Posts Tagged ‘Saigyô’

« Le rire dans le haiku japonais » par Nobuyuki Yuasa

22 février 2013

Tiré de « Haijinx » Vol. I, n° 1 (printemps 2001), et d’après Rediscovering Bashô – une célébration de son tricentenaire, Global Books, 1999 :

« Le rire dans le haiku japonais »
par Noboyuki Yuasa,
fait partie d’un recueil d’essais qui détaillent les influences de Bashô sur le haïku d’aujourd’hui:

°°°

On conçoit généralement de nos jours que le rire appartient au domaine du senryû et que même un sourire n’est qu’accidentel dans le haïku. Il y a en effet beaucoup à dire pour la défense de ce point de vue habituel. Le haïku s’est formé à partir du hokku, poème initial de versets liés, requérant plus de dignité et de profondeur que le restant des poèmes de la chaîne, tandis que le senryû s’est formé à partir des « hiraku », les strophes comme simples membres de la partie centrale de la chaîne où l’on attendait plus d’esprit et d’imagination. On a aussi considéré généralement deux choses comme essentielles au haïku : le « kigo » , un « mot-de-saison » qui donne de l’élégance au poème, et le « kireji », un « mot-de-coupe » qui élève le statut du poème en lui donnant son indépendance syntaxique et son pouvoir émotionnel. Ni l’un ni l’autre ne sont nécessaires dans le senryû. De plus, on dit que les traits caractéristiques du senryû se trouvent dans la peinture (description) de « jinji », les affaires humaines, normalement de manière comique, et dans l’utilisation franche de « zokugo », des termes vulgaires.
Ayant dit cela, je ne peux cependant pas m’empêcher de questionner cette vue traditionnelle. Quand Yamazaki Sokan (1460-1540) et Arakida Moritake (1473-1549) initièrent le « haikai no renga », à l’ère Muromachi, celui-ci fut intentionnellement créé comme une révolte contre la tradition élégante du waka et du renga. Ceci étant suggéré par le titre même de l’anthologie qu’édita Sokan : Inu Tsukuba Shu, « Inu » signifiant « chien » et « Tsukuba » n’étant pas uniquement une métaphore du waka, mais également le titre de l’anthologie de renga compilée par Nijo Yoshimoto (1320-1388). Un exemple de l’anthologie de Sokan nous convaincra facilement de la « chiennerie » de sa poésie :

Sirote tes larmes –
Il n’y a rien pour moucher ton nez
dans ce mois sans dieux

Dans le japonais original, puisque « sans dieux » et « sans papier » se prononcent de la même manière, il y a là un jeu de mots qui impressionne le lecteur par son esprit. D’après les critères actuels, c’est probablement plus du senryû que du haïku. Pourtant, il fut choisi pour cette anthologie par le poète que l’on considère habituellement comme le père de la tradition du haïku. On peut voir le même esprit dans le poème suivant, de Sokan lui-même :

Dans la pleine lune
fourrez un manche, cela fera
un superbe éventail

Ce poème est iconoclaste au sens où la pleine lune, considérée traditionnellement comme l’incarnation même de la beauté élégante est ramenée du ciel à la terre. Cependant le poème n’est pas sans posséder quelque beauté, parce que lune et éventail mettent en valeur la fraîcheur du soir.

Un exemple de Moritake, maintenant :

Le saule vert
peint un sourcil sur le visage
d’une berge

Ce poème, à mon avis, est plus traditionnel que celui de Sokan en ce qu’il décrit une belle scène printanière, mais l’emploi hardi d’une métaphore le « distingue » de la poésie traditionnelle. On lit le poème d’une double façon, car derrière le saule nous voyons le visage d’une femme avec de beaux sourcils.

Cette tradition ouvertement comique, débutée avec Sokan et Moritake, fut d’une certaine manière révisée dans les premières années de l’ère d’Edo par Matsunaga Teitoku (1571-1653) qui essaya d’élever le « haikai no renga » du niveau d’une rébellion infantile. Il dit dans Tensui Sho que puisque le « haikai » est une forme de « waka », il ne faudrait pas le rabaisser au rang de poésie vulgaire. Mais Teitoku ne renia pas le rire. Il essaya plutôt de l’affiner. Un de ses disciples, Saito Tokugen (1559-1647) compara le renga au No et le haikai aux « kyogen » (interludes comiques joués entre les pièces de théâtre No), disant que tout ce qui était « inférieur », comme le kabuki, devrait être banni. Voici un poème de Teitoku qui montre la différence existant entre lui et les poètes le précédant :

Les boulettes aux fleurs
elles semblent préférer, toutes ces
oies sauvages qui s’en retournent

Teitoku provoqua souvent le rire en utilisant une expression proverbiale à un endroit inattendu. Dans ce poème, le proverbe populaire « des boulettes plutôt que des fleurs » sert à expliquer pourquoi les oies sauvages retournent au nord quand le printemps arrive au Japon.

