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Anthologie de la Poésie Japonaise – M. Revon – 9)
24 septembre 2020–
La kyôka, ou « poésie folle » est une tannka comique ; la kyôkou, ou « vers fous » , est pareillement une hokkou humoristique. Ce sont, dans le monde classique de l’outa ou de la haïkaï sérieuse, des plaisanteries d’autant plus piquantes que le fond contraste mieux avec la gravité traditionnelle de la forme, et même, très souvent, avec des morceaux connus dont elles constituent la parodie. La kyôka, inaugurée dès le XIIe siècle et développé ensuite au XVIe, s’épanouit pleinement, après la sombre période des guerres, pendant l’époque de joie tranquille qu’ouvrit la paix d’Iéyaçou ; la kyôkou, issue de la hokkou, apparut naturellement à cette même période d’Edo ; et toutes deux furent surtout en vogue dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
–
Kyôka :
–
Ce genre fut illustré, d’abord, par un certain Sorori, puis par le fameux humoriste Shokouçannjinn (1749-1823) = Sougimoto Shinnaémon, de son vrai nom Ohta Tann (connu aussi sous le nom d’Ohta Nammpo, avec un autre pseudonyme), par ses contemporains Ishikawa Gabo , 1753-1830, pseudonyme Yadiya Méshimori, et Katsoubé Magao (1753-1829) et par bien d’autres poètes.
–
Kyôkou :
–
Ces « vers fous » encore plus concis que les « poésies folles », sont presque toujours construits avec des jeux de mots – qui demanderaient de trop longues explications…
°
(À suivre : 10) – « La prose folle : Kyôboun » .
Anthologie de la Littérature Japonaise – M. Revon – 6)
23 septembre 2020°
En dehors des « Dix Sages » l’école de Bashô eut encore bien d’autres représentants, par exemple :
°
SAMMPOU (Songhiyama Sammpou, 1648-1733, parfois rangé, en place de Sôra, comme l’un des dix élèves du maître) .
–
Comme vont attendre ses enfants,
Pendant que s’élève si haut,
À l’excès, l’alouette !
°
IZEMMBÔ :
–
L’averse est venue ;
Je suis venu et rentré en courant ;
Le ciel bleu est venu !
°
TCHIGETSOU-NI * :
–
De paille d’orge
Je te ferai une maison,
grenouille religieuse !
–
* Tchigetsou-ni (1634-1706) fut une poétesse de valeur. Devenue veuve, elle se fit religieuse. On s’explique ainsi sa fraternité avec une amara-gaérou, grenouille verte dont le nom signifie justement » grenouille-nonne » .
°
OTSOUYOU :
–
Oh ! l’averse !
(Suivant) les esprits, les diverses
Choses qu’on se met sur la tête *
–
* : un vêtement, un éventail, un objet quelconque, souvent ridicule. C’est toute une scène comique évoquée en trois vers.
°
SHOUSHIKI :
–
Du rêve que j’ai vu
Réveillée, toujours la couleur
de l’iris ! *
–
* : Adieux au monde (jisei) de la poétesse (1683-1728) . Réveillée du rêve de la vie, c-à-d. morte, le monde subsistera et les iris auront éternellement la même couleur.
°
SONO-JO :
–
Ayant fait du luxe
À l’extrême,
Ah ! le vêtement de papier ! *
–
$ Ces vers de la poétesse (1665-1726) trouveront leur explication vivante dans une scène de TCHIKAMATSOU (cf p. 409)
°
ONITSOURA
(1661-1738), un poète indépendant, que Bashô lui-même tenait en haute estime. Étranger à toute école, il ramenait l’art poétique au seul précepte de la sincérité. Ses haïkaï unissent tous les genres et tous les styles :
–
L’été, de nouveau :
» L’hiver est préférable » ,
Disait-on.
–
De leurs squelettes
Le dessus ayant couvert,
Contemplation des fleurs ! *
–
* : Dans ces vers pénétrants, Onitsoura déshabille cette aristocratie aux costumes pompeux, aux corps épuisés, qui ose regarder la nature.
–
Encore une
Fleur : ainsi va et passe
la vie ! *
–
* : poésie composée à la vue des fleurs, qui, une à une, se détachent de l’arbre.
°
RYOUBAÏ :
–
Même lorsqu’il est posé,
Ses ailes s’agitent :
Oh ! la petit papillon !
