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Poème de mort japonais – Aki-no-Bo

26 juin 2011

°
AKI-NO-BO
(mort le 4ème jour du 1er mois de 1718)

4ème jour de l’an :
quel meilleur jour
pour quitter le monde ?

A quoi Rito, son ami venu le voir ce jour-là répondit :

Il fit comme s’il dormait
et s’esquiva,
Aki-no-Bo

Rito enterra son ami, qui vivait en moine, sans famille, en bonne et due forme.

L’authenticité de cette version a été mise en doute, parce que le poème de mort sus-cité apparut 7 ans avant la mort d’Aki-no-Bo, sous la plume de Ryoto (1658-1717).

Aki-no-Bo rencontra deux fois Bashô, en 1689 et 1690. On dit que lors de leur première rencontre, tous deux restèrent assis sans échanger un mot. A leur deuxième rencontre, Bashô dédia au moine ce poème :

Aucun signe
dans le chant de la cigale
qu’elle va bientôt disparaître

°

60 HAIKU d’automne – Blyth – p.1056-1078

6 juin 2011

°
(p.1056 :)

au cri de la grue,
le bananier va sûrement
se déchirer !

Bashô

les rayons du soleil couchant
passent à travers le bosquet de pins rouges ;
une pie-grièche crie

Bonchô

°
(p.1057 :)

maintenant que les yeux des faucons
se sont obscurcis dans le soir,
les cailles carcaillent

Bashô



ah, cette demeure !
souvent le pivert
en piquera les piliers !

Bashô

°
(p.1058 :)

au fin fond de la forêt
le pivert
et le bruit de la hache

Buson

le pivert
reste au même endroit :
fin du jour

Issa

oiseaux de passage,
pour moi aussi maintenant,
ma vieille maison
n’est qu’un logis pour la nuit !

Kyorai

°
(p.1059 :)

la bécassine s’éloigne –
les ridules
de la houe qu’on lave

Buson

les chardonnerets sifflent
sur la haute berge ;
de petits nuages flottent par-dessus

Chinseki

les sons de petits oiseaux
sur le toit incliné :
quel plaisir !

Buson

°
(p.1060 :)

la libellule rouge
décide
du début de l’automne

Shirao

elle a teint son corps
d’automne,
la libellule !

Bakusui

fils éphémères
de gaze cramoisie :
les libellules !

Gotei

°
(p.1061 :)

sous la lune d’automne
les ailes de la libellule
sont immobiles

Môen

°
(p.1062 :)

la libellule
a tenté en vain de se poser
sur une tige d’herbe

Bashô

libellules
sur les pointes de la barrière,
dans les rayons déclinants du soleil

Buson

sur le bambou
qui marque l’endroit de la mort d’un homme,
une libellule

Kitô

°
(p.1063 :)

autour des cordages du bateau
les libellules vont et viennent
sans cesse

Taisô

vieilles tombes ;
des libellules rouges volettent
sur les anis desséchés

(auteur inconnu)

quelle beauté !
les anis
fleuris sous la pluie

Buson

libellules
dans un village sans histoire
à midi

Kyoshi

au soleil du soir
l’ombre légère des ailes
de la libellule

Karô

°
(p.1064 :)

entre la lune qui se lève
et le soleil qui se couche,
les rouges libellules

Nikyû

la libellule
s’accroche au mur ;
soleil de l’ouest

Senka

la danse des libellules :
tout un monde
dans le soleil couchant

Kigiku

°
(p.1065 :)

la libellule
se penche vers l’eau –
soleil du soir envahissant

Kempû

°
(p.1066 :)

la libellule :
cinq ou six pieds au-dessus,
c’est son ciel !

Ryôta

la libellule,
rapide vers la montagne lointaine,
rapide à revenir !

Akinobô



la libellule
perchée sur le bâton
pour la frapper !

Kôhyô

la libellule,
n’approchant pas des fleurs,
mais sur la pierre !

