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« Windows » : Hôsai par S. Wolfe (3)

9 octobre 2011

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Hôsai et Santôka

Santôka (1882-1940) était un moine zen errant, connu comme « unsui » ; il fut peut-être le créateur le plus célèbre du haïku de forme libre. Au début de la quarantaine, il accéda à la prêtrise bouddhiste pour essayer de changer sa vie de solide buveur. Avec son chapeau de bambou, « kasa », son bol à mendier, « teppatsu », et ses robes de moine, « hoe », il parcourut le Japon dans la voie bouddhiste tout en écrivant de la poésie.
Dans le même cas que Hôsaï, la vie de Santôka fut une existence faite d’isolement du monde commun, « inton ». L’oeuvre de ces deux poètes reflète un monde d’ascétisme tempéré par par une sensibilité vive et pénétrante. La matière poétique de la poésie de Santôka n’est cependant pas aussi variée que celle de Hôsai. Les thèmes principaux de Santôka sont exposés tant et plus : l’errance, la vie dans la nature, la mendicité, la nostalgie du retour au foyer et la beauté de la nature en sont les plus courants. Le matériau poétique de Hôsai ne se limite pas à des idées fixes et récurrentes, bien que les images d’enfants, de fenêtres et d’ombres font de temps en temps surface. Son matériau est de fait si varié qu’on le critique souvent pour son usage d’images non poétiques. Dans la sélection qui suit des poèmes de Hôsai on se rendra compte du vaste assortiment des thèmes qu’il emploie.
On ne sait pas avec certitude si Hôsai et Santôka se sont rencontrés, mais on sait qu’ils lurent leur poésie respective dans le journal de Seisensui, « Sôun ». Il semble clair qu’ils s’influencèrent mutuellement et parfois tinrent dialogue au travers de leurs versets. Le poème de Hôsai :

un corbeau s’envola en silence

eut comme réponse celui de Santôka :

un corbeau croasse ;
moi aussi suis seul

Un autre poème bien connu de Hôsai :

une libellule s’arrête
sur mon bureau solitaire

à l’air de répondre en écho à celui de Santôka :

une libellule s’arrête
sur mon chapeau de bambou ;
je continue ma marche

Voici quelques exemples supplémentaires de l’inter-relation des deux poètes :

le son des gouttes de pluie
lui aussi
a vieilli

: Santôka

venant pendant longtemps –
le son des gouttes de pluie

: Hôsaï

regardant
seul
la lune sombrer

: Santôka

lune si claire –
la regardant seul
puis allant dormir

: Hôsaï

les vagues arrivent
jusqu’à la rangée des tombes

: Santôka

pins éclairés par le soleil
une rangée de tombes dans le sable

: Hôsaï

ici maintenant
comme la mer bleue sans limites

: Santôka

cherchant quelque chose ;
abandonnant tout à la mer

: Hôsaï

Hôsaï et Santôka n’étaient pas concernés par les théories poétiques et leurs vers ne sont pas ornementés mais à l’inverse n’ont aucun bagage superflu. Étant donné que tous deux menèrent des vies solitaires, un sentiment de profonde solitude, « sabishisa », émane de leur poésie. Bien que Hôsaï n’ait pas été moine Zen comme Santôka, quelques idées bouddhistes émergent dans son oeuvre. Une de ces notions bouddhistes, que l’on peut déceler dans la poésie de ces deux poètes, est celle de se débarrasser des illusions et des possessions qui ne sont pas nécessaires, « gedatsu ». Le poème de Hôsaï :

me débarrassant de mon désir de faire du tort à quelqu’un
j’écosse des fèves

montre le concept bouddhique de se libérer de ses tendances égoïstes et de ses désirs inférieurs. Santôka touche à la phase matérielle de cette notion quand il dit :

me libérant d’une épaisseur
je commence
le voyage suivant

le mot clé des deux poèmes est « suteru », rejeter, se défaire, abandonner, etc. En fait les deux hommes réalisent cette manière de pensée à travers leurs structures poétiques dénudées, en abandonnant les éléments traditionnels du haïku.
On ne peut pas séparer les vies de Hôsaï et de Santôka de leur poésie. Comme dans le cas de Bashô, la poésie et la vie fusionnent. Leurs poèmes sont des journaux de bord de leurs vies passés à rechercher des butes spirituels. On ne peut pas imaginer l’un ou l’autre discuter de ses dernières réalisations poétiques ou de ses futurs projets d’écriture.
Ce n’est que depuis la deuxième guerre mondiale que Santôka a été accepté et a conquis sa réputation. Avant cela, il était pratiquement inconnu. Hôsaï reste relativement méconnu jusqu’aujourd’hui même. Cependant, pour les poètes et pour ceux qui s’intéressent au haïku, la poésie d’Hôsaï eut son influence à l’époque où elle fut composée. Yamamoto Goro, par exemple, un poète kyotoïte septuagénaire * se souvient de l’impact de la poésie expérimentale de Hôsaï à l’époque de sa parution originelle dans « Sôun ». Il est possible que Santôka ait été associé trop étroitement à l’alcoolisme et à l’anarchie, pour faire figure de personnage littéraire d’envergure !
En tous cas, Santôka et Hôsaï furent les deux personnages principaux de ce qu’on nomme aujourd’hui l’école du haïku de forme libre, « jiyûritsu haiku ».