°
(À suivre : 7)
Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô
22 septembre 2020°
pp. 389-93 :
–
Bashô eut de nombreux imitateurs, entre lesquels se distinguèrent surtout dix de ses élèves, les « Dix Sages » (Jittetsou) de l’école. Ce sont : Enomoto Kikakou (1661-1707) et Hattori Ranncetsu (1654-1707) qu’il faut ranger en première ligne parce qu’eux-mêmes furent à leur tour fondateurs de deux écoles nouvelles : d’une part l’école d’Edo (Edo-za) , d’autre part l’école de la Neige (Setsou-mon) ainsi appelée parce que Ranncetsou s’était donné encore le pseudonyme de Setchouan, « la hutte dans la neige » ; puis Moukaï Kyoraï (1643-1704), Morikawa Kyorokou (1652-1715), Kakami Shikô (1665-1731) ; enfin, comme poètes moins célèbres Naïto Jôçô (1663-1704), Shida Yaha (1663-1740), Kawaï Sôra (?-1709), Tatchibana Hokoushi (?-1718) et Otchi Etsoujinn (?-1702?)
°
Ranncetsou :
–
Ah, une feuille (morte)
Qui vient se reposer en caressant
La pierre tombale !
°
Kyoraï :
–
Le long sabre
D’un homme qui regarde les fleurs
Oh ! Qu’est-ce que cela ? *
–
* Contraste entre la vulgarité brutale du guerrier et les délicates beautés de la nature.
–
L’insensible
Résidence du daïkwan. Oh !
Et le coucou ! *
–
* Le chant poétique de l’oiseau, à côté du bâtiment officiel !
°
Kyorokou :
–
L’Île d’Awaji :
La (pêche à) marée basse étant finie,
La lune du troisième jour ! *
–
* Simple paysage.
–
Bien froid, l’intervalle avant que sèchent
Les points pour le moka :
Brise du printemps ! *
–
* Pour le traitement par le moka, les malades se rendaient d’ordinaire à un temple bouddhique ; là, nus jusqu’à la ceinture (…)
°
Shikô :
–
Oh ! Les blancs nuages !
Traversant la haie,
(Ce sont) des fleurs de lis ! *
–
* Les lis du voisin, passant à travers la haie mitoyenne, étaient d’abord apparus au poète comme une blancheur nuageuse.
°
Jôçô :
–
Une cigale de l’automne
Morte à côté
De sa coque vide
°
Yaha :
–
Oh ! le rossignol !
À la porte, juste à ce moment,
Le vendeur de tôfou ! *
–
* Ces marchands ont un cri qui n’a rien d’esthétique (…)
°
Sôra :
–
Le voyage…
Même si je tombe,
C’est sur des fleurs de Haghi ! *
–
* Lespedeza bicolor (proche du sainfoin).
°
Etsoujinn :
–
Au temple de la montagne
Le bruit du riz qu’on pile,
Par une nuit de clair de lune ! *
–
* Les paysans ménagers de leur temps utilisent volontiers, pour ce travail, la clarté lunaire.
°
À suivre : – 6) Autres représentants de l’école de Bashô
Anthologie de la Littérature Japonaise – 4) Bashô
22 septembre 2020–
À la mort de son compagnon d’enfance (le fils du Daïmyô local) quand il avait seize ans, « il s’enfuit pour aller se réfugier dans un monastère bouddhique » (…) Il fut toujours un mystique épris d’humilité, de pauvreté, de bonté universelle ; il eut constamment pour idéal d’amener les hommes à la haute morale qu’il avait atteinte (…) On comprend dès lors pourquoi ce genre mineur, qui, jusqu’à lui, n’avait eu qu’un caractère humoristique, reçut de lui une profondeur que ne connaîtront jamais les oeuvres des partisans de l’art pour l’art.
–
Par les nuages de fleurs,
La cloche : est-elle celle d’Ouéno,
Ou celle d’Açakouça ? *
–
* Les masses de cerisiers en fleur sur les bords de la Soumida forment un épais nuage rose, si dense qu’on ne peut plus distinguer si les vibrations de la cloche entendue viennent des temples d’Ouéno ou de ceux d’Açalouça.
–
Moineau, mon ami !
