Archive for avril 2016

Le tanka japonais moderne 2/6 par Makoto Ueda

15 avril 2016

par Makoto Ueda. Columbia University Press, 1996.

…/… Introduction :

Le tanka par des écrivains de fiction. (p. xxii) :

La réforme du tanka fut également aidée par quelques auteurs qui écrivaient de la poésie en 31 syllabes comme leur forme d’expression littéraire secondaire. Ils incluent deux écrivains de prose de fiction pré-éminents : Mori Ôgai (1862-1922) et Okamoto Kanoko (f.) 1889-1939)… qui, grâce à leurs séjours en Europe, apportèrent des éléments non-traditionnels à leurs waka. (Okamoto Kanoko célèbre avant tout la sexualité féminine, un peu à la manière de Yosano Akiko).

Le tanka par des poètes vers-libristes :

Kitahara Hakushû (1885-1942), comparant la poésie du tanka à une pierre précieuse, commenta : « Je voulais ajouter une touche nouvelle de symbolisme français à cette vieille gemme verte. »

Miyazawa Kenji (1896-1932). Bien qu’il ait commencé par écrire du tanka sous l’influence de Takuboku, il voulait y présenter une réalité poétique plus cosmique et visionnaire que son mentor. L’imagerie qui domine dans son tanka est plus semblable à celle qu’on voit dans la poésie moderniste de la maturité. Il était en avance sur son temps pour le tanka, aussi bien que pour le vers libre.
Le mouvement de l’aile gauche du tanka :

La Ligue des Ecrivains Prolétariens Japonais fur formée en 1925, pour devenir l’année suivante la Ligue des Artistes Prolétariens. En 1928 la Ligue des Poètes du Tanka Emergeant devint ensuite la Ligue des Poètes de Tanka Prolétariens. Leur but immédiat était de renoncer à la tradition existante du tanka, qui, à leurs yeux, encourageait la continuité de la bourgeoisie, et de la remplacer par un nouveau genre de tanka enraciné dans les vies des prolétaires. Le nouveau tanka, ressentaient-ils, devait présenter la situation critique des travailleurs et exprimer leur désir de changement social. Dans la forme, ils préféraient le tanka vernaculaire, de style libre, qu’ils considéraient comme plus proche de la langue des gens du commun.

ces poètes de waka d’avant la réforme, qui imitaient simplement les émotions conventionnelles contenues dans de célèbres poèmes des premières époques.

Les tanka des gauchistes avaient l’air différent des waka traditionnels puisqu’ils s’écrivaient sous une forme libérée des restrictions syllabiques.

… La popularité du tanka de style libre déclinna aussi rapidement (après 1932).

Okuma Nobuyuki (1893-1977) était plus humanitaire qu’idéologique. Il conserva la prédilection des gauchistes d’écrire des tanka sans restrictions syllabiques

Les modernistes : 

(à suivre… p. xxvii)

 

Quelques éléments d’écriture d’un haïku

14 avril 2016

Minimiser les adjectifs
Minimiser les verbes (surtout à l’infinitif : le haïku n’est pas un projet)

Eviter les coordinateurs, les coordinations

Couper court au discours

Scinder le haïku (en deux…) (/ juxtaposer)

Le « mot-de-coupe » (« kireji » – ponctuation…) est le coeur, le moyeu du haïku. Il permet la respiration, l’espace, le « vide », le non-dit…

Relier (d’une certaine manière) la fin avec le début du haïku – comme dans un renku le dernier verset (« ageku ») au premier (« hokku »). = « Faire » le cercle (« enso »)!

Rester vrai, honnête, sincère.
Transparaître.

dp.(14/4/16)

« René Maublanc – Le haïku des années folles »

11 avril 2016

par D. Chipot, éd. Unicité, 2016.

(Extraits :)

°°°

p. 155 : « … Vocance veut, par le haïku, renouveler la poésie française, qui ne devrait sa survie qu’au retour à la nature brute, à l’expression rude et nue de la sensation et du sentiment élémentaires, à la sincérité totale, à la haine du verbalisme, au rejet de tout artifice oratoire ».

p. 156 (René Maublanc) : « le haïkaï (…) : exercice de concision et de précision, exercice de simplicité et de sincérité. »

(René Georgin – en 1924 -) : « Les adeptes français du haïkaï () remettent grâce à lui l’école de la concision, de la sincérité dépouillée, la poésie française fatiguée et faussée par de longs siècles d’éloquence et par l’entraînement de la rime et des rythmes monotones; ils s’y habituent à ramasser et à ne dire que l’essentiel. Ils trouvent ensuite un plaisir d’art à sculpter avec précision ce petit bijou… »

p. 162 :  » Julien Vocance d’ajouter dans son article « Sur le haïkaï français »  : « Nous rejetons l’idée d’imposer au haïkaï la règle japonaise des 17 syllabes, bien qu’elle puisse à l’occasion donner d’heureux résultats. »

p. 163 (René Maublanc): « Quelques mots seulement dont aucun ne saurait ni être modifié ni déplacé : rien qu’avec cela, le haïkaï est tout un poème. »

Georges Long : « Quant aux haïkaïs, je les cueille tels qu’ils viennent, pour l’idée et non pour la forme qui m’est antipathique à cause du travail qu’elle réclame. »

p. 164 : Roger Vailland (…) a également choisi le haïkaï libéré des contraintes formelles. »

p. 181 Julien Vocance :  » Le haïkaï français ne doit pas être une imitation stérile, un simple pastiche de son devancier nippon. »

°°°

 

Ogiwara Seisensui par M. Ueda – 19/19.

