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Commentaires sur le haïbun, et sur le Chichi no shuen nikki, d’Issa, par S.(L.) Mabesoone

1 février 2013

Extraits d’un échange entre Monique Serres et Seegan (Laurent) Mabesoone, avec leur permission. Qu’ils en soient remerciés ici :

De Seegan (Laurent) Mabesoone, à Monique Serres, daté du 23 janvier 2013 :

« En ce qui concerne la définition du genre haïbun, je crois qu’il est possible de se référer à d’autres japonologues que moi, MM Sieffert, Origas ou Mlle Pigeot, entre autres.
Je vais essayer de résumer : depuis Bashô (ou plus exactement depuis Yayu (1701-1783) avec son « Uzura koromo »), le haïbun s’est différencié du kyobun (« prose folle » = prose relevant de haïjin, par opposition aux textes élégants gabun des kajin – poètes de waka).
En effet, le haïbun est considéré dès lors comme « un texte de style typique du haikai ». (Pour le « Haibun gaku daijiten » de Kadokawa : haikai teki bunsho).
Ainsi, le problème n’est pas de savoir si le texte comprend ou non des haiku (hokku). Par exemple, le « genjuan no ki » de Bashô n’en comprend qu’un ou deux (selon les manuscrits).
Ce « style typique du haikai », en prose, tout comme dans le hokku ou le renku, consiste dons dans la concision (kanketsusa) et les sauts de registre (kire), d’où naît le haimi (« humour du haikai » ou « esprit du haikai »).
À ce titre, le Okuno hosomichi (traduit par Sieffert « Sente du bout du Monde ») peut être considéré comme un haïbun, bien sûr, mais il est généralement classé dans les kikobun (« proses de l’itinéraire », dites aussi Michiyukibun, cf J. Pigeot, etc.). Car ce texte possède aussi tous les traits stylistiques des récits de voyages médiévaux.
Bref, le « Chichi no shuen nikki » d’Issa est considéré à juste titre comme le plus grand haibun du XIXè siècle (Bunka/bunsei).
Même s’il ne comprenait pas un seul hokku, il le serait tout de même, car on y observe un style concis et hybride, avec de nombreux « sauts de registres» entre la réalité la plus prosaïque et les considérations religieuses, philosophiques, voire littéraires (ceci est facilement perceptible dans le texte original, car il existe dans le japonais classique une quasi-incompatibilité entre le style grave su sino-japonais et la souplesse du « japonais de souche » ; le haibun se joue de cette frontière).
Comment dire… imaginez qu’il existe en français un style mélangeant avec « l’esprit du sous-entendu » le latin antique et le français moderne ! C’est cela le haïbun, avec ou sans haiku dans le texte.

Seegan (Laurent) Mabesoone.

Idem, du 30 janvier 2013 :

(…)
Pour ce qui est de mon analyse du texte en japonais, il y a ma thèse… en japonais, sur le site de l’université Waseda, ci-dessous :
http://dspace.wul.waseda.ac.jp/dspace/handle/2065/493?mode=full

De Monique Serres à Seegan Mabesoone, le 24 janvier 2013 :

Afin de mieux visualiser le « style typique haikai », ses sauts de registres avec le jeu sur les frontières entre éléments prosaïques et réflexions plus philosophiques s’appuyant sur des niveaux de langue différents, vous serait-il possible (…) de l’expliciter sur un passage de votre traduction, par exemple : le passage du 4 mai du journal d’Issa – cette grande journée lumineuse de rémission dans la maladie du père – (…)

De Seegan Mabesoone à M.S., le 30/1/13 :

Entre les passages d’Issa :
1)
« Le 4. Grand changement » jusqu’à « jusqu’au village de Furuma », Seegan commente :
« Tout ce passage est très prosaïque, réaliste, dans une langue « vulgaire » : japonais de base « kun yomi ».

