Nous tous,
morts,
qui avons le même âge
(1969)
Nous tous,
morts,
qui avons le même âge
(1969)
P. 64 :
Teitoku Matsunaga (1570-1653) :
Son poème de mort :
Goutte de rosée ma vie
s’évanouit
les vêtements dans le coffre à bijoux
ne pourront plus jamais être portés :
c’est la Loi.
–
Un autre de ses jisei :
Demain sera comme aujourd’hui,
pensons-nous le jour d’avant
Mais aujourd’hui nous réalisons
que tout est changement :
Ainsi va le monde.
–
Retraite hivernale :
même les insectes
respectueusement
–
Meilleures que les fleurs de cerisier
sont les boulettes de pâte –
oies sauvages de retour
A propos de ce haïku, Nobuyuki Yuasa, proposa un commentaire, dans la revue « Blithe Spirit » vol 8, n° 3 (pp. 12-24), sous sa version :
Plus que les fleurs de cerisier
elles semblent aimer les boulettes,
oies sauvage de retour
: « Ce poème représente l’étape où les objets naturels sont employés comme métaphores évidentes des affaires humaines. Dans ce poème, le poète ne s’intéresse pas du tout à la description des oies sauvages retournant chez elles, dans le nord, au printemps, mais il les utilise comme métaphore des hommes qui souhaitent remplir leur estomac avant de régaler leurs yeux avec les fleurs de cerisier. De plus, les oies sauvages retournant chez elles constituent un thème standard du waka traditionnel. Le poète se réjouit donc de jouer le rôle d’un iconoclaste. »
(cité dans A Silver Tapestry , le meilleur des écrits critiques de la BHS, des 25 premières années. Editeur Graham High, The B.H.S., 2015, p. 55)
°
Ses disciples :
Ryûho (mort en 1744).
Il grava son poème de mort sur sa propre tombe et mourut peu après, à 71 ans :
La lune et les fleurs de cerisier –
Maintenant, de ce monde,
je connais le troisième vers
°
Ishû (ou Shigeyori) (mort en 1680, à 74 ans) :
Les bâtons des pèlerins seuls
passent
sur la lande estivale
–
Le pied sait que c’est
le premier matin de l’automne
sur la véranda fraîchement lavée
–
C’est l’équinoxe de printemps
la compassion du Bouddha
nous permet de casser les branches fleuries
°
Teishitsu (mort en 1673, à 64 ans) :
Allons à Saga,
mouettes,
manger de la truite !
°
Bôitsu (1548-1630). Etait aveugle.
Je suis ici au milieu des fleurs !
J’entends les gens rire
dans les montages printanières
–
Attendant le vent depuis si longtemps,
jusqu’à aujourd’hui,
feuilles tombées !
°
Tokugen (mort en 1647, à 89 ans).
Son dernier verset :
Jusqu’à maintenant
je racontais des balivernes –
Une nuit de lune
–
N’importe comment nous la voyons,
il n’y a rien de plus noir
que la neige
: « Voici un exemple de comment le zen intellectuel, et la philosophie de Lao-tseu et de Tchouang-tseu, ne peuvent jamais devenir de la poésie. » (R.H. Blyth.)
°
Kigin. (Professeur de haïku de Bashô ; Prêtre shintô) :
Les herbes de la pampa
prennent la forme
du vent d’automne
–
De l’eau trouble coulant
sous les fleurs de cerisiers
le long de la rivière Yoshino
°
Saimu (mort à 73 ans ; Elève préféré de Teitoku.)
Son jisei :
A l’aube
la cloche résonne dans les fleurs
autour du portail du temple Jôdô
–
Son corps a fini
en vacuité –
Quelle chose est une cigale !
°
Baisei (mort en 1699, à 89 ans. Disciple de Teitoku.) :
Sont-ce des tourniquets,
ces papillons
volant au milieu des vagues de fleurs de cerisier ?
–
Le bateau sous la lune
a besoin d’un bon vent
dans le brouillard matinal
°
Dôsetsu (mort en 1654. Disciple de Teitoku.) :
Si cela existait,
la femme-fantôme-de-neige aussi
serait comme un melon blanc
°
Tadatomo (mort en 1676, à 52 ans. Elève de Herukiyo (mort en 1657.))
