°
pp. 389-93 :
–
Bashô eut de nombreux imitateurs, entre lesquels se distinguèrent surtout dix de ses élèves, les « Dix Sages » (Jittetsou) de l’école. Ce sont : Enomoto Kikakou (1661-1707) et Hattori Ranncetsu (1654-1707) qu’il faut ranger en première ligne parce qu’eux-mêmes furent à leur tour fondateurs de deux écoles nouvelles : d’une part l’école d’Edo (Edo-za) , d’autre part l’école de la Neige (Setsou-mon) ainsi appelée parce que Ranncetsou s’était donné encore le pseudonyme de Setchouan, « la hutte dans la neige » ; puis Moukaï Kyoraï (1643-1704), Morikawa Kyorokou (1652-1715), Kakami Shikô (1665-1731) ; enfin, comme poètes moins célèbres Naïto Jôçô (1663-1704), Shida Yaha (1663-1740), Kawaï Sôra (?-1709), Tatchibana Hokoushi (?-1718) et Otchi Etsoujinn (?-1702?)
°
Ranncetsou :
–
Ah, une feuille (morte)
Qui vient se reposer en caressant
La pierre tombale !
°
Kyoraï :
–
Le long sabre
D’un homme qui regarde les fleurs
Oh ! Qu’est-ce que cela ? *
–
* Contraste entre la vulgarité brutale du guerrier et les délicates beautés de la nature.
–
L’insensible
Résidence du daïkwan. Oh !
Et le coucou ! *
–
* Le chant poétique de l’oiseau, à côté du bâtiment officiel !
°
Kyorokou :
–
L’Île d’Awaji :
La (pêche à) marée basse étant finie,
La lune du troisième jour ! *
–
* Simple paysage.
–
Bien froid, l’intervalle avant que sèchent
Les points pour le moka :
Brise du printemps ! *
–
* Pour le traitement par le moka, les malades se rendaient d’ordinaire à un temple bouddhique ; là, nus jusqu’à la ceinture (…)
°
Shikô :
–
Oh ! Les blancs nuages !
Traversant la haie,
(Ce sont) des fleurs de lis ! *
–
* Les lis du voisin, passant à travers la haie mitoyenne, étaient d’abord apparus au poète comme une blancheur nuageuse.
°
Jôçô :
–
Une cigale de l’automne
Morte à côté
De sa coque vide
°
Yaha :
–
Oh ! le rossignol !
À la porte, juste à ce moment,
Le vendeur de tôfou ! *
–
* Ces marchands ont un cri qui n’a rien d’esthétique (…)
°
Sôra :
–
Le voyage…
Même si je tombe,
C’est sur des fleurs de Haghi ! *
–
* Lespedeza bicolor (proche du sainfoin).
°
Etsoujinn :
–
Au temple de la montagne
Le bruit du riz qu’on pile,
Par une nuit de clair de lune ! *
–
* Les paysans ménagers de leur temps utilisent volontiers, pour ce travail, la clarté lunaire.
°
À suivre : – 6) Autres représentants de l’école de Bashô
Archive for the ‘renga’ Category
Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô
22 septembre 2020Anthologie de la Littérature Japonaise – 4) Bashô
22 septembre 2020–
À la mort de son compagnon d’enfance (le fils du Daïmyô local) quand il avait seize ans, « il s’enfuit pour aller se réfugier dans un monastère bouddhique » (…) Il fut toujours un mystique épris d’humilité, de pauvreté, de bonté universelle ; il eut constamment pour idéal d’amener les hommes à la haute morale qu’il avait atteinte (…) On comprend dès lors pourquoi ce genre mineur, qui, jusqu’à lui, n’avait eu qu’un caractère humoristique, reçut de lui une profondeur que ne connaîtront jamais les oeuvres des partisans de l’art pour l’art.
–
Par les nuages de fleurs,
La cloche : est-elle celle d’Ouéno,
Ou celle d’Açakouça ? *
–
* Les masses de cerisiers en fleur sur les bords de la Soumida forment un épais nuage rose, si dense qu’on ne peut plus distinguer si les vibrations de la cloche entendue viennent des temples d’Ouéno ou de ceux d’Açalouça.