Ne mange pas l’abeille
Qui se joue sur les fleurs
–
Réveille-toi, réveille-toi
Je ferai de toi mon ami,
O papillon qui dors
–
Ah ! le vieil étang !
Et le bruit de l’eau Où saute la grenouille ! *
–
* Cette poésie célèbre évoque admirablement la paix d’un monastère japonais, avec son vieil étang, couvert de lotus, dont le silence n’est rompu que par la plongée d’une grenouille, de temps à autre.
–
D’huile
Manquant, couché la nuit. Ah !
La lune à ma fenêtre ! *
–
* Elle lui apporte sa brillante lumière.
–
Qu’il mange les serpents,
En apprenant cela, combien terrible
La voix du faisan vert ! *
–
* Kiji, le faisan vert du Japon. Phasianus versicolore. La beauté d’une femme n’excuse pas ses péchés.
–
Qu’elle doit bientôt mourir,
À son aspect il ne paraît pas,
La voix de la cigale ! *
–
* Adieu mélancolique de Bashô à un ami qui lui avait fait visite dans une hutte temporaire qu’il occupait, sur le lac Biwa.
–
Tombé malade en voyage,
En rêve, sur une plaine déserte
Je me promène !
°
À suivre : Anthologie de la Littérature Japonaise – 5) – Les « Dix Sages » de l’école de Bashô
Anthologie de la Littérature Japonaise – 3) par Michel Revon (1910)
22 septembre 2020Voici d’abord une poésie de chacun des cinq émules de Bashô :
°
I) SÔKAN :
–
À la lune, un manche
Si l’on appliquait, le bel
Éventail ! *
–
* Outchiwa, éventail qui ne se plie pas.
°
II) MORITAKÉ :
–
Une fleur tombée, à sa branche
Comme je la vois revenir :
C’est un papillon ! *
–
* Un proverbe japonais dit que « la fleur tombée ne revient pas à sa branche » ; la poète a eu, un instant, l’illusion contraire.
°
III) TÉITOKOU :
–
Pour tous les hommes,
Semence du sommeil pendant le jour :
La lune d’automne ! *
–
* Elle est si belle que tout le monde veille très tard pour la contempler : le lendemain, somnolence générale.
°
IV) TÉISHITSOU :
–
Cela, cela
Seulement ! En fleurs,
Le mont Yoshino ! *
–
* Les cerisiers de Yoshino, dont les gens de bien parlaient bien en regardant bien : Allusion à une poésie du Manyôshou (Livre Ie) qui repose toute entière sur des jeux de mots et des allitérations :
Yoki hito no
Yoshi to yokou mité
Yoshi to iishi
Yoshino yokou miyo
Yoki hito yokou miyo
–
Des gens de bien
Ayant bonne réputation, en regardant bien,
Disaient bien :
Qu’on regarde bien Yoshino,
Que les gens de bien regardent bien !
–
On note donc le contrepied pris par Téishitsou ! – À rapprocher de « Ah Matsushima » , de Bashô, ultérieurement.
°
V) SÔÏNN :
–
De Hollande
Les caractères s’étendent :
Telles les oies sauvages du ciel ! *
–
* À cette époque où le Japon ne voulait avoir de relations avec l’Europe que par l’intermédiaire de qualques Hollandais parqués à Nagaçaki, notre écriture était une rareté pour les gens de la capitale. Ils trouvaient étrange qu’au lieu d’écrire comme eux, par lignes verticales (…) nous suivions des lignes horizontales. Cette bizarrerie des « caractères de Hollande » pouvait donc leur rappeler, très naturellement, un spectacle familier à leurs yeux et à leurs souvenirs classiques : le vol d’une bande d’oies sauvages traversant le ciel.
°
À suivre : – 4) : BASHÔ (p. 385)
Anthologie de la littérature japonaise 1) Michel Revon (1910)
22 septembre 2020Kyōbun de Millau (4/5 Nov. 2008) :
°
Millau.
Sa Salle des Fêtes
dans le Parc de la Victoire.
Son Cimetière de l’Égalité.
Sa bibliothèque
(avec) son (exemplaire de l’) Anthologie de la Littérature japonaise des origines au XXe siècle,
par Michel Revon
(Ancien Professeur à la Faculté de Droit de Tôkyô,
Ancien conseiller-légiste du gouvernement japonais,
Professeur à la Faculté des lettres de Paris) ,
: Librairie Delagrave, 1910 (6e édition : 1928).