10 avril 2016

(pp. 333-4) :

Pour Seisensui, écrire du haïku était un mode de vie, une discipline morale. Il remplissait beaucoup des fonctions d’une religion. Composer du haïku aidait à soulager la douleur face à la tragédie. Il permettait de vivre une vie spirituelle satisfaisante, même si matériellement appauvrie. Il aidait à maîtriser les passion qui, si on les laissait libres, pouvaient atteindre une taille monstrueuse. Il apportait paix et calme au milieu de l’époque moderne affairée. Pour faire court, écrire du haïku aidait les gens à atteindre un état d’esprit suprêmement heureux.

Pour appuyer son assertion, Seisensui citait des exemples de personnes pour qui le haïku fonctionnait comme une sorte de religion. L’une d’elles était Kaitô Hôko (1902-40) *, un jeune patient tuberculeux d’abord attiré par le christianisme et qui chercha ensuite du réconfort dans le haïku.
Une libellule rouge aussi

est venue en visite

tout seul

satisfait

Ce haïku de style libre de Hôko suggère que non seulement la libellule mais aussi le poète malade étaient satisfaits. Il savait qu’il allait mourir, car la tuberculose était alors incurable. Cependant il était calme, à la fois philosophiquement (sans cela la libellule aurait été trop effrayée pour l’approcher) et spirituellement (sinon il n’aurait pas pu écrire un haïku). Il avait été capable d’atteindre cette paix de l’esprit en s’identifiant à une libellule, qui fait partie de la nature.

Les exemples préférés de Seisensui de la fonction religieuse, suprême, du haïku incluaient aussi des poèmes des moines Hôsai et Santôka. Le haïku suivant, de son cru, écrit pendant une maladie, pouvait également en faire office :

maintenant dans le lit

maintenant hors du lit…

des grappes de glycine

sont visibles 

aussi du lit

Clairement, la maladie de Seisensui n’était pas aussi grave que celle de Hôko, puisqu’il pouvait sortir de son mlit de temps à autre. Mais il n’avait pas la force de rester debout pendant de longues heures, et le lent processus de recouvrement l’irritait parfois. Ce qui pacifiait son esprit, c’était de s’approcher de la nature et d’en apprécier la beauté.

Ces exemples sont des haïkus de style libre, et ils illustraient bien les idées de Seisensui à propos de l’utilité de la poésie. On se demande cependant si ces idées ne s’appliqueraient pas tout aussi bien à la tradition entière du haïku. Presque tout ce que Seisensui dit à propos du plaisir et de l’utilité du haïku de style libre peut remonter jusqu’à Bashô. Seisensui ne cachait pas ce fait ; en vérité, il citait souvent Bashô pour conforter ses arguments. Eu égard à l’utilisation du haïku, il ne fut pas du tout un innovateur. Mais ce fait prouve que la nouvelle forme de poésie à laquelle il dédia sa vie était le haïku et pas le vers libre. Il n’y avait aucun doute dans son esprit qu’il suivait fidèlement la voie du haïku traditionnel. La question de forme mise à part, Seisensui concevait le haïku d’une manière plutôt traditionnelle, même si beaucoup de ses contemporains ne reconnurent pas qu’il le fit.

* Hôko joignit le groupe « Nuages stratifiés » en 1925. Beaucoup de ses haïkus, recueillis dans « Trois grues » reflètent sa bataille prolongée, perdante, contre la tuberculose.

°°°

Fin du chapitre 7 consacré à Ogiwara Seisensui, dans Modern Japanese Poets, Stanford University Press, 1983, par Makoto Ueda (Professeur de japonais à la Stanford University, N.Y….)

(tr. fr. (c) Daniel Py, Paris-Orly, 1er trimestre 2016).

Ogiwara Seisensui par M. Ueda – 18/19

10 avril 2016

pp. 329-333

TOUT CE QUE NOUS VOYONS DEVIENT FLEUR.