–
Moineau, mon ami !
Ne mange pas l’abeille
Qui se joue sur les fleurs
–
Réveille-toi, réveille-toi
Je ferai de toi mon ami,
O papillon qui dors
–
Ah ! le vieil étang !
Et le bruit de l’eau Où saute la grenouille ! *
–
* Cette poésie célèbre évoque admirablement la paix d’un monastère japonais, avec son vieil étang, couvert de lotus, dont le silence n’est rompu que par la plongée d’une grenouille, de temps à autre.
–
D’huile
Manquant, couché la nuit. Ah !
La lune à ma fenêtre ! *
–
* Elle lui apporte sa brillante lumière.
–
Qu’il mange les serpents,
En apprenant cela, combien terrible
La voix du faisan vert ! *
–
* Kiji, le faisan vert du Japon. Phasianus versicolore. La beauté d’une femme n’excuse pas ses péchés.
–
Qu’elle doit bientôt mourir,
À son aspect il ne paraît pas,
La voix de la cigale ! *
–
* Adieu mélancolique de Bashô à un ami qui lui avait fait visite dans une hutte temporaire qu’il occupait, sur le lac Biwa.
–
Tombé malade en voyage,
En rêve, sur une plaine déserte
Je me promène !
°
À suivre : Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô
Anthologie de la Littérature Japonaise – 3) par Michel Revon (1910)
22 septembre 2020Voici d’abord une poésie de chacun des cinq émules de Bashô :
°
I) SÔKAN :
–
À la lune, un manche
Si l’on appliquait, le bel
Éventail ! *
–
* Outchiwa, éventail qui ne se plie pas.
°
II) MORITAKÉ :
–
Une fleur tombée, à sa branche
Comme je la vois revenir :
C’est un papillon ! *
–
* Un proverbe japonais dit que « la fleur tombée ne revient pas à sa branche » ; la poète a eu, un instant, l’illusion contraire.
°
III) TÉITOKOU :
–
Pour tous les hommes,
Semence du sommeil pendant le jour :
La lune d’automne ! *
–
* Elle est si belle que tout le monde veille très tard pour la contempler : le lendemain, somnolence générale.
°
IV) TÉISHITSOU :
–
Cela, cela
Seulement ! En fleurs,
Le mont Yoshino ! *
–
* Les cerisiers de Yoshino, dont les gens de bien parlaient bien en regardant bien : Allusion à une poésie du Manyôshou (Livre Ie) qui repose toute entière sur des jeux de mots et des allitérations :
Yoki hito no
Yoshi to yokou mité
Yoshi to iishi
Yoshino yokou miyo
Yoki hito yokou miyo
–
Des gens de bien
Ayant bonne réputation, en regardant bien,
Disaient bien :
Qu’on regarde bien Yoshino,
Que les gens de bien regardent bien !
–
On note donc le contrepied pris par Téishitsou ! – À rapprocher de « Ah Matsushima » , de Bashô, ultérieurement.
°
V) SÔÏNN :
–
De Hollande
Les caractères s’étendent :
Telles les oies sauvages du ciel ! *
–
* À cette époque où le Japon ne voulait avoir de relations avec l’Europe que par l’intermédiaire de qualques Hollandais parqués à Nagaçaki, notre écriture était une rareté pour les gens de la capitale. Ils trouvaient étrange qu’au lieu d’écrire comme eux, par lignes verticales (…) nous suivions des lignes horizontales. Cette bizarrerie des « caractères de Hollande » pouvait donc leur rappeler, très naturellement, un spectacle familier à leurs yeux et à leurs souvenirs classiques : le vol d’une bande d’oies sauvages traversant le ciel.
°
À suivre : – 4) : BASHÔ (p. 385)
Anthologie de la littérature japonaise 1) Michel Revon (1910)
22 septembre 2020Kyōbun de Millau (4/5 Nov. 2008) :
°
Millau.