Entre
2)
« Les nuages de pluie avaient disparu » et « entendre ses premières vocalises. » :
« passage très littéraire, mais toujours en japonais de base « kun yomi », et non en sino-japonais : références à la littérature féminine classique de Heian – wabun

Entre :
3)
« En fait, ledit oiseau… » et « d’entendre chanter le coucou pour la première fois. » :
« À nouveau, prose vulgaire. »

Entre
4)
« Voici le coucou ! » et « Jour de rémission » :
Deux hokku particulièrement « raffinés » (miyabi/ga), sans mélange « raffiné-vulgaire », ce qui est inhabituel dans les hokku d’Issa. Ce style fait donc écho au passage en « prose élégante » du 2)

Entre
5)
« Aujourd’hui c’est le jour du repiquage » jusqu’à « où nous le garderions encore quelque temps avec nous ! » :
« passage en langue vulgaire, incroyablement réaliste pour son époque, sans aucune référence, pour rappeler une certaine vulgarité de l’entourage d’Issa »

Entre
6)
« Le lien entre un enfant » et « je suis resté à lui masser le cou et les pieds. » :
« passage très littéraire, mais cette fois, dans un style antique sino-japonais (l’équivalent de notre latin). Nombreuses citations en – lecture chinoise des caractères, ou expressions abstraites tirées des classiques chinois (kan-bun), afin de conclure dans un style « carré », adapté au sujet philosophique. »

« Voici un peu comment les « sauts de registres » constituent le « sel » du style hybride qu’est le haïbun.
Le changement de style permet de créer un choc émotionnel et de seulement sous-entendre la subjectivité (comme à l’intérieur d’un haïku, avec la juxtaposition inattendue de deux sujets). »

Seegan (Laurent) Mabesoone.

52 HAIKU d’automne – Blyth – p.1033-1050

5 juin 2011

°
(p.1033 :)

assis dans le palais
écoutant la nuit
les grenouilles lointaines

Buson

devant garder la maison toute la journée,
à l’écoute du coucou
lointain

Buson

frappez la mailloche de foulage pour moi,
dans ma solitude ;
maintenant, de nouveau, arrêtez

Buson

dans une maison
une voix en pleurs ;
le son d’une mailloche de foulage

Shiki

°
(p.1034 :)

« Pourquoi ne viens-tu pas au lit ? »
dit le mari, s’éveillant ;
son de la mailloche de foulage dans la nuit

Taigi

le montreur de singes
repasse la petite veste
avec la mailloche de foulage

Bashô

ma chaumière ;
dehors,
est-ce la moisson ?

Bashô

°
(p.1035 :)

ramassant les épis tombés,
avançant
vers la partie au soleil

Buson

amassé lors d’un pèlerinage
et assemblé :
l’épouvantail

Tôrin

°
(p.1036 :)

du jour où il est né,
il est vieux,
l’épouvantail !

Nyofû

une sauterelle chante
dans la manche
de l’épouvantail

Chigetsu-ni

l’épouvantail au loin,
marche
quand je marche

San-in

juste à ses pieds
on vole les haricots –
quel épouvantail !

Yayû

°
(p.1037 :)

l’épouvantail
protègeant l’enfant au sein
du vent

Issa

dans mon vieil âge,
même devant l’épouvantail
j’ai honte !

Issa

°
(p.1038 :)

le vent de l’automne
pénètre les os mêmes
de l’épouvantail

Chôi

gelée de minuit :
je pourrais dormir, si j’empruntais
les manches de l’épouvantail !

Bashô

leurs squelettes entourés
de soie et de satin :
ils admirent les fleurs de cerisier

Onitsura

la claire pleine lune –
comme si rien d’extraordinaire,
l’épouvantail, là

Issa

°
(p.1039 :)

les moineaux de la moisson
atteints par la flèche de l’épouvantail
tombent à la mer

Shiki

l’arc de l’épouvantail
s’est tourné de l’autre côté
dans la brise matinale

Shôha

l’épouvantail
tend son arc vers
le champ d’un autre

Setsugyo

°
(p.1040 :)

même devant Sa Majesté,
l’épouvantail ne retire pas
son chapeau tressé

Dansui

l’épouvantail :
indifférent
aux rayons du soleil couchant

Shirao

où je vis,
il y a plus d’épouvantails
que de gens

Chasei

le propriétaire du champ
va voir l’état de l’épouvantail
et revient

Buson

°
(p.1041 :)

une nuit de lune
les épouvantails ressemblent aux hommes :
si pitoyables !

Shiki

l’épouvantail
a l’air humain
quand il pleut

Seibi

le riz moissonné,
l’épouvantail
a l’air transformé

Buson

°
(p.1042 :)

l’eau descendant,
comme elles semblent fines et longues,
les jambes de l’épouvantail !

Buson

au soleil du soir
l’ombre de l’épouvantail
atteint la route

Shôha

les gens, bien sûr !
mais même les épouvantails
ne sont pas droits !

Issa

°
(p.1043 :)

son chapeau tombé,
l’épouvantail
a l’air dépité

Buson

l’épouvantail,
ses pieds dans la terre inondée,
endure tout ça

Shiki

°
(p.1044 :)

son chapeau tombé,
qu’elle est sans pitié
la pluie sur l’épouvantail !

