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ganjitsu ya
omoeba sabishi
aki no kure
Premier Jour de l’An :
Je me souviens
d’un soir d’automne solitaire
Bashô.
C’est un peu à l’image de :
» Dans cette humeur douce, quand des pensées plaisantes
Apportent de tristes pensées à l’esprit. »
de Wordsworth. Ceci fut écrit In Early Spring (Au Début du printemps) et se termine avec des lignes qui peuvent – ou pas – exprimer ce qui rappelait à Bashô un soir mélancolique d’automne :
» N’ai-je pas raison de me lamenter
Sur ce que l’homme a fait de l’homme ? »
haru tatsu ya
gu no ue ni mata
gu ni kaeru
Le printemps renaît;
À la folie,
la folie revient.
Issa.
Ceci fut écrit quand Issa atteignit 61 ans, complétant ainsi le cycle sexagénaire. La roue a complètement tourné, la folie originelle de l’enfance étant maintenant remplacée par la folie enrichie de la vieillesse. Issa se moque de lui-même, mais pense ce qu’il dit.
» Les enfants de ce monde sont plus sages que les enfants de la lumière »
, et la vraie vie poétique ou religieuse ne peut, au grand jamais, conduire un homme à l’archi-prêtrise ou au baronnage. Dans le prologue, Issa dit qu’acquérir sa propre maison pour y vivre lui procure un plaisir de beaucoup supérieur à celui d’une tortue aveugle qui trouve par accident une bûche flottante (une comparaison zen).
Voici un verset dans lequel le subjectif est remplacé par l’objectif :
ganjitsu ya
hogo mo tsukue mo
kozo no mama
Jour de l’An :
le bureau et les papiers
semblables à l’an dernier
Matsuo.
ganjitsu ya
kusa no togoshi no
mugi-batake
Le premier jour de l’An ;
par la porte de ma cabane,
un champ d’orge
Shôha.
Le poète est assis dans sa cabane au matin du Premier de l’An. Le monde renaît, toutes choses sont renouvelées. Comment va-t-il célébrer ce moment propice en « rythmes harmonieux » ? Assis là, bien qu’il fasse encore froid, la porte est ouverte, et la mer d’orge gris-bleu au dehors lui signifie la vie qui renaît, anticipant les soleils chauds de l’été et la lune tranquille d’automne.
ganjitsu ya
sareba nogawa no
mizu no oto
le cours d’eau à travers les champs –
Ah, le bruit de l’eau !
C’est le Premier de l’An
Raizan.
Aujourd’hui tout a un goût différent, bruit différemment. Tout est-il véritablement semblable ou différent ? Tout est semblable, tout est différent. Tout a un sens qui vient de la contradiction entre le quotidien et le merveilleux. Whitman, dans Crossing Brooklyn Ferry, dit :
» Foules d’hommes et de femmes parés de leurs costumes habituels, comme vous me semblez curieux ! »
kanai ni mo
kyaku-buri no ari
kesa no haru
Même ma femme
se comporte comme une visiteuse,
ce matin de printemps
Isô.
Ce verset s’approche dangereusement d’un senryû, mais son objectif n’est pas l’humour de l’attitude formelle, légèrement affectée de sa femme en ce matin de l’An neuf, mais le sentiment de nouveauté et de renaissance de tout ce qu’éprouve le poète ce jour-là. Même sa femme, aussi ordinaire dans sa robe, son allure, son excitation réprimée, apparaît comme une créature neuve. Et combien plus encore les sons et les scènes de ce Matin du Premier de l’An.
—
p.360 : haïga de Chora :
uguhisu no
furugoe shitau
hatsuhi kana
Premier jour de l’An ;
j’aspire à entendre le rossignol
des temps anciens
Chora.
Le poète était connu sous le nom de Mui-an Chora, parce qu’il vivait dans son « Ermitage du Ne-rien-faire ».
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(p.362)
medetasamo
chûgurai nari
ora ga haru
Époque des compliments –
Mais mon printemps
est ordinaire
Issa.
Cette strophe est la première dans l’essai poétique d’Issa Ora ga haru, qui tire son titre des cinq premiers onji du haïku. Il y a ici un sentiment tamisé, une noirceur non sentimentale qui nous donne l’opinion de la vie mature d’Issa, son expérience de l’ainsité des choses. » Ceci » , nous dit-il, » est la vie comme je la vois. » Ce n’est pas ce qu’il nous dit (car les questions fondamentales n’ont pas de réponses) mais comment il nous le dit, ce qu’il ne dit pas, qui exprime l’impact sur lui d’une enfance solitaire, un combat cinquantenaire contre la pauvreté et sa famille, la mort de sa femme et de tant de ses enfants en bas âge. Nous sentons dans ce verset la commisération et la compassion du poète avec la grandeur et le pitoyable de l’humanité.
Une autre strophe dit la même chose moins abstraitement, mais qu’il ne faut pas du tout prendre symboliquement :
nukarumi e
tsue tsuppatte
hatsushi kana
plantant mon bâton
dans le marécage –
Premier soleil de l’Année
Issa vénère le nouveau soleil, debout devant sa maison.
ganjitsu mo
tachi no manma no
kuzu-ya kana
Jour du Nouvel An :
ma masure
comme toujours
Issa.
» Ma masure » est dans l’original « un dépotoir « . Il est intéressant de noter que nous ne nous soucions peu de savoir de quelle maison il s’agit ; clairement, c’est celle d’Issa. » Masure » est peut-être un mot trop sérieux. Il n’y a ni mépris, ni apitoiement sur lui-même au fond de l’esprit d’Issa.
Il existe une version bien plus faible qui explique ce verset :
ganjitsu mo
betsujô no naki
kuzu-ya kana
Jour du Nouvel An :
rien de différent
à propos de cette cabane !
Avec sa troisième ligne, littéralement : » Elle est comme elle est « , il nous montre la vraie maison, telle qu’elle est. C’est la maison et rien d’autre. » rien de différent » est comparatif, intellectuel, c’est une réflexion après coup. En contraste, ce verset suivant, bien meilleur :
abaraya no
sono mi sono mama
ake no haru
ce taudis et moi
égaux à nous-mêmes –
Premier jour du printemps
Issa.
ganjitsu ya
harete suzume no
monogatari
Jour de l’An :
le ciel est sans nuages ;
des moineaux bavardent
Ransetsu
Les moineaux pépient toute l’année. Les beaux jours sans nuages sont nombreux aussi. Comment se fait-il que juste en ce jour particulier, le premier de l’année, ils atteignent à leur vraie signification, leur vie poétique ?
ganjitsu ya
jojôkichi no
asagi-zora
Le Jour de l’An :
Quelle chance ! Quelle chance !
un ciel bleu pâle !
Issa.
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(à suivre – p.364)