Charbon blanc ;
c’était autrefois
une branche enneigée
°
Gensatsu (mort en 1689, à 83 ans. Un des « 5 sages d’Edo ».) :
Un faon *
tétant les seins de sa mère
sous les flèches **
* = un bébé en habits de faon
** = un kimono à motif de flèches.
°
Mitoku (mort en 1669, à 82 ans) :
Ces fleurs enneigées
doivent être une réponse
aux « fleurs-de-neige » *
* : « snow-flowers ».
°
Ryôtoku (un des plus anciens disciples de Teitoku) :
Sur la rive de Sumi-no-e
les tambours des vagues
avec la musique des pins
–
Papillons dansant
parmi les fleurs de cerisier ;
Kagura * sous les Ise-zakura **
* : une sorte de cerisier-saule
** : la danse sacrée du sanctuaire d’Ise.
°
(A suivre :
Sôin et l’école Danrin. (p. 78))
Haïkus de l’Année des Grand tremblement de terre et raz-de-marée, anthologie par Madoka Mayuzumi, Ed. Red Moon Press, 2014 :
ABE Ryûsei (11 ans, ville de Yamada, Iwate) – 48 :
Je suis si content de voir les fleurs de cerisier à pleine maturité *
ce haïku donna à Madoka Mayuzumi le titre de son anthologie : « So Happy to see Cherry Blossoms », (Haïkus de l’Année du Grand Séisme et du Grand Tsunami), Red Moon Press, 2014.
°°
AKAGAWA Seijô (86 ans, Sendai, Miyagi) – 75 :
condoléances pour le séisme même du saké doux dans le colis
°°
AMI Takao (66 ans :Sendai, Miyagi) – 62 :
La mer s’étant calmée je verse du jeune thé *
« Shincha » (« nouveau thé ») renvoie au thé cueilli à la fin du printemps et mis sur le marché au début de l’été.
°°
ARA Fumiko (91 ans : Village d’Iitate, Fukushima) – 30 :
froid printanier douloureux d’évacuer à 90 ans
– 95 :
Même pendant l’évacuation les répliques continuent jusqu’au Festival d’O-Bon
°°
ARA Kazuko (63 ans, de Minamisôma, Fukushima) – 50 :
Au quartier des affaires frappé par le désastre viennent les hirondelles
°°
EBIHARA Yuka (44 ans : Minamisôma, Fukushima) – 34 :
désastre du séisme débris empilés sur la Colline des Fleurs
– 97 :
La lumière de la pleine lune enveloppe lentement un village dépeuplé
°°
FUNAHASHI Matsuko (59 ans : Minamisôma, Fukushima) – 61 :
le train abandonné sur sa voie la pluie de mai
°°
GORAI Shôko (78 ans, Minamisôma, Fukushima) – 67 :
Evacuée la maison vide murmure de jeunes hirondelles
– 90 :
A Tanabata * « Je veux maman » dit un enfant de victimes
* Tanabata, un des cinq festivals sacrés du Japon.