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* l’essai fut composé en 1977.
(à suivre : Le haïku de forme libre.)

« Windows » – Hôsaï et Santôka – S. Wolfe

30 juillet 2010

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Santôka (1882-1940) fut un moine zen errant, connu sous le nom d' »unsui » (novice) et fut peut-être le créateur le plus célèbre du haïku de forme libre. Au début de la quarantaine, il endossa la prêtrise bouddhiste dans un essai de changer sa vie de buveur invétéré. Avec son chapeau de bambou, « kasa », son bol de mendiant, « teppatsu » et sa soutane de moine, « hoe », il parcourut le Japon en suivant la Voie bouddhiste et en écrivant de la poésie.
Comme pour Hôsaï, la vie de Santôka se tint à l’écart du monde quotidien, « inton ». L’oeuvre de ces deux poètes reflète un monde d’ascétisme tempéré par une sensibilité exacerbée, toujours en recherche. Les matériaux de la poésie de Santôka ne sont pas aussi variés que ceux de Hôsaï. Les thèmes principaux de Santôka sont exposés et surexposés : l’errance, la vie en plein air, la mendicité, la nostalgie du retour et la beauté de la nature étant les plus communs. Les matériaux de Hôsaï ne se limitent pas à des idées fixes et récurrentes, bien que les images d’enfants, de vitres et d’ombres surfacent de temps à autre. En fait, ses thèmes sont si variés qu’on le critique parfois d’utiliser des images non-poétiques. Dans la sélection des poèmes de Hôsaï qui suit, on pourra constater ce large assortiment de matières.
On n’est pas certains que Hôsaï et Santôka se soient rencontrés, mais il est avéré qu’ils lurent réciproquement leurs poésies dans le magazine de Seisensui, Sôun. Il paraît clair qu’ils s’influencèrent l’un l’autre et que parfois ils dialoguèrent à travers leur poésie. Au poème de Hôsaï :

un corbeau s’envola en silence

répond celui de Santôka :

un corbeau croasse ; / moi aussi je suis seul

Un autre poème connu de Hôsaï :

une libellule s’arrête / sur mon bureau solitaire

semble faire écho à celui de Santôka :

une libellule s’arrête / sur mon chapeau de bambou ; / je continue de marcher

Voici quelques exemples supplémentaires montrant les inter-relations entre ces deux poètes :

le bruit des gouttes de pluie
lui aussi
a vieilli

: Santôka.

prenant longtemps pour arriver –
le bruit des gouttes de pluie

: Hôsaï.

regardant la lune
tomber
seul

: Santôka.

une lune si claire !
la regardant seul
puis m’endormant

: Hôsaï.

les vagues passent
par-dessus les rangées de tombes

Santôka.

pins éclairés par le soleil
une rangée de tombes dans le sable

: Hôsaï.

étant ici maintenant
comme la mer bleue sans limites

: Santôka.

introspection –
relâchant tout dans la mer

: Hôsaï.

Hôsaï et Santôka n’étaient tous deux pas concernés par les théories poétiques et leurs vers ne sont pas très fleuris, ils manquent plutôt d’un excédent de bagage.
Parce que tous deux vécurent des vies solitaires, un sentiment de profonde solitude, « sabishisa », émane de leur poésie. Bien que Hôsaï ne fût pas moine zen comme Santôka, certaines idées bouddhistes transparaissent dans son oeuvre. Une notion bouddhiste que l’on peut détecter dans la poésie des deux poètes est celle de se débarrasser des possessions et des illusions inutiles, « gedatsu ». Le poème de Hôsaï :

me débarrassant de mon désir de nuire à autrui,
j’écosse des pois

montre le concept bouddhiste de rejeter ses tendances égotistes et de ses désirs les plus bas. Santôka touche à la phase matérielle de cette notion quand il écrit :

rejetant une épaisseur
je me prépare pour
le voyage suivant

Le mot-clé des deux poèmes est « suteru », rejeter, s’affranchir, abandonner, etc. De fait, tous deux mettaient en oeuvre cette pensée à travers leurs structures poétiques dépouillées, abandonnant les éléments traditionnels du haïku.
On ne peut pas séparer les vies de Hôsaï et de Santôka de leur poésie. Comme dans le cas de Bashô, poésie et vie sont intimement mêlées. Leurs poèmes sont les journaux de leurs vies passées dans la quête de buts spirituels. On ne peut imaginer aucun d’eux discuter de leurs derniers exploits poétiques ni de leurs futurs projets d’écriture.
Ce n’est que depuis la deuxième guerre mondiale que Santôka a acquis approbation et notoriété. Avant la guerre il était virtuellement inconnu. Hôsaï reste relativement inconnu même jusqu’à ce jour. Cependant, parmi les poètes et ceux que le haïku intéressait, la poésie de Hôsaï eut de l’influence à l’époque où elle fut composée. Yamamoto Goro, par exemple, poète kyotoïte septuagénaire, se souvient de l’impact de la poésie expérimentale de Hôsaï au moment où elle parut dans la revue Sôun. On a probablement trop associé Santoka avec l’alcool et l’anarchie pour en faire une figure littéraire d’importance.
En tout cas, Santôka et Hôsaï furent les deux principales figures de ce qui est connu aujourd’hui sous le nom de l’école de haïku de forme libre, « jiyûritsu haiku ».

Le Haiku de forme libre
(p.126/131)

(à suivre…)

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