Son chapitre (p. 381) : L’épigramme japonaise : HAÏKAÏ
Son chapitre (p. 399) : La prose légère : Haïboun
Son chapitre (p. 400) : La poésie comique : Kyôka et Kyôkou
Son chapitre (pp. 404-5) : La prose folle : Kyôboun.
°
( À suivre : La Poésie (époque des Tokugawa, 1603-1868) : p. 381… )
°
Takahashi Shinkichi – 3)
3 mai 2018Shinkichi rejeta les formes fixes des versets, parce qu’elles lui semblaient trop restrictives.
Un de ses poèmes courts, intitulé « Mots » :
« Les mots peuvent être de toutes sortes,
la forme peut être de toute sorte, car
ce qu’il faut capturer n’est qu’un ;
cela n’a rien à voir avec les mots ou la forme. »
Si le poème saisit la vérité, Shinkichi se fiche éperdument des mots ou de la forme. Parce que la vérité est difficile – voire impossible – à saisir, il veut le maximum de liberté de choix dans ses essais de la rapporter.
La raison principale pour laquelle ses poèmes sont courts a probablement à voir avec sa grande estime d’un processus créatif d’inspiration. Comme nous l’avons vu, il croit qu’un poème doit être composé par la force de l’inspiration. Il considérait qu’un poème doit être le compte-rendu spontané de « ce qui flottait dans mon esprit comme un nuage dans le ciel. » Vraisemblablement l’inspiration, vision intuitive de la vérité, ne dure que peu de temps.
Le langage du haïku détruit délibérément les relations ordinaires entre les mots, de façon à ce qu’il puisse transmettre la vérité qui ne peut pas s’exprimer par des formulations logiques.
D’un point de vue du Zen, chercher la vérité au moyen du langage est aussi impossible que d’essayer de terminer la tour de Babel. Après tout, les mots sont un produit de l’esprit, et l’esprit-pensant ne représente qu’une partie – non essentielle – de la vie humaine.
Le Zen et le bouddhisme ont perdu beaucoup de leur attrait populaire dans les temps modernes. Le bouddhisme est devenu seulement une religion nominale pour beaucoup de Japonais.
Pour Shinkichi, la littérature est la plus utile quand elle aide les lecteurs dans leur quête de la vérité religieuse, même si elle ne peut le faire ainsi que par un moyen détourné. La littérature ne peut pas être plus qu’un substitut verbal pour la vérité, mais elle peut servir de catalyseur, un jour, dans leur quête. La poésie en particulier, peut fonctionner comme un kôan Zen grâce à sa capacité d’être plus illogique, plus provocatrice, et plus éloignée de la réalité quotidienne que la prose. Dans la manière de penser de Shinkichi, la poésie est la plus utile quand elle agit comme un kôan – quand elle plonge l’esprit du lecteur dans une sorte de méditation de type Zen.
Le moment meurt aussitôt qu’il est verbalisé. (…)
Même s’il échoue, le poète présentera tout de même une apparence du moment ou au moins un compte-rendu de ses efforts, et son essai pourra aider le lecteur dans sa propre quête spirituelle. Aux yeux de Shinkichi, là réside la seule utilité dont peut se prévaloir la poésie. »
: chapitre 8 de « Modern Japanese Poets » (« Poètes japonais modernes »), de Makoto Ueda, pp. 335-79.
Takahashi Shinkichi – 2)
3 mai 2018Il n’est pas facile de trouver des poètes à qui Shinkichi avait donné son approbation inconditionnelle, dans ses essais critiques, mais les deux qui s’en approchèrent le plus sont Bashô et Shiki. La raison principale, bien sûr, est leur connexion avec le Zen. Shinkichi admirait beaucoup les haïkus de Bashô, disant qu’ils incarnaient « l’âme la plus pure des Japonais. » Selon lui, Bashô put devenir un grand poète grâce à sa pratique du Zen avec le prêtre Butchô (1642-1715), dans sa jeunesse. « Bashô saisit le Zen avec l’aide de Butchô », observa Shinkichi. « Si l’on ne considère pas ce fait, aucune discussion sur les haïkus de Bashô ne peut avoir de valeur. »
L’essai de Shinchiki de relier Shiki au Zen fut plus frappant, parce qu’aucun autre érudit ne l’avait fait. Shiki lui-même écrivit des poèmes qui semblent pointer vers l’athéisme. Mais selon Shinkichi, Shiki apprit le Zen d’Armada Guan (1854-1904), un prêtre, auteur du populaire « Journal d’un pèlerin » (« Diary of a Pilgrim »). « Parce qu’il souffrait de mauvaise santé chronique, il n’apparaît pas qu’il ait pratiqué la méditation Zen », écrivit Shinchiki à propos de Shiki, » mais il est impossible de penser qu’un esprit aussi sensible que le sien ne fut pas inspiré quand il fut mis en présence du Zen. Je crois que la base de la pensée de Shiki n’était finalement rien d’autre que le Zen , la sorte de Zen qui remonte, à travers Guan jusqu’à Tekisui (1822-99), Gizan (1802-78) et Hakuin (1685-1768), tous prêtres japonais renommés, de l’école Rinzai du Zen.