Hagi-jo

dans ce monde fugace,
l’épouvantail aussi
a un nez et des yeux !

Shiki

d’où
vient le froid,
ô épouvantail ?

Issa

°
(p.1045 :)

de toutes les choses qui existent
la plus stupide
est l’épouvantail

Shiki

l’automne avance ;
les épouvantails portent
des feuilles tombées

Otsuyû

le regardant ce matin,
l’épouvantail s’est tourné
de ce côté-ci

Taigi

°
(p.1046 :)

nous avons lié amitié –
maintenant nous devons nous séparer,
épouvantail !

Issa

l’épouvantail :
en retard pour prendre
le bateau de la moisson

Shihyaku

les moineaux volent
d’épouvantail
en épouvantail

Sazanami

°
(p.1047 :)

« Monseigneur Moineau,
c’est l’épouvantail
qui s’adresse à vous ! »

Sôseki

l’hiver venu,
les corbeaux se perchent
sur l’épouvantail

Kikaku

le vent d’automne
bouscula l’épouvantail
puis continua sa course

Buson

°
(p.1048 :)

bruit de quelque chose :
l’épouvantail
tombé de lui-même

Bonchô

la première chose soufflée
par le vent de la tempête :
l’épouvantail

Kyoroku

°
(p.1049 :)

soufflé, relevé,
resoufflé :
l’épouvantail !

Taigi

rendant l’âme
debout :
l’épouvantail

Hokushi

sous la baignoire portative :
dernière demeure
de l’épouvantail

Jôsô

°
(p.1050 :)

pourrissant :
même pas bon pour le feu,
cet épouvantail !

Shôshû

°
(p.1051-1078 : OISEAUX ET ANIMAUX : à suivre…)

46 HAIKU de la préface au T. IV de HAIKU – Blyth – p.978-993

31 mai 2011

°
(p.978 :)

faisant du calme
mon seul compagnon :
solitude hivernale

Teiga

°
(p.981:)

regardant attentivement –
une bourse-à-pasteur
fleurit sous la haie

Bashô

dans le radis amer
qui me pique, je sens
le vent d’automne

Bashô

°
(p.982 :)

au sixième mois
le mont Arashi
pose des nuages à son sommet

Bashô

éclairs estivaux !
hier à l’est
aujourd’hui à l’ouest

Kikaku

on peut voir maintenant
quelques étoiles –
et grenouilles de coasser

Yayu

°
(p.983 :)

jetant les cendres,
les blanches fleurs de prunier
se troublèrent

Bonchô

le printemps bientôt fini,
la rose jaune blanchit,
la laitue devient amère

Sôdô

°
(p.984 :)

des fleurs de prunier ici et là,
il fait bon aller vers le nord,
il fait bon aller vers le sud

Buson

fleurs de colza ;
n’allant pas voir le prêtre,
passant juste à côté de chez lui

Buson

prétendant faire exprès
et traversant un temple –
la lune brumeuse

Taigi


(p.985 :)

élevant la hache
pour la couper –
elle bourgeonnait

Shiki

affûtant la faucille,
l’ansérine
a l’air de s’affliger

Meisetsu

froid matinal ;
les voix des voyageurs
qui quittent l’auberge

Taigi

°
(p.986 :)

des voyageurs
s’enquièrent du froid de la nuit
de leurs voix endormies

Taigi

sur le point de saisir l’eau,
je la sentis entre mes dents :
l’eau de la source

Bashô

le cheval rabat ses oreilles en arrière ;
les fleurs du poirier
sont froides

Shikô

ces fleurs de prunier,
comme elles sont rouges, rouges,
oui, si rouges !

Izen

°
(p.987 :)

le long du rivage
tombent les vagues, tombent et sifflent,
tombent et sifflent

Izen

à travers les cèdres
ouf, ouf, ouf,
souffle la brise

Izen

jour le plus chaud de l’année ;
le seul chapeau que j’avais :
volé !

