Archive for the ‘peinture’ Category

Compte-rendu du 129e kukaï de Paris

10 septembre 2017

du 9/9/17. En présence de Janick Belleau, notre invitée d’Honneur (Québec), de Martine Gonfalone, (ex-présidente de l’AFH – 2010-16), de Pasquale Noizet, nouvelle venue, soit de 28 (!) participants au total – record battu ! – , 56 haïkus ont circulé, 36 d’entre eux ont obtenu une voix ou plus :

°

Avec neuf (9) voix :

nouveaux voisins

des bulles de savon

traversent la clôture

: Christiane Ranieri.

°

Avec huit (8) voix :

Fin du marché

le marchand de collants

remballe ses jambes

: Monique Junchat.

°

Avec quatre (4) voix :

fin d’orage

elle ouvre sa fenêtre

au chant du merle

: Cécile Duteil ;

herbe jaunie

dans les yeux du chat

la lassitude

: Danièle Duteil ;

papillon –

le chat vole

pour l’attraper

: Valérie Rivoallon ;

Paris by night –

Les gouttes de pluie du pare-brise

passent au vert

: Daniel Etienne-Georgelin.

°

Avec trois (3) voix :

dans le sens des retours

les têtes noires

des tournesols

: Eléonore Nickolay ;

En jachère

le champ est plein

d’imagination

: Monique Junchat ;

Sous le ciel plombé

une voix de jeune fille

« Toi, ta gueule ! »

: Danièle Duteil ;

vieux cimetière –

entre deux stèles

l’ombre d’une poussette

: Minh-Triêt Pham.

°

: soit 9 haïkus féminins au 10 premières places ! Bravo les filles !

°

Avec deux (2) voix :

canicule chez le coiffeur –

une pluie rafraîchissante

de cheveux blancs

: Antoine Gossart ;

don à Emmaüs –

dans la veste de mon père

des pièces d’un franc

: Philippe Macé ;

la vieille carcasse –

une jolie bergère

pour l’ami tapissier

: Jacques Quach ;

mariage au Louvre –

le sourire de la mariée

énigmatique

: Philippe Macé ;

Nouée d’herbes folles

la borne moussue

n’indique plus rien

: Nicolas Lemarin ;

nuit d’été

une chouette se mêle

de nos bavardages

: Eléonore Nickolay ;

paix en montagne –

seule la radio témoigne

du chaos du monde

: Antoine Gossart ;

Plage – le soir

Jeux d’enfant et de lumière

dans les éclaboussures

: Monique Leroux Serres

Rêve de Maldives –

Seule dans le couloir bleu

De la piscine

: Christiane Bardoux ;

sous le noyer

les fourmis la croient morte

– fin de l’été

: Valérie Rivoallon ;

Tango !

Un petit paradis

Sur pieds

: Catherine Noguès ;

Zen en Avignon

les cigales récitent

leur mantra

: Philippe Gaillard.

°

Avec une (1) voix :

Bientôt l’automne

Le vent emporte les feuilles

Et mes rêves…

: Leila Jadid ;

braver les épines –

tendues vers les mûres

ses petites mains

: Michel Duteil ;

Couché dans l’herbe

Son sourire de paille

Ecarte les nuages

: Catherine Noguès ;

crématorium

les larmes de joue en joue

: Patrick Fetu ;

échangistes

sur le pont du bateau

couples de photographes.

: Marie-Alice Maire ;

Foudroyé –

Le côté mort soutient

les branches aux prunes

: Danièle Etienne-Georgelin ;

jour anniversaire –

il enflamme ma crêpe

et mon coeur

: Christiane Ranieri ;

le ciel

carré entre les tours

pour l’infini – l’oiseau

: Lise-Noëlle Lauras ;

Manège bâché

quelques flaques de pluie

l’enfant boude

: Nicolas Lemarin ;

mouette railleuse –

descendant les ruelles blanches

le bleu du soir

: Cécile Duteil ;

plage naturiste –

se cacher derrière

ses lunettes de soleil

: Minh-Triêt Pham ;

Seul regard de réconfort

Celui de la statue…

: Leila Jadid ;

soir d’été

le bruissement des blés glisse

sur le silence

: Philippe Bréham ;

Sur le canapé

deux brindilles argentées –

du chat les vibrisses

: ?

°

Après l’introduction « bio-biblio-graphique » de Janick, de Martine, de Pasquale, différents ouvrages ont été présentés dont certains de Janick Belleau et de Danièle Duteil, de Christiane Ranieri, de Valérie Rivoallon, de Minh-Triêt Pham, de Patrick Fetu, de Daniel Py et du kukaï de Paris (: 2 anthologies, 2010, 2014).