Au XVII° siècle, le haïku devint associé au Zen. Le maître le plus admiré du haïku, Bashô, pratiqua le Zen dans sa jeunesse et l’incorpora dans sa poésie et sa poétique. Pour beaucoup de poètes qui suivirent, écrire des haïkus était une discipline spirituelle non dissemblable du Zen. Les haïkus, à leur tour, furent considérés comme une forme littéraire capable de suggérer l’essence du Zen.
(à suivre…)
« Une Histoire du Haïku » : R.H. Blyth – 20) Poètes de l’époque de Buson : Kitô, Shôha, Chora, Gyôdai, Shirao :
7 juin 2017(Chapitre XVIII, pp. 309-32 : « Poètes de l’époque de Buson« ) :
KITÔ (1741-89), élève de Hajin, de Taigi, de Buson :
Buvant de l’eau
mon ventre se distend
Quelle chaleur !
–
Frappant une mouche
l’éventail
se salit un peu
–
Algues marines
dans les creux des rochers
la marée oubliée
–
A chaque chose vue :
« C’est magnifique ! »
comme le printemps s’en va
–
Les jonquilles
sont couvertes de la poussière
de la fin de l’an
–
Le chant de la moisson de l’orge
se mêlent aux coups
du marteau du forgeron
–
Le rossignol
qui souvent ne vient pas du tout
vient parfois deux fois dans la journée
–
Le mendiant boiteux :
son visage insouciant
ce jour de printemps
–
Averse d’été ;
le cheval épuisé
revit
–
La voix de la cloche du temple
semble lutter
contre la bourrasque hivernale
°
SHÔHA (mort en 1771) :
Jour de l’an
Par la porte de la chaumière
un champ d’orge
–
Oiseaux piaillant
l’hôte de la nuit
seul semble se lever
–
Un brin d’herbe aussi
entre les pierres
se dessèche et meurt
–
Dans la moustiquaire
le plafond du temple est élevé –
solitude
–
La limace de mer
disant des choses tristes
à la méduse
–
Le vent d’automne
est blanc sur le visage de l’enfant
poudre de talc
–
Les ombres des libellules
qui passent dans un sens et dans l’autre
sur les murs blancs
–
La libellule
vient et se pose
au bord de mon riz
°
CHORA (1729-80). Il retourna vers la poésie et la simplicité de Bashô :
L’or terni –
les jeunes feuilles nous ramènent
aux temps anciens
–
Mon logis ;
des feuilles tombées
seulement sur l’arbre à ortie (nettele-tree)
–
Début de l’automne ;
les nuages blancs flottent en altitude :
on peut voir le vent
°
GYÔDAI (1732-92), élève de Hakuni. Rencontra Buson en 1774) :
Temps couvert –
les pruniers sont recouverts
de la poussière du soir
–
Cueillant une fougère,
je la donne
à l’enfant sur mon dos
–
La chauve-souris volette
autour de la lune
et ne la quitte pas
–
Une seule mouche
me tourne autour ;
confinement hivernal
–
Le jour s’achève
récoltant le champ d’hiver,
un homme seul
–
Venant de l’obscurité,
y retournant,
la limace de mer
–
L’aube du jour :
la pluie incessante
et la voix des insectes
–
Cassant une branche de prunier
le moine retourne
vers où les nuages descendent
–
Les fleurs s’assombrissent
mais la pivoine blanche
absorbe le clair de lune
–
Eté indien –
toute la journée le bruit de la mer
est lointain
–
La neige fondant,
un corbeau croasse
dans les montagnes nuageuses
–
L’année finit
et le vaste ciel
résonne du vent
–
Le jour s’assombrit
et une fois de plus
il commence à neiger
–
L’aube du jour ;
Des baleines mugissent
dans la mer glacée
°
SHIRAO (1735-92), élève d’Umei (disciple de Chôsui, disciple de Ryûkyo, disciple de Tentoku…) :
