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Création du groupe Renku de Paris – 4 avril 2010

4 avril 2010

Bonjour !

Après notre première réunion du Cercle Renku de Paris, hier, il a été nécessaire de créer le groupe Renku :

Page d’accueil du groupe : http://fr.groups.yahoo.com/group/Renku
Adresse mail du groupe : Renku@yahoogroupes.fr

Vous pourrez y découvrir l’ébauche de notre premier « Jûnichô » (= renku de douze strophes) parisien !

bien à vous,

daniel

Par-ci par-là des tournesols – renku

7 mars 2010

°°°

PAR-CI PAR-LÀ DES TOURNESOLS

Mené par D.Py (sur internet), avec :
Lucia Supova (Slovaquie), Micheline Beaudry (Québec) , Daniel Py, Pascal Quéro (Fr)

Traduit en anglais (D.Py), italien (M.Beaudry), espagnol (P.Quéro), slovaque (L.Supova)
Et publié par John Carley sur le mag. en ligne Simply Haiku (début 2004) à l’adresse :
http://www.simplyhaiku.com

fin de septembre / par-ci par-là des tournesols / tournés vers le nord (L)
une ligne à l’horizon / une route sous mes pas (P.)
avancer / dans la couleur des feuilles / l’été indien (M)
partout sur son bureau / des papiers griffonnés (D)
une phrase en araméen / contre la pleine lune / branches du noyer (L)
son ventre est un peu plus rond / tout vibre là sous sa main (P)

derrière le carreau / mille points en tourbillon / jaunes rouges et bruns (P)
le chrysanthème orangé / retient encore le soleil (M)
tard dans la nuit / les pendules / et la dernière lampe (D)
une mouche les ailes ouvertes / aplatie sur le sol (L)
seule parmi les herbes / fleurie ce matin / une rose trémière (P)
cicatrice unique / il trouve son corps parfait (M)
comme au premier jour / le miroir de leur amour / limpide (D)
la lune orange / au-dessus d’un match de foot (L)
au grand stade / des milliers de gens pour suivre / les excécutions (L)
une seule minute d’attente / juste avant d’ouvrir le feu (P)
une odeur de bûches / dans l’air saturé de neige / silence sourd (M)
les crayons glissent / bruit de la craie (D)

allongé sur mon buste / le bébé d’un ami / s’endort (L)
enfin / mes poumons se regonflent / sous ses frêles traits immobiles (P)
le journaliste / a figé les rues désertes / trêve de Noël (M)
ce matin la lumière / sur les bancs de la gare (D)
quelques secousses / le train s’ébranle / deux adolescentes rient (D)
l’atelier du théâtre elles / répètent la noyade / hilares (L)
à plat sur tes reins / ma main frémit dans le noir / au son de la pluie (P)
les cinq rayons de l’étoile / suspendue sur sa chemise (M)
une ceinture de manteau / interroge / le trottoir (D)
la nationale un enfant assis / se penche sur un homme ivre (L)
sous la pleine lune / en bas toute illuminée / est la Tour Eiffel (P)
ils visitent le trou noir / de la nouvelle Pompéi (M)

à travers / les préparatifs de guerre / les signes du printemps (M)
colombes de la paix / pigeons de la paix (D)
fenêtre carrée / de la salle de bain / le chant des oiseaux (L)
avril chemin sous les arbres / un tourbillon de pétales (P)
pointes rouges / la feuillaison sous les fleurs / pommetier de mai (M)
drapeaux et banderoles / en marche vers l’été (D)

°°°

Un petit tas de sable – renku du 15/1 au 13/5/2008

7 mars 2010

Kasen renku :

« Un petit tas de sable »

co-écrit par :
anna, Martine Hautot, Monika Thoma-Petit, Jean-Claude César, Philippe Quinta, Daniel Py (sabakite),
entre le 15 janvier et le 13 mai 2008, sur internet.