Dans la préface à « Comment écrire et apprécier le haïku », Seisensui énuméra trois plaisirs que le haïku peut procurer. Il les appela le plaisir de créer, le plaisir d’apprécier, et le plaisir de voir. Ses idées sur la jouissance de la poésie se centrent sur ces trois concepts.
L’observation que le haïku apporte le plaisir de créer se base sur le prémisse que la plupart des gens concernés par le haïku ne sont pas seulement des lecteurs, mais des auteurs également. Comme nous l’avons vu, Seisensui estimait que 99 % de tous les lecteurs de haïkus étaient aussi poètes; il croyait que le haïku faisait de chacun un artiste. « Le plaisir de créer s’approche de la gratification d’un instinct humain. », dit-il « Quand un homme des temps premiers modelait un objet semblable à une bouteille en argile, il a dû ressentir une joie très humaine d’avoir créé quelque chose de ses propres mains, même s’il le fit dans un but pratique. » Composer un haïku, insista-t-il, était plus facile que de faire une bouteille ou presque tout autre objet d’art, puisque cela ne nécessitait pratiquement aucun temps, ni matériau, ni équipement. « Même un écolier de base peut écrire un haïku qui a l’air sincère », remarqua-t-il. « Chacun, pratiquement, peut être un poète de haïku. On n’a besoin de presque pas de temps; une heure après le souper suffira. Avec un carnet et un crayon, un banlieusard peut composer des haïkus pendant son trajet en train le matin ou le soir. » Seisensui lui-même fut introduit à ce plaisir, quand il était étudiant. Il se souvint :

« Lors d’une de mes vacances de printemps, j’allai, lors d’un voyage-haïku de Kasumigaura à Tsukuba, puis à Harma, portant sur moi un carnet et un crayon, que je gardai plus chèrement que ma vie. J’étais déterminé à composer cent haïkus chaque jour. C’était un essai téméraire, mais je pus en écrire autant. Ce furent les jours les plus heureux de ma vie, parce que je pouvais écrire autant de haïkus que je voulais. Le plaisir d’un poète de haïkus consiste non à devenir un expert, mais à créer, à être capable de créer. »

Shiki avait parlé d’une telle sorte de plaisir. Dans ses jours estudiantins, il avait aussi l’habitude d’aller se promener avec un carnet et un crayon. En plus de la joie de créer, Seisensui reconnaissait un plaisir cathartique à écrire du haïku. Il croyait qu’on pouvait soulager la douleur en la transformant en haïku parce que la douleur était objectivée pendant le processus. « Quand une personne se concentre pour écrire du haïku », expliquait-il, « son observation de lui-même s’éclaircit et sa vision de lui-même devient plus distincte. Puisque douleur et souffrance sont subjectives, il est inévitable qu’elles s’éloignent quand il les rend objectives, minutieusement. » Il comparait le haïku à pleurer, à une confession, et à la guérison d’une éruption cutanée. Il était conscient que d’autres gens de poésie avaient aussi un effet thérapeutique, mais il semblait ressentir que pour beaucoup de personnes au Japon, le haïku était la cure la plus accessible parce qu’il était bref, familier, et qu’il ne demandait aucun entraînement particulier. Il était accessible même aux enfants des écoles élémentaires.

A la catharsis s’ajoute le plaisir de ressentir qu’une émotion douloureuse sera partagée par d’autres personnes qui lisent le poème. Pour le voir de l’autre côté, on peut dire que le lecteur expérimente un plaisir cathartique également, puisqu’il s’identifie à l’émotion du poète et se sent soulagé quand le poème laisse libre cours à son émotion à travers le poème. C’est ce que Seisensui appelait le plaisir d’appréciation. « Quand une personne lit un haïku », expliquait-il, « il aime imaginer la scène ou l’émotion que le poète expérimenta. L’acte est agréable parce que le poème touche le coeur du lecteur et cause un phénomène psychique qu’on peut appeler « résonance ». En d’autres termes, lire du haïku donne à quelqu’un le plaisir de communiquer avec autrui et de partager une expérience avec eux. Un tel plaisir peut être obtenu en lisant également d’autres types de poésie, mais Seisensui semble avoir cru qu’un lecteur de haïku peut avoir un plus grand plaisir que d’autres lecteurs parce qu’il est un lecteur plus actif. Dans le haïku, le plaisir d’apprécier et le plaisir de créer se rejoignent ; pour employer la métaphore de Seisensui, le lecteur de haïkus doit compléter un cercle qui est seulement à moitié complété. A un degré plus grand que d’autres formes de poésie, le haïku incite le lecteur à devenir poète et à goûter au plaisir de la création, et à la purification qui l’accompagne : la sienne propre.

Seisensui sentait que le rôle du haïku de créer de la « résonance », était de plus en plus important dans la société moderne où un manque de communication de coeur à coeur était de plus en plus apparent. Seisensui voyait dans la poésie une possibilité de combler ce trou. « C’est seulement par la poésie », affirmait-il, « que nous pouvons vraiment nous parler, en tant que semblables, transcendant les différences d’âges, de métiers et de classes sociales. » Le haïku remplissait particulièrement ce rôle, parce que, depuis les temps anciens, il avait eu une fonction sociale. Cela avait également été la plus démocratique et la plus populairement attirante de toutes les formes poétiques japonaises. D’où il découle que la résonance de coeur à coeur causée par la lecture de haïkus n’apporte pas seulement du plaisir, mais assume aussi un sens social et moral.