Christiane Ranieri nous fit part du premier kukaï alsacien (co-organisé par Jean-Paul Gallmann), qui aura lieu les 20 et 21 octobre prochain – Si vous êtes intéressé(e), rapprochez-vous d’elle pour les détails et modalités !

Pasquale Noizet nous a distribué un dépliant pour les Portes Ouvertes des artistes de Ménilmontant (dont elle fait partie, en tant que peintre) qui se tiendra entre le 29 septembre et le 2 octobre.

Notre amie peintre-plasticienne Véronique Arnault (absente au kukaï) nous avait fait part de son exposition « Promenade avec Jean Monnet » (« fondateur de l’Europe ») du 15 septembre au 12 octobre, à la Maison Jean Monnet de Bazoches sur Guyonne (78), avec le vernissage le samedi 16 sept. 2017, de 17h à 20 h. S’inscrire auprès d’elle sur https://jean-monnet.fr/.

Nos prochains kukaïs auront lieu les samedis :

14 octobre 2017

18 novembre

2 décembre (en présence de Jeanne Painchaud, du Québec.)

°

 

Noir et blanc

22 janvier 2017

« Si vous photographiez les gens en noir et blanc, vous photographiez leur âme. Alors qu’en couleur vous photographiez leurs vêtements. »

: Ted Grant, photo-journaliste canadien.

 

Si vous ornementez votre haïku, vous êtes dans le paraître…
Si vous le dépouillez, vous vous approchez de l’être.

 

« La poésie d’autres écoles est comme une peinture en couleurs.
Dans mon école, on devrait écrire la poésie comme si c’était une peinture en noir et blanc. »

: Bashô (1644-1694).

 

 

Ogiwara Seisensui 9/19 – pp. 300-2.

27 mars 2016

(…/…)

Le poète verbalisa immédiatement la situation dans les mots les plus simples possibles, parlant de lui-même à la première ligne et à propos de la nature sur la deuxième. Il mit les deux lignes côte à côte et obtint un haïku de style libre.
Il va sans dire que la division esprit-nature qui existe au stade initial du processus créatif est moins claire dans beaucoup de haïkus achevés parce que les objets de la nature sont souvent employés littéralement ou métaphoriquement, ou les deux. Le haïku suivant de Santôka consiste d’images seules :

dans ma sébile aussi

des grêlons

Un orage de grêle a éclaté alors que le poète-mendiant se pressait au bord d’une route un jour d’hiver. De petits grêlons tombèrent dans la sébile qu’il tenait; ils avaient l’air de grains blancs de riz donnés par les bienfaiteurs qu’il avait rencontrés. Instantanément l’inspiration le frappa : les grêlons étaient un cadeau du plus grand des bienfaiteurs : le ciel. Seisensui présuma : « avec une âme d’enfant, le poète tendit le bol de métal et reçut ce qui tombait du ciel. » L’esprit du poète s’était joint à sa sébile.
Un exemple séculier, par Seisensui lui-même :

chaumières :

neige

tombante

s’amassant

Expliquant comment il écrivit ce poème, Seisensui dit qu’il regardait la neige tomber, l’esprit vide. Des pensées fragmentaires se succédèrent dans son esprit : « Oh, la neige tombe – tombant sur des maisons couvertes de chaume – oh, s’entassant » Quand la « transe » fut achevée, il réalisa que sa respiration avait été parfaitement unie au rythme de la neige tombante. Il essaya de noter l’extase, telle qu’elle s’était produite, et ainsi naquit ce poème.

Ce que Seisensui appelle « FERTILISANT », dans Une Nouvelle Introduction au Haïku, peut être interprété comme un moyen d’aider les poètes amateurs à atteindre l’esprit-haïku. Par « fertilisant » il voulait dire des livres, particulièrement des recueils de haïkus par les maîtres poètes du passé. Le conseil de lire est surprenant de la part d’un poète si farouchement indépendant, mais son intention principale était d’aider les poètes-à-venir à découvrir comment des générations de poètes de haïku s’étaient immergés dans la nature. Pour lui, l’essence du haïku – en fait, de la culture japonaise – est en étroite relation avec la nature. Dans Une Nouvelle Introduction au Haïku, il fit une généralisation audacieuse à propos de l’identité de la culture japonaise :

« En général, les Occidentaux croient que « la nature » est opposée à « l’homme », que la volonté humaine doit résister à la force de la nature. Regardez leur architecture. Une maison occidentale est construite solidement, de façon à résister à l’assaut des éléments. Ses murs sont épais, ses fenêtres petites. Par contraste une maison japonaise est soutenue par de minces piliers et fermée par des portes coulissantes » * 

* Une maison japonaise traditionnelle a moins de murs extérieurs que sa contrepartie occidentale. A la place d’un mur il y a un assemblage de portes coulissantes, appelé « amado » ou « portes d’orage », qui est fermé la nuit et les jours d’orage.