G.S : « Un garçon de quatre ans qui perdit ses parents dans le raz-de-marée dit « Je veux maman », quand on lui demanda quels étaient ses souhaits pour les parures de Tanabata. »
°°
HATTORI Nami (64 ans, Shiogama, Miyagi) – 17 :
Panne dans la cuisine seule une lune trouble
°°
HAYANO Kazuko (81 ans, ville d’Iwaizumi, Iwate) – 101 :
ville natale près de la plage après tout de nouvelles pommes de pin
°°
HIRAMA Chikuhô (89 ans, ville de Shibata, Miyagi) – 82 :
sous le soleil brûlant un bateau flotte sur un monceau de débris
°°
HOSHIZORA Maiko (18 ans, Kesennuma, Miyagi) – 111 :
l’année qui s’achève cette année je n’ai que trop pleuré
°°
KAWABATA Michiko (80 ans, Ishinomaki, Miyagi) – 92 :
au pays des séismes des voix allègres pleines de soleil automnal
°°
KIKUTA Tôshun (84 ans, Kesennuma, Miyagi) – 110 :
en récupération dans un camp provisoire le saké est chaud
°°
KOIDE Toshie (75 ans, Minamisôma, Fukushima) – 108 :
enroulant un enfant dans une seule couverture la nuit du raz-de-marée
– 58 :
Les hirondelles n’ont pas oublié la maison endommagée
°°
KOIKE Michiko (41 ans, de Miyako, Iwate) – 43 :
amassant la boue à la pelle rejetant la boue à la pelle lueur du soir de printemps
°°
KONNO Eiko (69 ans, Fukushima, Fukushima) – 70 :
emporté un bateau de pêche reste là dans le champ estival
°°
KÔRI Ryôko (77 ans, Minamisôma, Fukushima) – 71 :
à Fukushima les humains ne peuvent plus vivre les herbes prospèrent
°°
MIYAKI Mieko (63 ans, Minamisôma, Fukushima) – 68 :
Evacués mère et fils sortent voir les lucioles
°°
MORI Mikiko (40 ans, Kesennuma, Miyagi) – 98 :
Sur le pays dévasté la lumière de la lune brille franchement
°°
OKADA Akiko (78 ans, de Tagajô, Miyagi) – 44 :
comme en rampant une autre réplique arrive dans l’obscurité printanière
°°
ÔMIKA Chieko (85 ans, Minamisôma, Fukushima) – 100 :
Avec le désastre difficile à cerner le froid qui s’insinue
°°
SAITÔ Kazuko (82 ans, de Sendai, Miyagi) – 52 :
en moi les répliques sont venues habiter profond printemps
°°
SAITÔ Keisui (77 ans, ville de Yamamoto, Miyagi) – 40 :
Il ne reste que des débris dans ma ville natale la montagne sourit *
* Le mot de saison, « yama warau », « la montagne rit », « la montagne sourit » désigne le printemps. Il provient de la première ligne d’un poème chinois écrit par le peintre « de montagne et d’eau » Guoxi (1023-1085) :
la montagne de printemps est simple-sensuelle, comme si elle souriait **
(…)
** Le caractère chinois pour « rire », « sourire », signifie également « fleurir ».
N.B. : Nombre de kigos japonais proviennent du chinois (voir aussi un article récent sur https://haicourtoujours.wordpress.com/, à ce sujet).
°°
SAKAKIBARA Kôji (35 ans, Morioka, Iwate) – 115 :
dans un port alignés pour une prière silencieuse le Premier jour de Travail
°°
SATÔ Isao (69 ans : village de Noda, Iwate) – 63 :
resté maintenant seul, cette brise odorante
– 107 :
se regroupant autour de lampes provisoires l’hiver commence
°°
SATÔ Kuniko (79 ans, Minamisôma, Fukushima) – 16 :
les vagues du printemps en partant avalent mon village
°°
SATÔ Nobuaki (77 ans, Iwanuma, Miyagi) – 74 :
Tenant un pot de roses elle déménage dans une maison de fortune
°°
SHIGA Atsuko (78 ans, Minamisôma, Fukushima) – 27 :
Où je suis venue fuir les radiations les pissenlits jaunes
°°
SHIGA Hideki (81 ans, village de Kawauchi, Fukushima) – 65 :
un seul pin dans le raz-de-marée du siècle debout, vert
°°
TAKAE Sueko (77 ans, Minamisôma, Fukushima) – 89 :
les rails d’acier de la ligne désaffectée rouillant : vulpins *
queues de renard.
°°
TAKAHASHI Aiko (83 ans, Minamisôma, Fukushima) – 94 :
Père Mère au travers de violents séismes je lave leur tombe
°°
TAKANO Mutsuo (64 ans, ville de Tagajô, Miyagi) – 45 :
sur la quille du bateau retourné les fleurs de cerisier n’arrêtent pas
°°
YOKOTA Kiichi (83 ans, village de Kawauchi, Fukushima) – 93 :
Pour Tanabata je souhaite seulement que l’évacuation soit suspendue
°°
YOSHIDA Keiko (70 ans, ville de Shibata, Miyagi) – 51 :
Les cerisiers fleurirent et se dispersèrent avec les enfants qui ne reviendront pas
°°
YOSHINO Hiroko (38 ans, ville de Namie, Fukushima) – 15 :
froid printanier et la maison et la voiture emportées
°°°
in Modern Japanese Tanka, pp. 181-192.
(Extraits)
°°°
Prix Shaku Chôkû en 1969.
