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Poèmes de mort de haijins – JOMEI – JOSEKI – JOWA

3 février 2012

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JOMEI
(mort le 7è jour du 9è mois de 1766, à 61 ans)

Feuilles de mots :
couleurs d’automne
une montagne calme.

°
JOSEKI
(mort le 21è jour du 7è mois de 1779, à 85 ans)

Ce doit être
mon anniversaire, là-bas
au paradis.

°
JOWA
(mort le 2è jour du 2è mois de 1785, à 71 ans)

Deuxième mois :
je porte un nouveau chapeau de bambou
et rentre à la maison.

NB : Ce n’est pas un poème de mort, mais le dernier poème de Jowa (un zekku), poème écrit avant la mort d’un poète, sans qu’il l’ait désigné comme poème de mort.Il advint parfois qu’un poète, bien qu’ayant l’intention d’écrire un jisei, décéda trop soudainement pour en écrire un et ne laissa donc qu’un dernier poème. Quelques poètes n’éprouvèrent pas le besoin de suivre cette tradition. D’autres écrivirent un poème de mort des jours, des mois, voire des années avant leur mort, de sorte que leur dernier poème n’est pas leur poème de mort.
Le cas de Jowa était du premier type. La première nuit du 2è mois, il séjourna avec des parents dans son cottage et composa ce poème lors de la conversation. Le jour suivant, il mourut soudain.
Il y a un jeu de mots en japonais. Kisaragi, mot ancien pour le deuxième mois signifie également « habillé, couche après couche », ce qui indique la saison froide. Avec ça et l’image du chapeau de bambou, il pensait évidemment à son voyage de retour de son cottage en ce jour pluvieux et froid.

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(à suivre : Kaen…)

Jisei – Haïkus avant la mort – INSEKI – IPPU – ISAIBO

24 décembre 2011

°
INSEKI
(mort le 28è jour du 3è mois de 1765, à 67 ans)

je rends mon nom
en entrant dans
cet Eden de fleurs

NB : C’est une coutume bouddhiste de changer le nom d’une personne décédée.

°
IPPU
(mort le 24è jour du 5è mois de 1731, à 67 ans)

tombant sous le vent
une rafale
de feuilles persistantes

°
ISAIBO
(mort le 29è jour du 8è mois de 1780, à 66 ans)

Bien que je m’attarde
sur la route que prit mon maître,
au-dessus de nous brille
une lune

NB : Tanada Gochikubo, le maître de haïku d’Isaibo, mourut un ou deux mois avant son élève. D’anciennes sources relatent la relation orageuse qu’ils entretenaient. Un des poèmes d’Isaibo, à propos de la beauté de la baie de Matsushima (Préfecture de Miyagi) donne :

Matsushima
leurs genoux déchirent
les matelas du bateau

L’image des passagers s’assemblant sur un bord du bateau, afin de jouir du paysage, leurs genoux frottant les matelas couvrant le pont, paraissait grossière aux yeux de Gochikubo, qui suggéra un rendu moins fruste :

Matsushima
à votre vue
les matelas du bateau se froissent

Isaibo refusa la correction et dut quitter le cercle de Gochikubo. Quelqu’un d’autre les réconcilia. En honneur du retour d’Isaibo en sa faveur, Gochikubo écrivit un poème dans lequel il suggéra que tous deux « arrondissent leurs angles » et se comportent plus « élégamment » l’un avec l’autre.
Isaibo répliqua avec son propre poème à propos d’un prunier élevé en serre afin de hâter sa floraison. Ce poème ne plut pas à Gochikubo, peut-être parce qu’Isaibo pouvait suggérer qu’il devait mûrir en tant que poète, d’une manière pas tout à fait naturelle. Une fois de plus Isaibo dut quitter l’assemblée pendant un certain temps.
En dépit de leur rivalité, ou peut-être à cause d’elle, il semblerait qu’Isaibo aimait bien Gochikubo. La « route » du jisei d’Isaibo est celle qui conduit de la vie à la mort, et qu’empruntent le maître et l’élève, et la « lune unique » est symbole de l’unité parfaite qui sous-tend ce monde de changements multiples.