« Quand les portes s’ouvrent, le vent souffle librement à l’intérieur et à l’extérieur. Ce qui sépare l’intérieur de l’extérieur n’est rien de plus que des écrans de papier que nous appelons « shôji ». Nous n’avons jamais peur de la nature, nous sentons que la nature est notre amie. Pour prendre un autre exemple : regardez les vêtements occidentaux qui couvrent le corps comme des armures; c’est comme s’ils avaient peur d’exposer leur peau. Les kimonos japonais ont des manches grandes ouvertes et sont plutôt lâches en bas. Les habits occidentaux sont faits pour protéger l’homme de la nature; les nôtres sont faits pour nous décontracter dans la nature. C’est la même chose pour les habitudes culinaires. La nourriture occidentale est placée sur la table seulement après qu’elle soit morte et absolument sûre. Au Japon, beaucoup plus de choses sont mangées vivantes, comme du poisson cru. Plus la nourriture est fraîche, plus nous l’apprécions. Ces faits prouvent encore qu’à l’Ouest la nature brute est considérée comme dangereuse, tandis qu’au Japon les gens n’ont pas peur de la nature et s’en font une amie. »

Le haïku illustrait ce trait culturel japonais, continuait Seisensui. Son contraste entre les cultures japonaise et occidentale, avec ses exemples arrangeants et ses généralisations hâtives n’est que trop familier, mais le passage aide à expliquer pourquoi, pendant tant d’années, il maintint si inflexiblement que sa poésie était du haïku et pas du vers libre. Il considérait que le vers libre était un produit de la culture occidentale, et il ne voulait pas que sa poésie y soit associée. Pour la même raison, il voulait que les étudiants débutants lisent les classiques du haïku et les utilisent comme « fertilisants » pour aider à cultiver leur « esprit-haïku ».

Seisensui déconseilla de lire sans discrimination les livres célèbres du haïku, parce qu’il pensait que certains poèmes classiques célèbres ne capturaient pas le moment-haïku vital. Il critiquait fréquemment Buson et Shiki pour cette faute. Bien qu’il fût fort au courant de leurs talents poétiques et qu’il leur vouât souvent un grand respect, il sentait qu’ils écrivaient trop souvent en tant que spectateurs, laissant rarement leurs esprits se fondre dans la nature. Par exemple, il n’aimait pas ce poème bien connu de Buson :

la pivoine tombe –

posés l’un sur l’autre,

deux ou trois pétales

Il admettait que c’était magistralement écrit, mais sentait que cela manquait de vitalité. Expliquant la raison de sa critique, il déclara : « Le poète travaille si durement à peindre la pivoine qu’il devient l’esclave de son propre dispositif… avec pour résultat qu’il réussit à créer une image intéressante de la pivoine, mais échoua à absorber sa vie dans son esprit propre. » Quelque part ailleurs, Seisensui cita huit autres poèmes de pivoines de Buson, qui ne montraient aucune trace de l’homme Buson. « Dans mon opinion », continua-t-il, « ce sont des peintures et non de la poésie. Les haïkus, étant de la poésie, devraient révéler le moi du poète. Ils devraient contenir le sens d’une union entre le sujet et le moi du poète. »

 

(à suivre…)

« Un chemin vers le haïku » de Ion Codrescu

4 février 2016

« Un chemin vers le haïku »

de Ion Codrescu

in Round the Pond, éd. Muntenia (Roum.), 1994, pp. 157-8.

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Quelques personnes me demandent pourquoi j’écris des haïkus, et je me suis posé moi-même la question, il y a de nombreuses années, comme je voulais savoir si j’avais le droit de composer ce poème japonais. En tant qu’étudiant au Lycée de Musique et d’Arts Plastiques de Constantza, ville roumaine de la côte de la Mer Noire, j’avais la possibilité de regarder des albums contenant des peintures japonaises. Dès le début je fus fasciné par l’originalité et les caractéristiques inhabituelles de la peinture japonaise; j’étais étonné de constater une autre relation entre l’homme et la nature, plutôt différente de celle rencontrée dans la peinture européenne. J’étais attiré par sa composition asymétrique, par une certaine corrélation entre plein et vide, caractères concret et suggestif, touches élaborées et spontanées. Au fil du temps mon intérêt pour la peinture à l’encre japonaise s’accrut. Quand je lus pour la première fois des haïkus et vis que les poèmes révélaient les mêmes simplicité, suggestivité et naturel que les peintures à l’encre, je fus conscient, à ce moment, qu’une nouvelle manière d’admirer et de comprendre la nature m’influencerait.