Dans l’équipe éditoriale de la revue de tanka « Mirai » (« Futur ») depuis son commencement, en 1951.
A publié 16 recueils de tanka (jusqu’en 1996).
°°°
ayant écrasé
sur mon papier à dessin
un moucheron tombé
j’essuie la tache avec du pain
le lendemain matin
–
parce que
j’ai déchiré la photo
et l’y ai lancée
un poisson vient à la surface
des profondeurs bleues
–
une cuiller
près de mon oreiller
grouille de fourmis
je les tue toutes
au milieu de la nuit
–
ayant grandi
dans une culture dépourvue
de religion
inspiré par quelle foi
dois-je faire cette guerre ? *
* ce poème et le suivant furent écrits pendant le service militaire du poète en Chine.
–
des ciseaux
ont découpé mon uniforme militaire
taché de sang
d’un bruit
qui s’est répété quelques moments
–
le long d’une rue
sous le ciel encore brumeux
après une averse
quelqu’un portant sur son dos
un panneau de verre transparent
–
l’océan
luit comme du mercure
au loin
tandis que je travaille à notre bureau
vêtu d’un imperméable
–
puisque je travaille avec ceux
qui ne parlent pas ma langue
ce sentiment de vide
je sors acheter une copie
du Manifeste Communiste *
* Sur ordre de sa compagnie, le poète travailla dans une base de l’Armée d’Occupation à Tokyo, en 1945.
–
au moment
où une autre fenêtre se brise
nous rions tous
retrouvant l’instant suivant
nos visages impassibles *
* Dans le Japon de l’après-guerre, les trains étaient si bondés qu’il n’était pas rare de voir une fenêtre cassée accidentellement.
–
soldats au sol
balayés par une fusillade venant du ciel
encore et encore
pendant la séquence entière
les spectateurs restent assis en silence *
* Ecrit en 1950, après le déclenchement de la guerre de Corée.
–
projetant leur ombre
sur le lit blanc de la rivière
de lourds bombardiers descendent
chacun d’entre eux comme s’il n’y avait
âme qui vive à bord
–
LE CIEL BLANC *
leur voix qui jurait
est maintenant devenue
la voix des faibles
grâce à la magnanimité
apportée par le passage du temps
* La note de tête se réfère aux nuages de champignon blanc qui s’élevèrent dans le ciel au-dessus d’Hiroshima après l’attaque atomique de 1945. Ceux qui survécurent souffrirent de conséquences désastreuses pour le reste de leurs vies. Le poème fut écrit en 1957.
–
combien de personnes vinrent
aux funérailles de Pasternak
elle me le dit
mais ne répondit pas à ma question
une enseignante, une nuit *
* Ecrit pendant un voyage en Union Soviétique en 1961. Boris Pasternak décéda en 1960, deux ans après avoir été forcé de refuser le Prix Nobel.
–
la rue
qui renferme les richesses du monde
et ses ambitions
s’étire dans un silence étouffé
comme une allée dans le cimetière *
* Ecrit à Wall Street (N.Y.) pendant un voyage en 1962.
–
des nuages blancs d’avions
étirés au-dessus de la jungle
et puis le bombardement
pas de comptage des victimes
parce que ce sont des paysans *
* Ce poème, et les deux suivants, furent écrits en 1965, pendant la guerre du Vietnam.
–
un rêve
à propos du ciel noir de l’aube
où un dieu pleure
sur l’odeur putride
qui s’étend jusqu’à la fin de l’espace
–
pluie lugubre
qui trempe le pays
quelque chose qui incite
une race à faire cette guerre
presque sans un mot
°°°
(Tr. fr. D. Py).
Extraits du chapitre 8 de Modern Japanese Poets, Stanford University Press, 1983, pp. 335-79 :
Takahashi Shinkichi, né en 1901, le seul poète Zen de stature majeure du Japon moderne. (…) Il a lui-même fait part de son expérience d’atteindre l’éveil (« satori »), plus d’une fois (…) et a écrit quatre livres sur le Zen. (…) Se spécialisa dans le vers libre, une forme importée de l’Occident, n’écrivit ni haïku ni kanshi, les deux formes poétiques traditionnellement associées au Zen.
