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Le haïku 5-7-5
« La plupart des gens pensent que les haïku japonais s’écrivent sur trois lignes, mais la vérité est qu’on les imprime traditionnellement sur une seule ligne verticale. En dépit de leur apparence sur la page, on comprend qu’ils suivent une forme de 17 syllabes découpées en 5 + 7 + 5. Les Japonais les comprennent ainsi parce que des séquences de 5 et de 7 syllabes ont toujours été les unités de base de leurs paroles et de leurs chansons.
Si on essaie d’établir une forme appropriée, il faut prendre en considération les différences entre les langues japonaise et anglaise [/ française]. Ce qui est le plus significatif est peut-être que ce qu’on a appelé des « syllabes japonaises » ne sont pas du tout des syllabes dans notre appréciation du mot. Les syllabes japonaises sont uniformément courtes, et diffèrent considérablement en longueur des syllabes anglaises, de sorte qu’il vaudrait plutôt les penser simplement comme des « sons » plutôt que comme des « syllabes ».
Ces sons japonais comportent soit un son d’une seule voyelle, la combinaison d’une consonne suivie d’une voyelle, ou la seule consonne « n ». Ces syllabes ont toutes à peu près la même longueur que la syllabe « be » en anglais [« nid », en français]. Quelques syllabes anglaises sont aussi courtes que les sons japonais, tandis que d’autres sont considérablement plus longues. Si vous comparez la durée de la syllabe « be » [/ »nid »] à celle de la syllabe « heaved » [qui peut correspondre à « nUIre » (en synérèse) en français], par exemple, vous avez une idée de la variabilité en longueur.
Une différence qui fait le lien entre l’anglais et le japonais est que le son japonais moyen contient beaucoup moins d’information que la syllabe moyenne anglaise. On peut voir que cela est vrai en regardant de nouveau les traductions de deux haïku japonais que nous avons vus précédemment :
vieille mare…
une grenouille saute
le son de l’eau
celui qui est mort
celui qui divorça de moi –
feux d’artifice lointains
Tandis que tous deux ont 17 sons en japonais, les traductions anglaises s’étalent entre 9 syllabes pour le haïku de Bashô et 15 pour celui de Masajo.
Considérez également, que certains sons dans un haïku japonais peuvent agir non verbalement, en tant que ponctuation ou particules. Les deux types principaux en sont le kireji (« mot de coupe ») et les repères grammaticaux. Les kireji sont des mots que les Japonais utilisent pour séparer des parties du haïku ou procurer une emphase tranquille à une partie du poème, fonctions qui s’accomplissent ordinairement en anglais par la ponctuation ou des coupures de lignes, choses qui, toutes deux, sont normalement absentes du haïku japonais. Les repères grammaticaux japonais identifient le sujet ou l’objet d’un verbe, ce qui se fait en anglais par l’ordre des mots. Bien que ces repères grammaticaux japonais soient dénués de signification littérale, ils font partie de comptage des sons ou des syllabes du haïku.
DansThe Haiku Form, Joan Giroux observe qu’un haïku moyen japonais contient seulement 5 ou 6 mots, tandis que le haïku moyen de 17 syllabes en anglais en compte 12 ou plus [en français également]. Giroux et Henderson en arrivent à la même conclusion : si nous devions compter des syllabes, nous devrions les compter de la même manière que le font les Japonais. Le mot « haiku » en japonais fait trois sons : ha-i-ku, pas deux comme en anglais [ou en français]. Pensant sur ces bases, « modern haiku » fait 7 unités sonores : mo-de-r-n ha-i-ku, plutôt que quatre : Ainsi, ceux qui désirent écrire sous la forme japonaise devraient considérer le comptage des sons à la manière japonaise. Cela devrait donner un poème d’à peu près la même longueur et le même caractère qu’un haïku japonais. En anglais, ce serait un poème entre neuf et douze syllabes [en français aussi ?] et pas dix-sept. La brièveté dans le haïku en anglais [/ en français ?] se traduit donc en moins de syllabes que dans le haïku japonais ; dix-sept syllabes entières en anglais [/ français] sont à même de faire (trop) verbeux.
Malgré les inconvénients d’écrire en 17 syllabes et trois lignes, c’est le format avec lequel les gens sont le plus familiers. Beaucoup de haïku écrits en anglais dans les années ’50 et ’60 le furent en 17 syllabes, et quelques auteurs continuent d’écrire ainsi dans la forme « classique » aujourd’hui. Deux poètes contemporains qui ont maîtrisé la structure 5-7-5 sont, respectivement, Corrine Frisch et Ross Figgins :
seule feuille brune
à l’extérieur de la fenêtre de chez mon père
ornée de gel
odeur de jasmin pâle
la femme agenouillée lève le regard
et touche ses cheveux
Ces haïku se lisent sans heurt, sans rembourrage ou autre distortion de contenu pour atteindre la forme prescrite.
Tous les haïku de 17 syllabes ne sont cependant pas aussi naturels que ceux-ci. Beaucoup d’essais pour réussir 5-7-5 résultent en des poèmes qui ont des séparations de lignes inadéquates, des lignes qui se terminent par des articles, ou même des mots coupés en deux afin de totaliser le bon nombre de syllabes. Les haïku forcés en strophes de 17 syllabes dans lesquelles les séparations de lignes n’ont pas de relation avec le sens de cette ligne, cèdent trop pour obtenir un résultat qui est, dans tous les cas, problématique. »
Lee Gurga : Haiku : A Poet’s Guide, pp. 15-17
N.B. Les ajouts entre [] dans le texte ci-dessus sont de d.py, pour établir une correspondance entre les langues anglaise et française par rapport à la japonaise.
(à suivre : Haïku par scansions de 2/3/2 temps forts).