LE NOUVEL AN
ganchô* ya
kami-yo no koto mo
omowaruru
Moritake
* Notez que » n » compte pour une » syllabe » en japonais.
Matin du Nouvel An
Je pense aussi à l’Âge
des Dieux
Moritake était Grand Prêtre du Sanctuaire d’Ise. Quand il écrivit ce verset, quand nous le lisons, nous sommes dans
» cette humeur bénie
Dans laquelle le fardeau du mystère,
Dans laquelle le poids lourd et las
De tout ce monde inintelligible
Est éclairé…
Tandis que d’un oeil apaisé par le pouvoir
De l’harmonie, et du pouvoir profond de la joie,
Nous voyons dans la vie des choses »
(in : Tintern Abbey)
et même dans la vie des Dieux. Notre état d’esprit est tel que les Dieux sont aussi réels que les personnages de Shakespeare, aussi fictifs que nous le sommes nous-mêmes; en douce gratitude nous sommes unis à ces êtres lumineux qui vivent loin dans l’espace et le temps et qui cependant vivent éternellement au profond de nos coeurs.
» Les Dieux sont heureux ;
Ils tournent de tous côtés
leurs yeux brillants
Et voient, en dessous d’eux
La terre et les hommes. »
(in : The Strayed Reveller.)
hi no hikari
kesa ya iwashi no
kashira yori
Un jour lumineux
commence par briller
sur la tête des maquereaux
Buson
Ce verset, exception à la règle de Buson d’insérer un mot de saison dans chaque poème, a été placé par certains en Setsubun, le dernier jour de l’hiver, mais son esprit en est plutôt du Premier de l’An. Les maquereaux pendent des auvents.
Ce verset est conventionnel et n’a pas de signification véritablement profonde, sauf celle de l’éveil véritable de la lumière et de la vie; il illustre la tendance à ramener le spirituel et le majestueux vers le matériel plutôt qu’à glorifier l’insignifiant. Peu importe d’où vient la lumière, si c’est de l’ongle de Richard Jefferies ou de la tête des maquereaux. La lumière est lumière, où qu’elle soit vue, mais elle est particulièrement vive au Jour de l’An.
ôashita
mukashi fukinishi
matsu no kaze
Le Grand Matin :
Des vents anciens
Soufflent dans les pins
Onitsura
» Le Grand Matin » est le matin du Jour de l’An. Cette expression apparemment peu commune est particulièrement appropriée ici. Elle s’associe naturellement au passé, un passé toujours présent. Dans le verset suivant, le poète a seulement pris le moment présent, par lequel l’ici et maintenant est, par conséquent, affaibli :
ganjitsu no
kokoro ya mine no
matsu no kaze
Le vent
dans le pin du sommet –
L’être même du Nouvel An
Tozan.
Une ligne extraite de Resignation de Matthew Arnold est très proche de l’esprit du verset d’Onitsura; elle en est cependant différente, par le ton émotionnel :
» dans ses oreilles
Le murmure d’un millier d’années. »
Ruskin dit aussi quelque chose qui nous rappelle fortement le verset d’Onitsura :
» La tache orange au bord du pic occidental lointain reflète les crépuscules d’un millier d’années. »
ganjitsu wo
tenchi wagô no
hajime kana
Jour du Nouvel An :
Début de l’harmonie
du Ciel et de la Terre
Shiki.
On peut noter ici une autre strophe de Shiki :
ganjitsu wa
ze mo hi mo nakute
shujô nari
Jour de l’An ;
rien de bon ni de mauvais –
seulement des êtres humains.
Le jour de l’An toutes chose sont de nouveau dans leur état originel d’harmonie. Il n’y a pas de distinction entre haut et bas, respectable et criminel, hommes et animaux. Tous sont unis par l’activité incessante de leur nature de Bouddha, sans aucune sorte de distinction, tous heureux aujourd’hui, et pour l’éternité.
ganjitsu no
miru-mono ni sen
fuji no yama
En ce jour de Nouvel An
la vue que nous admirons
sera le Mont Fuji
Sôkan.
L’excellence de ce haïku a fait que beaucoup ont douté que Sôkan, dont les autres haïkus sont bien inférieurs à celui-ci, en fût l’auteur véritable. À l’époque de Sôkan, les haïkus s’occupaient principalement de jeux de mots et de vanités. Il est cependant possible que l’auteur eût envisagé ce verset avec un sens plus superficiel que celui que nous lui prêtons aujourd’hui.
Le jour de l’an offre toutes sortes de délices pour nos estomacs, de la musique de koto et de biwa pour nos oreilles. Avec quoi allons-nous réjouir nos yeux, source la plus forte de notre plaisir poétique ? Asseyons-nous sur la véranda et admirons le Mont Fuji, vu chaque jour, mais, en ce jour de Nouvel An, plus auguste et sublime que jamais.
Une strophe de Meisetsu exprime les sentiments de la plupart des Japonais à propos du Japon, en ce jour spécial :
ganjitsu ya
ikkei no tenshi
fuji no yama
Premier Jour de l’Année :
Un rang d’Empereurs ;
le Mont Fuji.
sore mo ô
kore mo ô nari
oi no haru
Ceci est bon, cela aussi est bon –
Le Nouvel An
à mon grand âge.
Ryôto.
Ceci nous rappelle, d’Unmon :
» Chaque jour est un bon jour, »
et de Wordsworth :
» Les années qui rendent l’esprit philosophe, »
le mot » philosophe » étant pris ici dans son sens le plus large. Ou le même sentiment, mais plus diffus, dans ce verset :
ganjitsu mo
kane kiku kure ni
oyobikeri
Le Jour de l’An aussi
finit
avec le son de la cloche
Hakki.
Plus semblable encore est le suivant :
ganjitsu ya
taga kao mite mo
nen no naki
Jour du Nouvel An ;
Le visage de qui que l’on voit
est sans souci
Shigyoku.
°°
(à suivre, p.359)