Teitoku réussit, sans aucun doute, à chasser la vulgarité du haïkaï. D’un autre côté, il est indéniable que sa poésie devint quelque peu pédante : plus savante mais moins imaginative que celle de ses prédécesseurs. Cette tendance fut vivement attaquée par Nishiyama Sôin (1605-1682). Celui-ci forma avec ses disciples un groupe appelé « Danrin », ce qui signifie « forêt loquace ». Ce nom suggère que son groupe était plus proche de la vie des gens du commun. Par suite de cela, ils s’éloignèrent de la pédanterie de Teitoku, infusant à leur poésie un esprit de plus grande liberté. Voici un poème de Soin :

les ayant regardé longtemps
je chéris les fleurs, mais, ah,
la douleur dans mon cou !

Derrière ce poème nous voyons le tanka de Saigyo :

Les ayant regardé longtemps,
je chéris les fleurs si tendrement
que quand elles se dispersent
je ressens d’autant la tristesse
de leur faire mon dernier adieu

Nous devons ici admettre que, dans une certaine mesure, le poème de Soin est iconoclaste, mais d’une qualité autre que celui de Sokan. Le but de Sokan, nous l’avons vu, était de détruire le monde élégant du waka, tandis que celui de Soin était plutôt de présenter une scène humoristique. Je crois pouvoir dire que Soin fut le premier poète à découvrir la légitimité du rire dans le « haikai no renga ». Je pense que c’est ce que Okanichi Ichu (1639-1711) ressentait quand il disait dans Haikai Mokyu que l’essence du haikai est le rire (kokkei). Selon lui, le haïkaï devait s’écrire « sans rime ni raison », c’est-à-dire avec « des mots qui sortent spontanément de la bouche pour plaire à l’auditeur. »

Noboyuki Yuasa.

Les 1012 haikai de Bashô – 205-209)

1 février 2012

°
(Visitant le temple de Futakamiyama Taima, je vis un pin vieux d’un millier d’années environ, qui étendait ses branches au-dessus d’un jardin. Il était si grand qu’il aurait pu recouvrir le troupeau que Tchouang-Tseu mentionna dans son histoire. Ce fut un très grand et précieux bonheur que le pin, sous la protection de Bouddha, eut échappé à la hache.)

prêtre et belle-de-jour
combien de fois réincarnés
sous la loi du pin

(saisons mixtes, 1684)

NB : L’arbre dans l’histoire de Tchouang-Tseu était un chêne japonais qui pouvait recouvrir des milliers de vaches, tellement il était grand. L’arbre put survivre aussi longtemps parce qu’on ne le considérait bon à rien d’autre. Dans le poème de Bashô, le pin était un rappel de la manière dont prêtres et belles-de-jour, sous les lois du Dharma, se réincarneraient encore et encore, tandis que le vieux pin, dans son vieil âge sous la protection du Bouddha, n’avait plus à affronter les cycles des morts et des renaissances.

°
(Les restes de la chaumière de Saigyô se trouvent du côté droit du temple intérieur; on y accède en continuant quelques centaines de pas sur un chemin de bûcheron. La cabane fait face à une profonde vallée dotée d’une vue splendide. L' »eau claire qui ruisselle » est toujours la même qu’aux temps anciens, et, même maintenant, les gouttes s’écoulent toujours.)

la rosée goutte, goutte
voulant rincer enfin
la poussière de ce monde

(automne, année inconnue)

NB : La référence de Bashô à « la claire eau qui goutte » vient du poème de Saigyô : « s’égouttant / la pure eau de source tombe / sur des rochers moussus / pas assez pour en tirer / pour cette vie d’ermite »

°

Ignorant l’hiver
la maison où l’on décortique le riz
le bruit de la grêle

(été 1684)

NB : (…) Parce qu’ils avaient beaucoup de riz à décortiquer, leur hiver serait aussi chaud qu’un été. Le seul bruit de grêle serait celui du battage du riz pour en ôter l’enveloppe.

°

frappez le battoir
pour que je l’entende
femme du temple

(automne 1684)

NB : Poétiquement parlant, on supposait que le son du battoir pour y battre la soie tissée, était romantique voire érotique, quand une femme s’y attelait, tard, une nuit d’automne.