(p. 341 :)
Shinkichi décida de délaisser Dada (…) parce qu’il découvrit que Dada était simplement « une imitation du Zen. » (…) En Europe Dada ouvrit la voie au surréalisme; pour Shinkichi, il dégagea la voie pour le Zen.
(p. 342 :)
Depuis 1924, a été un poète Zen. (…) Shinkichi affirma une fois : « Mes poèmes nient le langage, ils nient la poésie. » (…) « La poésie vient au plus près de la vérité, mais elle n’est pas la vérité. » (…) Dans un essai intitulé « Sous la tour de Babel » : « Que veux-je donc dire quand j’écris ? Je veux transmettre la vérité (…) A ces lecteurs qui se contentent de la compréhension verbale, on peut présenter par écrit quelque chose similaire à la vérité. » (…)
En bef, Shinkichi croit que la poésie est un substitut verbal de la vérité. Dans son optique, la vérité ne peut être saisie que par intuition, après une longue période de méditation et autres exercices zen.
(p. 344 :)
Il considère, possiblement, que sa poésie est une sorte de kôan ou une version popularisée du kôan. (…) Ses poèmes essaient d’activer l’esprit du lecteur au moyen de la surprise ou de l’ironie.
Un de ses poèmes, qui ne comprend qu’une ligne :
« Personne n’est jamais mort »
(p. 346 :)
(Comme Yasuzô en vint à le réaliser,) personne ne vit, et donc personne n’est mort.
(p. 349 :)
Remarque de Shinkichi : « Le bouddhisme est une théorie qui place le vide (la vacuité) derrière la matière. »
(p. 350 :) Dans un poème intitulé « Notes de bas de page », il écrit :
» Cette chose blanche est-elle un coq ?
Tous les mots sont imparfaits; ce sont des notes de bas de page. »
Selon lui, la poésie est une note de bas de page essayant, dans sa manière imparfaite, de commenter sur un texte zen qui est invisible aux yeux normaux. (…) Dans un essai : « Une discussion sur la poésie et le zen » : « Une composition écrite avec des pensées tortueuses ne peut jamais s’appeler poème. (…) On doit apprécier les mots qui viennent à l’esprit par hasard et sans préméditation. »
(p.351 :) (3) éléments du processus créatif : (le 3ème :) la nature spontanée du processus créatif dicte la brièveté du poème produit. (…) En tant que bouddhiste zen, il voulait purger toutes les pensées calculées de l’esprit du poète attendant l’inspiration; l’esprit d’un poète doit être aussi clair qu’un ciel sans nuage; quand l’esprit est prêt, l’inspiration poétique viendra aussi naturellement qu’un nuage apparaît dans le ciel. (…) Le début d’un poème ne peut pas être forcé.
Dans l’optique de Shinkichi, donc, un poète est un agent passif qui doit attendre la visite de l’inspiration poétique. Il ne peut prendre aucune action pour la faire venir; à la place, il doit persévérer patiemment, étant toujours prêt pour le moment crucial.
(p. 352 :) Il sent qu’un poème devrait être complété par la force de l’inspiration initiale et qu’il doit donc être court. Il croit que non seulement le début de l’écriture du poème devrait être naturel, mais que le processus entier devrait aussi être spontané.
(p. 353 :) … soulignant la naturalité du processus créatif et rejetant un plan prémédité, ou une correction après coup. (…) Il continua en notant que la plupart des poèmes étaient nécessairement courts. (…) Dans son opinion, l’inspiration peut être conservée intacte dans l’esprit pendant longtemps, particulièrement si elle est forte.
(p. 357 :) Son poème : « Pas chez moi » :
« Dites-leur que je ne suis pas chez moi. / Dites-leur qu’il n’y a personne. / Je reviendrai dans cinq cent millions d’années. »
(p. 359 :) En tant que poète zen, il avait cru qu’il devrait se débarrasser de toute idée délibérée, volontaire, jusqu’à ce que son esprit ne soit empli que de pensées spontanées. Cependant le zen requérait qu’il éliminât même ces pensées spontanées. L’esprit devait devenir complètement vacante. Une personne avec un esprit complètement vacant pouvait-elle jamais écrire un poème ? Ici encore se tient le paradoxe du poète zen.
