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HAIKU – Blyth – Le Nouvel An (2) p.355/8

8 février 2010

LE NOUVEL AN

ganchô* ya
kami-yo no koto mo
omowaruru

Moritake

* Notez que  » n  » compte pour une  » syllabe  » en japonais.

Matin du Nouvel An
Je pense aussi à l’Âge
des Dieux

Moritake était Grand Prêtre du Sanctuaire d’Ise. Quand il écrivit ce verset, quand nous le lisons, nous sommes dans

 » cette humeur bénie
Dans laquelle le fardeau du mystère,
Dans laquelle le poids lourd et las
De tout ce monde inintelligible
Est éclairé…
Tandis que d’un oeil apaisé par le pouvoir
De l’harmonie, et du pouvoir profond de la joie,
Nous voyons dans la vie des choses  »

(in : Tintern Abbey)

et même dans la vie des Dieux. Notre état d’esprit est tel que les Dieux sont aussi réels que les personnages de Shakespeare, aussi fictifs que nous le sommes nous-mêmes; en douce gratitude nous sommes unis à ces êtres lumineux qui vivent loin dans l’espace et le temps et qui cependant vivent éternellement au profond de nos coeurs.

 » Les Dieux sont heureux ;
Ils tournent de tous côtés
leurs yeux brillants
Et voient, en dessous d’eux
La terre et les hommes.  »

(in : The Strayed Reveller.)

hi no hikari
kesa ya iwashi no
kashira yori

Un jour lumineux
commence par briller
sur la tête des maquereaux

Buson

Ce verset, exception à la règle de Buson d’insérer un mot de saison dans chaque poème, a été placé par certains en Setsubun, le dernier jour de l’hiver, mais son esprit en est plutôt du Premier de l’An. Les maquereaux pendent des auvents.
Ce verset est conventionnel et n’a pas de signification véritablement profonde, sauf celle de l’éveil véritable de la lumière et de la vie; il illustre la tendance à ramener le spirituel et le majestueux vers le matériel plutôt qu’à glorifier l’insignifiant. Peu importe d’où vient la lumière, si c’est de l’ongle de Richard Jefferies ou de la tête des maquereaux. La lumière est lumière, où qu’elle soit vue, mais elle est particulièrement vive au Jour de l’An.

ôashita
mukashi fukinishi
matsu no kaze

Le Grand Matin :
Des vents anciens
Soufflent dans les pins

Onitsura

 » Le Grand Matin  » est le matin du Jour de l’An. Cette expression apparemment peu commune est particulièrement appropriée ici. Elle s’associe naturellement au passé, un passé toujours présent. Dans le verset suivant, le poète a seulement pris le moment présent, par lequel l’ici et maintenant est, par conséquent, affaibli :

ganjitsu no
kokoro ya mine no
matsu no kaze

Le vent
dans le pin du sommet –
L’être même du Nouvel An

Tozan.

Une ligne extraite de Resignation de Matthew Arnold est très proche de l’esprit du verset d’Onitsura; elle en est cependant différente, par le ton émotionnel :

 » dans ses oreilles
Le murmure d’un millier d’années.  »

Ruskin dit aussi quelque chose qui nous rappelle fortement le verset d’Onitsura :

 » La tache orange au bord du pic occidental lointain reflète les crépuscules d’un millier d’années.  »

ganjitsu wo
tenchi wagô no
hajime kana

Jour du Nouvel An :
Début de l’harmonie
du Ciel et de la Terre

Shiki.

On peut noter ici une autre strophe de Shiki :

ganjitsu wa
ze mo hi mo nakute
shujô nari

Jour de l’An ;
rien de bon ni de mauvais –
seulement des êtres humains.

Le jour de l’An toutes chose sont de nouveau dans leur état originel d’harmonie. Il n’y a pas de distinction entre haut et bas, respectable et criminel, hommes et animaux. Tous sont unis par l’activité incessante de leur nature de Bouddha, sans aucune sorte de distinction, tous heureux aujourd’hui, et pour l’éternité.

ganjitsu no
miru-mono ni sen
fuji no yama

En ce jour de Nouvel An
la vue que nous admirons
sera le Mont Fuji

Sôkan.

L’excellence de ce haïku a fait que beaucoup ont douté que Sôkan, dont les autres haïkus sont bien inférieurs à celui-ci, en fût l’auteur véritable. À l’époque de Sôkan, les haïkus s’occupaient principalement de jeux de mots et de vanités. Il est cependant possible que l’auteur eût envisagé ce verset avec un sens plus superficiel que celui que nous lui prêtons aujourd’hui.
Le jour de l’an offre toutes sortes de délices pour nos estomacs, de la musique de koto et de biwa pour nos oreilles. Avec quoi allons-nous réjouir nos yeux, source la plus forte de notre plaisir poétique ? Asseyons-nous sur la véranda et admirons le Mont Fuji, vu chaque jour, mais, en ce jour de Nouvel An, plus auguste et sublime que jamais.
Une strophe de Meisetsu exprime les sentiments de la plupart des Japonais à propos du Japon, en ce jour spécial :

ganjitsu ya
ikkei no tenshi
fuji no yama

Premier Jour de l’Année :
Un rang d’Empereurs ;
le Mont Fuji.

sore mo ô
kore mo ô nari
oi no haru

Ceci est bon, cela aussi est bon –
Le Nouvel An
à mon grand âge.

Ryôto.