°
(Je franchis montagnes et vallées, le soleil de l’automne avancé déjà au déclin. Parmi tous les endroits célèbres ici, j’allai d’abord faire mes dévotions au mausolée de l’ancien empereur Go-Daigo.)

la tombe impériale date
vous souvenez-vous de l’endurance
fougère du souvenir

(automne 1684)

NB : Shinobu désigne à la fois une fougère appelée « pied de lièvre » et « se rappeler » ou « endurer ». Bashô pense que les plantes autour de la tombe doivent se rappeler les personnes qui ont visité ce lieu sacré. Il voudrait pouvoir accéder à ces souvenirs.

°
(à suivre : 210-1012)

Les 1012 haikai de Bashô – 186-190)

22 janvier 2012

°

glace sévère
la gorge du rat
à peine humide

(hiver 1683)

NB : Parce qu’il n’y avait pas d’eau potable à proximité, Bashô devait l’acheter. Ce poème aurait pu se baser sur la fable de Tchouang Tseu selon laquelle : « Un rat boit l’eau de la rivière, mais pas plus qu’il ne faut. » Bashô s’excusait peut-être de la quantité d’eau qu’il devait acheter ou en pensant au paradoxe d’avoir à acheter de l’eau en vivant près d’une rivière.

°

le printemps se lève
dix quarts de vieux riz
au nouvel an

(Nouvel an, 1684)

NB : Les disciples de Bashô étaient dans l’obligation de veiller à ce que sa gourde de riz restât pleine, en rétribution de ses services. Bashô se sentait bien entretenu parce que ses élèves lui avaient donné plus que ce qu’il n’utilisait. Ce verset utilise le contraste technique entre le nouvel an et le vieux riz. La première séquence du poème disait « comme je suis riche ». La révision ajoute un mot de saison et supprime le commentaire émotionnel.

°
(Dans la maison de Chiri à Asakusa :)

la soupe d’algues
montre de tels talents
dans un bol décoré

(printemps 1684)

NB : Asakusa était renommé pour ses alguesnori, largement consommé au Japon, et qu’on utilise de nos jours pour enrober les sushi. Le asagi wan était un bol décoré de fleurs et d’oiseaux en rouge et blanc sur un fond bleu clair.

°
(Bunrin m’a envoyé une peinture du Bouddha quittant la montagne, que j’ai placée sur mon autel.)

gloire au Bouddha
sur un piédestal d’herbes
quelle fraîcheur

(été 1684)

NB : Bunrin était un des élèves de Bashô. La plupart des peintures représentent le Bouddha sur des fleurs de lotus, mais Bashô ne peut utiliser que de l’herbe pour piédestal. Le poème peut aussi signifier qu’au lieu d’un autel en bois, celui-ci n’était fait que d’herbes tissées ou nouées.

°

N’oubliez pas
de profiter de l’air frais à
Sayo de Nakayama

(été 1684)

NB : Cette strophe fut offerte à Fûbaku, employé du sanctuaire d’Ise, alors prêt à faire le voyage de retour pour son travail. Sayo no Nakayama (« Centre des Montagnes ») était un des lieux, sur la route du Tôkaidô, célèbre parce que Saigyô, comme d’autres poètes avant lui, évoqua l’endroit dans un de ses poèmes.

°

(à suivre : 191-1012)

°

34 Haiku de printemps + 3 waka + 2 haiga – Blyth – p.601-615

9 février 2011

°
(p.601 :)

myôjô ya . sakura sadamenu . yama-katsura

Kikaku

étoile du matin –
distinguant les fleurs de cerisiers
des nuages de traîne

sakura sakura to . utawareshi . oiki kana

Issa

« fleurs de cerisier, fleurs de cerisier… »
dont on chantait,
ce vieil arbre

burando ya . sakura no hana wo . mochinagara

Issa

l’enfant se balance sur la balançoire,
dans sa main une branche fleurie
de cerisier

°
(p.602 :)

sakura sakura koro . tori ashi nihon . uma shihon

Onitsura

quand les fleurs de cerisier fleurissent
les oiseaux ont deux pattes
les chevaux quatre

me wa yoko ni . hana wa tate nari . haru no hana

Onitsura

yeux horizontaux,
nez vertical ;
fleurs du printemps

shitagau ya . oto naki hana mo . mimi no oku

Onitsura

les fleurs silencieuses
parlent aussi
à cette oreille intérieure docile

°
(p.603 :)

mikaereba . ushiro wo ôu . sakura kana

Chora

regardant par-dessus mon épaule,
tout était recouvert
de fleurs de cerisiers

yomo no hana ni . kokoro sawagashiki . miyako kana

Chora

leurs coeurs
et la capitale affairés,
avec des fleurs de cerisiers partout

morobito ya . hana wo wakeiri . hana wo izu

Chora

tous allant dans les
fleurs de cerisiers, sortant des
fleurs de cerisiers

°
(p.604 :)

yo no naka wa . mikka minu ma ni . sakura kana

Ryôta

le monde
pas vu de trois jours –
et les fleurs de cerisiers !