°
(à suivre : ISAN…)

Poèmes de mort japonais – éd. Tuttle – SE-

16 janvier 2010

°

de SEIJU,
mort le15° jour du 8° mois de 1776, à 75 ans :

Shibaraku mo nokoru mono nashi kigi no iro

Pas un seul moment
où les choses restent immobiles – À preuve
la couleur dans les arbres

°

de SEIJU,
mort le 28° jour du 8° mois de 1779, à 86 ans :

Mizusuji o ukete kotonaru aota kana

Le veines de l’eau
colorent les rizières en différentes
nuances de vert

°

de SEIRA,
mort le 17° jour du 6° mois de 1791,
à l’âge de 52 ans :

Funabata ya kutsu nugisuteru mizu no tsuki

Embarquant,
je me déchausse :
la lune dans l’eau

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de SEISA,
mort le 19 du 9° mois de 1722, à 47 ans :

Kimamori to nariteekinaki kono mi kana

Mon corps, aussi
inutile que le dernier kaki
sur l’arbre

°

de SEISHU,
mort le 17 du 5° mois de 1817, à 94 ans :

Ame harete hasu ni shinnyo no tsukiyo kana

Les nuages de pluie disparaissent :
au-dessus des lotus brille
la lune parfaite

°

de SEMPO,
mort le 14 du 6° mois de 1730 :

Oitakete iru oku suzushi michi no kaze

Au fond du sous-bois
une brise fraîche
balaie le sentier.

°

de SENCHOJO
, morte le 6° jour du 4° mois de1802 :

Unohana ni kikisokonawaji hototogisu

Je mets mes mains en cornet
parmi les deutzies, de peur de ne pas
entendre le coucou.

 » la floraison des deutzies, au début de l’été, correspond à l’époque où l’on entend le plus le coucou  »

°

de SENRYÛ
, mort le 23 du 9° mois de 1790 à 73 ans

Kogarashi ya ato de me o fuke kawayanagi

Vents acérés de l’hiver — / mais plus tard, saule de la rivière, / ouvre tes
boutons !

« Le nom de Senryû se compose des caractères « sen » pour « rivière » et «
ryû » pour « saule ». Ces signes apparaissent dans son jisei avec leur prononciation
japonaise : « kawa » et « yanagi ».
Initiateur de ce style « léger » de haïkus à qui il donna sa nom : le senryû. Il fut LE critique de haïkus dans l’Edo de son époque. On dit qu’il « critiqua » environ deux millions-et-demi de versets dans sa vie.

de SENRYÛ,
son fils aîné, qui lui succéda à la tête de l’école « senryû », et mourut le 17
du 10° mois de 1818 – peu après l’époque à laquelle le saule perd ses feuilles – :

Hana hodo ni mi wa oshimarezu chiru yanagi

Un saule en automne : / on ne regrettera pas ses feuilles / autant que des fleurs de cerisier.

de SENRYÛ

plus jeune frère du dernier cité, qui lui succéda également à la tête de l’école
de Senryû. Il mourut le 2° jour du 6° mois de 1827 :

Hasu no ha no / tsuyu to kieyuku / wagami kana

Tel des gouttes de rosée / sur une feuille de lotus / je disparais

°

de SENSEKI,
mort le 27 du 6° mois de 1742, à 30 ans :

Tsui ni yuku minazuki suzushi mune kiyoshi

Enfin je m’en vais :
dans des cieux sans pluie, une lune fraîche –
pur est mon coeur

°

de SETSUDO,
mort le 28 du 3° mois de 1776, à 61 ans :

Ima zo kiru nori no tabiji no hanagoromo

Maintenant,
pour mon voyage vers l’autre monde
je vais porter un kimono de fleurs

Note de Y.H. :

« hanagoromo » est un kimono élégant porté pendant la floraison des cerisiers, au printemps (…)

°

Poèmes de mort japonais – H –

15 novembre 2009

(p. 184) de HAKUSAI
(mort le 2° jour du 9° mois de 1792, à 74 ans) :

Saraba saraba
hana mo mojimi mo
naki zo yoki

Adieu – et bien que le printemps
ne bourgeonnera plus, ni l’automne
ne fanera – tout est bien.

°

(p.186) de HAMEI
mort le 26 du 12° mois de 1837, à 83 ans :

Mi no hate wa
shari no hikari ya
hanagokoro

La fin de l’homme :
un amas d’os luisants;
une floraison, un fanage.