Le troisième plaisir du haïku conçu par Seisensui était plus personnel, mais néanmoins aussi significatif. Par « le plaisir de voir », il signifiait l’appréciation de la beauté de la nature. Il écrivit :

« Quiconque peut voir et apprécier la beauté des fleurs. Mais entre ceux qui connaissent le haïku et ceux qui ne le connaissent pas, il y a une différence. Quand les gens sont éveillés au haïku, ils commencent à s’apercevoir des beautés de la nature  à travers des choses aussi improbables qu’une mauvaise herbe ou des feuilles tombées, ce genre de choses qu’ils auraient voulu rejeter avant leur « éveil ». Bien que certains poètes classiques chantassent les excréments, je ne soutiens pas un embellissement des choses sordides ; ce que je promeus, c’est la réalisation qu’il n’y a rien de sale dans la nature. Le bouddhisme enseigne : « L’herbe, les arbres, la terre – tout est Bouddha. » La bouddhéité se manifeste dans chaque herbe et dans chaque arbre. Bashô a dit : « Tout ce que nous voyons est fleur. » Une pierre au bord de la route ou une toile d’araignée sous l’auvent sont aussi belles qu’une fleur. Vivre en ce monde deviendra très plaisant si l’on acquiert une telle manière de voir. On pourrait être éveillé(e) à ce point de vue par le bouddhisme, mais cette route demande un entraînement excessivement difficile.  Il y a une voie plus facile, plus agréable : le haïku.

Les implications multiples du plaisir de voir énoncées ici vont de l’élémentaire au sublime. A la fin, le plaisir devient une sorte d’éveil moral, et le haïku devient une sorte de religion.

A un niveau de base, Seisensui croyait que le haïku cultivait le sens esthétique d’une personne. Non seulement le haïku approfondit-il son appréciation de la nature en aiguisant sa sensibilité, mais il élargit son expérience esthétique en l’aidant à découvrir la beauté dans les choses ordinaires. Dans ce respect, la croyance de Seisensui est semblable à celle des maîtres de thé japonais médiévaux qui cultivaient le « wabi », la beauté de l’indigence et de la sobriété, bien qu’il n’eût probablement pas apprécié son idée d’être associé à un concept esthétique pré-moderne. Comme avec les maîtres de thé, une telle sensibilité poétique, dans la poétique de Seisensui, est liée à une attitude morale. D’après lui, un poète de haïku ne doit pas simplement reconnaître la beauté de la nature ; afin de capturer cette beauté, il doit s’immerger dans la nature et la partager. Le poète doit obtenir l’esprit-haïku, à travers lequel il transcende son petit moi et devient une partie de quelque chose de bien plus grand, quelque chose de cosmique. Seisensui observa qu’un artiste a deux buts dans la vie : un but esthétique et un but moral. Un artiste doit s’efforcer de créer une grande oeuvre d’art, mais c’est aussi un être humain, et il devrait vouloir vivre une vie spirituelle riche. « Ce serait une expérience très satisfaisante pour l’artiste », dit Seisensui. « s’il pouvait immerger son petit ego dans la grande nature, pour atteindre un royaume de libération parfaite dans sa vie quotidienne. Dans cet énoncé, l’expression  « le plaisir de voir » devient équivalent à la joie d’atteindre l’illumination spirituelle, une extase obtenue quand on voit la nature si intensément qu’on s’y perd, se faisant. On se rappelle que Seisensui employa l’expression d' »exaltation religieuse » dans un contexte semblable, en citant Goethe. Le titre de l’article auquel il se référait : « La poésie de l’illumination » nous renseigne sur sa vue de l’utilité ultime du haïku.

(à suivre…)

Ogiwara Seisensui par Makoto Ueda – 17/19

10 avril 2016

pp. 326-329 :

Encore un exemple, ce haïku de style libre de Seisensui lui-même :

Le blé pousse

une balle « temari » rebondit

« Temari » ou « balle-à-main » est un jeu simple, joué par les petites filles au Japon. Il consiste à faire rebondir sans fin une petite balle et le vainqueur est celle qui peut la faire rebondir le plus grand nombre de fois sans interruption. Une petite fille s’y exerce souvent seule, comme cela semble être le cas dans ce poème. Seisensui coupa le poème en quatre parties et plaça chaque partie au coin d’un carré, comme le montre la figure 4. Il observa ensuite que le dessin obtenu faisait ressortir deux parallèles : une entre le blé et la balle, l’autre entre pousser et rebondir. D’après son explication, le verbe « pousser » suggère l’affection du poète pour le blé, parce qu’une personne indifférente ne remarquerait jamais sa croissance imperceptible chaque jour. Cette affection a quelque chose de commun avec son amour de l’enfant qui fait rebondir la balle. Le parallèle entre le blé et la balle leur permet de se définir réciproquement : le blé doit pousser près d’une maison parce qu’une petite fille joue  dans le voisinage et elle doit apprécier son jeu de la même manière insouciante que le blé pousse à la ferme. Le haïku dépeint un paysage tranquille un doux jour de printemps, avec ses quatre unités sémantiques se faisant écho pour définir la scène. (A la lecture de l’analyse de Seisensui, on pourrait argumenter que ce haïku devrait s’écrire sur quatre lignes. Cependant la pause après « pousse » semble plus prononcée que les deux autres; d’où ma traduction sur deux lignes.)

le blé ………………… pousse

°                                        °

°                                        °

une balle temari……rebondit

Fig 4 : Analyse du haïku de Seisensui.