hana no kage . aka no tanin wa . nakari keri

Issa

sous les fleurs de cerisiers
personne n’est
un parfait étranger

°
(p.605 :)

kufû shite . hana ni rampu wo . tsurushi keri

Shiki

quel mal me suis-je donné
pour suspendre la lampe
sur la branche en fleurs !

hitogoe ni . hotto shita yara . yûzakura

Issa

à la voix des gens
les fleurs de cerisiers
ont rougi un peu



tsurigane no . kumo ni nuretaru . sakura kana

Shiki

des fleurs de cerisiers,
mouillées par les nuages
autour de la cloche du temple

°
(p.606 :)

yo ni sakura . hana nimo nenbutsu . môshi keri

Bashô

même aux fleurs de cerisiers
à leur apogée dans ce monde
nous murmurons « Namuamidabutsu ! »

kannon no . aran kagiri wa . sakura kana

Issa

Où que soit Kwannon,
partout
il y a des fleurs de cerisiers

°
(p.607 :)

ten kara de mo . futtaru yô ni . sakura kana

Issa

Ah, ces fleurs de cerisiers,
comme si descendues
en flottant du ciel !

yozakura ya . bijin ten kara . kudaru tomo

Issa

fleurs de cerisiers la nuit !
juste comme des anges
descendus du ciel

yozakura ya . ten no ongaku . kikishi hito

Issa

fleurs la nuit !
les gens cherchent à entendre
une musique divine

hada no yoki . ishi ni nemuran . hana no yama

Rotsû

colline de fleurs de cerisiers ;
je vais sommeiller
sur une pierre lisse

°
(p.608 :)

kumo wo nonde . hana wo haku naru . yoshino yama

Buson

avalant les nuages,
recrachant les fleurs de cerisiers,
le mont Yoshino !

kane kiete . hana no ka wa tsuku . yûbe kana

Bashô

la cloche du temple s’éteint –
le parfum des fleurs dans le soir
continue de sonner la cloche

kono yô na . masse wo sakura . darake kana

Issa

en ces jours récents,
ces temps dégénérés,
des fleurs de cerisiers partout !

°
(p.609 :)

ima no yo mo . tori wa hokekyô . naki ni keri

Issa

même en ce monde actuel,
des oiseaux chantent
« Hokekyô ! »

yukikurete . amemoru yado ya . ito-zakura

Buson

rattrapé par le soir,
le toit de l’auberge fuit;
un cerisier pleureur

°
(p.610 :)

(Blyth : « ce haiku provient probablement du fameux waka de Tadanori :

l’obscurité me rattrape;
l’ombre de cet arbre
mon auberge,
ses fleurs mes hôtes,
cette nuit)

samazama no . koto omoidasu . sakura kana

Bashô

combien, combien de choses
elles rappellent,
ces fleurs de cerisiers !

ware yande . sakura ni omou . koto ôshi

Shiki

les fleurs de cerisiers :
malade, combien de souvenirs
elles me rappellent !

°
(p.611 :)

hana saite . omoidasu hito . mina tôshi

Shiki

fleurs de cerisiers épanouies ;
ceux dont je me souviens
sont tous au loin

karasaki no . matsu wa hana yori . oboro nite

Bashô

le pin de Karasaki,
plus estompé
que les fleurs de cerisiers

ou :

le pin de karasaki
embrumé, on ne le distingue pas
des fleurs de cerisiers

le vert
du pin de Karasaki
est aussi indistinct,
dans la continuité des fleurs de cerisiers
au matin de printemps

(: un waka de l’Empereur Gotoba, (1184-98))

°
(p.614 :)

kô ikite . iru mo fushigi zo . hana no kage

Issa

quelle étrange chose
d’être ainsi vivant
sous les fleurs de cerisiers !

ku no shaba ya . sakura ga sakeba . saite tote

Issa

un monde de chagrin et de douleur,
même quand les fleurs de cerisiers
sont écloses

°
(p.615 :)

hana saite . shinitomo nai ga . yamai kana

Raizan

les fleurs de cerisiers s’ouvrent;
je ne souhaite pas mourir,
mais cette maladie…

mon plus cher désir
est de pouvoir mourir
sous les fleurs de cerisiers
à la pleine lune
du second mois du printemps

(: waka de Saigyô.)