°
(p.186/7) de HAMON
(mort le 21 du 2° mois de 1804, à 58 ans) :

Nodokasa ya
ware wa migaruki
nori no tabi

En paix,
le corps léger, je pars
pour l’autre monde

°
(p.187) de HANKAI
(mort le 4 janvier 1882, à 76 ans) :

Yuku toshi no
kokoro-nokori wa
nakarikeri

La fin de l’année;
je n’ai pas laissé mon coeur
derrière moi

°

(p.189) de HOKUSAÏ,
mort le 12° jour du 4° mois de 1849, âgé de 90 ans, ce jisei :

Hitodama de / yuku kisan ja / natsu no hara

Esprit,
maintenant je hanterai
les champs d’été

: il s’agit bien du très célèbre peintre des 36 vues du Mont Fuji…

°
(p.190) d’ HOKUSHI,
mort le 12° jour du 8° mois de 1718 :

Kaite mitari / keshitari hate wa / keshi no hana

J’écris, efface, réécris,
réefface, et puis
un coquelicot fleurit

°

(p.193) d’HYAKKA,
mort le 20° jour du 2° mois de 1779, âgé de 64 ans

existent deux jisei qui lui sont attribués.
Le deuxième =

Kôri toke / yuku mizu liyoshi / mune kiyoshi

La glace d’hiver
se change en eau pure –
clair est mon cœur

Jisei – Poèmes de mort japonais – G –

6 novembre 2009

°
(p.166) de GAKI,
mort le 24 juillet 1927, à 36 ans :

Gaki, plus connu sous son vrai nom d’Akutagawa Ryunosuke, donna par
l’intermédiaire de sa tante ce poème à lire le matin suivant à son docteur, avec cette préface :
« riant de moi-même » :

Mizubana ya / hana no saki dake / kure nokoru

Un seul point / brille encore dans le noir : / mon nez morveux

Il s’empoisonna la nuit même.
Akutagawa était un des plus grands auteurs japonais modernes. Une de ses
premières nouvelles, très admirée par Natsume Soseki (1867-1916) le propulsa sur le devant
de la scène littéraire. Elle s’appelait : Hana (« Le nez »).

°
p. 167 de GANSAN
(mort en 1895 à 81 ans) :

Fukaba fuke
hana wa sunda zo
aki no kaze

Gansan

Souffle si tu veux,
vent d’automne – les fleurs
ont toutes fané

°

P.169 de GENSHO
(mort le 5° jour du 1° mois de 1742, à 58 ans) :

Hakahara ya
aki no hotaru no
futatsu mitsu

Un cimetière :
lucioles d’automne
deux ou trois

°
(p.172) de GITOKU
(mort le 24° jour du 11° mois de 1754, à 53 ans) :

Sora saete
moto kishi michi o
kaeru nari

Ciel clair –
le chemin par lequel je vins
je reprends maintenant

°
(P. 174) de GOFU
(mort le 18° jour du 8° mois de 1771, à 38 ans) :

Mada akanu
yo o akikaze no
yukue kana

Je ne me suis pas encore
lassé de ce monde – où soufflent
les vents de l’automne ?

°
P.175 de GOHEI
(mort le 7° jour du 7° mois de 1819) :

Aki ya ima
kiyoshi to kiri no
hito-ha chiru

Une feuille solitaire de paulownia
tombe à travers
l’air pur de l’automne

(un autre haijin du nom de Gohei, mourut le 2° jour du 2° mois de 1808)

°

(p.177) de GOSHI
(mort le 13 du neuvième mois de 1775, à 66 ans) :

Shôgai no / oreigashi ya / higashi muki

Rendant grâces
pour la vie, je me retourne et salue
vers l’Est.

« Pour remercier les vivants pour la gentillesse qu’il a reçue durant sa vie, le poète mourant se tourne en direction de l’Est avant d’accomplir son voyage vers l’Ouest, direction du paradis. »

°
(p.178/9) de 1°) GOZAN

(mort le 2° jour du 3° mois de 1733, à 38 ans) :

Ka ya hiraki / nori toku tori no / kirabiyaka

Des fleurs embaument l’air
Le chant insouciant d’un oiseau
fait écho à la vérité.

