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Kyôbun à l’étincelle…

20 mai 2011

°

Ne pas chercher plus loin
que l’éclair,
l’étoile filée,
la fiente d’un oiseau en vol,

Ne pas dire plus :
c’est inutile !

sans mots :
cette fleur
ce haïku

: Direct

°

d.(mai 2011)

R.H.Blyth HAIKU vol 1 sect 2,4 Le Sans-mots p.176

22 novembre 2009

4) Le Sans mots. (p.176-182)

C’est principalement un état « sans mots », celui dans lequel les mots sont utilisés non pour exprimer quoi que ce soit, mais plutôt pour évacuer quelque chose qui semble s’interposer entre nous et les choses réelles, qui, n’étant en fait pas séparées de nous, sont donc perçues automatiquement.

« Il était un vieil homme qui supposait
Que la porte d’entrée était partiellement fermée,
Mais quelques très gros rats
Mangèrent son manteau et ses chapeaux
Pendant que le vieux gentleman futile somnolait. »

Edward Lear.

C’est un moment

« Où la lumière du sens
s’éteint, mais avec un flash qui a révélé
le monde invisible. »

Prelude, VI, 600-602.

Un autre exemple de Lear :

« Ploffskin, Pluffskin, Pelican jee !
Nous pensons qu’aucun oiseau n’est plus heureux que nous !
Plumpskin, Ploshkin, Pelican jill !
Nous pensons ainsi alors, et nous pensions cela encore ! »

Ceci illustre ce que Thoreau dit à la fin de Walden :

« La vérité volatile de nos mots devrait sans cesse trahir l’inadéquation de la déclaration résiduelle. Leur vérité est aussitôt traduite ; son monument littéral seul reste.

Eckhart dit :

« Gott hat keinen Namen… In ihrer Namenlosigkeit sind Gott und Seele eins. »

(« Dieu n’a pas de nom… Dans leur état de « sans nom », Dieu et l’âme sont un. »)

Le Christ, essayant de trouver un nom pour ce qui n’en a essentiellement pas, se dit porte, roi, vigne, berger, voleur dans la nuit. Ce danger de confondre les noms pour les choses va de pair avec celui d’être tué par les mots de la vie :

« Malheur à moi,
les mots ailés sur lesquels mon âme transpercerait
les hauteurs de l’univers rare de l’Amour,
sont les chaînes de plomb de son vol de feu. »

Epipsychidion.

Lawrence exprime la même pensée avec une autre métaphore :

« Un monde sombre et tranquille, où le langage n’agita jamais les feuilles croissantes et ne dessécha jamais leurs bords tel un mauvais vent. »

The Man Who Died.

Le Christ regrette son enseignement et son prêche :

« Quelle pitié que je prêche pour eux. Un sermon a tellement plus de chances de sécher en boue, et d’obstruer les fontaines qu’un psaume ou qu’un chant. »

The Man Who Died.

Deux des génies les plus éloquents que le monde ait porté ont affirmé que la vérité est inexprimable :

« Si l’abîme
pouvait vomir ses secrets… mais une voix
manque, la profonde vérité est sans image. »

( : dit par Demogorgon en réponse à Asia qui le questionnait sur l’origine du mal.)

« La Grande Voie ne s’exprime pas ;
L’Éloquence Parfaite ne parle pas. »

Sôshi.

S’il en est ainsi, comment nous est-il possible de nous transmettre les uns les autres le fait de notre perception de la même vérité ? Dans son essai sur Wordsworth, Matthew Arnold dit :

« La poésie n’est rien de moins que le langage le plus parfait de l’homme. »

Quelle sorte de langage est-ce là ?

Mono iwazu kyaku to teishu to shiragiku to

Ils ne prononcèrent aucune parole.
Le visiteur, l’hôte,
Et le blanc chrysanthème.

Ryôta.

Cependant cela peut être des mots autant que du silence :

Yûbe no ureshisa ashi arau toki no futakoto mikoto

Ce soir, …le bonheur,
Tandis que je lavais mes pieds,…
Ces deux ou trois mots.

Kaito

Le haïku retire autant de mots que possible entre la chose même et le lecteur. La poésie anglaise utilise trop souvent les mots comme des vice-régents de Dieu. Ceci est dangereux, et les mots peuvent ainsi devenir les chaînes de l’esprit. Quand un haïku échoue, nous restons avec l’objet nu dépourvu de signification, à cause d’une sélection et d’un rejet insuffisamment forts. Quand un poème anglais tombe à plat, nous restons avec de simples mots, avec des syllabes sans sens. Quelques haïkus, malgré leur brièveté, sont trop longs :

Asamashi ya mushi naku naka ni ama hitori

Que c’est pitoyable !
Parmi les insectes
Une nonne solitaire

Gonsui.