(p. 364 :) Il n’est pas facile de trouver des poètes qui ont eu l’approbation entière de Shinkichi, dans ses essais critiques, mais les deux qui s’en approchent le plus sont Bashô et Shiki. La raison principale, bien sûr, est leur lien avec le zen. Shinkichi admirait grandement les haïkus de Bashô, disant qu’ils incarnaient « l’âme la plus pure des Japonais. » Dans son opinion, Bashô put devenir un grand poète grâce à sa pratique du zen sous la férule du prêtre Butchô (1642-1715) dans son plus jeune âge. « Bashô maîtrisa le zen avec l’aide de Butchô », observa Shinkichi. « Si l’on ne considère pas ce fait, aucune discussion sur les haïkus de Bashô ne peut être valable. » Shinkichi cita le poème suivant de Bashô
La lune passant rapidement,
le feuillage à la cime des arbres
retient la pluie
comme suggérant la sorte de zen qu’il apprit de Butchô. C’était une interprétation neuve, puisqu’aucun érudit n’avait mentionné un lien entre ce haïku et le zen.
(p. 365 :) Décrivant la scène, Bashô écrivit : « Il y avait le clair de lune, il y avait les sons de la pluie – la beauté de la scène submergea mon esprit au point que je ne pouvais pas dire un seul mot. » Shinkichi vit du zen dans l’expérience de Bashô.
La tentative de Shinkichi de relier Shiki au zen était plus surprenante parce qu’aucun autre érudit ne l’avait fait. Shiki lui-même écrivit des poèmes qui semblaient se tourner vers l’athéisme. Mais, selon Shinkichi, Shiki apprit le zen avec Amada Guan (1854-1904), un prêtre, auteur du populaire « Journal d’un pèlerin ». « Parce qu’il souffrait d’une maladie chronique, il ne sembla pas avoir partiqué la méditation zen, » écrivit Shinchiki à propos de Shiki. « Mais il est impossible de penser qu’un esprit aussi sensible que le sien ne fut pas inspiré quand il rencontra le zen. Je crois que la base de la pensée de Shiki n’était finalement rien d’autre que le zen, la sorte de zen qui remonte, à travers Guan jusqu’à Tekisui, Gizan, Hakuin *. »
* Tekisui (1822-99), Gizan (1802-78), Hakuin (1685-1768), tous prêtres zen Japonais bien connus, appartenant à l’école Rinzaï.
Un exemple qu’il citait, de Shiki :
Sont-ils venus ici
pour attaquer mes yeux vivants,
ces syrphes ?
Il observa que cela suggérait que « les yeux de Shiki contemplaient sa propre mort. » Mais, en concluant ses commentaires sur Shiki, il écrivit : « Où pourrait exister une chose telle que la vie ? / Nous sommes morts tels que nous sommes. »
Shinchiki pensait probablement que le haïku représentait un état d’esprit « zen », la sorte d’état qui fit que le poète malade ressentait que « Nous sommes morts, tels que nous sommes. »
(p. 366) « A la lecture de A haute flamme, et autres poèmes de Tzara, » écrivit-il, « Je peux dire qu’il était entré dans le royaume du zen. » (…) Il dit qu’il découvrit dans la poésie de T.S. Eliot quelque chose de semblable au zen, citant des passages de Quatre quatuors. (…) Sa position contrebalance ces critiques qui tendent à sous-estimer le rôle du bouddhisme dans la vie et la poésie contemporaines japonaises.
(p. 367 :) Au XVIIè siècle on en vint à associer le haïku avec le zen. Le maître du haïku le plus admiré, Bashô, pratiqua le zen dans sa jeunesse et l’incorpora dans sa poésie et dans sa poétique. Pour beaucoup de poètes qui le suivirent, écrire du haïku était une discipline spirituelle pas différente du zen.Le haïku, à son tour, en vint à être considéré comme une forme littéraire capable de suggérer l’essence du zen.
(à suivre…)
Nous étions treize « disciples » à table, au bistrot d’Eustache ce dernier samedi.
Des rires fusèrent, qui t’auraient fait plaisir, nous en sommes assez convaincus, à la lecture de tes textes, à l’évocation de ta vie, de tes traits d’esprit et de poésie, …, Monique.