Issa

nuit chaude ;
dormant au milieu
de sacs et de bagages

Issa

claire de lune d’automne :
des poux de mer courent
sur les pierres

Tôrin

°
(p.988 :)

dans la brise printanière
le héron neigeux vole blanc
entre les pins

Raizan

des souriceaux dans leur nid
couinent en réponse
aux jeunes moineaux

Bashô

herbes d’été ;
sur le sentier qui mène au temple de montagne,
des statues en pierre du Bouddha

Gojô

°
(p.989 :)

un coucou chante
parmi les ombres du soir ;
aucun bruit de bûcheron

Kozan

algues vertes ;
dans le creux des rochers,
la marée oubliée

Kitô

un temple de montagne ;
de l’eau claire coule sous la véranda,
de la mousse sur les bords

Kitô

élevant ses cornes,
le troupeau regarde les gens
sur la lande estivale

Seira

°
(p.990 :)

labourant le champ,
pas un oiseau ne siffle
à l’ombre de la colline

Buson

la cascade
tombe en rugissant
dans la verdure luxuriante

Shirô

combien de papillons
ont-ils franchi
ce mur de toit ?

Bashô

à l’aube
les baleines mugissent ;
une mer gelée

Gyôdai

°
(p.991 :)

à côté,
on a cessé de piler le mortier :
froide pluie nocturne

Yaha

le goutte-à-goutte
du seau à savon cesse :
la voix du grillon

Bonchô

le bruit de la carpe,
l’eau légèrement sombre,
les fleurs de prunier blanches

Uryû

jour de printemps ;
on ouvre les portes coulissantes
du grand temple

Gusai

ici et là
des grenouilles coassent dans la nuit,
des étoiles brillent

Kikaku

°
(p.992 :)

la pluie d’hiver
tombe sur l’étable ;
la voix du coq

Bashô

le jour s’assombrit,
gens du printemps qui descendent
du temple Mii

Gyôdai

un printemps non vu par les hommes –
au dos du miroir,
un prunier en fleur

Bashô

le coucou !
la terre des rizières colle
aux supports des sabots

Bonchô

°
(p.993 :)

un coucou siffle ;
entre les arbres,
une tour d’angle

Shihô

champs pour semer des haricots,
appentis à bois –
rien que des endroits célèbres

Bonchô

dans la tempête hivernale
le chat ne cesse
de cligner des yeux

Yasô

°
(p.994 : à suivre)

27 HAIKU d’été – Blyth – p.820-830

16 mai 2011

°
(p.820 :)

no ma shiranu . taiboku ôshi . semi no koe

Shiki

nombreux les arbres énormes
aux noms inconnus ;
la voix des cigales

(trad. Munier :
D’immenses arbres
aux noms inconnus –
cris des cigales)

yagate shinu . keshiki wa miezu . semi no koe

Bashô

rien ne laisse penser
à écouter la cigale
qu’elle va mourir bientôt

(trad. Munier :
Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin)

°
(p.821 :)

koe ni mina . nakishimôte ya . semi no kara

Bashô

l’enveloppe d’une cigale ;
elle mourut
de chanter

ware to waga . kara ya tomurau . semi no koe

Yayû

pleurant sur son corps mort
et sur elle-même –
la voix de la cigale

matsu no semi . doko made naite . hiru ni naru

Issa

cigales des pins,
combien de fois devez-vous encore chanter
avant qu’il soit midi ?

(trad. Munier :
Cigales des pins
comme il vous faut crier
pour que vienne midi !)

°
(p.822 :)

iroiro no . urigoe taete . semi no koe

Shiki

divers cris de rue
s’estompent –
la voix des cigales

(trad. Munier :
Tous les bruits de la rue
meurent au loin –
chant des cigales)

nakiyamete . tobu toki semi no . miyuru nari

Shiki

on voit la cigale
quand elle arrête de chanter
et s’envole

(trad. Munier
On voit la cigale
quand elle cesse de chanter
et s’envole)

semi atsushi . matsu kiraba ya to . omou made

Yayû

les cigales et la chaleur –
je souhaitais même
abattre leur pin

°
(p.823 :)

semi naku ya . tsukuzuku akai . kazaguruma

Issa

une cigale crie –
c’est précisément un moulin-à-vent
de papier rouge

higurashi ya . suteteoite mo . kururu hi wo

Sute-jo

ah, cigale au chant clair,
bien que tu le laisses,
le jour s’assombrit

°
(p.824 :)

higurashi ya . kyô no ketai wo . omou toki

Rikei

ah, cigale-qui-assombrit-le-jour,
quand je pense
aux heures gâchées d’aujourd’hui !

soko noite . takeuesase yo . hikigaeru

Chora

s’il te plaît, écarte-toi
que je puisse planter ces bambous,
ô crapaud !