Je pratique la peinture à l’encre depuis environ vingt ans, alternant travail d’artiste et lectures de haïkus. Je fus tenté d’écrire des haïkus à cause des concepts spécifiques au genre : kigo, mono-no-aware, karumi, wabi, sabi, avaient commencé à m’être familiers. J’étais heureux comme un enfant qui découvre de nouvelles choses. Un jour, en pratiquant la peinture à l’encre et ses lignes essentielles, essayant de suggérer la forme plutôt que de donner les détails, j’eus soudain l’impression que l’atmosphère de ma peinture était semblable à celle d’un haïku lu quelques jours auparavant. Puis, j’essayai de remplacer les traits d’encre et les taches par des mots, afin de créer un nouveau haïku. Ce passage de la peinture au haïku fut spontané, comme mon expérience artistique m’aidait à comprendre le haïku beaucoup plus facilement et me permettait d’exprimer les éléments visuels avec plus d’exactitude. En même temps, l’univers de ma peinture s’enrichit de l’esthétique et de l’esprit du haïku. En conséquence, mes dessins devinrent plus spontanés, naturels et poétiques. Ces deux activités, pratiquées alternativement, représentent deux aspects de ma recherche artistique.

Il est possible que mon intérêt pour le haïku ait été favorisé par la culture roumaine qui a assimilé et synthétisé les influences étrangères, donnant une interprétation originale aux modèles occidentaux ou orientaux. Même le fort vent du nord s’affaiblit sur la terre de la côte de la Mer Noire.

Dans notre folklore, la nature est un endroit de communion spirituelle, où l’homme partage tristesses et joies avec la lune et le soleil, les arbres et les fleurs, les rivières et  les montagnes. La Doina était un des genres roumains qui cultivaient la relation entre homme et nature  en utilisant d’autres formes poétiques que le haïku. L’existence de ce dialogue traditionnel (homme-nature) dans notre poésie nous rendit réceptifs au haïku comme il présente un thème similaire.

Quelqu’un pourrait nous demander si les principes esthétiques européens de mimesis, poesis et catharsis ne contredisent pas les catégories esthétiques du haïku. Ma propre expérience artistique peut renforcer cette idée que les principes ne m’empêchent pas de comprendre le haïku, au contraire, ils élargissent mes horizons culturels.

La présence du haïku dans la création littéraire de beaucoup de poètes non-japonais du XXè siècle démontre qu’il n’est plus seulement un genre poétique japonais. Depuis qu’il a franchi les frontières de son pays natal, il a défié non seulement le temps mais aussi les limites des langues dans lesquelles il s’écrit aujourd’hui. Même si le roumain et le japonais sont des langues différentes, le roumain m’offre assez de possibilités stylistiques pour écrire du haïku et pour le faire connaître dans mon pays, parce que notre langue a de la musicalité et que les mots ont une grande variété de sens.

La tradition de ce poème nous dit que nous devons partager la joie d’écrire des haïkus avec d’autres. Suivant cette tradition, j’ai parlé  du haïku avec mes étudiants, et avec des adultes intéressés par la connaissance de ce genre. Me souvenant des oeuvres de Bashô qui dévoilent l’idée de ne pas être seul en voyage, j’ai créé la Société de Haïku de Constantza, en Roumanie. En 1992 j’ai aussi créé la revue Albatross (éditée en roumain et en anglais) et le Festival International de Haïku de Constantza.

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(Cet article parut d’abord dans Haiku International n° 7, 1993, Japon.)

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papier blanc – / une fourmi cherchant un / marque-page

un chrysanthème éclaire / le jardin assombri / à lui seul

la surprise de mère / dépoussiérant la vieille icône – / le son d’une cloche

: Ion Codrescu (traduit en anglais par Mihaela Codrescu.)

(tr. fr. dpy, janvier 2016)

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Ion Codrescu : « Round the pond »

10 décembre 2015

Round the Pound : une anthologie compilée par Ion Codrescu (éd. Muntenia, Constantza, Roumanie), 1994.

Préface de Ion Codrescu :

Après l’influence des estampes japonaises sur la peinture impressionniste et post-impressionniste en Occident dans la deuxième moitié du XIXè siècle, une autre forme artistique, venant aussi du Pays du Soleil levant, qui se manifesta cette fois par la poésie – haïkaï, hokku ou haïku -, attira l’attention d’écrivains européens.

