V. Les « ombres » et les « échos » dans les oeuvres de poètes éminents dans le monde.
24) Au XXIème siècle, on accordera peut-être plus d’importance au silence oriental. Claudel amena le français au plus près du silence dans son poème « le bruit de l’eau sur l’eau l’ombre d’une feuille sur la feuille », tandis que Ozaki Hosai exprima la solitude humaine dans son très court haïku :
« seki o shite mo hitori »
« même toussant, seul »
Edgar Allan Poe déclara que « les poèmes longs sont des contradictions dans leurs termes. » Quand le poème est court, le lecteur doit pouvoir comprendre le silence.
25) D’une point de vue universel, le haïku est un poème symbolique, mais les significations des symboles diffèrent complètement selon chaque contexte culturel. Yosa Buson, par exemple, symbolisa la détresse d’une rose sauvage en disant :
« urei tsutsu oka ni noboreba hanaibara »
se lamentant grimpant la colline – roses sauvages
« hanaibara kokyo no michi ni nitaru kana »
roses sauvages le sentier semble celui de ma ville natale
« michi taete ka ni semari saku ibara kana »
le sentier finit le parfum se rapproche roses sauvages
Mais dans « Rose sauvage », Goethe poétisa simplement une jeune fille. En Occident, « le lilas » symbolisa la résistance, mais au Japon cette fleur ne symbolisa rien de tel. Soit l’image claire présentée par Bashô dans ce haïku :
« kare-eda ni karasu no tomari keri akino kure »
sur une branche nue un corbeau se perche dans le crépuscule d’automne
On loue ce haïku en Occident pour exemplifier le concept préconçu de l’esthétique japonaise.
« araumi ya sado no yokotau ama no gawa »
mer agitée la voie lactée va jusqu’à Sado
ce haïku est, d’autre part, très difficile à comprendre, à moins que l’on connaisse l’histoire de l’île de Sado.
26) Cependant, la communication entre les différentes cultures à travers les symboles du haïku de différentes cultures a déjà commencé. Dans le haïku, on exprime concrètement un objet en tant que symbole. Le symbole est assez suggestif pour permettre aux poètes non-Japonais de le comprendre et de l’utiliser dans leurs propres poèmes.
27) Dans les poèmes de Bashô nous trouvons des pièces surréalistes telles que :
« kumo no mine ikutsu kuzure te tsuki no yama »
tant de cumulus s’effondrant sur une montagne couronnée de lune
« shizukasa ya iwa ni shimiiru semi no koe »
tranquillité le cri des cigales fore les rochers
« ishiyama no ishiyori shiroshi aki no kaze »
les rocs sont plus blancs que les pierres du temple Ishiyama… vent d’automne
« umi kurete kamo no koe honoka ni shiroshi »
mer au crépuscule le bruit des canards sauvages légèrement blanc
Nous avons des pièces modernes de Nomura Toshiro telles que :
« shimo hakishi houki shibaraku shite taoru »
quelque temps après avoir essuyé le givre le balai tomba
Le « tant de cumulus » de Bashô offre un exemple typique de symboles sophistiqués.Le « cumulus » est la vie, l’homme et la lumière, tandis que la « montagne couronnée de lune » symbolise la mort, la femme et l’ombre. Le haïku décrit les cumulus un jour d’été, s’écroulant au fur et à mesure que le temps passe. Cette scène se change en celle de la montagne couronnée de lune dans le soir d’automne. C’est un haïku hautement symbolique. Le poème de Toshiro, d’un autre côté, évoque simplement un balai qui tombe. Mais après que le balai a essuyé le givre limpide, il tombe et reste immobile, et une tranquillité mystiquese dégage de cette scène quotidienne. Ces deux excellents haïkus sont tous deux à la frontière entre des expressions abstraites et concrètes. Ce qui engendre une qualité mystique.
28) Un bon haïku présente la vie éclatante d’énergie, transcendant vie et mort. Imoto Noichi plaidait en faveur de l’ironie du haïku, mais Shiki hardiment alla au-delà de l’ironie jusqu’au non-sens ou au dadaïsme dans son haïku :
« keito no juushi-go hon mo arinu beshi »
les crêtes-de-coq doivnt avoir quatorze ou quinze ans là
Le surréalisme fut proclamé au début du XXème siècle en France, mais se peut-il que les Japonais aient eu depuis longtemps un penchant naturel pour le surréalisme ?
(À suivre : VI) LES TENDANCES VERS L’INTERNATIONALISATION, L’UNIVERSALISATION ET LA LOCALISATION DU HAÏKU.)