(trad. Munier :
Ecarte-toi s’il te plaît
et laisse-moi planter ces bambous
ô crapaud !)

makari idetaru wa . kono yabu no . gama nite sôrô

Issa

« Je fais Mon Apparition,
Moi, le Crapaud,
J’émerge de Mon Fourré ! »

(trad. Munier :
« Je fais mon Apaprition
moi le crapaud
je sors de Mon Fourré ! »)

°
(p.825 :)

tsuki no ku wo . haite herasan . gama no hara

Buson

le crapaud :
crachant un verset sur la lune,
son ventre va décroître



gama dono no . tsuma ya matsuran . ko nakuran

Issa

Monsieur Crapaud,
votre femme vous attend,
vos enfants pleurent !

°
(p.826 :)

kumo wo haku . kuchitsuki shitari . hikigaeru

Issa

Le crapaud !
on dirait qu’il va
vomir un nuage !

(trad. Munier :
Le crapaud ! on dirait
qu’il va vomir
un nuage !)

kiri ni oru . metsuki shite iru . hikigaeru

Issa

on dirait
qu’il va chevaucher le brouillard,
ce crapaud !

(trad. Munier :
Il a l’air
de vouloir chevaucher la brume
ce crapaud !)

yoiyami ya . tsuki wo hakidasu . gama no kuchi

Shiki

jeune crépuscule ;
la gueule du crapaud
exhale la lune

(trad. Munier :
Crépuscule du matin –
la gueule du crapaud
exhale la lune)

°
(p.827 :)

furukabe no . sumi ni ugokazu . harami-gumo

Shiki

dans un coin du vieux mur
immobile
l’araignée enceinte

(trad. Munier :
Dans un coin du vieux mur
immobile
l’araignée grosse)

kumo no ko wa . mina chirijiri no . misugi kana

Issa

les petits de l’araignée
se séparent tous
pour faire leur vie

yobe no ame . baran ni fuenu . katatsumuri

Shôha

avec la pluie de la nuit dernière,
les escargots ont peuplé
les aspidistras

(trad. Munier :
la pluie nocturne
a multiplié les escargots
sur les aspidistras)

°
(p.828 :)

asayake ga . yorokobashii ka . katatsumuri

Issa

un ciel rouge au matin
pour toi, escargot ;
en es-tu heureux ?



tetsudatte . shirami wo hiroe . suzume no ko

Issa

petit moineau,
aide-moi
à attraper ces pous !

°
(p.829 :)

ono hairu . ki ni ochisuite . katatsumuri

Baishitsu

la hache attaque l’arbre
mais l’escargot
est calme et serein

°
(p.830 :)

omatsuri ni . akai dedachi no . tombo kana

Issa

la libellule
en habits rouges
va au festival

toshiyori to . mite ya naku ka mo . mimi no soba

Issa

le moustique aussi
près de mon oreille
doit penser que je suis vieux



shiba no to ya . jô no kawari ni . katatsumuri

Issa

une porte de broussailles ;
pour serrure
cet escargot

°
(p.831 : à suivre…)

22 HAIKU d’été – Blyth – p.752-762

8 mai 2011

°
(p.752 :)

u mo oyako . ukai mo oyako . futari kana

Issa

cormorans
et pêcheurs au cormoran aussi,
parent et enfant

waga io wa . kusa mo natsuyase . shitarikeri

Issa

l’herbe autour de ma cabane
a aussi souffert
de minceur estivale



u to tomo ni . kokoro wa mizu wo . kuguriyuku

Onitsura

mon âme
a plongé dans et hors de l’eau
avec le cormoran

(traduit par R. Munier :

Mon âme
plonge dans l’eau et ressort
avec le cormoran *

* à la pêche au cormoran)

°
(p.753 :)

omoshirôte . yagate kanashiki . ubune kana

Bashô

Comme c’est excitant, le bateau de la pêche au cormoran !
mais au bout d’un moment
j’éprouve de la tristesse

°
(p.754 :)

furiuri no . kari aware nari . ebisukô

Bashô

les oies du colporteur
font pitié :
Fête d’Ebisu

hatsushigure . saru mo komino wo . hoshige nari

Bashô

première pluie d’hiver :
le singe a l’air de vouloir porter lui aussi
un manteau de paille

kusa-makura . inu mo shigururu ka . yoru no koe

Bashô

un pauvre logement –
plainte du chien
dans la pluie nocturne

kekoromo ni . tsutsumite nukkushi . kamo no ashi

Bashô

les pattes des canards sauvages
sont bien au chaud
en leurs habits de laine

yoki ie ya . suzume yorokobu . sedo no awa

Bashô

belle maison :
les moineaux sont heureux dans le millet
du champ de derrière



taka no me mo . ima ya kurenu to . naku uzura

Bashô

maintenant que les yeux des faucons
se sont assombris,
les cailles carcaillent

°
(p.755 :)