Soit que l’oeil n’ait pas besoin de « traductions » pour comprendre le langage visuel des gravures japonaises et que la leçon de l’esthétique japonaise soit passée directement comme de l’air frais à travers la fenêtre des innovations promues par Manet, Degas, Monet, Van Gogh, Gauguin, Toulouse-Lautrec, la voie du haïku dans la poésie mondiale fut plus discrète et plus lente, comme la langue japonaise représentait un obstacle insurmontable pour les étrangers. Les premiers qui « transplantèrent » cette poésie au-delà des frontières de l’archipel nippon furent quelques écrivains européens qui connaissaient le japonais. Les traductions, les anthologies de poésie japonaise, les études de quelques critiques littéraires, les associations et revues de haïku, les volumes de poètes non-japonais furent les moyens par lesquels le haïku se fit connaître dans la littérature occidentale.

Bien que des poètes connus du XXè siècle écrivirent des haïkus (Claudel, Séféris, Machado, Paz, Rilke) et qu’ils soient étudiés dans les écoles primaires, collèges et universités de quelques pays, qu’ils soient lus à la radio ou à la télévision, qu’ils soient analysés dans des congrès et festivals internationaux, qu’ils possèdent des maisons d’édition spécialisées, cette forme poétique est encore méconnue. Quelques dictionnaires et histoires des littératures font des commentaires à son propos, mais peu de critiques y prêtent attention et peu de magazines littéraires consacrent colonnes ou pages au haïku. Il y a encore des éditeurs, des critiques, des poètes qui ne l’acceptent pas, parce qu’ils ne le comprennent pas, ou parce qu’ils pensent que le haïku ne doit être écrit que par des Japonais. Le sonnet n’a-t-il été écrit que par des Italiens, le ghazel que par des Arabes et les psaumes que par des Juifs ? D’où vient cette interdiction ? La poésie est comme un oiseau libre qui ne connaît pas de frontières, comme des graines portées par le vent, qui grandissent, fleurissent et portent fruits là où elles trouvent de la bonne terre sans demander la permission à quiconque.

Qui lit du haïku pour la première fois et est habitué au poème occidental dira que certains mots ne sont pas poésie, que les quelques traces de pinceau de l’estampe « Aveugles traversant un pont » de Hakuin ne peuvent pas être comparées avec celles de « La parabole des aveugles » de Bruegel, même si l’art est de grande qualité à la fois dans l’estampe japonaise et dans la peinture flamande. Le drame est le même et il nous impressionne également, même si un artiste n’utilise que quelques nuances d’encre et l’autre de nombreuses couleurs. L’estampe de Hakuin contient un poème dans sa partie supérieure, qui, dans une traduction libre, dit que la vie intérieure et le monde éphémère sont comme un pont de bois pour des aveugles, et que l’esprit est le meilleur guide pour les franchir. En vérité, l’esprit des formes peintes par les deux grands artistes irradie, dépasse les différences techniques telles que laperspective spatiale, la composition, le rythme plastique et atteint le spectateur, lui parlant en le touchant, peu importe qu’il vienne d’Occident ou d’Orient.

Le haïku sera-t-il, plus de trois cents ans après la mort de Bashô, un catalyseur pour la poésie occidentale, comme l’estampe japonaise l’a été pour la peinture à la fin du XIXè siècle ? Le fait qu’il ait survécu mieux que d’autres formes poétiques maintenant oubliées, que dans de nombreux pays des poètes cherchent à en comprendre l’esprit en dépit de l’opacité de quelques uns et la cécité de certains autres envers cette miniature lyrique, que Léopold S. Senghor considérait comme « le plus beau poème au monde », nous incite à poser cette question. L’Occident s’approcha de l’esprit poétique japonais il y a quelques années, si on pense aux renga écrits du temps de Bashô et à l’explication par Edgar A. Poe du poème long : « Ce que nous appelons un poème long est en fait simplement une succession de poèmes brefs – c’est-à-dire de brefs effets poétiques… » Le caractère visuel, l’image concrète, l’impression fraîche, abrupte et non ornée révélés par le renga et le haïku attirèrent les poètes Imagistes vers la poésie japonaise. En 1917, Ezra Pound écrivit que la poésie devait être sans tapage rhétorique ni débauche luxuriante; elle devait être dépouillée et directe.