°
(p.612/613 : 2 haiga d’Issa :)

niwa no chô . ko ga haeba tobi . haeba tobi

Issa

dans le jardin, un papillon :
le bébé rampe, il s’élève;
elle rampe, il s’élève à nouveau

ku no shaba ya . sakura go sakeba . saite tote

Issa

Un monde de chagrin et de douleur,
même quand les fleurs de cerisier
ont éclos

°
(suite, p. 616-)

17 HAIKU de printemps + 1 waka – Blyth p.526-532

25 novembre 2010

°
(p.526) :

nete okite . ô-akubi shite . neko no koi

Issa

ayant dormi, le chat se lève,
et avec de grands bâillements
s’en va faire l’amour

°
(p.527) :

hige ni tsuku . meshi sae omoezu . neko no koi

Taigi

amours du chat –
même oublieux du riz
qui colle à ses moustaches

°

osoroshi ya . ishigaki kuzusu . neko no koi

Shiki

comme c’est terrible !
ils ont cassé le mur de pierre
les chats amoureux !

°

naku neko ni . akamme wo shite . temari kana

Issa

la petite fille jouant à la balle
fait maintenant une grimace
au chaton qui miaule

°
(p.528 :)

neko no ko ya . hakari ni kakari . tsutsu yareru

Issa

le chaton
pesé sur la balance
joue encore

°

momo no kado . neko wo hakari ni . kakeru nari

Issa

fleurs de pêchers à la porte ;
on met les chats
sur les balances

°
(p.529 :)

kome-maki mo . tsumi zoyo tori ga . keau zoyo

Issa

éparpiller du riz ,
est aussi un péché :
les poules se donnent des coups de pattes

°

yanagi kara . momongâ to . deru ko kana

Issa

 » écureuil volant !  »
sorti de sous les saules,
l’enfant

°
(p.530 :)

shirauo ya . sanagara ugoku . mizu no iro

Raizan

la blanchaille –
comme si la couleur de l’eau
bougeait

_

shirauo ya . sanagara ugoku . mizu no tama

Raizan

la blanchaille –
comme si l’esprit de l’eau
bougeait

°

ta wo tsuite . uta môshiaguru . kawazu kana

Sôkan

plaçant ses mains sur le sol,
la grenouille respectueusement
récite son poème

°
(p.531 :)

saigyô no . yô ni suwatte . naku kawazu

Issa

la grenouille,
assise et chantant
comme Saigyô

°

si les gens demandent
où est allé Sôkan,
répondez-leur donc :
 » Il est parti faire quelque affaire
dans l’au-delà  »

Sôkan (= son waka de mort)

°
(p.532 :)

haru wa naku . natsu no kawazu wa . hoe ni keri

Onitsura

au printemps, les grenouilles chantent
en été,
elles aboient

°

hitotsu tobu . oto ni mina tobu . kawazu kana

Wakyu

au son d’une qui saute,
toutes les grenouilles
sautent

°

hashi wataru . hito ni shizumaru . kawazu kana

Ryôto

quelqu’un passa sur le pont
et toutes les grenouilles
étaient silencieuses

°

kaze ochite . yama azayaka ni . kawazu kana

Ôemaru

le vent tombe,
les montagnes sont claires –
maintenant les grenouilles !

°

hi wa hi kure yo . yo wa yo ake yo to . naku kawazu

Buson

le jour : « Assombrissez le jour »
la nuit : « Éclaircissez la lumière »
chantent les grenouilles

°

(suite, p.533…)

9 Haïkus de printemps + 1 waka – Blyth, p.454-458 : Dieux et Bouddhas

20 octobre 2010

°
(p.454) :

nan no ki no . hana towa shirazu . nioi kana

Bashô

de cet arbre en fleur
que je ne connais pas –
ah, quelle fragrance !

°
(un waka de Saigyô :)

ce que cela peut-être
je ne sais,
mais de gratitude et d’admiration
tombent mes larmes

°

nan to iu . tori ka shiranedo . ume no eda

Shiki

j’ignore
de quel oiseau il s’agit –
mais le poudroiement des fleurs de pêcher !