Sa Salle des Fêtes
dans le Parc de la Victoire.
Son Cimetière de l’Égalité.
Sa bibliothèque
(avec) son (exemplaire de l’) Anthologie de la Littérature japonaise des origines au XXe siècle,
par Michel Revon
(Ancien Professeur à la Faculté de Droit de Tôkyô,
Ancien conseiller-légiste du gouvernement japonais,
Professeur à la Faculté des lettres de Paris) ,
: Librairie Delagrave, 1910 (6e édition : 1928).
Son chapitre (p. 381) : L’épigramme japonaise : HAÏKAÏ
Son chapitre (p. 399) : La prose légère : Haïboun
Son chapitre (p. 400) : La poésie comique : Kyôka et Kyôkou
Son chapitre (pp. 404-5) : La prose folle : Kyôboun.
°
( À suivre : La Poésie (époque des Tokugawa, 1603-1868) : p. 381… )
°
« Une histoire du haïku » : R.H. Blyth – 1)
29 mai 2017P. 43 :
« Une tradition voudrait que le premier hokku à devenir indépendant du renga soit celui-ci, de l’Empereur Horikawa (1087-1107), dans le Tsukubashû :
Le flûtiste « Kuro-otoko » *
joua de la flûte
près du kurodo **
* « kuro-otoko » signifie : « l’homme noir ».
** : une partie du Palais, près de la cuisine. »
« On ne sait pas quand on commença à écrire des haïkus, probablement du temps de l’Empereur Gotoba.
Exemples de haïkus très anciens :
L’orage
poursuit
les fleurs qui s’éparpillent
: Fujiwara Saide (1162-1241).
Une éclaircie dans les nuages
d’où tombe la neige
sur les monts lointains
: Senjun. »
P. 45 :
Deux poètes : Sôkan (1465-1553) et Moritake (1473-1549) furent à l’origine du haïkaï renga, qui constituait l’origine immédiate du haïku.
Haikai signifie « badin » et « joueur », pas solennel ni sérieux.
°
(A suivre :)
Sôgi :
Glossaire de termes relatifs au haïku 2)
29 avril 2014FUSHIMONO : Directives. Dans la pratique du renga ancien on employait dans le premier verset certains mots pour orienter la composition selon certains thèmes ou manières de voir. Par exemple, utiliser le mot « noir » orientait le thème vers des objets sombres pour les versets suivants.
GA : Élégance ou Véritablement artistique. C’était le terme statutaire dont se prévalaient différents poètes prisés pour leur oeuvre ou leur école. Bashô s’attribuait également cette classification à une époque où on ne considérait pas son oeuvre comme le méritant. Cependant, plus tard, l’opinion générale changea pour être d’accord avec lui. « GA » fait partie de « RENGA », signifiant « élégance liée ».
GAGAKU : Musique élégante. Musique rituelle généralement instrumentale jouée pour certaines occasions à la cour impériale. On la joue encore de nos jours. La composition de cette musique était basée sur le concept de jo-ha-kyû, adopté et adapté pour être utilisé dans le renga.
GA NO UTA : Poèmes d’élégance. C’était une classificationde poèmes de bonne augure utilisés pour féléciter ou complimenter. Le concept influença grandement le ton du hokku.
GOJÛIN : Un renga de cinquante versets.
GOSHÛ : Collection posthume : un recueil de poèmes élaboré après la mort de l’auteur.
GUNSAKU : Travail de groupe. Un groupe de poèmes sur un sujet qui présente plusieurs points de vue. Chaque partie peut en être lue comme un poème complet. Malgré son nom, cette forme peut être écrite par une seule personne.
HA : Le « corps » de 24 versets ou partie centrale d’un KASEN renga. Le renga se divise en trois parties. La première page de six versets forme le JO. La dernière page de six versets forme le KYÛ. Chaque partie a des attributs différents. Le HA se caractérise par de nombreux changements de scènes et contient plus de versets « sans saison », se référant à plus de personnes et avec moins de liens concernant le « temps ».