inasuzume . chanokibatake ya . nigedokoro

Bashô

la plantation de thé
est un refuge salutaire
pour les moineaux de la moisson

u no tsura ni . kawa-nami kakaru . hokage kana

Chora (1729-1781)

miroitantes,
les vagues éclaboussent
la gueule des cormorans

u no tsura ni . kagari koborete . aware nari

Kakei

quelle pitié !
les torches coulent
sur la gueule des cormorans

°
(p. 756 :)

akatsuki ya . u-kago ni nemuru . u no tsukare

Shiki

lumière de l’aube ;
dans leur panier, les cormorans
endormis, rompus

oinarishi . ukai kotoshi wa . mienu kana

Buson

le gardien des cormorans
devenu vieux,
on ne le voit pas cette année

°
(p.757 :)

shinonome ya . u wo nogaretaru . uo asashi

Buson

aube –
les poissons rescapés des cormorans
en surface

°
(p.758 :)

u no mane wo . u yori kôsha na . kodomo kana

Issa

l’imitation de l’enfant
est plus merveilleuse
que le vrai cormoran

(traduit ainsi par R. Munier :

L’enfant qui l’imite
est plus merveilleux
que le vrai cormoran)

sushi oshite . shibaraku sabishiki . kokoro kana

Buson

serrant des sushi,
après un moment
le sentiment de solitude

°
(p.760 :)

naresugita . sushi wo aruji no . urami kana

Buson

à la vue des sushi trop faits
le maître
est plein de regrets

mugi katte . tôyama mise yo . mado no mae

Buson

Coupez l’avoine en face de la fenêtre !
Laissez-moi voir
les montagnes lointaines !

°
(p. 761 :)
yûbe ni mo . asa ni mo tsukazu . uri no kana

Bashô

elle n’appartient
ni au matin ni au soir,
la fleur de melon

°
(p.762 :)

hirugao ya . dochira no tsuyu mo . maniawazu

Yayû (1701-1783)

le volubilis de midi
à l’heure ni
pour la rosée du matin ni
pour celle du soir

°
(à suivre, p.762-)

9 Haiku d’été – Affaires humaines – Blyth – p.722-725

26 avril 2011

°
(p.722 :)

ôkaze no . niwaka ni okoru . nobori kana

Shiki

Un grand vent
s’éleva soudain –
la bannière !

amagumo wo . sasou arashi no . nobori kana

Shiki

tirant sur les nuages de pluie –
la bannière
de la tempête !

yamazato ni . kumo uchiharau . nobori kana

Shiki

dans le village de montagne
balayant les nuages –
les carpes de papier

nobori tatete . arashi no hoshiki . hi narikeri

Shiki

hissant la bannière,
un jour où nous souhaitions
des rafales de vent

°
(p.724 :)

nobori tateru . jinka wa tôshi . dai-garan

Shiki

les bannières hissées au-dessus des habitations
sont lointaines –
la grande abbaye

degawari ya . osanagokoro ni . monoaware

Ransetsu

changement de serviteurs :
le pathos
de son coeur d’enfant

°
(p.725 :)

degawari ya . karakasa sagete . yûnagame

Kyoroku

la servante qui s’en va ;
parapluie à la main
elle regarde le couchant

degawari ya . kawaru hôki no . kakedokoro

Yayû

changement de serviteurs :
le balai est rangé
ailleurs

degawari ya . tatami e otosu . namida kana

Taigi

changement de serviteurs –
ses larmes
tombent sur le tatami

°
(à suivre, p.726-)

10 HAIKU d’été – Blyth – p.646-653

24 février 2011

°
(p.646 :)

waga tame ni . toboshi osokare . haru no kure

Gyôdai

par égard pour moi,
allumez les lampes tard,
ce soir de printemps

°
(p.647 :)

ume ikete . tsuki to mo wabin . tomoshikage

Taigi

arrangeant les fleurs de prunier,
je les apprécierais à la lueur de la lampe,
comme si sous la lune !