Bien que Seisensui crût que la plupart des haïkus ont une forme carrée, il dit aussi que quelques haïkus sont pentagonaux. Il croyait, par exemple, que la haïku de Buson sur les fleurs de moutarde pouvait aussi être vu avec cinq côtés, comme le montre la figure 5. Un pentagone révèle la symétrie du poème mieux que ne le fait le triangle, parce qu’il installe une parallèle séparée entre le soleil et la lune, et entre l’Est et l’Ouest.

….. fleurs de moutarde ……

.                                                  .

la lune ………………… le soleil

.                                                       .

à l’Est ………………….à l’Ouest

Fig. 5 Analyse du haïku de Buson, II.

Selon Seisensui, des haïkus de style libre plus longs ont souvent une forme similaire au haïku de Buson, bien que le croquis puisse être renversé. Le poème de Raboku qui suit est l’exemple d’un haïku à cinq côtés écrit en style libre :

cheveux tombant

du bébé dans mes bras

douceur

du vent du soir

que j’aime

(voir fig. 6)

Le diagramme pentagonal montre que les mots « que j’aime » se réfèrent non seulement au vent, mais aussi au bébé, même si grammaticalement ils ne modifient que celui-là. Il suggère aussi que la douceur du vent est comme les cheveux du bébé, que de jeunes feuilles bourgeonnent sur les arbres alentour et que le vent souffle gentiment sur les cheveux et les feuilles de la même manière.

cheveux lâchés ……….. douceur

.                                                           .

du bébé …………………. du vent

dans mes bras………….. du soir

………………………..

……………que j’aime…………….

Fig 6 : Analyse du haïku de Raboku.

L’analyse de Seisensui de la structure du haïku en termes de formes géométriques est intéressante et particulièrement aidante pour ceux qui n’ont pas l’habitude de lire du haïku. Cependant, il est bien trop facile de trouver dans le haïku autant de pauses qu’on peut trouver. Il n’y a pas seulement des milliers d’exemples pour cela, mais toute phrase japonaise entre dix et trente syllabes comporte deux, trois, quatre ou cinq pauses, que ce soit du haïku ou pas. Seisensui donc aurait eu besoin de débattre sur un nombre particulier, faisant modèles, ou traitant de pauses pour caractériser adéquatement la structure du haïku. Néanmoins, la géométrie du haïku de Seisensui apporte sa contribution à l’érudition littéraire japonaise. En premier lieu, c’était virtuellement le premier essai pour analyser la structure du haïku. Des poètes et des critiques avant Seisensui avaient théorisé à propos du kireji (mot de coupe), mais ils répugnaient à disserter le haïku, ou toute forme de poésie, parce qu’ils ressentaient qu’un poème était un organisme vivant. Seisensui, un des premiers Japonais à devenir Major en linguistiques au collège, n’avait pas une telle aversion. Sa découverte de pauses plus petites que la césure (kireji) le mena à fragmenter le haïku, mais cela ne le gêna pas, puisqu’il y avait un précédent dans l’analyse linguistique. Sa comparaison du haïku avec des figures géométriques  avait aussi la qualité de montrer – même s’il ne s’en est pas rendu compte – qu’un haïku n’était pas un poème linéaire, renforçant un point qu’il souligna dans sa controverse avec Hakushû. Il argumenta, en effet, que le mot terminant un haïku ne créait pas un sens de finalité, dans ce sens que la fin d’un poème en vers libres le pourrait, qu’il était toujours relié au début ou à un autre mot précédent, complétant donc ainsi une forme géométrique. Pionnier du haïku de style libre, il fut également un des premiers à s’aventurer dans une étude analytique de la forme du Haïku.

(à suivre…)

 

 

 

 

 

 

Compte-rendu kukaï de Paris 112 :

10 avril 2016

Nous étions 19 personnes présentes samedi 9 avril 2016 pour notre 112è kukaï. 40 haïkus ont été échangés et commentés et appréciés. 28 d’entre eux ont obtenu une voix ou plusieurs :
°°°

Avec 6 voix :

route de nuit –

les courbes parfaites

de ses genoux

: Michel Duflo.

°

Avec 4 voix :

cerisiers en fleur

de nouveau croire

à ses promesses

: Eléonore Nickolay;

concert à l’église :

le musicien chauffe ses doigts

au-dessus des cierges

: Daniel Py.

°

Avec 3 voix :

blancheur –

les flocons fondent

sur la neige

: Francis Kretz;

dernière visite –

le ciel d’orage

apaise mon coeur

: Jacques Quach;

heure d’affluence –

un seul souci

mes chaussures neuves

: Antoine Gossart ;

première mouche –

comment lui refuser

cette valse

: Michel Duflo ;

terrasse un soir d’été

il achète une rose –

seul à une table

: Philippe Bréham.