Ceci nous rappelle, d’Unmon :

 » Chaque jour est un bon jour,  »

et de Wordsworth :

 » Les années qui rendent l’esprit philosophe,  »

le mot  » philosophe  » étant pris ici dans son sens le plus large. Ou le même sentiment, mais plus diffus, dans ce verset :

ganjitsu mo
kane kiku kure ni
oyobikeri

Le Jour de l’An aussi
finit
avec le son de la cloche

Hakki.

Plus semblable encore est le suivant :

ganjitsu ya
taga kao mite mo
nen no naki

Jour du Nouvel An ;
Le visage de qui que l’on voit
est sans souci

Shigyoku.

°°

(à suivre, p.359)

Blyth HAIKU vol 1, sect 5, 3. La langue japonaise

30 décembre 2009

°
(p.317-20 :)

Le chinois, c’est-à-dire l’ancien chinois, était le langage idéal du Zen, clair et bref, vraiment monosyllabique (le chinois moderne est disyllabique), et pour l’exprimer d’une manière plutôt irlandaise, il est entièrement non-ambigu quand vous en connaissez le sens. Par exemple :

Entrant dans la forêt, il ne dérange pas un brin d’herbe ;
entrant dans l’eau, il ne cause aucune ride.

Ceci décrit l’activité sans ego du poète ou du sage dans son rapport à la nature. Il y a dix syllabes, dix mots en tout, trois fois moins que dans la traduction. Littéralement on a :

Entrer forêt herbe non bouger;
entrer eau non naître ride.

Un autre, également du Zenrinkushû :

Le prunier dépérissant (de vieillesse) contient moins de printemps;
mais le jardin est plus grand, et contient plus de lune.

Le génie du langage japonais (c’est-à-dire jusqu’à récemment) était assez différent de celui du chinois. Non seulement on n’en distinguait, jusqu’à un certain point, pas le sujet, le prédicat et l’objet, non seulement la ponctuation en était pratiquement absente, mais les bords des mots même sont flous. Nous pouvons comparer l’anglais, le chinois et le japonais dans les traductions de la bible. L’anglais et le chinois correspondent par leur précision et leur majesté; par comparaison le japonais semble faible et insignifiant. Mais en fait cette imprécision du japonais correspond à quelque chose dans la vie dont la pensée hébraïque, c’est à dire le langage hébreu, l’anglais et le chinois manquent. Dans la vie il n’y a pas de sujet et de prédicat, de cause et d’effet fixes; pas d’important et de non-important, que nous nous illusionnons à supposer, et qui est implicite dans ces langues. Les choses ne commencent pas avec une majuscule ni ne finissent avec un point; il y a simplement un devenir incessant. La langue anglaise ne reconnaît pas cela; d’où la difficulté majeure du traducteur.
Comme exemple de poésie japonaise en prose, prenons ceci, tiré des Collected Works of Kashino, de Nakajima Hirotari, décédé en 1864 :

Ici et là les feuilles des arbres sont profondément teintées de jaune et de cramoisi, les herbes de la pampa bougent comme si elles saluaient quelqu’un, avec de longues manches – dans tel chemin montagneux de beauté, du milieu s’estompant peu à peu de la fleur (« maiden-flower ») et de l’orchidée, les chrysanthèmes commençant à fleurir, leurs branches courbées par la rosée oscillant, et par-dessus tout nous touchant par leur grâce et leur charme.

Ceci est beaucoup plus vague, ombreux, et coulant loin du lecteur dans l’original que dans la traduction; c’est aussi plus difficile. La beauté du style de l’original a quelque chose de la poésie de Ruskin à son meilleur, quand il décrit la nature; par exemple dans Modern Painters, quand il parle du lever de soleil sur les Alpes, comment les brumes

 » flottent dans des baies étales et des courants qui tournent autour des sommets isolés des collines les plus basses, encore non touchés par cette aube plus froide et calme qu’une mer sans vent sous la lune de minuit; regardent quand le premier rayon de soleil est envoyé sur les canaux argentés, comment l’écume de leur surface ondulante se sépare et disparaît, et en-dessous de leurs profondeurs gisent la cité brillante et les pâtures vertes, telle Atlante, entre les sillons blancs de rivières qui serpentent; les flocons de lumière tombant à chaque instant plus vite et plus larges parmi les spirales étoilées, tandis que les couronnées se rompent et disparaissent au-dessus et que les crêtes confuses et les bords des collines sombres raccourcissent leurs ombres grises sur la plaine.  »

Le haïku est resté remarquablement libre en ce qui concerne le langage; des expressions colloquiales, dialectiques, littéraires ou chinoises ayant été employées szpuis les temps reculés, et de manière croissante. En voici quelques exemples :

beta beta to mono ni tsukitaru haru no yuki

elle colle comme du beurre
sur toutes choses,
cette neige de printemps

Issa.

La nature suintante de la neige de printemps ressort par l’expression colloquiale beta-beta.

kiri-no-ki ya tekipaki chitte tsun to tatsu

Le paulownia
rapidement dépouillé de ses feuilles
bien net

Issa.

tekipaki est une expression colloquiale qui exprime la rapidité de la chute des feuilles du paulownia; tsun to, souvent traduit par « net »suggère l’aspect particulièrement formel de l’arbre.

haru no kaze yanagi ga nakuba fuku maizo

Si les saules n’ont pas de feuilles,
ne soufflez pas,
vents du printemps !

Johaku.

nakuba est une forme littéraire de nakattara :  » S’il n’y avait pas « .

shôjô to ishi ni hi no iru kareno kana

Désolément
le soleil se couche dans les rochers
sur la lande desséchée

Buson.

shôjô, solitaire, seul, est un mot chinois composé souvent utilisé dans lesshi, les poèmes chinois.

4) Les onomatopées (p.321-8).