Chacun put évoquer quelque souvenir ; Françoise Lonquety nous lut un message de Janick Belleau, et de sa rencontre avec Monique et Jacques, son mari. Ben et Thomas, leurs deux fils purent ajouter leurs voix à la nôtre, à la tienne. Marie-Alice Maire nous lut ce malicieux « haïku » de Michel Duflo : « Kukaï au paradis / elle apprend au bon dieu / les règles du haïku », que tu aurais sûrement bien apprécié !
Chacun put lire également quelque haïku de toi. De ceux-ci, j’aimerais encore citer les suivants :
un oeil à droite un oeil à gauche / le monde n’est pas pareil / pour la libellule
: KP 28 du 4/4/2009.
le frelon myope / sur la fleur en plastique / au cimetière
: K.P. 40 du 10/4/10.
L’écureuil écolo / a ramassé les kleenex / derrière l’hôpital
: K.P. 42 du 12/6/10.
Conversations / croisées dans le métro / Vivement La Muette
: K.P. 55 du 25/6/11.
la petite fille / ne sourit pas à ses grimaces / tristesse du clown
: KP 82 du 12/10/13.
Ombres d’hirondelles / sur le mur blanc du matin / Nos sourires croisés
: KP 86 du 8/2/14.
Yeux noirs olive / le corbeau guette les miettes / de ma pizza
: KP 95 du 15/11/14.
Huiles essentielles / d’estragon dans le cou / – Tu sens la salade
: KP 98 du 7/2/15.
L’orage s’éloigne / la tête sur mon ventre / il se rendort
: KP 101 du 30/5/15.
La Loire grise traînasse / Je me dépêche d’arriver / Dernier rendez-vous
Cuvette d’émail / rouillée dans le jardin vide / herbe du chemin
Sur le pot de chrysanthèmes / un superbe papillon / d’anniversaire
On ne voit pas bien / le clown blanc sur les cailloux blancs / du jardin Zen
, où Ben et Thomas ont cru déceler que Monique aurait pu se définir comme ce clown blanc !
Si les fleurs volaient / autour des papillons / ça changerait quoi ?
Ô Bouddha de cinq cents tonnes / serait-ce trop te demander / de me rendre plus léger ?
Dans la maison carrée / où caser mon âme ronde / comme la lune ?
Disparaître ? / Laissez-moi être / un petit érable blanc
Venir de si loin / pour se perdre à jamais / dans la beauté
et, le dernier haïku de ce recueil :
Revenue du bout du monde / celle qui marchait sur la tête / c’était moi
: Mo(nique) Coudert.
°°°
(à suivre : la deuxième partie : le « kukaï » proprement dit.)
… qui auraient pu figurer (= présélectionnés) dans l’anthologie : Trente haïkus contre le nucléaire :
La chatte lèche naïve
la pluie de césium
– son poil tout mouillé
: Choupie Moysan.
Les panneaux solaires
des toits plus beaux sous
les chants des éoliennes
Ne plus pouvoir
toucher la terre, respirer l’air,
y pensez-vous ?
: Véronique Dutreix.
Fukushima –
mon coeur nucléaire pleure
des larmes radioactives
: Minh Triêt Pham.
Ici c’est ailleurs
ailleurs c’est ici –
on ne l’imagine jamais, mais
le pire
arrive
(quand même)
Chiens sauvages, oiseaux :
la vie
autour de Fukushima
Sommes-nous
radiopassifs ?
Fukushima fuit toujours –
seul un entrefilet
dans la presse
Les faisans ne craignent plus les chasseurs :
Fukushima – « L’Île du Bonheur »
2013
: Daniel Py
Terrasse empoisonnée
le toboggan de l’enfant
à l’intérieur
la femme
depuis la catastrophe
sa voix d’homme
la pomme
bourrée de césium
même goût
terrain de sport
entassés par centaines
les sacs radioactifs
remplacer la terre
à quand la contamination
de la lune ?
: Danièle Duteil.
Les prières d’enfants
s’élèvent avec des ballons
pour un ciel pur
Sidonia Pojarlieva.
Et combien de tonnes
de mensonges pour enfouir
les déchets nocifs ?
Tchernobyl bientôt
dans les meilleures agences
de voyages
Aucun barbelé
ne peut empêcher l’oiseau
de leur chier dessus
L’homme moderne
éclairé par une ampoule
de cent watts
Les vagues
sans cesse se brisent
à Fukushima
: Françoise Sarnel.