 » Ce haiku est un  » kaïbun « , un palindrome dans lequel la séquence des syllabes est identique qu’on lise le poème par le début ou par la fin. Une telle forme était populaire dans la poésie japonaise aux XVII et XVIII° siècles …  »

2°) GOZAN
(mort en 1789, le 17° jour du 12° mois, à l’âge de 71 ans) :

Hana to mishi
yuki wa kinô zo
moto no mizu

La neige d’hier
tombée comme pétales (de cerisiers)
est maintenant de l’eau

°

Jisei – Poèmes de mort japonais – F –

6 novembre 2009

(p 162/3) de FUFU

(mort le 17° jour du 5° mois de 1762, à 61 ans ) :

Tsure mo ari
imawa no sora no
hototogisu

Mon compagnon dans les cieux
de la mort :
un coucou

*
(p 163) de FUJO
(mort le 27° jour du 8° mois de 1764, à 52 ans) :

Okiagari
yukamuzu michi no
tsuyu kiyoshi

Levons-nous, allons
le long du chemin se trouve
la claire rosée

°

p.163 de FUKAKU
(mort le 21° jour du 6° mois de 1753, à 92 ans) :

Utsu semi wa
moto no hadaka ni
modorikeri

la coque vide de la cigale :
comme nous venons
nous repartons nus

°

(p. 164) de FUKYU

(mort le 21° jour du 7° mois de 1771 à l’âge de 79 ans) :

Kokochiyoshi
aki no hiyori o
shide no tabi

un jour d’automne
clair et plaisant pour entreprendre
le voyage de la mort

°
(p.165) de FUSO,
mort le 11° jour du 4° mois de 1886, à 47 ans :

Asatsuyu no
usura kiekeri
hasu no hama

Sur la fleur de lotus
la rosée matinale
s’amenuise

(: in J.D.P. éd. Tuttle).

Moines zen – Poèmes de mort

13 octobre 2009

Des jisei de quelques moines zen :

(p.96) d’Enni Ben’en,
mort à 79 ans le 17° jour du 10° mois
lunaire de 1280 :

Toute ma vie j’ai enseigné le Zen –
Soixante-dix-neuf ans.
Qui ne voit les choses telles qu’elles sont
ne connaîtra jamais le Zen.

°
(p.118) de Taigen Sofu,
mort le 10 du mois intercalaire de 1555, à l’âge de 60 ans :

Je lève le miroir de ma vie
jusqu’à mon visage : soixante ans.
D’un coup je brise le reflet –
Le monde, comme d’habitude,
tout à sa place.

°
(: p.120) De Tetsugen Doko (un moine zen), mort le 22° jour du 3° mois de 1682, à l’âge de 53 ans :

Mes cinquante-trois années ont été
pleines de changements.
J’ai commenté les Saintes Écritures – un lourd péché
dont l’écho monte jusqu’aux cieux.
Maintenant je m’en vais naviguer sur le lac aux fleurs de lotus
et entrer dans les cieux à travers l’eau

avec ce commentaire (p.121) :

 » La tradition bouddhiste envisage le paradis comme un lac couvert de lotus  »

°
(p.121) : de Tetto Giko,
mort le 15 du 5° mois de 1369 à l’âge de 75 ans, dont le message
descellé et lu après sa mort disait :

La vérité ne s’obtient jamais
de quelqu’un d’autre.
On la porte toujours
en soi.
– Katsu !

« Katsu ! », comme « Ho ! » ou « Totsu ! » est une sorte de cri provocateur émis
à l’instant
de l’ « illumination ».

°°

(à suivre : poèmes de mort des poètes de haïku,
traduits par d.py, du livre de Yoël Hoffmann : Japanese Death Poems)

Y. Hoffmann Japanese death poems (3)

9 octobre 2009

°

(p.78) de Fuse Yajiro
, un guerrier.

Son premier tanka de mort :

Naki tama no
kazu ni hairite
naku naka ni
uki akikaze no
mi ni zo shiminuru

Dans peu de temps
je serai un fantôme
Mais maintenant
comme ils mordent ma peau,
les vents de l’automne !

Son deuxième, un mois plus tard :

Kenkon no
soto yori kore o
unchi mireba
hiuchibako ni mo
taranu ametsushi

Vu de l’extérieur
la création,
la terre et le ciel
ne valent pas
une boîte d’allumettes.