°

Avec 2 voix :

de ce côté-ci du parc

et de l’autre aussi

l’arbre rose

: Daniel Py ;

des « Ah! » tout en haut

des « Oh! » tout en bas

sur la balançoire

: Philippe Gaillard ;

D’un geste rapide

Sous sa jupe d’uniforme

Une autre plus courte

: Catherine Noguès ;

giboulée

dans les rigoles ruisselantes

des rondes de pétales

: Cécile Duteil ;

jardin bio –

le groupe de visiteurs

bourdonne aussi

: Dominique Borée ;

La tranche défraîchie

du Larousse illustré

Brise printanière

: Monique Leroux Serres ;

Piétinement

au pied du mur blanc

l’ombre d’un magnolia

: Marie-Alice Maire ;

Théâtre en plein air –

sous l’arc-en-ciel

le rideau de pluie

: Antoine Gossart.

°

Avec 1 voix :

année du singe –

elle refait sa soupe

à la grimace

: Minh-Triêt Pham ;

Au marché

la dame opulente demande

un maigre *… bien gros

: Marie-Alice Maire ;

* : nom vulgaire de la sciène : poisson osseux (de la famille des téléostéens acanthoptérygiens), à nageoires épineuses, de grande taille, carnassier, à la chair très estimée. (: le petit Robert.)

avril au balcon –

les pensées aussi sombres

que les miennes

: Isabelle Freihuber-Ypsilantis ;

bourgeons d’arbre de Judée

le chant de parade

d’un étourneau

: Dominique Borée ;

interpellation –

de l’autre côté de la rue

une mésange

: Valérie Rivoallon ;

Le vin chaud avec la lune

Mes amis sont en débat

Au sujet de l’art pictural

(amélioré, grâce à la complicité de Monique Leroux Serres, en :)

Vin chaud sous la lune

Mes amis débattent

d’art pictural

: Hiro Hata ;

première baignade

courant sur le sable

les ombres des nuages

: Jacques Quach ;

premiers pépiements

la nuit se volatilise

: Patrick Fetu ;

quai –

les mouvements mécaniques

de la souris

: Valérie Rivoallon ;

ton corps respire

ma main sur ton épaule

la nuit s’écoule

: Francis Kretz ;

39,5 ° –

toute la nuit à l’écoute

de son souffle

: Isabelle Freihuber-Ypsilantis ;

trombes de grêle

sur le gravier battu

des pétales diaphanes

: Cécile Duteil.

°°°

Notre prochain kukaï aura lieu le 21 mai prochain.

 

 

Le tanka moderne au Japon – 1/6 – par Makoto Ueda

10 avril 2016

Modern Japanese Tanka, par Makoto Ueda, Columbia University Press, 1996. (Extraits) :

Préface :

Le tanka n’a besoin ni d’un mot de saison (« kigo » ou « kidai »), ni d’un « mot de coupe » (« kireji »).

Introduction :

(p. xi) : Ces poètes s’exprimaient dans une langue puissante, tirant leur force de leur émotion profonde, dans un vocabulaire simple et un style sans artifice.

(p. xxi) : De fait, le tanka sur trois lignes était une invention, non pas de Takuboku, mais de son ami Toki Zenmaro (1885-1980). (…) Au début des années 1930, il rejoignit un mouvement d’écriture du « tanka-de-style-libre », c’est-à-dire du tanka non restreint par le nombre de ses syllabes. (…)

Le tanka sur plusieurs lignes de Takuboku et du jeune Zenmaro encouragea quelques autres poètes radicaux à expérimenter le « tanka-de-style-libre ». Pour ces poètes, tous les efforts de modernisation tourneraient court, à moins que la forme et le langage du tanka ne soient modernisés et n’approchent de plus près la réalité de la société contemporaine. Ils voulaient donc que le tanka adopte non seulement le vocabulaire du langage courant, mais aussi ses rythmes qui, naturellement, ne suivaient aucune structure syllabique prédéterminée. En 1925, les radicaux se rassemblèrent pour fonder une organisation appelée la « Société du nouveau tanka ».

(à suivre…)

 

Conclusion à « Poètes japonais modernes – 2/2

7 avril 2016

(p. 388 :)

La poésie japonaise moderne est devenue encore plus variée en ce qui concerne la forme et le style. (…) Le haïku et le tanka ont entrepris beaucoup de changements formels et stylistiques égalent. Au début, les poètes étaient pessimistes : Shiki, par exemple, prédit les morts prochaines du haïku et du tanka. Cependant , ces formes ont survécu au challenge de la modernisation et du vers libre, en partie parce qu’elles ont pu changer. Les poètes modernes ont, par exemple, commencé à utiliser plus abondamment la technique du rensaku, écrivant des séries de haïkus et de tankas sur un thème commun et les publiant ensemble sous un même titre. Ce mécanisme répond, au moins partiellement, à la complainte souvent exprimée que 17 ou 31 syllabes étaient trop courtes pour rendre justice à l’esprit complexe d’un homme moderne ou aux complexités de la vie moderne. (…)