°
(p.455 :)

onozukara . kôbe ga sagaru nari . kamiji yama

Issa

Le mont Kamiji ;
ma tête se penche
naturellement

°

yamadera ya . tare mo mairanu . nehanzô

Chora

un temple de montagne ;
personne ne vient prier
devant la peinture du Nirvana

°

kourusai . hana ga saku ote . neshaka kana

Issa

un peu une nuisance,
ces floraisons ! –
Le Bouddha endormi

°
(p.457):

nete owashitemo . hotoke zoyo . hana no furu

Issa

Bien qu’il soit étendu là,
c’est cependant le Bouddha !
des fleurs descendent

°

mihotoke ya . nete owashitemo . hana to zeni

Issa

Le Dieu Bouddha,
bien qu’il dorme :
fleurs et offrandes

°

higan no ka . shaka no maneshite . kuwarekeri

Ôemaru

étendu comme Shakamuni
je fus piqué par les moustiques
de la semaine du Nirvana

°

efumi shite . nembutsu môsu . omina kana

Shûchiku

une vieille femme
piétinant une image du Christ
répète le Nembutsu

°

(à suivre, 59 haiku, p.459-481 : Printemps – les affaires humaines)

waka de Saigyô – haïkaï de Bashô

1 janvier 2010

°

marchant sur un chemin
où il n’y a personne
tandis que le soir tombe
pour m’accompagner
les sauterelles élèvent la voix

Saigyô (1188-1190),
in poèmes de ma hutte de montagne Ed. Moudarren, 1992.

sur ce chemin
ne va personne –
crépuscule d’automne

Bashô (1644-1694)

°

HAIKU de Blyth V.1, s.5,4 : Les onomatopées (p.321-8)

1 janvier 2010

°

De toutes les langues, le japonais est de loin la plus riche en éléments onomatopéiques, particulièrement de la variété la plus simple, dans laquelle le son du mot est directement une imitation de la chose. En tant que « figure de style », les onomatopées n’ont droit qu’à une toute petite place dans nos livres de grammaire et de rhétorique, mais dans son sens le plus large, l’onomatopée représente non seulement la partie la plus importante de la poésie, mais aussi de la prose, et du langage lui-même. Comment nous disons quelque chose a plus d’importance, ou plus de sens que ce que nous disons : le sens conscient; car à travers les intonations de la voix, le choix des mots, leur combinaison, les sons se faisant écho et re-écho, leurs consonances suspendues et rétablies, leurs dissonances soutenues et résolues, à travers tout ceci joue une musique aussi libre mais cependant aussi soumise à la loi que le sont celles de la flûte, du hautbois ou du violon. Des exemples trop évidents ont quelque chose qui frise en eux le ridicule, ainsi celui de Tennyson :

 » The moan of doves in immemorial elms
And murmuring of innumerable bees  »

 » La plainte des colombes dans les ormes immémoriaux
et le murmure d’innombrables abeilles »

On peut tirer profit de ça, comme dans :

 » Rend with tremendous sound your ears asunder,
With gun, drum, trumpet, blunderbuss and thunder.  »

 » Déchirez vos oreilles d’un son formidable
avec fusil, tambour, trompette, tromblon et tonnerre.  »

et de Buson :

hi wa hi kure yo
yo wa yo ake yo to
naku kaeru

Jour, ah, Jour qui sombre !
Nuit, ah, l’aube au loin !
chantent les grenouilles

Dans ce dernier exemple il y a également une représentation de l’aspect humoristique de la chose.
Le haïku, par nature, ne peut pas nous montrer des exemples tel que le suivant, au sens donné ou intensifié par un rythme régulier, répété :

Most friendship is feigning,
Most loving mere folly.
Then heigho the holly,
This life is most jolly.

La plupart de l’amitié est feinte,
La plupart de l’amour, pure folie.
Alors, eh bien, le houx,
cette vie est vraiment gaie.

Ici, les amphibraques dancent aussi réellement que :

the slythy toves
did gyre and gimble in the wabe.

Les effets de rythme japonais sont plus dans le style des lignes de Pope, dans lesquelles il représente la longueur par l’emphase et l’allongement de syllabes non accentuées :

Quand Ajax s’efforce de faire bouger le poids énorme de quelque rocher,
La ligne aussi peine, et les mots se meuvent lents.

Dans le célèbre verset de Buson ci-dessous, les bruits de la mer frappent plus véritablement l’oreille par le son de ses 17 mores que par le son des vraies vagues :

haru no umi
hinemosu notari
notari kana

La mer du printemps
s’élevant et s’abaissant doucement,
toute la journée

Les sonorités de hinemosu renversent presque celles de haru no umi. La répétition de notari, notari,, le kana dont les sons en a font écho à ceux de haru et de notari, tout ceci représente, pour quelque raison ignorée, pas tant le son des vagues que plutôt le sens d’une longue journée de printemps le long de la côte. Quel en EST la signification ? C’est :

haru no umi
hinemosu notari
notari kana

Comparez ceci au sens du rythme que l’on trouve dans le poème suivant de Freeman. Les larmes jaillissent aisément, encore, au-delà de toute raison :

APPELS DE L’ENFANCE

Come over, come over the deepening river,
Come over again again the dark torrent of years,
Come over, come back where the green leaves quiver,
And lilac still blooms and the grey sky clears.
Come, come back to the enchanting garden,
To that green heaven, and the blue heaven above,
Come back to the time when the time brought no burden,
And love was unconscious, not knowing love.