°
page 79 :

 » Un poète de kyôka, avant de mourir, écrivit le fameux poème de mort d’un autre
poète,
avec cette préface :  » J’ai emprunté ce poème à quelqu’un d’autre « , et cette
postface :  »
ceci est le dernier plagiat que je ferai en ce monde.  »

(ctd…)

Poèmes de mort japonais Japanese death poems Y. Hoffman (2)

9 octobre 2009

dans : Japanese Death Poems
(Poèmes de mort japonais)
Written by Zen Monks and Haiku Poets on the Verge of Death
(écrits par des moines Zen et des Haijins sur le point de mourir)
compilé par Yoel Hoffmann
Tuttle Publ., 1986
isbn : 0-8048-3179-3

°
page 17 (Introduction : Poésie du Japon) :

 » à côté des deux formes du tanka et du haïku, deux styles
complémentaires se développèrent ultérieurement. Le KYOKA, « poème fou »,
est un tanka satirique qui ne se base généralement pas sur une image de
la nature ; cette forme fut très populaire dans la 2° moitié du XVIII°
siècle. Le SENRYU, nommé d’après son créateur, Karai Senryu (1718-
1790), est un haïku qui critique les failles humaines. Le SENRYU
s’écrit généralement dans la forme du haïku, mais peut être plus court,
en 2 lignes de sept syllabes chacune.  »

°

p.19/20 :

 » On peut comparer le poète de tanka (5/7/5//7/7) à une personne qui
tient deux miroirs dans ses mains :
l’un qui reflète une scène de la nature,
l’autre qui le reflète lui-même tenant le premier miroir.
Ainsi le tanka offre une vue sur la nature, mais aussi une vue sur
l’observateur de cette nature.
Le haïku n’est simplement pas un tanka condensé : les 14 syllabes
(//7/7) pour ainsi dire coupées du tanka afin de faire un haïku sont
en fait le miroir qui reflète le poète.
Le haïku a brisé le miroir auto-réfléchissant, ne laissant dans les
mains du poète que celui qui reflète la nature.  »
Y.Hoffmann

°

(p.53) de Ouchi Yoshitaka
(1507-1551), samouraï général et gouverneur de l’île de
Kyushu :

Utsu hito mo
utaruru hito mo
morotomo ni
nyo ro yaku nyo den
ô sa ni ze kan

Vainqueur
et vaincu
ne sont que gouttes de rosée,
qu’ éclairs d’orage –
ainsi devrions nous voir le monde.

°

(à suivre…)

Poèmes de mort japonais (1)

17 septembre 2009

POÈMES DE MORT JAPONAIS

Au Japon, l’approche de la mort a donné naissance à une tradition séculaire d’écriture du « jisei » ou « poème de mort ». Des moines bouddhistes Zen (sous forme de poèmes chinois et de tankas) y faisaient figurer, dans la continuité de leur enseignement, leur testament spirituel, tel Enni Ben’en, mort à 79 ans le 17° jour du 10° mois lunaire de 1280 :
Toute ma vie j’ai enseigné le Zen –
Soixante-dix-neuf ans.
Qui ne voit les choses telles qu’elles sont
ne connaîtra jamais le Zen.

tel Tetto Giko, mort le 15 du 5° mois de 1369 à l’âge de 75 ans, dont le message descellé et lu après sa mort disait :
La vérité ne s’obtient jamais
De quelqu’un d’autre.
On la porte toujours
en soi.
Katsu !

« Katsu ! », comme « Ho ! » ou « Totsu ! » est une sorte de cri provocateur émis à l’instant de l’ »illumination ».

tel Taigen Sofu, mort le 10 du mois intercalaire de 1555, à l’âge de 60 ans :
Je lève le miroir de ma vie
Jusqu’à mon visage : soixante ans.
D’un coup je brise le reflet –
Le monde, comme d’habitude,
tout à sa place.

Les guerriers s’y adonnaient, sur la dépouille desquels on retrouvait parfois le jisei ; des samouraïs vaincus, avant de devoir se « suicider », prenaient le temps d’en composer. Ainsi Okano Kin’emon Kanehide, mort le 4 du 2° mois de 1703, à 24 ans :
Sur les champs de neige / de la nuit dernière – / fragrance des pruniers
ou Shumpan, mort vers le 2° mois de 1703 à 34 ans :
L’oie d’hiver / finit / plumée
Ces deux samouraï faisaient partie des 47 qui, après avoir vengé la mort de leur maître, durent commettre « seppuku ».