Kôjôdô

°
(p.1067 :)

la libellule
goûte à quelque chose
en haut de ce pieu

Eiboku

le visage de la libellule
n’est pratiquement rien d’autre
qu’yeux !

Chisoku

sois un bon garçon,
et surveille bien la maison,
ô grillon !

Issa

le roitelet
regardant de-ci de-là :
« perdu quelque chose ? »

Issa

°
(p.1068 :)

quelle pitié !
sous le casque
chante un grillon

Bashô

sauterelle,
ne piétine pas
les perles de rosée claire !

Issa

°
(p.1069 :)

dans la cabane du pêcheur,
au milieu de crevettes séchées,
des grillons chantent

Bashô

Je sors maintenant ;
soyez sages et jouez ensemble,
grillons !

Issa

ma hutte, la nuit ;
le grillon
farfouille

Issa

°
(p.1070 :)

un grillon monte
le long de la crémaillère
quelle nuit froide !

Buson

je vais me retourner ;
méfie-toi,
grillon !

Issa

mon ombre pénètre dans le mur
cette nuit d’automne,
un grillon chante

Ryôta

°
(p.1071 :)

les moustiques d’automnes
me piquent,
prêts à mourir

Shiki

mourant,
et d’autant plus bruyantes,
les cigales de l’automne

Shiki

°
(p.1072 :)

de quelle voix,
et quelle chanson chanterais-tu, araignée,
dans cette brise d’automne ?

Bashô

le « cerf-de-rivière » * chante :
dans ma manche,
mon bon vieux briquet

Buson

* kajika, une sorte de petite grenouille noire.

incité par le bruit de la rivière,
le « cerf-de-rivière »
se met à chanter

Ryôto

°
(p.1073 :)

claire lune d’automne :
dans l’ombre,
des voix d’insectes

Bunson

me réveillant la nuit,
ma toux se mélange
au bruit des insectes

Jôsô

regardant fixement
mon ombre –
la voix des insectes

Shiki

ah, insectes, insectes,
vos cris vous libèrent-ils
de votre karma ?

Otokuni

°
(p.1074 :)

la couche nocturne du mendiant
est vivante et joyeuse
de la voix des insectes !

Chiyo-ni

la couleur-son
des insectes tombant
sur les feuilles

Chora

°
(p.1075 :)

nous écoutons
insectes
et humains
d’une oreille différente

Wafû

même chez les insectes
certains chantent bien,
d’autres pas

Issa

°
(p.1076 :)

la voix des chenilles masquées :
venez dans ma cabane
et écoutez-les chanter !

Bashô

°
(p.1077 :)

des insectes crient ;
un trou dans le mur,
pas vu hier !

Issa

des insectes chantent ;
la lune se lève,
le jardin s’assombrit encore

Shiki

°
(p.1078 :)

le vieux chien
semble impressionné par le chant
des vers de terre *

Issa

* dans le Japon ancien, on pensait que les vers de terre chantaient. On dit que ce fut par confusion avec la voix de la courtilière (« grillon souterrain »).

il fait plus froid ;
le chant du ver-de-terre aussi
s’affaiblit chaque soir

Issa

°
(p.1079-1130 : à suivre : ARBRES ET FLEURS)

52 HAIKU + 1 waka de la préface au tome IV – Blyth – p.994-1010

2 juin 2011

°
(p.994 :)

dans la vallée,
avec la jeune truite
une feuille du bambou nain
s’éloigne

Buson

calme –
des sommets de nuages
au fond du lac

Issa

devant et derrière
le Jizô Bosatsu *
des oeillets fleurissent

Issa

* Jizô est le saint patron des enfants et des voyageurs .

rosée blanche ;
au-dessus du champ de pommes-de-terre,
la Voie Lactée

Shiki

°
(p.995 :)

averse estivale –
des aiguilles de pin vertes
fichées dans le sable

Shiki



les feuilles du paulownia
toutes tombées :
les lotus en fleurs

Buson

sous l’averse printanière
mare et rivière
se sont unies

Buson

la tempête d’automne
a cessé ;
un rat nage sur la rivière

Buson

°
(p.996 :)

camélia
tombé dans l’obscurité
d’un vieux puits

Buson

dépassant la berge,
la voile effrayante,
les jeunes feuilles !