HAIBUN : Écriture de haïkaï. Prose de style ou de thème poétique entremêlée de haïku. Normalement, les sujets sont autobiographiques ou théoriques, mais quand le coeur en est un voyage, ce style d’écrit s’appelle KIKÔ ou NIKKI : journal de voyage.
(à suivre : HAIGA, …)
Glossaire de termes relatifs au haïku – 1)
28 avril 2014(cf pp. 411-420 de BASHÔ The Complete Haiku Ed. Kodansha Int., 2008 :)
AGEKU : Nom du dernier verset d’un renga. C’est le lien qui essaie de résumer le poème entier avec une référence qui renvoie au verset initial.
AWARE : La capacité d’un objet à toucher les émotions de quelqu’un, souvent avec du pathos ou de la tristesse. Votre drapeau natal possède « aware » ; celui, mieux conçu, d’un autre pays ne la possède pas.
BASHÔ : Bananier. Nom de plume du poète Matsuo Kinsaku, inspiré par son émerveillement devant cet arbre que lui avait offert un disciple. Il se situait à l’extérieur de la fenêtre de sa nouvelle maison, dans la banlieue de ce qui est aujourd’hui Tokyo, et il fut source de son inspiration. Bashô était Maître de renga, Poète des Poètes, Légende de la littérature japonaise.
CHÔKA : poème long, de structure en 5/7/5 – 7/7 unités rythmiques (« mores ») des strophes d’un renga écrit par une seule personne. C’était le genre le plus en vogue il y a environ un millier d’années. Mais le chôka n’a ensuite connu que de brèves remises en vigueur, à différentes époques.
DAI : Sujet. Le sujet du poème est noté soit dans le premier verset, soit dans une préface. Cela signifie que les poètes ont décidé de convenir d’un thème d’écriture.
DAISAN : Troisième. Dans le renga, le troisième verset, qui se termine (en anglais) par un verbe (souvent un gérondif).
DOKUGIN : Une séquence de haïkaï ou un renga écrit par une seule personne.
ENGO : Association verbale. Ce sont des mots dont on pense qu’ils s’associent par le sens, l’usage ou le son. Les équivalents (anglais) sont les homonymes et les synonymes.
FUEKI : Le changement. Un des buts que Bashô se fixait pour sa manière d’écrire des haïkaï.
FÛGA : L’esprit d’élégance et de raffinement qu’on s’attendait à trouver en Arts et en Poésie. Bashô donna ce nom à son style d’écriture de poèmes uniques, afin de les élever au rang des waka et des renga.
FÛRYÛ : « Folie », dans le sens où le poète ou l’artiste est si dévoué à son art que ses actions paraissent « folles » aux yeux des autres. Concept selon lequel l’artiste est différent et en dehors du monde ordinaire des gens « sensés » et qu’il a donc le droit et le devoir de vivre ainsi.
FURIMONO : Choses qui tombent. Classification de matériaux pour le renga, auxquels on associe les « choses qui tombent » telles la pluie, la neige, les feuilles et la rosée. Le contraire en est SOBIKOMONO : les « choses qui s’élèvent », telles que la brume, la fumée et les nuages.
(À suivre…)
« Le rire dans le haiku japonais » par Nobuyuki Yuasa
22 février 2013Tiré de « Haijinx » Vol. I, n° 1 (printemps 2001), et d’après Rediscovering Bashô – une célébration de son tricentenaire, Global Books, 1999 :
« Le rire dans le haiku japonais »
par Noboyuki Yuasa,
fait partie d’un recueil d’essais qui détaillent les influences de Bashô sur le haïku d’aujourd’hui:
°°°
On conçoit généralement de nos jours que le rire appartient au domaine du senryû et que même un sourire n’est qu’accidentel dans le haïku. Il y a en effet beaucoup à dire pour la défense de ce point de vue habituel. Le haïku s’est formé à partir du hokku, poème initial de versets liés, requérant plus de dignité et de profondeur que le restant des poèmes de la chaîne, tandis que le senryû s’est formé à partir des « hiraku », les strophes comme simples membres de la partie centrale de la chaîne où l’on attendait plus d’esprit et d’imagination. On a aussi considéré généralement deux choses comme essentielles au haïku : le « kigo » , un « mot-de-saison » qui donne de l’élégance au poème, et le « kireji », un « mot-de-coupe » qui élève le statut du poème en lui donnant son indépendance syntaxique et son pouvoir émotionnel. Ni l’un ni l’autre ne sont nécessaires dans le senryû. De plus, on dit que les traits caractéristiques du senryû se trouvent dans la peinture (description) de « jinji », les affaires humaines, normalement de manière comique, et dans l’utilisation franche de « zokugo », des termes vulgaires.