Traverse, traverse la rivière qui s’approfondit,
Traverse de nouveau le torrent sombre des ans,
Traverse, retourne où les feuilles vertes tremblent,
Et le lilas s’épanouit encore et le ciel gris s’éclaircit.
Viens, retourne au jardin enchanté,
à ce ciel vert, et le ciel bleu au-dessus,
Retourne au temps où le temps n’était d’aucun fardeau,
Et que l’amour, inconscient, ne connaissait pas l’amour.

Mais, aussi spontanés que ces poèmes peuvent apparaître, nous savons que beaucoup d’entre eux étaient le résultat d’un travail ardu. Quelques uns n’atteignent jamais la perfection et trahissent tout à travers l’oeuvre du processus sélecif. De ce niveau, The Blessed Damozel de Dante Gabriel Rossetti, en est un exemple. Il est bien connu qu’Issa, en dépit de a fluidité et du grand nombre de strophes qu’il produisit, révisait ses poèmes sur des mois, des années; ainsi le suivant :

ô hotaru
yurari yurari to
tôri keri

en vacillant,
une énorme luciole
passe

Ce verset est le résultat de maintes révisions, mais la version finale semble sans artifice, et l’oeuvre d’un instant. Cette révision de strophe est une révision de l’expérience. L’expérience avait grandi dans les mots du haïku, de sorte qu’il réussit à savoir ce qu’il aurait dû vouloir dire.
Nous pouvons résumer la fonction des onomatopées de la manière suivante :
a) représentation directe des sons du monde extérieur par les sons de la voix :

ochikochi
ochikochi to utsu
kinuta kana

çà et là,
Là et çà,
on bat les battoirs

Buson.

ichiboku to
poku poku aruku
hanami kana

il marche tranquillement
avec son serviteur,
admirant les fleurs de cerisier

Kigin.

butsudan ni
honzon kaketa ka
hototogisu

« La grande Image »
est-elle sur l’autel ?
chante le coucou

Sôkan

Comparé avec The Throstle de Tennyson :

 » Summer is coming, summer is coming.
I know it, I know it, I know it.
Light again, leaf again, life again, love again !  »
Yes, my wild little Poet.

 » L’été vient, l’été vient.
Je le sais, je le sais, je le sais.
Lumière de nouveau, feuille de nouveau, vie de nouveau, amour de nouveau !  »
Oui, mon petit Poète sauvage.

b) représentation du mouvement, ou des sensations physiques autres que celles du son.

ishikawa wa
kuwarari inazuma
sarari kana

la Rivière Rocheuse ondoie,
l’éclair
ondule

Issa.

yusa-yusa to
haru ga yuku zo yo
nobe no kusa

le printemps s’en va
tremblant, dans les herbes
des champs

Issa.

Yea, slimy things did crawl with legs
Upon the slimy sea.

Ouais, des choses visqueuses avec des pattes rampèrent
Sur la mer visqueuse.

Coleridge.

A cuff neglectful, and thereby
Ribbons to flow confusedly.

Une manche négligée, et ainsi,
Rubans de flotter avec confusion.

Herrick.

c) La représentation d’états d’âme. C’est toujours indirect, inconscient, spontané. La grande poésie dépend principalement sur ce facteur, pour ses effets. Elle ne peut être imitée, ni produite artificiellement.

Fear no more the heat o’ the sun,
Nor the winter’s furious rages.

My heart’s in the Highlands, my heart is not here;
My heart’s in the Highlands, a-chasing the deer.

Ne crains plus la chaleur du soleil,
Ni les rages furieuses de l’hiver.

Mon coeur est sur les Hauts-plateaux, mon coeur n’est pas ici;
Mon coeur est sur les Hauts-plateaux, il y chasse le cerf.

hito chirari
konoha mo chirari
horari kana

Les gens sont peu nombreux,
les feuilles tombent aussi,
de temps en temps

Issa.

utagauna
ushio no hana mo
ura no haru

N’en doutez pas,
la baie a aussi son printemps –
les fleurs de la marée

Bashô.