Buson

impressionnant !
pas une feuille ne bouge
dans le bosquet estival

Buson

pendant la nuit courte
s’est ouverte
la pivoine

Buson

°
(p.997 :)

en gaulant les prunes vertes,
des feuilles vertes
tombent

Buson



on voit bien le fond,
on voit bien les poissons –
profonde est l’eau de l’automne

Buson

l’eau claire :
pas assez pour une gorgée,
mais quelle merveille !

Buson

comme est calme
le verger de kakis
sous la lune ventée !

Buson

°
(p.998 :)

sur un arbre dénudé
crisse une cigale ;
les nuages menaçants

Buson

les fleurs de deutzies
tombent sur les larges feuilles
de tussilage

Buson

canards mandarins ;
une fouine épie
la vieille mare

Buson

les chrysanthèmes fanent,
une belette regarde
les poules

Shiki

chassant à coups de pieds
un renard voleur de riz ;
l’automne de l’orge

Buson

°
(p.999 :)

au milieu
de la pluie du printemps
coule
une grande rivière

Buson

l’eau du bain,
où puis-je la vider ?
la voix des insectes

Onitsura

Où mener mon cheval
dans la rivière Saho ?
Des chrysanthèmes blancs
se reflètent
sur les galets

Kageki (1768-1843)

une brise souffle
sur les poils de maigres flancs :
changement d’habits

Buson

°
(p.1000 :)

quand un pétale s’envole, le printemps s’achève

Tohô

dans les champs,
avec les oiseaux
je serai entouré de brume

Chora

bras et jambes, allongé,
quelle fraîcheur,
quelle solitude !

Issa

°
(p.1001 :)

été dans le monde ;
flottant sur les vagues
du lac

Bashô

sauterelle,
sois la gardienne du cimetière,
à ma mort !

Issa

seulement vivants,
tous deux : moi
et le coquelicot

Issa

(au jardin)

un papillon vint
et s’envola
avec un papillon

Issa

cueillette de champignons ;
levant la tête :
la lune sur la montagne

Buson

°
(p.1002 :)

tourne-toi de ce côté ;
je suis seul aussi,
ce soir d’automne

Bashô

la lune prête à sortir :
tous sont là ce soir,
les mains sur les genoux

Bashô

°
(p.1003 :)

grêlons au sol ;
les « grues nocturnes » * rentrent
aux rayons de la lune

Issa

* = prostituées du rang le plus bas.

les cueilleuses de thé
cachées dans les buissons,
entendent-elles aussi
le coucou ?

Bashô

°
(p.1004 :)

ces violettes !
comme les courtisanes doivent vouloir
voir les champs du printemps !

Ryôto

pluie d’été ;
les murs avec leurs derniers tableaux
pèlent

Bashô

je m’en vais,
tu restes :
deux automnes

Buson

°
(p.1005 :)

le colporteur itinérant :
nous dépassant
sur la lande estivale

Buson

lune des moissons –
cherchant le maître de céans :
il arrachait ses pommes-de-terre

Buson

le guide de montagne
ignore simplement
les fleurs de cerisiers

Buson

un palanquin passe,
transportant un malade :
l’automne de l’orge

Buson

°
(p.1006 :)

une brise fraîche –
la sauterelle chante
de toutes ses forces

Issa

une fleur inconnue
de l’oiseau et du papillon,
le ciel d’automne

Bashô

soir d’automne :
la vie a ses limites
mais aussi
ses moments de loisir

Buson

°
(p1007 :)

le papillon
parfume ses ailes
du parfum de l’orchidée

Bashô

sa voix s’enroue ;
les dents blanches du singe
sous la lune du mont

Kikaku



chez le poissonnier
les gencives de la brème salée
ont l’air froides

Bashô

où est la lune ?
la cloche a sombré
au fond de la mer

Bashô

°
(p.1008 :)

Si je devais mourir d’amour,
ô coucou,
chante sur ma tombe !