Ayant dit cela, je ne peux cependant pas m’empêcher de questionner cette vue traditionnelle. Quand Yamazaki Sokan (1460-1540) et Arakida Moritake (1473-1549) initièrent le « haikai no renga », à l’ère Muromachi, celui-ci fut intentionnellement créé comme une révolte contre la tradition élégante du waka et du renga. Ceci étant suggéré par le titre même de l’anthologie qu’édita Sokan : Inu Tsukuba Shu, « Inu » signifiant « chien » et « Tsukuba » n’étant pas uniquement une métaphore du waka, mais également le titre de l’anthologie de renga compilée par Nijo Yoshimoto (1320-1388). Un exemple de l’anthologie de Sokan nous convaincra facilement de la « chiennerie » de sa poésie :
Sirote tes larmes –
Il n’y a rien pour moucher ton nez
dans ce mois sans dieux
Dans le japonais original, puisque « sans dieux » et « sans papier » se prononcent de la même manière, il y a là un jeu de mots qui impressionne le lecteur par son esprit. D’après les critères actuels, c’est probablement plus du senryû que du haïku. Pourtant, il fut choisi pour cette anthologie par le poète que l’on considère habituellement comme le père de la tradition du haïku. On peut voir le même esprit dans le poème suivant, de Sokan lui-même :
Dans la pleine lune
fourrez un manche, cela fera
un superbe éventail
Ce poème est iconoclaste au sens où la pleine lune, considérée traditionnellement comme l’incarnation même de la beauté élégante est ramenée du ciel à la terre. Cependant le poème n’est pas sans posséder quelque beauté, parce que lune et éventail mettent en valeur la fraîcheur du soir.
Un exemple de Moritake, maintenant :
Le saule vert
peint un sourcil sur le visage
d’une berge
Ce poème, à mon avis, est plus traditionnel que celui de Sokan en ce qu’il décrit une belle scène printanière, mais l’emploi hardi d’une métaphore le « distingue » de la poésie traditionnelle. On lit le poème d’une double façon, car derrière le saule nous voyons le visage d’une femme avec de beaux sourcils.
Cette tradition ouvertement comique, débutée avec Sokan et Moritake, fut d’une certaine manière révisée dans les premières années de l’ère d’Edo par Matsunaga Teitoku (1571-1653) qui essaya d’élever le « haikai no renga » du niveau d’une rébellion infantile. Il dit dans Tensui Sho que puisque le « haikai » est une forme de « waka », il ne faudrait pas le rabaisser au rang de poésie vulgaire. Mais Teitoku ne renia pas le rire. Il essaya plutôt de l’affiner. Un de ses disciples, Saito Tokugen (1559-1647) compara le renga au No et le haikai aux « kyogen » (interludes comiques joués entre les pièces de théâtre No), disant que tout ce qui était « inférieur », comme le kabuki, devrait être banni. Voici un poème de Teitoku qui montre la différence existant entre lui et les poètes le précédant :
Les boulettes aux fleurs
elles semblent préférer, toutes ces
oies sauvages qui s’en retournent
Teitoku provoqua souvent le rire en utilisant une expression proverbiale à un endroit inattendu. Dans ce poème, le proverbe populaire « des boulettes plutôt que des fleurs » sert à expliquer pourquoi les oies sauvages retournent au nord quand le printemps arrive au Japon.