°
(p.651 :)

LA SAISON :

rokugatsu no . umi miyuru nari . tera no zô

Shiki

les bouddhas du temple;
au loin,
la mer de juin



ôari no . tatami wo aruku . atsusa kana

Shirô

une énorme fourmi
marche sur le tatami;
quelle chaleur !

fûrin wa . narade tokei no . atsusa kana

Yayû

la clochette-à-vent silencieuse;
la chaleur
de la pendule

°
(p.652 :)

umabae no . kasa wo hanarenu . atsusa kana

Shiki

les mouches du cheval
ne quittent pas mon kasa;
quelle chaleur !

shinanoji no . yama ga ni ni naru . atsusa kana

Issa

sur la route de Shinano,
la montagne est un fardeau que je porte –
oh ! quelle chaleur, quelle chaleur !

°
(p.653 :)

atsukurushi . midaregokoro ya . rai wo kiku

Shiki

chaleur oppressante ;
mon esprit tourbillonnant,
j’écoute les coups de tonnerre

hagakure wo . kokedete uri no . atsusa kana

Kyorai

les melons ont si chaud
qu’ils ont roulé
hors de leur cachette feuillue

kaze ikka . ninau atsusa ya . uchiwauri

Kakô

le vendeur d’éventails
porte un chargement de vent –
ah, quelle chaleur !

°
(à suivre, p.654-)

Haiku Printemps Blyth – oiseaux et animaux – p. 501-504

2 novembre 2010

°

koe bakari . ochite ato naki . hibari kana

Ampû

l’alouette :
sa voix seule tombe
elle-même, invisible

°

kusame shite . miushinaitaru . hibari kana

Yayu

éternuant,
je perds de vue
l’alouette

°

harukaze ni . chikara kuraburu . hibari kana

Yasui

l’alouette
affronte
les vents du printemps

°
(p.502) :

hiru-meshi wo . tabe ni oritaru . hibari kana

Issa

L’alouette
est tombée
pour son déjeuner

°

kumo wo fumi . kasumi wo suuya . age-hibari

Shiki

les alouettes s’élèvent
marchant sur les nuages,
respirant la brume

°

yokonori no . uma no tsuzuku ya . yû-hibari

Issa

leurs cavaliers montant de côté,
un cheval après l’autre –
alouettes dans le soir

°
(p. 503) :

hibari naku . naka no hyôshi ya . kiji no koe

Bashô

À travers le chant de l’alouette
vient le battement
des cris du faisan

°

fukurô ga . hyôshi toru nari . sayo kinuta

Issa

La chouette bat la mesure
pour le battoir
à minuit

°

semi naku ya . gyôzui-doki no . tôfu-uri

Shiki

une cigale chante ;
prenant un bain en plein air,
l’appel du vendeur de fromages de soja

°
(p.504 :)

yamadera ya . hirune no ibiki . hototogisu

Shiki

temple de montagne ;
ronflements des siestes de l’après-midi –
la voix de l’hototogisu

°

chichi-haha no . shikiri ni koishi . kiji no koe

Bashô

la voix du faisan ;
comme je me languis
de mes parents morts !

°

ko ni aku to . môsu hito ni wa . hana mo nashi

Bashô

L’homme qui dit :
« Mes enfants sont un fardeau » :
pas de fleurs pour lui !

°

Quant j’entends
le faisan cuivré
crier « horo horo » ;
est-ce mon père
me demandé-je,
est-ce ma mère ?

(Gyôgi Bosatsu – 670-749)

°

(à suivre, p. 505… – )

HAIKU de Blyth vol II Le Nouvel An 4)

16 février 2010

°

ganjitsu ya
jôjôkichi no
asagi-zora

Le Jour de l’An :
Quelle chance ! quelle chance !
un ciel bleu pâle !

Issa.

Voici la joie simple d’Issa le ciel clair et le beau temps du jour de l’an. Issa, à ce moment est l’homme, le relatif : « Quelle chance ! » qui se réjouit et pleure; il est à la fois Dieu, l’absolu : « le ciel bleu pâle ». Gonfle en lui une joie aussi profonde que la vie même.
Les mots de Spengler peuvent apparaître trop lourds pour la simplicité de l’expérience d’Issa, mais c’est seulement parce que nous sous-estimons les expériences sensorielles simples, primitives, et manquons de voir que toute la profondeur de notre pensée et de notre sentiment en proviennent :

 » Bleu… est toujours en relation avec le sombre, le non-illuminé, l’inactuel. Il ne s’impose pas à nous, il nous tire vers le lointain… Bleu et vert – couleurs monothéistes faustiennes – sont celles de la solitude, du soin, d’un présent en relation avec un passé et un futur, d’un destin comme la dispensation qui gouverne l’univers de l’intérieur.  »

Un autre verset d’Issa, semblable au précédent, en est inférieur, car dans celui-ci Issa et le printemps sont séparés :

waga haru mo
jôjôkichi zo
ume no hana

Mon printemps aussi,
Quelle chance ! Quelle chance !
Les fleurs de prunier !

hae-warae
futatsu ni naru zo
kesa kara wa

Rampe ! – et ris !
À partir d’aujourd’hui
tu as deux ans !