Son jisei :
Sortant aujourd’hui
je vis un hibiscus
se faner
–
Le petit cours d’eau
se cache dans les herbes
de l’automne qui s’en va
–
Faisant un feu
sous le nid des hirondelles ;
un soir de pluie
–
Souches et feuilles de verdure
de petits morceaux de glace
tombent du bec des poules
–
Portant un sanglier sauvage
sur la lande automnale,
les herbes de la pampa fleurissent
–
A l’odeur de la fleur de melon
le renard éternue
cette nuit de lune
–
Pluie froide d’hiver
l’homme réapprovisionnant les lanternes
parle aux cerfs
–
Jetant les torches,
les nuages des montagnes rougissent :
l’odeur du brouillard
–
Sur la poitrine du milan
brille la lumière des jours
proches de l’hiver
–
Les lames blanches
du sécateur :
une guêpe en colère
–
La marée du soir –
sous les saules
on trie les poissons
–
Un enfant malade
qui pleure dans la nuit
allant faire place au jour
–
Le soleil du soir
brille sur chaque noeud
des oeillets
–
La nuit
dans le jardin sombre
comme la pivoine est calme !
°
(A suivre : Chapitre XIX, p. 333)
« Une Histoire du Haïku » : R.H. Blyth – 19 : Taigi :
6 juin 2017(Chapitres XV et XVI = BUSON).
Chapitre XVII (pp. 289-308) :
TAIGI (1709-71) : « Le plus grand haijin, après les quatre grands. » Elève de Suikoku, de Keikiitsu :
Le voleur
rencontra un renard
dans le champ de melons
–
Larves de moustiques
dans l’eau stagnante
un jour ensoleillé
–
L’automne de l’orge ;
la poussière « ennuage »
la cloche de midi
–
Averse d’été –
revenant fermer la porte
de ma cabane
–
Un soir d’automne,
me posant des questions, y répondant,
faible et abattu
–
L’homme qui mangea du poisson-globe
récite le Nembutsu
dans son sommeil
–
Tuant un faisant ce jour,
maintenant me sentant déprimé –
soir de printemps
–
Jeunes pousses
croissant dans la rizière hivernale
désespérément
–
Cinq milles à la ronde
les cerfs-volants dansent
à marée basse
–
Sur le pas de la porte
la tortue entra en trébuchant –
l’eau du printemps
–
Début de l’automne
après le bain
un sentiment de lassitude
–
Fidèle à la coutume
la vieille femme se maquille
le jour du changement d’habits
–
Eclairs et coups de tonnerre !
Des navires coulés
la voix des fantômes
–
L’automne mourant,
la crête-de-coq se tient là
sa tête seule glorieuse.
–
Toutes les étoiles
apparaissent
Ah, quel froid !
–
La véranda est humide
et déserte :
pluie d’automne.
–
Lune croissante ;
assis dans le bateau
le clair de lune dans mon giron
–
Une douce odeur
de quel arbre ?
Le bocage estival
–
Dans le brouillard de montagne
des gardiens du sanctuaire :
le son des conques
–
Les cerfs-volants sont blancs
dans le brouillard vespéral
au-delà de la tranquillité
–
Soir au temple
la poussière est toute
fleurs de cerisiers
–
Je rencontrai une femme
pick-pocket
sous la lune voilée
–
La voyageuse
porte son kimono ourlé
avec presque trop d’allure
–
A une auberge lors d’un voyage
des fleurs de glycine
laissées fanées dans le vase
–
Une pauvre chaumière
à travers le kotatsu
souffle aussi le vent
–
A l’aube
une femme s’en revient –
des pluviers pleurent
–
« Avec Taigi, le haïku est, ou devrait être la vie elle-même, ni plus, ni moins. »
°
(A suivre : Chapitre XVIII : « Poètes à l’époque de Buson« .)