Teitoku réussit, sans aucun doute, à chasser la vulgarité du haïkaï. D’un autre côté, il est indéniable que sa poésie devint quelque peu pédante : plus savante mais moins imaginative que celle de ses prédécesseurs. Cette tendance fut vivement attaquée par Nishiyama Sôin (1605-1682). Celui-ci forma avec ses disciples un groupe appelé « Danrin », ce qui signifie « forêt loquace ». Ce nom suggère que son groupe était plus proche de la vie des gens du commun. Par suite de cela, ils s’éloignèrent de la pédanterie de Teitoku, infusant à leur poésie un esprit de plus grande liberté. Voici un poème de Soin :
les ayant regardé longtemps
je chéris les fleurs, mais, ah,
la douleur dans mon cou !
Derrière ce poème nous voyons le tanka de Saigyo :
Les ayant regardé longtemps,
je chéris les fleurs si tendrement
que quand elles se dispersent
je ressens d’autant la tristesse
de leur faire mon dernier adieu
Nous devons ici admettre que, dans une certaine mesure, le poème de Soin est iconoclaste, mais d’une qualité autre que celui de Sokan. Le but de Sokan, nous l’avons vu, était de détruire le monde élégant du waka, tandis que celui de Soin était plutôt de présenter une scène humoristique. Je crois pouvoir dire que Soin fut le premier poète à découvrir la légitimité du rire dans le « haikai no renga ». Je pense que c’est ce que Okanichi Ichu (1639-1711) ressentait quand il disait dans Haikai Mokyu que l’essence du haikai est le rire (kokkei). Selon lui, le haïkaï devait s’écrire « sans rime ni raison », c’est-à-dire avec « des mots qui sortent spontanément de la bouche pour plaire à l’auditeur. »
Noboyuki Yuasa.
Les 1012 haikai de Bashô : 233-237)
20 février 2012°
(Composé en voyant un écran de fleurs de pruniers et un corbeau à la maison de Sakuei. On y tint une séance de renga avec ce verset-ci comme hokku (verset de départ).)
un corbeau errant
son vieux nid est devenu
un prunier
(printemps 1685)
NB : La note d’en-tête fut ajoutée par Dohô dans son livre Shô Ô Zen-den. Dans ce poème, Bashô se compare au corbeau peint sur l’écran. Au lieu de séjourner dans la simplicité d’un nid de corbeau, il dort au milieu des fleurs de prunier parce qu’il demeure chez un ami élégant. Les corbeaux ne sont habituellement pas tenus pour des oiseaux migrateurs, mais l’idée d’un corbeau errant signifie un oiseau de passage, ou un prêtre en voyage.
°
le plan
pour Kiso en avril
contempler les fleurs
(printemps 1685)
NB : Kiso était le nom d’une région d’une rivière montagneuses. À cause de l’altitude, les fleurs de cerisiers fleurissaient plus tardivement.
°
(Sur la route de Nara :)
c’est sûrement le printemps
sur les montagnes sans nom
un fine brume
(printemps 1685)
NB : Pour aller de Nagoya à Nara, Bashô devait franchir une chaîne montagneuse. Au printemps, les montagnes du bord de mer amassent de l’humidité et remplissent les vallées d’une brume chaude. Y penser fait surgir de nombreux sentiments d’amour et de nostalgie.
°
(Au deuxième mois, je me retirai dans le Hall de Nigatsudô :)
les moines
tirant de l’eau
du bruit glacé des sabots
ou :
tirant de l’eau
les bruits de sabots
des moines gelés
(hiver 1685)
NB : À Nara, dans le temple Tôdaiji se tenait, généralement pendant les deux premières semaines du deuxième mois du calendrier lunaire, correspondant maintenant au mois de mars, une Cérémonie du Puisage de l’Eau. Quand les moines tournaient autour de l’autel, dans leurs déambulations nocturnes, leurs sabots de cèdre rendaient un bruit comme s’ils marchaient sur une terre gelée. La fin de la cérémonie consistait à tirer de l’eau de la source Akai, maintenant appelée Asakai.