Issa.

Selon l’estimation japonaise, chacun prend un an à la nouvelle année. Cet enfant donc, né l’année précédente, en mai, compte maintenant deux ans, bien qu’il n’ait en réalité pas plus de sept mois ! Issa, à cette époque, en 1819, avait cinquante-six ans et bien que deux de ses bébés garçons soient déjà morts, avait sa première fille, Sato-jo.
Le mérite poétique de ce verset réside dans l’énergie de la langue. (Elle nous rappelle l’expression d’amour de Bertha pour son bébé, dans Bliss de Katherine Mansfield : « I like you ! » ) Derrière elle, mais évident nulle part, se situe la joie du père que l’enfant ait vécu aussi longtemps déjà. Six mois plus tard, le trentième jour après la mort de Sato-jo, Issa écrivit une autre strophe à propos de son enfant; elle mourut à un an environ, de variole :

akikaze ya
mushiritagarishi
akai hana

Le vent d’automne ;
les fleurs rouges
qu’elle aimait cueillir.

Les fleurs rouges étaient celles que l’enfant voyait et voulait tenir dans ses petites mains.

ganjitsu ya
yuki wo fumu hito
nikukarazu

Jour de l’An ;
je ne hais pas
ceux qui piétinent la neige

Yayu.

Les jours ordinaires, Yayu était irrité de voir les gens marcher sur ces belles étendues de neige blanche, gâchant son uniformité lisse. Aujourd’hui, cependant, premier jour de l’an, il peut s’élever au-dessus de cette mesquinerie et ne pas ressentir de rancoeur envers ceux qui pèchent esthétiquement. Il n’est plus un intellectuel, mais un homme. Il a assez de magnanimité pour transcender de telles choses sans le moindre effort.

shôgatsu no
kodomo ni natte
mitaki kana

Ah ! être
un enfant
Au premier de l’An !

Issa.

Le bonheur sans tache et sans limite de l’enfance a un tel sens pour ceux qui l’ont perdu pour toujours ! De même que la gratitude des hommes provoque nos pleurs plus que leur mauvaise grâce, de même cette joie pure est plus émouvante qu’une tragédie.

toshidama ya
futokoro no ko mo
tete wo shite

Cadeaux de nouvel an ;
l’enfant dans le giron tend
aussi ses petites mains

Issa.

Pourquoi donc devrait-ce être si prenant ? Dans ces petites mains on peut voir les désirs d’Antoine et de Cléopatre, l’ambition de Napoléon.

ganjitsu ya
ie ni yuzuri no
tachi hakan

Jour de l’An ;
je vais ceindre cette épée,
héritage de ma famille.

Kyorai.

Le sentiment de ravissement qui étreint le poète est ressenti par lui comme plus que de la fierté pour son lignage, bien-être général, vie réussie. Il n’est pas fier de lui-même non plus qu’il ne résiste à aucun sentiment de fausse modestie. C’est une sensation de continuation du passé dans le présent, qu’exprime aussi W.S. Blunt dans The Old Squire :

 » J’aime la chasse au lièvre,
Je méprise les nouveaux sports ;
J’aime être comme furent mes parents
Quand je suis né.  »

ume sagete
shinnen no gyokei

môshikeri

À ma main une branche de fleurs de prunier,
j’ai prononcé les compliments
du Jour de l’An

Shiki.

Il y a un plaisir dans la conscience quand tout va (momentanément) parfaitement bien dans tout ce qu’on fait et dit. Nous sommes tels que serait la fleur de prunier si elle était humaine ; la branche de fleurs de prunier semble parler à travers nos lèvres.

shinnen no
hitsugi ni ainu
yonaka goro

Je rencontrai un cercueil
à minuit,
le jour de l’an

Shiki.

C’est seulement en faisant un effort qu’on peut lire ceci comme étant de la poésie et pas de la sentimentalité. Si l’esprit est parfaitement calme, si le caractère sinistre d’un côté et, de l’autre, l’aspect parfaitement ordinaire (intellectuellement parlant) de l’expérience s’équilibrent pleinement, il y a poésie. Mais si l’on penche d’un côté ou de l’autre, il y a mélodrame ou cynisme.

°

(à suivre, p.368/74)