Ôshu *

* : il s’agirait d’une courtisane du quartier de Yoshiwara, à Edo (- dates inconnues)

°
Suit un commentaire, aux pages 1008 à 1010, du furu-ike ya kawazu tobikomu mizu no oto de Bashô :

vieille mare –
le bruit d’une grenouille
sautant dans l’eau

ou encore :

la vieille mare;
le-bruit-d’une-grenouille-sautant-dans l’eau

°

(p: 1011-1130 : suite et fin des haiku d’AUTOMNE – Champs et Montagnes… – à suivre…)

17 HAIKU de printemps + 1 waka – Blyth p.526-532

25 novembre 2010

°
(p.526) :

nete okite . ô-akubi shite . neko no koi

Issa

ayant dormi, le chat se lève,
et avec de grands bâillements
s’en va faire l’amour

°
(p.527) :

hige ni tsuku . meshi sae omoezu . neko no koi

Taigi

amours du chat –
même oublieux du riz
qui colle à ses moustaches

°

osoroshi ya . ishigaki kuzusu . neko no koi

Shiki

comme c’est terrible !
ils ont cassé le mur de pierre
les chats amoureux !

°

naku neko ni . akamme wo shite . temari kana

Issa

la petite fille jouant à la balle
fait maintenant une grimace
au chaton qui miaule

°
(p.528 :)

neko no ko ya . hakari ni kakari . tsutsu yareru

Issa

le chaton
pesé sur la balance
joue encore

°

momo no kado . neko wo hakari ni . kakeru nari

Issa

fleurs de pêchers à la porte ;
on met les chats
sur les balances

°
(p.529 :)

kome-maki mo . tsumi zoyo tori ga . keau zoyo

Issa

éparpiller du riz ,
est aussi un péché :
les poules se donnent des coups de pattes

°

yanagi kara . momongâ to . deru ko kana

Issa

 » écureuil volant !  »
sorti de sous les saules,
l’enfant

°
(p.530 :)

shirauo ya . sanagara ugoku . mizu no iro

Raizan

la blanchaille –
comme si la couleur de l’eau
bougeait

_

shirauo ya . sanagara ugoku . mizu no tama

Raizan

la blanchaille –
comme si l’esprit de l’eau
bougeait

°

ta wo tsuite . uta môshiaguru . kawazu kana

Sôkan

plaçant ses mains sur le sol,
la grenouille respectueusement
récite son poème

°
(p.531 :)

saigyô no . yô ni suwatte . naku kawazu

Issa

la grenouille,
assise et chantant
comme Saigyô

°

si les gens demandent
où est allé Sôkan,
répondez-leur donc :
 » Il est parti faire quelque affaire
dans l’au-delà  »

Sôkan (= son waka de mort)

°
(p.532 :)

haru wa naku . natsu no kawazu wa . hoe ni keri

Onitsura

au printemps, les grenouilles chantent
en été,
elles aboient

°

hitotsu tobu . oto ni mina tobu . kawazu kana

Wakyu

au son d’une qui saute,
toutes les grenouilles
sautent

°

hashi wataru . hito ni shizumaru . kawazu kana

Ryôto

quelqu’un passa sur le pont
et toutes les grenouilles
étaient silencieuses

°

kaze ochite . yama azayaka ni . kawazu kana

Ôemaru

le vent tombe,
les montagnes sont claires –
maintenant les grenouilles !