Bien que le haïku soit, peut-être, le poème le plus court de la littérature mondiale, bien que sa forme soit simple et vous donne l’impression que tout le monde peut l’approcher, sa première lecture laisse beaucoup de personnes indifférentes et déçues, comme elles n’y trouvent pas les éléments de la poésie occidentale – la réalité est cependant bien différente. Derrière cette simplicité il y a toute une esthétique que ne peuvent apercevoir que ceux qui croient que la poésie est quelque chose d’autre que ce qu’une Europe anthropocentrique nous a enseigné.

Pour suggérer un paysage, une image, ou un instant, juxtaposer deux ou trois images en peu de mots signifie maîtriser une technique d’écriture qui peut difficilement s’acquérir. Roland Barthes écrivit dans L’Empire des signes que « le haïku semble donner à l’Occident des droits que sa littérature refuse de lui donner… » parce que ce poème ne décrit pas, n’interprète pas une impression, un certain état d’esprit ni une émotion, mais qu’il les présente directement, en évitant les abstractions, les métaphores, les comparaisons et les épithètes. Le haïku est le poème des noms ou un « poème sans mots », comme l’appelle Alan Watts.

Qui cherche des éléments de rhétorique dans le haïku sera déçu; des mots simples, des choses simples, des fragments d’un tout qui est seulement suggéré. Qui compte les syllabes sera étonné de voir que certains poèmes, même classiques, sans parler des créations modernes ou contemporaines, ne respectent pas cette règle formelle des 5-7-5 « onji », les « syllabes » japonaises.

Quelquefois, en Occident, certains niveaux de compréhension du haïku passent aisément ou difficilement, et sont souvent accentués. Depuis l’antiquité, les Européens se sont nourris de l’aphorisme de Protagoras : « L’homme est la mesure de toutes choses ». Cet anthropocentrisme, promu par un philosophe contemporain de Périclès, a pénétré la culture européenne depuis deux mille ans, l’éloignant du cosmocentrisme oriental. Il est important non de noter les différences ni de les souligner, mais de sentir que l’Orient et l’Occident sont les deux piliers du pont sur lequel passe toute la civilisation, parce que les liens, la passerelle même, en tant que telle, la communication et la compréhension sont plus importants que les différences que certains accentuent délibérément. Qui peut nier les influences mutuelles entre l’Orient et l’Occident ? Qui peut défendre à Seiji Ozawa de diriger de la musique symphonique occidentale, ou aux chanteurs de l’opéra de Cine de jouer le répertoire italien ?

Mariko Aratami, dans une interview de Lequita Vance publiée dans la revue américaine « Lynx », l’année dernière – qui lui demandait quels mots de sagesse elle pouvait offrir aux Américains et aux Européens s’efforçant d’être fidèles à l’esprit du haïku, du tanka, du rendu, mais désireux d’être aussi en phase avec cette époque et la culture occidentale -, répondit : « Je suis une musicienne japonaise de jazz. Pourquoi devrais-je, en tant que Japonaise, être très à l’aise en m’exprimant à travers une forme de musique afro-américaine ? La réponse est la même pour des Occidentaux qui choisissent des formes japonaises de poésie. La réponse est, il me semble : « si cela vous dit », alors, pratiquez-les.

Si l’esprit de la forme poétique est en vous, alors, ne vous en faites pas à son propos. Si vous devez vous en inquiéter, c’est que vous n’en avez probablement pas l’esprit. »

Round the Pond (« Autour de la mare ») est né suite à mes correspondances avec des gens qui écrivent du haïku. Je les ai invités à former ensemble un livre dédié à Bashô. Je leur ai dit qu’ils étaient libres de choisir leur sujet. Chacun(e) a donc envoyé ce qu’il/elle a considéré le plus seyant pour cette anthologie : une pensée, un article, un haïbun, un essai, un commentaire littéraire par rapport à quelque(s) poème(s), une lettre, un souvenir, un poème lié… Même s’ils diffèrent par la forme et la longueur, ces textes ont quelque chose en commun : ils sont remplis de l’esprit du haïku.

Nous n’avons pas voulu faire une édition critique sur le haïku ou l’oeuvre de Bashô, comme certains auteurs présents ici ont écrit des livres remarquables, connus et appréciés dans le monde entier. Nous souhaitions que ce soit un livre au coeur du haïku, une anthologie de poèmes et de textes qui actualisent la tradition japonaise de dialogue à travers la poésie, même si l’un est un auteur célèbre et l’autre un débutant, un maître ou un élève, comme Bashô le fit avec les écrivains japonais de son époque. Le génie de ce poète nous inspira pour rassembler toutes ces contributions, comme les « strophes » d’un renga. Chaque poète(sse) écrivit son « verset » après le thème présenté par son précédent partenaire, mais quelquefois en changeant de sujet, comme le demande une des règles du renga.