Les poètes modernes ont aussi pris plus de libertés avec les structures syllabiques. Des haïkus contenant plus de 17 syllabes et des tankas comportant plus de 31 syllabes sont devenus plus courants. La raison est en partie d’ajouter de la fraîcheur et de l’individualité, en partie de répondre à la charge que ces formes fixes sont trop inflexibles. Quelques poètes radicaux de haïku, emmenés par Seisensui, allèrent plus loin et inventèrent le haïku de style libre. Takuboku garda la forme des 31 syllabes, mais imprimait ses tankas sur trois lignes. Kenji écrivit des tankas dans des combinaisons variant entre deux et cinq lignes et Toki Aika expérimenta avec le tanka romanisé. Avec une telle flexibilité de formes, le haïku et le tanka se sont rapprochés du vers libre ; de fait, le haïku de style libre peut être considéré comme une variété de vers libre. Dans le processus, ils se sont coupés des esthétiques et des valeurs morales pré-modernes. (…)

Mais le vers libre a aussi mis en lumière les points forts du haïku et du tanka. Parce que, sous certains aspects, ces formes ne peuvent pas faire concurrence au vers libre, elles ont été forcées de cultiver ce qu’elles peuvent faire de mieux. Comme les poètes modernes l’ont découvert, leur principale force est leur forme ouverte, non conclusive, et la capacité qui en résulte de présenter des pensées fragmentaires dans un langage fragmentaire. (…)

Seisensui sentait que le haïku pouvait exprimer un sentiment spontané avec toute sa spontanéité intacte. (…)

Nous voyons donc que le haïku et le tanka complémentent le vers libre et y trouvent ainsi leur raison d’être. Le vers libre japonais a, à son tour, été affecté par les formes traditionnelles. Un résultat manifeste en est la brièveté. (…) Il y a une manière simple d’expliquer la prédilection japonaise pour la brièveté. Une des explications peut avoir à faire, comme Akiko l’a montré, avec la tradition du lyrisme dans la poésie japonaise : des moments lyriques intensifiés ne peuvent pas durer très longtemps. Une autre explication peut être liée, comme Shinkichi l’a suggéré, à des éléments du zen dans la culture japonaise qui a promu un méfiance en la fonction expositoire du langage. (…) Le langage du vers libre japonais a été influencé par le rythme traditionnel des lignes de 5 et 7 syllabes en alternance. En fait, dans les années de formation du vers libre la plupart des poèmes étaient écrits dans cette structure syllabique, et même plus tard des poètes comme Kenji l’utilisèrent dans leurs vers libres. (…) A l’autre extrémité, il y  avait des poètes comme Sakutarô, qui évitait consciemment tout ce qui pouvait ressembler à la prosodie traditionnelle. Sakutarô ressentait que la répétition des lignes de 5 et 7 syllabes était trop monotone, qu’un tel rythme créait un sens de la vie journalière routinière, et était donc impropre pour la poésie moderne, qui, selon lui, devait s’élever bien au-dessus de la réalité journalière. Seisensui semblait être d’accord, mais dans son esprit, la structure syllabique en 5-7-5 représentait le conformisme et la dépendance envers les valeurs traditionnelles. (…)

Le fait demeure que les poètes pré-modernes n’essayèrent jamais sérieusement d’explorer le potentiel prosodique de la langue japonaise au-delà de la structure syllabique en 5 et 7 syllabes.

(p. 391 :) Le haïku et le tanka, étant des formes poétiques classiques, utilisaient encore  d’ordinaire la langue classique; cependant Seisensui et son groupe ont défendu avec consistance l’écriture du haïku en langue vernaculaire. Durant les premières années du XXè siècle, Takuboku utilisait déjà des phrases en langage familier dans ses tankas, et les expressions familières et les emprunts récents ont continué à envahir le haïku et le tanka, de sorte que, de nos jours, il n’est pas inhabituel de trouver des mots empruntés de l’anglais ou du français dans ces formes poétiques séculaires.

(p. 392 :) Le langage de la poésie japonaise s’est modernisé comme la vie au Japon s’est modernisée.

(p. 395 :) Sakutarô présagea aussi du destin de la poésie et prédit que les bibliothèques publiques relègueraient les livres de poésie dans un coin discret parce que peu de lecteurs y seraient intéressés. La poésie japonaise survivra-t-elle ? Il y a un siècle, Shiki posait cette même question et donna une réponse pessimiste. Cependant la poésie a survécu et a même proliféré, et il l’aida même en ce sens. Nous ne pouvons qu’espérer que l’histoire se répétera.

°

FIN de Modern Japanese Poets, éd. Stanford University Press, 1983, par Makoto Ueda, professeur de Japonais et Directeur du Centre des Etudes asiatiques à l’université de Stanford. Il est l’auteur de Ecrivains japonais modernes et la Nature de la littérature, duquel ce livre est une suite. 

°

(tr. (c) dp., Paris-Orly, 2016.)