De très nombreux poètes de haïku eux-mêmes sacrifièrent au genre, et, sans nul doute, continuent de nos jours ( et pas seulement au Japon )!

Composés le plus souvent juste avant de mourir, certains de ces poèmes étaient parfois repris, voire (é)changés, en raison d’une rémission soudaine de la maladie par exemple ; d’autres étaient même fabriqués tout au long d’une certaine durée de vie, voire soumis pour approbation à des professeurs de haïkaï, ce qui pouvait donner lieu à des moqueries de bon aloi ! Ainsi un certain Narushima Chuhachiro « craignant de mourir soudainement sans avoir le temps d’écrire un poème de mort » commença-t-il à en écrire dès la cinquantaine, les soumettant à son maître de poésie Reizei Tameyasu (XVIII° s.). À l’âge de 80 ans il écrivit :
Pendant quatre-vingts ans et plus,
Par la grâce de mon souverain
Et de mes parents, j’ai vécu
D’un cœur serein
Entre fleurs et lune.

Comme à son habitude, il envoya son poème à Reizei, qui lui répondit : « Quand vous aurez 90 ans, corrigez la première ligne ! »

L’humour, la dérision, la parodie, la moquerie, les jeux littéraires ne sont pas absents de leur écriture. Ainsi la bonzesse Chiyoni, morte le 8 du 9° mois de 1775, à 73 ans :
J’ai vu la lune aussi / et maintenant, monde, / mes salutations respectueuses …
Durant les XVIII et XIX° siècles, le « kaibun » ou haïku palindromique ( dont la séquence de syllabes est identique en le lisant à l’endroit ou à l’envers) était également populaire.
De Gozon, mort le 2 du 3° mois de 1733 à 38 ans, on peut lire :
ka ya hiraki nori toku tori no kirabiyaka
Des fleurs embaument l’air / Un chant d’oiseau insouciant, / écho de la vérité
De Kizan, mort le 4 du 12° mois de 1851, à 64 ans :
Quand je serai parti, / quelqu’un soignera-t-il / le chrysanthème que je laisse ?
De Raishi, mort le 27 du 9° mois de 1795 :
Tu as fait ton devoir / jusqu’à aujourd’hui, / vieil épouvantail !
Gaki, plus connu sous son vrai nom d’Akutagawa Ryunosuke, donna par l’intermédiaire de sa tante ce poème à lire le matin suivant à son docteur, avec cette préface : « riant de moi-même » :
Un seul point / brille encore dans le noir : / mon nez morveux
Il s’empoisonna la nuit même.
Akutagawa était un des plus grands auteurs japonais modernes. Une de ses premières nouvelles, très admirée par Natsume Soseki (1867-1916) le propulsa sur le devant de la scène littéraire. Elle s’appelait : Hana (« Le nez »).

Pour ne pas oublier Bashô, le dernier poème qu’il laissa est considéré comme son « poème de mort », bien qu’il n’eut pas l’intention véritable d’en écrire : « Sur son lit de mort, alors que ses disciples le lui suggéraient, il répondit que chacun de ses poèmes pouvait être son poème de mort. Et de fait, dans tous ses meilleurs versets, on peut percevoir une résonance qui semble venir du et retourner au Vide. »
Cela n’empêcha pas un « senryûiste » ° de parodier son dernier poème :
Tabi ni yande yume wa kareno o kakemeguru
en : Zashikirô yume wa kuruwa o kakemeguri
« Malade, en voyage : / mon rêve erre / sur des champs desséchés » devient alors :
« Enfermé dans ma chambre / mon rêve erre / vers des maisons closes ».

° Senryû, initiateur de ce style « léger » fut « le » critique de haïkus à l’Edo de son époque. On dit qu’il « critiqua » environ deux millions-et-demi de versets dans sa vie. Mort le 23 du 9° mois de 1790 à l’âge de 73 ans, il dit dans son jisei :
Kogarashi ya ato de me o fuke kawayanagi
Vents acérés de l’hiver — / mais plus tard, saule de la rivière, / ouvre tes boutons !

