Le Japon des 4 saisons, éd. du Carabe, 1998. (Extraits) :
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Soustraction ou addition ? (pp. 142-3) :
Malgré l’image de prolifération anarchique que renvoie le Japon urbain contemporain, ce pays reste curieusement et profondément marqué par des valeurs d’économie, de frugalité et de réduction et le vide y constitue encore un espace médian créateur de vie intérieure. Il faut surtout ne pas trop en faire et ne pas en rajouter. (…)
Dans l’écrit comme dans la conversation, l’inutile y est tu et reste soigneusement dosé, ishin-denshin traduisant l’importance de la simplicité extrême et de cette communication sans mots qui dit l’essentiel. Le langage des regards et des gestes, les mouvements du corps et de l’attitude deviennent alors des signes plus parlants que toute parole.
Il faut surtout ne pas trop en dire.
Pour l’essentiel, le Japon se méfie de l’abondance et de la profusion (…) Pour les Japonais, l’Occident est régi par tashizan, cette arithmétique de l’addition traduite par la richesse de nos intérieurs, de leur mobilier et motifs décoratifs, par la conquête permanente et jamais assouvie de nouveaux espaces. L’Occident aime ajouter.
Hikizan, c’est l’arithmétique de la soustraction. Elle régit le dépouillement japonais et est productrice de beauté et de vérité. Le beau est mince, le vrai aussi (…)
Cette arithmétique du retrait est profondément ancrée dans cet esprit japonais habitué à réduire, à synthétiser et à simplifier. (…) en ces temps où il est devenu vital de raccourcir les délais, de réduire les coûts, de simplifier les processus et de concentrer les informations utiles.
Pour mieux le comprendre revenons à la langue et prenons wakeru. Au sens physique du verbe, c’est l’action de sectionner, de diviser; aussi de démêler les cheveux. Cet idéogramme représente d’ailleurs un sabre qui sectionne. Abstraitement, wakaru a la même racine et est représenté par le même kanji. Il signifie dépouiller, enlever tout ce qui empêche d’atteindre l’essentiel, c’est-à-dire comprendre. Dès lors, wakaru hito c’est l’homme qui cherche à comprendre (…)
Diviser, dégager, dépouiller, éliminer l’inutile, simplifier, sont des actes préalables tant à l’expression de la beauté, sabi, qu’à la compréhension profonde et à l’acuité du regard. Par synthèse et simplification, la soustraction permet aux Japonais d’avancer au mieux et au plus vite. L’Occidental quant à lui fait intervenir une autre logique. Il analyse, il développe.
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Le mot, le silence et l’intuition (pp. 143-4) :
La démarche analytique est lente et inadaptée aux situations d’urgence. Au Japon, le réflexe construit par répétition doit prendre le pas sur la réflexion logiquement articulée, sûre mais laborieuse. Ainsi le Japonais est entraîné à l’accomplissement du geste juste, ce que l’on peut appeler le geste de l’âme. Il laisse faire ses mains. Guidées inconsciemment par l’esprit, elles convergent spontanément vers la solution. Le Japonais développe ainsi une capacité intuitive qui le porte à comprendre les choses globalement et de manière analogique, par les relations mystérieuses qui entretiennent l’esprit et les sens. Ainsi il tend à transcender le seul mode logique et linéaire, c’est-à-dire celui que privilégie l’Occident.
Cet esprit doit probablement beaucoup au zen et est présent partout au Japon, particulièrement dans la formation tournée vers l’acquisition de réflexes par mémorisation et répétition (…)
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Avant tout la forme (pp. 145-7) :
(…) la capacité à rester silencieux ou en retrait étant plutôt bon signe et considéré comme une force et une profondeur.
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(p. 145) :
Un esprit libre
Planant
Au-dessus des plaines de l’été
(Hokusai)
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(p. 156) :
Etre dans le vent, c’est le destin des feuilles mortes.
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(Fin).