Fukushima N+3
le plus éloigné des cercles
celui de notre indifférence
Fukushima N+3
le réacteur de la centrale
ils l’appellent son coeur
: Franck Vasseur.
L’après-Fukushima –
le courage des femmes
un jour après l’autre
: Josette Pellet.
En zone interdite
avec combinaison et masque
retrouver les chats
Milieu de ma vie
demi-vie du plutonium
24000 ans
Autel de fortune
sur le givre du saké
les cendres de l’encens
: Gérard Mathern.
La mer a tout pris
sauf la rage des vivants –
sol contaminé
Première jonquille
sur le sol contaminé
la colère refoulée
Montée de la sève –
le cri muet des disparus
encore encore
: Marie-Alice Maire.
Avril-Novembre –
reconnaissance éternelle
aux liquidateurs
: Iocasta Huppen.
Tchernobyl
invisibles
les thyroïdes atrophiées
: Monique Junchat.
Essais nucléaires
vol de radionucléides
essaim atomique
: Patrick Gillet.
Jour anniversaire
du drame de Tchernobyl
~les chats moins espiègles
Après Fukushima
ne plus regarder la mer
avec la même âme
A Fukushima
les cerisiers sont en fleurs
rien n’a-t-il changé ?
Espoirs printaniers,
onze mars, vingt-six avril
et pourtant, pourtant…
: Micheline Boland.
Une friction existe
entre le nucléaire
et les humains
Que la lumière soit
et la lumière fut
de la centrale
: Liette Janelle.
Buvant à la source
je ne peux oublier
Fukushima
Pluie d’été –
même l’arc-en-ciel
a perdu son éclat
Après les images
après la peur
silence des médias
Rentrée scolaire
cartable sur le dos
masque au visage
: Lydia Padellec.
Nucléaire, de plus
en plus flottant ce monde
– se termine l’année
: Patrick Somprou.
°°°
Qui joua des coudes
sous Carla
pour émerger au premier rang ?
Charlie-Sarko
*
Il jouait déjà des épaules
Il joue aussi
des coudes !
(- Marche pour Charlie)
*
joué des coudes
pour être au premier rang
sur la photo de classe !
*
Après la photo de classe
il rentra dans son rang
*
Sarko, convenez-en,
est (une) source inépuisable
de senryûs !
*
A quelqu’un qui bouscule
dans une foule :
« Alors, on fait son Sarko ? »
*
Dans « Je suis Charlie »
ce que Sarko préféra
c’est le « Je »
*
« Ecrire
sans se mettre en avant »
: Sylvain Tesson.
*
*
On t’envoie au paradis
avec une ceinture d’explosifs
– va faire sauter Dieu !
(14/1/15)
*
dieu est une orage
*
Les douze
de Charlie-Hebdo(s)
envoyés en S’y-rit ?
*
S’il faut croire,
que ce soit en autre chose
qu’en dieu(x) !
*
Couper l’espoir en dieu(x) !
*
Dieu
est (une) idée
qu’il s’évapore
ce sèm’la mort !
*
les bonnes idées de dieu ?
*
dieu,
franchement,
c’est plutôt une mauvaise idée !
*
dieu, le sens du massacré ?
*
Charlie,
ces anges
couillus
Charlie,
ces couillus angéliques !
*
séviteur
*
les martyrs des djihadistes :
puis dieu les fait sauter
sur ses genoux ?
*
pour eux
sacré
et sacrifié
sont de la même famille ?
*
(16/1/15)
*
Tout attentat est odieux
– surtout s’il est religieux
*
Ils ont mouri
*
ô dieux cruels
hier(s)
demain(s)
Bannir les dieux !
*
Charpie – Hebdo
*
ce soir
la pointe d’une bougie
la flamme d’un crayon
à la fenêtre
(8/1/15)
la défaite des lumières ?
*
Trashédie
*
ce matin
du balcon mouillé
ramasser les restes de cire
de la bougie-Charlie
*
Aux semeurs de morts
aveugles
et sourds
nous faisons
un crayon d’honneur
*
Aux morts
pour le rire
nous a)dressons
un crayon d’honneur
(11/1/15)
*