La première ligne est non seulement redondante, mais le pathétique de la scène disparaît en étant mentionné, à bien y penser. Les cris des insectes dans le champ d’automne et la nonne qui s’y trouve, seule, suffirait, et tout en plus est en trop. Mais la simple brièveté n’est pas poésie. Ceci est particulièrement vrai quand des éléments intellectuels sont omis. Par exemple :

Ta iwa hana wa minu sato mo ari kyô no tsuki

Il y a des hameaux
Qui ne connaissent ni dorades ni fleurs
Mais tous ont la lune d’aujourd’hui

Saikaku.

Ceci dit littéralement : « Dorades, fleurs, des villages ne connaissant pas il y a aussi, la lune d’aujourd’hui. » Ceci n’est pas de la poésie parce que les éléments intellectuels ne se fondent pas dans l’attitude poétique. Il y a un hiatus : les mots s’interposent entre nous et le sujet. Nous pouvons dire du bon haïku ce que disait Alcott du bon enseignant, et ce que les gens devraient garder à l’esprit dans leur imitation du Christ :

« Le vrai professeur défend ses élèves contre sa propre influence personnelle. Il inspire la méfiance envers lui. Il guide leurs yeux de lui vers l’esprit qui l’anime. Il n’aura pas de disciples. »

Certains poètes, certaines sortes de poésie ont un effet intimidant sur nous, et c’est une illustration du pouvoir que les mots exercent. Nous ne devons jamais leur permettre d’être autre chose que des ustensiles et des serviteurs. Humpty Dumpty dit :

« Il y a de la gloire pour vous ! »
« Je ne sais pas ce que vous voulez dire par « gloire », répliqua Alice. Humpty Dumpty souria avec condescendance : « Bien sûr que non – jusqu’à ce que je vous dise. Je voulais dire qu’il y a un chouette argument imparable pour vous. »
« Mais « la gloire » ne signifie pas un chouette argument », objecta Alice.
« Quand j’utilise un mot, dit Humpty Dumpty d’un ton plutôt dédaigneux, il signifie juste ce que je choisis qu’il signifie – rien de plus, rien de moins. »
« La question est de savoir, dit Alice, si vous pouvez faire en sorte que les mots signifient tant de choses. »
« La question est, dit Humpty Dumpty, leque doit être le Maître – c’est tout ».

À travers le miroir, VI.

On peut trouver une illustration de ceci dans Dombey et Fils. Dickens montre comment le mot « considérant » est utilisé pour révéler tout un monde de l’esprit, un état d’âme :

« Je vais bien, considérant ». Madame Pipchin utilisait toujours cette forme de mots. Cela voulait dire considérant ses qualités, ses sacrifices, etc. »

Nous devons utiliser le langage le plus fort pour dire que rien n’est plus dangereux, plus « pieuvre » et plus insidieux que les mots. Un homme dit : « La véritable place d’un chien se trouve hors de la maison ! » et je le hais pour cela, sans réaliser que lui et moi parlons de deux choses entièrement différentes qui ont le même nom. Ou, pour le dire plus exactement, ce qu’il regarde et ce que je regarde n’est pas du tout la même chose. Ce qu’il n’aime pas, je ne l’aimerais pas non plus, si je le voyais. Ce que j’aime, il l’aimerait aussi, pût-il le voir . Mais c’est le mot cru et vague de « chien » qui nous égare, nous emporte dans l’incompréhension et nous fait nous sentir antipathiques l’un envers l’autre. Si le mot « chien », en apparence si clair et si concret est ainsi ambigu et si peu maniable, à plus forte raison les mots Dieu, liberté, humanité, musique. On peut dire qu’un accroissement de sagesse implique qu’on se libère soi-même des chaînes avec lesquelles nous sommes de plus en plus liés au fur et à mesure que notre vocabulaire s’étend.

« Les ombres de la prison commencent à se refermer
sur le garçon qui grandit. »

Il y a des moments où les mots perdent leur pouvoir propre et nous servent avec humilité et vérité, quand nos pensées paisiblement s’organisent en conformité avec l’ordre des choses. Cependant il reste encore vrai que le couinement de la plume avec laquelle j’écris renferme plus de sens et moins d’erreur que tout ce que je peux écrire. Après tout, à quoi se résument toutes ces années d’enseignement du Bouddha ? Comme Dôgen dit :

Yama no iro tani no hibiki mo mina-nagara
Waga shakamuni no koe to sugata to

Les couleurs des montagnes,
Les échos des vallées, …
Tous, tous sont
La forme et la voix
De Shakamuni.

5) La Non-intellectualité. (p.182-9)