We saw Thee in Thy balmy nest,
Bright dawn of our eternal Day;
We saw Thine eyes break from their east,
And chase the trembling shades away.

Ne Vous avons vu dans Votre nid embaumé,
Aurore lumineuse de notre éternel Jour;
Nous avons vu Votre oeil quitter leur est,
pour chasser les ombres tremblantes.

Crashaw, dans In the Holy Nativity of Our Lord God.

osoki hi no
tsumorite tôki
mukashi kana

les jours lents s’accumulant passent –
comme elles sont lointaines,
les choses du passé !

Buson.

Le son k est encore utilisé par Buson, pour décrire l’amertume du passage du temps :

osoki hi ya
kodama kikoyuru
kyô no sumi

le jour lent;
des échos entendus
dans un coin de Kyôto

Suit un exemple d’onomatopées dans un waka par Saigyô :

izuko ni mo
sumarezuba tada
sumade aran
shiba no iori no
shibashi naru yo ni

Si je sens que je ne peux vivre nulle part,
je ne le ferai simplement pas –
dans ce cottage de chaume
d’un monde flottant.

Nous devons nous rappeler encore ce conseil de Bashô à ses disciples :

 » Répétez (vos versets) mille fois sur vos lèvres.  »

Les haïkus, pas moins que les waka, sont des chansons; ils sont destinés à être lus à voix haute. L’onomatopée n’est pas une question visuelle, quoique cela puisse aider; le sens total et parfait d’un haïku n’est pas saisi tant que l’oreille ne l’a pas entendu.
Voici cinq exemples d’onomatopées qu’on trouve chez Seisensui :

rappa fuite
fumoto no michi ga kokoro yoku
nobiru bashaya san

Soufflant dans son cor,
la route au pied de la montagne s’étire paisiblement –
le conducteur !

C’est en 3/3 ; 4/3/3/2 ; 3/3/2 ; ce qui donne à la fois le son du cor et le rythme des sabots du cheval.

tombo tobu
tombo no ue mo
tombo tobu sora

les libellules volent
au-dessus d’elles volent encore des libellules
dans le ciel libellule

Horyu.

Ce n’est pas une imitation de sons comme chez Tennyson, c’est une tentative d’exprimer la hauteur du ciel à travers la répétition du même son. Cela correspond à l’utilisation par Bach du motif en escalier pour suggérer le destin; ici, il représente l’infini.

waru utsu
tsukiyo no yoi oto
shidashita

le battage de la paille –
quel beau son il est devenu,
cette nuit de lune !

Masuo.

Le pied de quatre unités représente le battage de la paille.

ochikochi
ochikochi to utsu
kinuta kana

çà et là
là et çà,
on bat les battoirs

Buson.

azami
azayaka na
asa no
ame agari

comme l’ortie est claire,
le matin,
après la pluie !

Santoka.

3 / 5 / 3 / 5 : le son ouvert a représente l’humeur joyeuse du poète. L’assonance du début et de la fin du verset : azami, agari, lui donne une complétude formelle.

5) La forme du haïku. (p.328-32)

Un waka de Saigyô

18 décembre 2009

 » Saigyô dit, pensant à ses voeux religieux de renonciation :

Hana ni somu
kokoro no ikade
nokori ken
sutehateteki to
omou wagami ni

With all renounced as I had thought,
There still remains a heart
Dyed with the flowers.

Avec tout ce à quoi j’avais pensé renoncer,
il reste un encore coeur
teint par les fleurs

Saigyô

(dans HAIKU de Blyth, p.283)

de Saigyô : trois waka

17 décembre 2009

Nanigoto no
owashi masu kawa
shirane domo
katajike nasa ni
namida koboruru

What it is
I know not;
But with the gratitude,
My tears fall.

Ce que c’est,
je n’en sais rien;
mais avec la gratitude
coulent mes larmes.

°

Mi wo wakete
minu kozue naku
tsukusaba ya
yorozu no yama no
hana no sakari wo

Could I but divide myself up,
And see every spray
On the countless hills
Of flowers abloom !

Pourrais-je me scinder
et voir chaque rameau
de fleurs épanouies
sur les collines innombrables !

°

Wakite mimu
oiki wa hana mo
aware nari
Ima ikutabi ka
haru ni au beki

Looking above all on this old tree,
The flowers also are full of pathos;
How many more times
Are they to greet the spring ?

Considérant avant tout ce vieil arbre,
ses fleurs aussi sont pathétiques :
Combien de fois encore
salueront-elles le printemps ?

Saigyô.

(dans HAIKU de Blyth, p.280-1)