Conclusion à « Poètes japonais modernes » : M. Ueda – 1/2

7 avril 2016

(Extraits des pp. 381-95. :)

(p. 381 :)  Nous pouvons discerner quelques tendances générales qui sont caractéristiques de l’âge moderne.
Dans le tanka pré-moderne, écrire sur la nature signifiait écrire sur les fleurs de pruniers, les coucous, ou les herbes de la pampa – objets qui transmettaient une beauté raffinée, élégante. Les poètes de haïkus élargirent ce royaume en incluant des corbeaux, des mauvaises herbes, etc. ; cependant, généralement parlant, ils hésitaient à s’aventurer en dehors des sujets qui étaient considérés  comme traditionnellement poétiques. L’introduction de la poésie européenne au Japon du début de l’âge moderne changea cette convention. (…) l’exposition au réalisme occidental commença à miner cette attitude.

(p. 382 :) La poésie japonaise commença à s’adresser à des sujets intellectuels. (…)

Bien que l’on continue d’écrire de nombreux haïkus et tankas, la poésie japonaise en est venue, en général, à tolérer la raison discursive jusqu’à un point jamais connu auparavant.

D’un autre côté, beaucoup de poètes japonais sont restés sceptiques à propos de l’utilité de l’intellect comme moyen de saisir la réalité ultime. (…) Dans l’opinion de Santarô, la poésie est pré-intellectuelle : ce qu’un poète ressent par intuition se vérifie par la raison plus tardivement.

(p. 383 :) Une des raisons pour lesquelles les poètes japonais préfèrent ne pas distinguer rigidement entre le soi et le monde extérieur est leur concept panthéiste de la nature. (…) Aucune des religions traditionnelles au Japon n’a conçu l’identité humaine distincte des autres existences dans la nature; l’homme a toujours été considéré comme faisant partie de la nature et par conséquent capable d’y retourner. Le résultat est qu’au lieu d’observer objectivement son sujet, et de tracer ses contours, on attend d’un poète de s’immerger dans la nature et d’en capturer la vie de l’intérieur. (…)

Seisensui et Kôtarô reconnaissaient une force de vie fondamentale qui coulait à travers l’homme et l’univers, et tous deux considéraient cette force comme étant la source d’énergie première pour des activités créatrices.
(p. 384 :) Un cas extrême est celui de Shinkichi, qui, en tant que bouddhiste zen, refusait de distinguer entre n’importe quel objet dans la nature. Sa maxime : « Fusionnez votre esprit avec la nature » caractérise l’idée typiquement japonaise de la mimêsis.

(p. 385 :) Le poète, qui est un agent passif au moment de l’inspiration, assume lentement un rôle plus actif à mesure que la composition progresse.

(p. 386 :) L’inspiration et la composition ne sont pas antithétiques, () le résultat est des plus satisfaisants quand le coeur de la composition aide à donner à l’inspiration la meilleure forme verbale qu’elle peut possiblement prendre.

(…) Kenji () pensait qu’un poème pouvait être révisé n’importe quand parce que, selon lui, il n’y avait rien de tel qu’une forme définitive en poésie, ou en quoi que ce soit d’autre; toutes choses, croyait-il sont éternellement en mouvement. (…)

Les poètes japonais modernes ont formulé de nouveaux concepts à propos du processus créateur; en pratique aussi, généralement parlant, ils ont suivi les méthodes pré-modernes d’écriture de la poésie. Ils ont cependant étendu significativement le rayon d’action des effets esthétiques créés par la poésie. De nombreuses ambiances traditionnelles persistent toujours : le « makoto » et la sobriété de Shiki, la vérité d’Akiko, le « kokoro » de Takuboku, la sincérité de Kôtarô et la naturalité et la simplicité de Seisensui, sont tous des variations sur des idéaux esthétiques chéris par les poètes japonais depuis des siècles. Cependant les poètes modernes ont aussi créé quelques ambiances largement méconnues de la poésie pré-moderne. Elles semblent se rassembler en quatre zones principales : le sublime, le vigoureux, l’instructif et l’intellectuel.

(p. 387)

La vigueur est l’antithèse de « aware » () C’est la beauté d’un animal sauvage sain opposée à la beauté de « aware », qui se centre sur l’évanescence de la vie. Ses implications sont plus humanistes et moins d’un autre monde. (…)

Ce que j’ai arbitrairement désigné par « l’instructif » se réfère à des essais d’édification du lecteur pour le pousser à l’action. (…) Une inclusion si insistante de messages politiques, sociaux et moraux était inconnue dans la poésie japonaise pré-moderne. (…)

La poésie moderne a souligné le contenu intellectuel à un degré inconnu des lecteurs pré-modernes. Traditionnellement, les poètes de haïku et de tanka exécraient la spéculation intellectuelle, préférant travailler avec des sentiments crus avant que la raison n’interfère. Les poètes modernes laissent à l’intellection plus de place dans leurs oeuvres.

(p. 388 :) Généralement parlant le vers libre est plus capable de s’accommoder de la raison discursive, par conséquent il en est venu à produire une sorte de poème philosophique complètement nouveau dans la tradition poétique japonaise. (…)

(à suivre…)