°

hi wa hi kure yo . yo wa yo ake yo to . naku kawazu

Buson

le jour : « Assombrissez le jour »
la nuit : « Éclaircissez la lumière »
chantent les grenouilles

°

(suite, p.533…)

HAIKU – Blyth – Le Nouvel An (2) p.355/8

8 février 2010

LE NOUVEL AN

ganchô* ya
kami-yo no koto mo
omowaruru

Moritake

* Notez que  » n  » compte pour une  » syllabe  » en japonais.

Matin du Nouvel An
Je pense aussi à l’Âge
des Dieux

Moritake était Grand Prêtre du Sanctuaire d’Ise. Quand il écrivit ce verset, quand nous le lisons, nous sommes dans

 » cette humeur bénie
Dans laquelle le fardeau du mystère,
Dans laquelle le poids lourd et las
De tout ce monde inintelligible
Est éclairé…
Tandis que d’un oeil apaisé par le pouvoir
De l’harmonie, et du pouvoir profond de la joie,
Nous voyons dans la vie des choses  »

(in : Tintern Abbey)

et même dans la vie des Dieux. Notre état d’esprit est tel que les Dieux sont aussi réels que les personnages de Shakespeare, aussi fictifs que nous le sommes nous-mêmes; en douce gratitude nous sommes unis à ces êtres lumineux qui vivent loin dans l’espace et le temps et qui cependant vivent éternellement au profond de nos coeurs.

 » Les Dieux sont heureux ;
Ils tournent de tous côtés
leurs yeux brillants
Et voient, en dessous d’eux
La terre et les hommes.  »

(in : The Strayed Reveller.)

hi no hikari
kesa ya iwashi no
kashira yori

Un jour lumineux
commence par briller
sur la tête des maquereaux

Buson

Ce verset, exception à la règle de Buson d’insérer un mot de saison dans chaque poème, a été placé par certains en Setsubun, le dernier jour de l’hiver, mais son esprit en est plutôt du Premier de l’An. Les maquereaux pendent des auvents.
Ce verset est conventionnel et n’a pas de signification véritablement profonde, sauf celle de l’éveil véritable de la lumière et de la vie; il illustre la tendance à ramener le spirituel et le majestueux vers le matériel plutôt qu’à glorifier l’insignifiant. Peu importe d’où vient la lumière, si c’est de l’ongle de Richard Jefferies ou de la tête des maquereaux. La lumière est lumière, où qu’elle soit vue, mais elle est particulièrement vive au Jour de l’An.

ôashita
mukashi fukinishi
matsu no kaze

Le Grand Matin :
Des vents anciens
Soufflent dans les pins

Onitsura

 » Le Grand Matin  » est le matin du Jour de l’An. Cette expression apparemment peu commune est particulièrement appropriée ici. Elle s’associe naturellement au passé, un passé toujours présent. Dans le verset suivant, le poète a seulement pris le moment présent, par lequel l’ici et maintenant est, par conséquent, affaibli :

ganjitsu no
kokoro ya mine no
matsu no kaze

Le vent
dans le pin du sommet –
L’être même du Nouvel An

Tozan.

Une ligne extraite de Resignation de Matthew Arnold est très proche de l’esprit du verset d’Onitsura; elle en est cependant différente, par le ton émotionnel :

 » dans ses oreilles
Le murmure d’un millier d’années.  »

Ruskin dit aussi quelque chose qui nous rappelle fortement le verset d’Onitsura :

 » La tache orange au bord du pic occidental lointain reflète les crépuscules d’un millier d’années.  »

ganjitsu wo
tenchi wagô no
hajime kana

Jour du Nouvel An :
Début de l’harmonie
du Ciel et de la Terre

Shiki.

On peut noter ici une autre strophe de Shiki :

ganjitsu wa
ze mo hi mo nakute
shujô nari

Jour de l’An ;
rien de bon ni de mauvais –
seulement des êtres humains.