°
(À Take no Uchi dans la province de Kazuraki vivait un homme qui prenait grand soin de sa famille. Au printemps il employait beaucoup de travailleurs aux rizières et à l’automne pour la moisson. Sa maison était remplie du parfum des fleurs de prunier, ce qui encourageait et consolait les poètes affligés.)
printemps précoce
vendant du vin de fleur de prunier
le parfum
(printemps 1685)
NB : Ce bouilleur de saké non désigné organisa une séance de renga. Quand on coupe la racine d’iris sucré en petits morceaux pour adoucir le saké, la boisson est appelée vin de prune. Il y a ici une devinette non-dite : qui vend les prunes, le parfum ou la saison des fleurs de prunier ?
°
(à suivre, 238-1012)
Les 1012 haikai de Bashô – 221-225)
13 février 2012°
(J’allai visiter le Sanctuaire d’Atsuta. Les bâtiments étaient en ruine, les murs de terre étaient écroulés et cachés dans un champ d’herbes folles. On avait élevé des cordes de paille sacrées pour indiquer le site du plus petit sanctuaire et des entassé des rochers pour montrer le sanctuaire lui-même. Des fougères et des mousses poussant en liberté rendaient l’endroit encore plus sacré et vous prenaient le coeur.)
Achetant un biscuit
même les fougères sont desséchées
sur l’aire de repos
(hiver 1684)
NB : À l’époque où Bashô alla voir le sanctuaire, il n’avait pas été rénové depuis l’an 1600, et se trouvait en piteux état. On servait évidemment les biscuits de riz sur des feuilles de fougères desséchées, ce qui concorde avec l’atmosphère pauvre de l’endroit. Bashô aurait pu se sentir aussi desséché que les fougères, ou aussi rassis que les biscuits, ou aussi décrépit que le sanctuaire. Il est intéressant de noter que le sanctuaire est tombé en décrépitude, mais que la maison de thé, pour laquelle Bashô emploie un mot plus impressionnant qu’elle ne le mérite, est toujours en activité.
°
gens du marché
je vendrai mon chapeau tel un
parapluie couvert de neige
(hiver 1684)
NB : La technique d’association est évidente ici, parce que et le chapeau conique et le parapluie couvert de neige ressemblent à des montagnes enneigées.
°
(Ayant assez dormi au bord de la route, je me levai dans le noir pour aller à la plage.)
à l’aube
le blanc d’un poisson des glaces
long seulement d’un pouce
(hiver 1684)
NB : L’une des trois espèces de poissons apparentés à la sardine ou au poisson gobie des glaces formait le sujet d’un proverbe local : « Un pouce de long en hiver, deux au printemps ».
°
(Intercédant auprès de deux personnes inamicales chez Tokoku…)
neige sur neige
cette nuit de décembre
une pleine lune
(hiver 1684)
NB : Alors que Bashô séjournait chez le marchand de riz Tokoku, à Nagoya, deux membres du groupe de renga eurent un différent d’opinions sévère. Bashô, en tant que leader reconnu avait le devoir d’apaiser les tensions. Il semblerait que le message dit que le rayonnement est partout.
°
(Les trois vieillards vénérables étaient doués du talent de l’élégance poétique, qui exprimaient ce qu’ils avaient dans le coeur dans des poèmes d’une valeur éternelle. Ceux qui aiment leurs poèmes honorent naturellement d’un grand respect la poésie liée.)
les lunes et les fleurs :
voici les véritables
maîtres.
(1684, hors saison)
NB : Ces « trois vénérables vieillards » sont les maîtres antérieurs du haikai-no-renga : Matsunaga Teitoku (1571-1653), Yamazaki Sôkan (1460-1540) et Arakida Moritake (1460?-1549). Bashô, cependant, dit dans sa strophe que les véritables maîtres ne sont pas les personnes, mais la lune et les fleurs, qui inspirent la poésie liée. Bashô répète qu’il valorise plus le renga, ou versets liés, que les strophes uniques.
°
(à suivre : 226-1012)