On dit que pour écrire un poème enchaîné, le groupe de poètes, le maître – sôshô – le secrétaire – shûhitsu – et l’hôte, pensèrent beaucoup avant de trouver l’endroit, la table de travail, ou le moment pour tenir la réunion. Une certaine quantité de lumière filtrée par le paravent de papier, la présence de la lune dans le paysage montagneux, ou les murmures d’un cours d’eau perçu depuis un pavillon ouvert sur la nature n’étaient pas indifférents pour les écrivains de haïku. Même si dans notre siècle pressé on ne peut plus respecter cette scénographie, l’esprit du haïku ou du renga écrit à l’époque de Bashô nous est parvenu à travers son long voyage. N’est-ce pas Bashô qui nous dit, dans ses journaux de voyage, que tout est voyage ? Maintenant, grâce à ce livre, le poète est avec nous, dans l’ancienne Tomi, au bord de la Mer Noire, où un autre grand poète du monde, Ovide, écrivit ses Tristes et Ex Ponto. Si l’ancien poète latin considérait le Pont Euxin comme « le bout du monde », en 1994, maintenant, quand nous célébrons Bashô à travers cette anthologie et la deuxième édition du Festival International de Haïku de Constantza, la vieille Tomi deviendra, pendant quelques jours, la capitale du haïku mondial.

Comme nous n’avons pas respecté maintes règles spécifiques du renga dans notre « poème lié » – Round the Pond – , nous souhaitons nous excuser auprès de Bashô et demandons au lecteur d’ouvrir ce livre dans la solitude, quand l’esprit du haïku peut être accueilli. Si, à ce moment-là, par hasard, vous entendez le vent, essayer de l’écouter. Il vous parlera du haïku.

 

: Ion Codrescu

(traduit en anglais par Mihaela Codrescu)

(trad. fr. : dpy – janvier 2016.)

 

 

Haïkus, senryûs, kyôkus, etc. Py – Nov. 15 – 1):

3 décembre 2015

°

grenouille,

bredouille

– l’étang dort

l’étang dure –

Lola (la grenouille) se détend

(Lola) se défend

au saut élastique

 

La grenouille se détend,

ressort…

, se détend, s’allonge

, quelle cuisse !

La cuisse (légère ?),

aérienne !

: Etang-tatives,

étang-tations

°

(pendant ce temps-là)

le jour monte,

hausse ses couleurs, *

1er novembre.

* (hisse les couleurs…)

°

tous les premiers mercredis du mois

une minute 41 de sirène à midi

(me dit le calendrier

des sapeurs-pompiers

si la si rè

ne retentit

: fermez les fenêtres

ouvrez la radio

°

« Pour avoir des lèvres de rêve » :

la labiaplastie

ou nymphoplastie

°

Suites de son opération :*

son visage-

Halloween

* : infection,

°

L’arbre à cons…

– Vérifions si nous y sommes !…

°

Les escargots *

caracollent au plancher

* = « caracol » (: esp.)

°

De l’ogre d’Halloween

à l’orgue de la morgue ?

– Toussaint

Toussaint,

la paix des mores ? *

* / la paie des morts… /

°

… de gros grains de raisin blond…

°

balcon nogentais :

une table, deux chaises

reçoivent

la pluie

°

(Kyôku :)

Les mots du haïku

ne sont pas là pour meubler

/ combler… le vide,

… mais pour le mettre en valeur… (?)

°

un mille-pattes

luit sous le lampadaire –

lune noire dans trois jours

°

Le monde sera-t-il plus sale

après que tu l’auras quitté ?

°

depuis des années

ce mendiant aveugle

qui ne s’accompagne que de Brassens

(dans le métro)

°

papa pousse bébé tient poupée

(rue de Rome, 5/11)

°

Tout ce monde affairé :

cohue capitale

du matin

(métro, RER, …)

(et) marcher à pas lents

(escomptés…),

c’est pas la vie, ça ?

RA

LEN

TISSEZ !

°

Fête des Pères –

une femme cueille des roses

au bout des rangs de vigne

(Orly-ville, juin 15)

°

(Bashôtage :)

Mes voisins de Dnipropetrovsk,

comment vivent-ils

(ce matin à 5h35) ?

(Millau, 30/10/15)

Six jours plus tard je vois (sur W9)

l’équipe de Saint-Etienne

qui rencontre Dniepropetrovsk

en Ligue Europa de football !