Le jour de l’An toutes chose sont de nouveau dans leur état originel d’harmonie. Il n’y a pas de distinction entre haut et bas, respectable et criminel, hommes et animaux. Tous sont unis par l’activité incessante de leur nature de Bouddha, sans aucune sorte de distinction, tous heureux aujourd’hui, et pour l’éternité.

ganjitsu no
miru-mono ni sen
fuji no yama

En ce jour de Nouvel An
la vue que nous admirons
sera le Mont Fuji

Sôkan.

L’excellence de ce haïku a fait que beaucoup ont douté que Sôkan, dont les autres haïkus sont bien inférieurs à celui-ci, en fût l’auteur véritable. À l’époque de Sôkan, les haïkus s’occupaient principalement de jeux de mots et de vanités. Il est cependant possible que l’auteur eût envisagé ce verset avec un sens plus superficiel que celui que nous lui prêtons aujourd’hui.
Le jour de l’an offre toutes sortes de délices pour nos estomacs, de la musique de koto et de biwa pour nos oreilles. Avec quoi allons-nous réjouir nos yeux, source la plus forte de notre plaisir poétique ? Asseyons-nous sur la véranda et admirons le Mont Fuji, vu chaque jour, mais, en ce jour de Nouvel An, plus auguste et sublime que jamais.
Une strophe de Meisetsu exprime les sentiments de la plupart des Japonais à propos du Japon, en ce jour spécial :

ganjitsu ya
ikkei no tenshi
fuji no yama

Premier Jour de l’Année :
Un rang d’Empereurs ;
le Mont Fuji.

sore mo ô
kore mo ô nari
oi no haru

Ceci est bon, cela aussi est bon –
Le Nouvel An
à mon grand âge.

Ryôto.

Ceci nous rappelle, d’Unmon :

 » Chaque jour est un bon jour,  »

et de Wordsworth :

 » Les années qui rendent l’esprit philosophe,  »

le mot  » philosophe  » étant pris ici dans son sens le plus large. Ou le même sentiment, mais plus diffus, dans ce verset :

ganjitsu mo
kane kiku kure ni
oyobikeri

Le Jour de l’An aussi
finit
avec le son de la cloche

Hakki.

Plus semblable encore est le suivant :

ganjitsu ya
taga kao mite mo
nen no naki

Jour du Nouvel An ;
Le visage de qui que l’on voit
est sans souci

Shigyoku.

°°

(à suivre, p.359)

Poèmes de mort japonais – Y. Hoffmann, Ed. Tuttle – R –

30 décembre 2009

°

de RAIZAN

mort le 3 du 10° mois de 1716, à 63 ans :

Suwa saraba mizu yori mizu e yuki no michi

Adieu, père – / comme la neige : de l’eau venue / à l’eau s’en allant

Note de Y. Hofmann : « Contemporain de Bashô, Raizan apprit à écrire des haïkus dès l’âge de huit ans, et fut autorisé à enseigner et à critiquer le haïku à 18 ans. (…) Juste avant de mourir, Raizan écrivit un jisei humoristique sous forme de tanka :

Raizan wa / umareta toga de / shinuru nari / sore de urani mo / nanimo kamo nashi

Raizan est mort / pour payer de l’erreur / d’être né : / De ceci il ne blâme personne / et ne porte aucun grief.

°

de RANGAI,

mort le 26 du 3° mois de 1845, à 75 ans :

Fuji-no-yama / minagara shitaki / tonshi kana

Je désire mourir soudainement / les yeux fixés / sur le Mont Fuji

°
de RANSETSU

mort le 13 du 10° mois de 1713, à 54 ans :

Hito-ha chiru totsu hito-ha chiru kaze no ue

Une feuille se détache puis une autre prend le vent

Note de Y.H. : Ransetsu était un disciple de Bashô qui louait sa poésie (…) Une autre traduction en est possible :

Une feuille tombe, ho !
une autre feuille tombe
haut dans le vent

°
de REKISEN,

mort après 1834, à plus de 86 ans :

Saku mo yoshi chiru mo Yoshino no yamazakura

Laissez-les fleurir ou
laissez-les mourir – c’est même chose :
Cerisiers du mont Yoshino

Note :  » Le mont Yoshino, près de la ville de Nara, est réputé pour sa beauté lors de la floraison des cerisiers « .