« Le nom de Senryû se compose des caractères « sen » pour « rivière » et « ryû » pour « saule ». Ces signes apparaissent dans son jisei avec leur prononciation japonaise : « kawa » et « yanagi ».
Son fils aîné, qui lui succéda à la tête de l’école « senryû », mourut le 17 du 10° mois de 1818 – peu après l’époque à laquelle le saule perd ses feuilles 1) :
Hana hodo ni mi wa oshimarezu chiru yanagi
Un saule en automne : / on ne regrettera pas ses feuilles / autant que des fleurs de cerisier.

Quant à son plus jeune frère, qui lui succéda également à la tête de l’école de Senryû, il mourut le 2° jour du 6° mois de 1827. Et son poème de mort dit :
Tel des gouttes de rosée / sur une feuille de lotus / je disparais

Rosée, lucioles, fleurs de cerisiers sont, pour les Japonais, emblématiques du caractère éphémère de la vie.
Ainsi Rekisen, mort après 1834 à l’âge de 86 ans, écrit-il :
Laissez-les fleurir, ou / Laissez-les mourir – c’est même chose : / Les cerisiers du Mont Yoshino
Kaisho, mort en 1914, à 72 ans :
Fleurs de cerisiers du soir / je glisse la pierre-à-encre dans mon kimono / pour la dernière fois.
Chine, sœur de Mukai Kyorai (1651-1704), disciple et ami de Bashô, et morte à environ 28 ans le 15 du 5° mois de 1688 écrivit son dernier poème :
S’allume aussi légèrement / qu’elle s’éteint : / la luciole
Après quoi son frère put tracer :
Tristement je vois / la lumière s’éteindre dans ma paume : / une luciole

Est-il besoin d’insister sur la signification du lotus en Extrême-Orient ? Il suffit probablement de lire le jisei de Jakura, mort à 59 ans le 5 juin 1906 :
Cette année je désire / voir les lotus / sur l’autre rive.
( le lotus est bien « la fleur du paradis »).

Quant à la vénération des Japonais pour le Mont Fuji, Kimpo, mort le 3 septembre 1894, nous en assure :
Aujourd’hui est le jour / d’une dernière vue / du mont Fuji

Un dernier thème qu’on ne saurait – évidemment – passer sous silence, c’est Shisui qui peut – mieux qu’aucun autre ? – nous en entretenir : Son poème de mort fut un « simple » cercle (re)fermé. « Dans le bouddhisme Zen le cercle (enso) est l’un des symboles les plus importants. Il représente la vacuité – essence de toutes choses – et l’illumination. Il y a peut-être un lien entre la figure du cercle et la forme de la pleine lune, autre symbole d’illumination ». Shisui mourut le 9 du 9° mois de 1769 à l’âge de 44 ans.
Renseki, mort à 88 ans le 5° jour du 7° mois de 1789, écrivit :
J’ai nettoyé le miroir / de mon cœur – Maintenant il reflète / la lune
« La lune symbolise le salut dans l’autre monde – ou « sur l’autre rive » – au-delà des souffrances de cette existence présente ». Elle peut symboliser également (la lumière de) l’enseignement du Bouddha.
Ainsi, Saiba, mort à 51 ans, le 15° jour du 8° mois de 1858, c’est-à-dire le jour de la pleine lune d’automne, peut-il écrire :
Je bouge mon oreiller / plus près de / la pleine lune
Quant à Mabutsu, mort également un 15 du 8° mois, mais de l’année 1874, à 79 ans, il n’hésite pas à paraphraser un des kôans Zen les plus célèbres :
Lune dans un tonneau : / vous ne saurez simplement jamais / quand son fond cédera.

Laissons enfin Toko, âgé de 86 ans quand il mourut, au 11 du 2° mois de 1795, nous « ramener » définitivement « sur terre » (?) :
Les poèmes de mort
Ne sont qu’une illusion –
La mort est la mort.

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Daniel Py, 18-24 avril 2007.

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1) Vous pouvez, comme moi, remarquer tout au long de ces exemples que le mot-de-saison dans laquelle meurt le poète est quasi omniprésent dans le jisei – sauf toutefois à partir du début du XX° siècle, ce qui correspond également à l’ouverture du Japon, dès l’ère Meiji, aux influences occidentales.

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Pour écrire cet article, je me suis entièrement basé sur le livre-anthologie de Yoël Hoffmann : Japanese Death Poems, éd. Tuttle, 1986 ; isbn : 0-8048-3179-3, prix : 21,90 € (à Paris).