :

« Personne n’est jamais mort »

(p. 346 :)

(Comme Yasuzô en vint à le réaliser,) personne ne vit, et donc personne n’est mort.

(p. 349 :)

Remarque de Shinkichi : « Le bouddhisme est une théorie qui place le vide (la vacuité) derrière la matière. »

(p. 350 :) Dans un poème intitulé « Notes de bas de page », il écrit :

 » Cette chose blanche est-elle un coq ?

Tous les mots sont imparfaits; ce sont des notes de bas de page. »

Selon lui, la poésie est une note de bas de page essayant, dans sa manière imparfaite, de commenter sur un texte zen qui est invisible aux yeux normaux. (…) Dans un essai : « Une discussion  sur la poésie et le zen » : « Une composition écrite avec des pensées tortueuses ne peut jamais s’appeler poème. (…) On doit apprécier les mots qui viennent à l’esprit par hasard et sans préméditation. »

(p.351 :) (3) éléments du processus créatif : (le 3ème :) la nature spontanée du processus créatif dicte la brièveté du poème produit. (…) En tant que bouddhiste zen, il voulait purger toutes les pensées calculées de l’esprit du poète attendant l’inspiration; l’esprit d’un poète doit être aussi clair qu’un ciel sans nuage; quand l’esprit est prêt, l’inspiration poétique viendra aussi naturellement qu’un nuage apparaît dans le ciel. (…) Le début d’un poème ne peut pas être forcé.

Dans l’optique de Shinkichi, donc, un poète est un agent passif qui doit attendre la visite de l’inspiration poétique. Il ne peut prendre aucune action pour la faire venir; à la place, il doit persévérer patiemment, étant toujours prêt pour le moment crucial.

(p. 352 :) Il sent qu’un poème devrait être complété par la force de l’inspiration initiale et qu’il doit donc être court. Il croit que non seulement le début de l’écriture du poème devrait être naturel, mais que le processus entier devrait aussi être spontané.

(p. 353 :) … soulignant la naturalité du processus créatif et rejetant un plan prémédité, ou une correction après coup. (…) Il continua en notant que la plupart des poèmes étaient nécessairement courts. (…) Dans son opinion, l’inspiration peut être conservée intacte dans l’esprit pendant longtemps, particulièrement si elle est forte.

(p. 357 :) Son poème : « Pas chez moi » :

« Dites-leur que je ne suis pas chez moi. / Dites-leur qu’il n’y a personne. / Je reviendrai dans cinq cent millions d’années. »

(p. 359 :) En tant que poète zen, il avait cru qu’il devrait se débarrasser de toute idée délibérée, volontaire, jusqu’à ce que son esprit ne soit empli que de pensées spontanées. Cependant le zen requérait qu’il éliminât même ces pensées spontanées. L’esprit devait devenir complètement vacante. Une personne avec un esprit complètement vacant pouvait-elle jamais écrire un poème ? Ici encore se tient le paradoxe du poète zen.

(p. 364 :) Il n’est pas facile de trouver des poètes qui ont eu l’approbation entière de Shinkichi, dans ses essais critiques, mais les deux qui s’en approchent le plus sont Bashô et Shiki. La raison principale, bien sûr, est leur lien avec le zen. Shinkichi admirait grandement les haïkus de Bashô, disant qu’ils incarnaient « l’âme la plus pure des Japonais. » Dans son opinion, Bashô put devenir un grand poète grâce à sa pratique du zen sous la férule du prêtre Butchô (1642-1715) dans son plus jeune âge. « Bashô maîtrisa le zen avec l’aide de Butchô », observa Shinkichi. « Si l’on ne considère pas ce fait, aucune discussion sur les haïkus de Bashô ne peut être valable. » Shinkichi cita le poème suivant de Bashô

La lune passant rapidement,

le feuillage à la cime des arbres

retient la pluie

comme suggérant la sorte de zen qu’il apprit de Butchô. C’était une interprétation neuve, puisqu’aucun érudit n’avait mentionné un lien entre ce haïku et le zen.

(p. 365 :) Décrivant la scène, Bashô écrivit : « Il y avait le clair de lune, il y avait les sons de la pluie – la beauté de la scène submergea mon esprit au point que je ne pouvais pas dire un seul mot. » Shinkichi vit du zen dans l’expérience de Bashô.

La tentative de Shinkichi de relier Shiki au zen était plus surprenante parce qu’aucun autre érudit ne l’avait fait. Shiki lui-même écrivit des poèmes qui semblaient se tourner vers l’athéisme. Mais, selon Shinkichi, Shiki apprit le zen avec Amada Guan (1854-1904), un prêtre, auteur du populaire « Journal d’un pèlerin ». « Parce qu’il souffrait d’une maladie chronique, il ne sembla pas avoir partiqué la méditation zen, » écrivit Shinchiki à propos de Shiki. « Mais il est impossible de penser qu’un esprit aussi sensible que le sien ne fut pas inspiré quand il rencontra le zen. Je crois que la base de la pensée de Shiki n’était finalement rien d’autre que le zen, la sorte de zen qui remonte, à travers Guan jusqu’à Tekisui, Gizan, Hakuin *. »

* Tekisui (1822-99), Gizan (1802-78), Hakuin (1685-1768), tous prêtres zen Japonais bien connus, appartenant à l’école Rinzaï.

Un exemple qu’il citait, de Shiki :

Sont-ils venus ici

pour attaquer mes yeux vivants,

ces syrphes ?

Il observa que cela suggérait que « les yeux de Shiki contemplaient sa propre mort. » Mais, en concluant ses commentaires sur Shiki, il écrivit : « Où pourrait exister une chose telle que la vie ? / Nous sommes morts tels que nous sommes. »

Shinchiki pensait probablement que le haïku représentait un état d’esprit « zen », la sorte d’état qui fit que le poète malade ressentait que « Nous sommes morts, tels que nous sommes. »

(p. 366) « A la lecture de A haute flamme, et autres poèmes de Tzara, » écrivit-il, « Je peux dire qu’il était entré dans le royaume du zen. » (…) Il dit qu’il découvrit dans la poésie de T.S. Eliot quelque chose de semblable au zen, citant des passages de Quatre quatuors. (…) Sa position contrebalance ces critiques qui tendent à sous-estimer le rôle du bouddhisme dans la vie et la poésie contemporaines japonaises.

(p. 367 :) Au XVIIè siècle on en vint à associer le haïku avec le zen. Le maître du haïku le plus admiré, Bashô, pratiqua le zen dans sa jeunesse et l’incorpora dans sa poésie et dans sa poétique. Pour beaucoup de poètes qui le suivirent, écrire du haïku était une discipline spirituelle  pas différente du zen.Le haïku, à son tour, en vint à être considéré comme une forme littéraire capable de suggérer l’essence du zen.

(à suivre…)