°
de RENSEKI,

mort le 5 du 7° mois de 1789, à 88 ans :

Harai arai kokoro no tsuki no kagami kana

J’ai nettoyé le miroir
de mon coeur – maintenant il reflète
la lune

« La lune symbolise le salut dans l’autre monde – ou « sur l’autre rive » –
au-delà des souffrances de cette existence présente ». Elle peut symboliser également (la
lumière de) l’enseignement du Bouddha.

°
de RETSUZAN,

mort le 25 du 8° mois de 1826 à 37 ans :

Tsuyu no yo to satoru sono yo o nezame kana

La nuit où je compris
que ceci est un monde de rosée
je m’éveillai de mon sommeil

°
de RIEI,

mort le 14 du 8° mois de1794, à 22 ans :

Uragarete kaeru ya matsu ni hannyagoe

Tout gèle de nouveau –
parmi les pins, des vents murmurent
une prière

°
de ROBUN,

mort vers 1725 :

Ukine suru tori ya shôji no sakaigawa

Un oiseau aquatique, endormi,
flotte sur la rivière
entre la vie et la mort

°
de ROSEN,

mort le 23 du 8° mois de 1743, à 83 ans :

Hito-taki no hai hakinagase aki no mizu

Balaye
le tas de cendres
dans les eaux de l’automne

°
de ROSHU,

mort le 18 mai 1899, à 74 ans :

Tabidachi ya tôshi to kiite koromogae

Temps de s’en aller…
On dit que le voyage est long :
changement d’habits.

°
de RYOKAN,

mort le 6 du 1° mois de 1831, à 74 ans :

Ura o mise omote o misete chiru momiji

Révélant son envers
puis son endroit, ainsi tombe
une feuille d’automne

N. du trad. (d.p.) :
Ainsi traduit dans  » La Rosée d’un lotus  » (Ryôkan et Teishin) , Gallimard 2002, isbn 2-07-076560-1; p.169 :

Montrant son envers
aussi bien que son endroit
la feuille qui tombe

Note de Yoël Hoffmann : « Son poème de mort a peut-être été composé par un autre poète; Il fut dit par Ryôkan à Teishin (ni), en ses derniers instants. »

°
de RYOSA,

mort le 11 du 7° mois de 1807, à 84 ans :

Sarishi hito wa kyô o kagiri no asagao ka

L’homme est-il
un liseron, qui passe
en un jour ?

°
de RYOTO,

mort le 28 du 4° mois de 1717, à 59 ans :

Gatten ja sono akastuki no hototogisu

Je comprends :
un coucou chante
aujourd’hui à l’aube.

Ryoto fut prêtre shinto et disciple de Bashô.
De lui ce tanka, écrit lors de sa maladie terminale :

Ima made wa hito ga shinuru to omoishi ni
waga mi no ue ni kaku no shiawase

Jusqu’ici
je croyais que seuls
les autres mouraient –
qu’un tel bonheur
dût m’échoir !

°
de RYOU,

mort le 5 du 11° mois de 1794 :

Akatsuki no nami ni wakaruru chidori kana

Un pluvier s’élève
des vagues
à l’aube

°
de RYUSAI,

mort le 11 novembre 1895, à 65 ans :

Karetogete michi no akaruki obana kana

Fragiles herbes de la pampa –
La route
est lumineuse.

°
de RYUSHI,

mort le 6 du 9° mois de1764, à 70 ans :

Mi wa hotoke ware to iu hi wa kurenikeri

L’Homme est Bouddha –
le jour et moi
nous assombrissons ensemble

°