(Orly, 5/11)

°

l’ho

riz

on

°

(9/2006, métro :)

Elle tricote,

on dirait,

les fils de son baladeur

°

(16/9/06 – métro parisien :)

All the jewelry

atop her breast

– my silent hands

Toute cette bijouterie

sur sa poitrine –

– mes mains sages

°

L’homme qu’a bossé,

l’homme cabossé

°

(Kyôkus :)

Haïku :

Alléger le trait

Ecrire =

se vider la tête…

Affiner le trait

Haïku :

Laisser gagner le blanc.

°

les géraniums en pleine efflorescence –

approche de la lune noire

°

le trottoir sec

mouillé sous les feuilles

°

papillon brun dans la rue

lune noire de novembre

°

dessous féminins

(:) la légèreté

du fil

°

tout l’or

°

le rythme récurrent

°

(Saori Nakajima, au kukaï de Paris :)

« Le haïku n’est pas sentimental;

le tanka, oui ! »

°

des corps de métier

suspendus

bleu sur bleu

°

horizontal un oiseau

traverse le matin –

une grue au bout du gris

°

lacet sur le trottoir –

serpent noir de l’hiver ?

°

(Sur une illustration de Mitsuru Ikeda, p. 51 de Haïkus satiriques (de Kobayashi Issa), par Seegan (Laurent) Mabesoone, éd. Pippa, 2015 :)

du bord de la rive

les grenouilles regardent la capitale

et se marrent

(: 9/11, vers 7h55)

du bord de la rive

regardant la capitale

des grenouilles se marrent

(même jour, 9h25)

°

Je viens d’écrire un senryû sur des grenouilles,

ses chaussures de sport vertes

(métro, ligne 14, 8h)

… puis le sac vert

de sa voisine…

°

détachant une feuille de géranium,

une libellule verte

s’envole de sous le balcon

°

(Tanka – devant une peinture chinoise de montagne… :)

Seul compte

le paysage qui s’ouvre devant soi

– s’oublier

un peu

°

(Avenue de Clichy :)

fondue dans un décor

d’encombrants

la mendiante

(: vers 9h40)

d’un abri-bus

quelqu’un

a aménagé son chez soi

(: 9h48)

°

(à suivre (p.45)…)

Yves Brayer, par Paul Guth

19 août 2014

« Quand il rentre à son atelier, il retravaille dans la concentration. Il supprime un arbre, une maison. Il retranche pour se soumettre à son impératif de rigueur. »

: Paul Guth, à propos du peintre Yves Brayer, in Yves Brayer par Jean-Robert Delahaut, Librairie Séguier, 1988.

De Gaston Chaissac

28 mars 2014

in : Hippobosque au bocage, éd. Gallimard, 1951 :

« La peinture ça ne m’intéresse plus, ce que j’aime c’est les feuilles des arbres quand elles remuent. » (p.22).

« Je fais aussi des bruits sur l’harmonium mais le vent fait beaucoup mieux en traversant le marronnier. J’écoute le vent comme nos ancêtres les Gaulois, je l’écoute comme un chaste druide. » (p.23).

Gaston Chaissac

Citations diverses – 3) P-L.Couchoud, R.Maublanc, Shokusanjin, Manet.

15 mars 2014

…/…

Paul-Louis Couchoud :

(Le haïkaï) « C’est le genre littéraire d’où la littérature est le plus complètement exclue. »

« L’abstrait en est éliminé. »

René Maublanc :

« Loin de toute littérature et de toute vaine éloquence. »

« Sincérité totale, haine du verbalisme, rejet de tout artifice oratoire. »

Shokusanjin
:

« Peindre des gens ordinaires, peindre ce qui est proche, voilà qui est difficile (…) des choses de la vie quotidienne, avec leurs formes et leurs mouvements. Là, on ne peut pas tricher. »

Manet :

« Je rends aussi simplement que possible les choses que je vois. »

(à suivre…4) auteurs divers)

Citations diverses – 1) Jules Renard

15 mars 2014

Je me soupçonne d’alzheimeriser un tant soit peu, d’avoir déjà posté ces citations, il y a quelques années, au début de ce blog, mais je ne peux résister – sous la pression ! – à vous les faire – à nouveau ? – apprécier :

De Jules Renard, tout d’abord :

« De presque toute la littérature on peut dire que c’est trop long. »

« Lamartine rêve cinq minutes et il écrit une heure. L’art c’est le contraire. »

« Pour décrire un paysan, il ne faut pas se servir des mots qu’il ne comprend pas. »

« Réduire la vie à sa plus simple expression. »

« Il faut aider le public avec de petites phrases banales. »

« À quoi bon chanter que l’arbre est habité par le Faune ? Il est habité par lui-même. L’arbre vit. »

(à suivre : citations d’autres auteurs.)