**

premier jour de l’an
une balade à cheval
sur la plage (Daniel)

j’enterre l’étron du chien
sous un petit tas de sable (Phil)

ça fond
près du mur de la maison
pointent les pivoines (Monika)

Saint-Vincent venteux –
elle change de lunettes (Jean-Claude)

Nouvelle lune
sur ses cheveux blancs
la bourrasque amère (Martine)

dans la chambre-atelier
une odeur de cèdre et de vernis (anna)

 » 30 idées
pour bien ranger  » –
le plateau-repas délaissé (D)

ce baiser profond — soudain
un arrière-goût d’aïoli (Mo)

larmes sur les joues
il n’ose lui dire
qu’il la trouve belle (P)

Prison de femmes
La peine au goutte à goutte (Ma)

odeur de lessive…
le cul de la grenouille
plein sud (J.-C)

coup d’oeil sur les toits
que des cheminées sans fumée (a)

Place Clichy
la lune commence à décroître
j’entame une pomme (D)

Yom Kippour à Outremont
tous les hommes portent la calotte (Mo)

Halloween –
à ma porte timides
les deux sorcières (P)

le mendiant compte sa monnaie
les braves gens courent pas les rues (Ma)

embouteillages-
sur la liste des courses
un dessin de fleur (J-C)

un air de jeune saison
dans le rose des nuages (a)

fais-tu une pause
jusqu’au printemps pour écrire
ton verset ? (D)

à 80 ans, Vigneault
prépare enfin sa grand-messe (Mo)

agnostique —
un Saint-Antoine pourtant
dans chaque pièce (P)

Sans savoir pour quoi
mon coeur est en fête (Ma)

petite neige de décembre
depuis le temps que je rêvais
de voir un paon blanc (J-C)

vent d’est dans un ciel de béton
flocons gris sale (a)

au bord du chantier
nous inspectons le va-et-vient
des travailleurs (D)

après — ma tête repose
dans le creux sous son épaule (Mo)

face à face
leurs mains seules
se parlent (P)

t’en veux une ! lance
la mère excédée (Ma)

lune d’automne-
ils ont surpris le père
imitant la huppe (J-C)

de l’arbre sans feuilles
pendent les fruits secs (a)

les pots
vous les avez mis
à gauche à la cave (D)

épicerie japonaise
quelques sushi sur le pouce (Mo)

mon hôte le dit:
rien de ce qu’il mange
n’est à son goût (P)

Pour le dérider je dessine
un mouton à cinq pattes (Ma)

intimité dévoilée
le lotus aux deux pétales
radieux (J-C)

baignade de mai
le sel et le soleil remplissent ses yeux (a)

**

RENKU – une poésie de collaboration – par Ion Codrescu

7 mars 2010

Renku – une poésie de collaboration
par Ion Codrescu

 » Si l’on étudie les notes et les journaux d’écrivains occidentaux à diverses époques, l’on peut souvent y trouver des phrases faisant état de leur « peur d’écrire », cette peur du papier blanc posé devant eux. Un des plus grands créateurs occidentaux, Léonard de Vinci, ressentait également de l’angoisse à peindre. À l’Ouest on conçoit l’artiste solitaire et l’acte créateur comme un acte intime accompli dans la solitude, loin de la foule aliénante. Il est courant de dire : « l’artiste se retire dans sa tour d’ivoire ». L’image nous représente un lieu retiré où quelqu’un — la plupart du temps un écrivain ou un peintre — s’isole avec ses rêves et ses pensées. Bien que cette expression soit devenue légendaire, l’occident a connu aussi en hypostase l’artiste qui collabore avec d’autres pour élaborer son oeuvre.
Le mot collaborer, d’origine latine, vient du verbe collaboro, collaborare. Laboro, laborare signifie travailler et col- ou con- : avec. Collaborer est donc travailler à plusieurs. Voici quelques exemples de collaborations dans la réalisation d’oeuvres occidentales, que ce soit pour l’architecture, la fresque, l’opéra, le cinéma, la danse, le théâtre, etc. Roland Petit et Maurice Béjart, deux des plus célèbres chorégraphes du vingtième siècle, ont coopéré avec des compositeurs et des danseurs de pays différents pour monter leurs spectacles.
Dans la peinture byzantine — qui appartient à la sphère orthodoxe européenne : Russie, Ukraine, Roumanie, Bulgarie, Serbie et Grèce — des artistes s’unirent pour peindre les murs intérieurs et extérieurs d’églises. La personne la plus habile et expérimentée dirigeait les travavux. Sans la coordination compétente du Maître d’oeuvre, des réalisations de telle envergure n’auraient pas pu voir le jour.
Dans le folklore roumain, la chanson sous forme dialoguée constitue un autre exemple. Quelqu’un commence une chanson, une autre voix — ou plusieurs — vient – viennent – s’y ajouter pour entamer un nouveau couplet. Le dialogue musical introduit généralement des variations à l’aide de questions et de réponses sur un thème donné. La représentation d’une telle chanson basée sur la collaboration est assez ancienne, et on en trouve encore des occurences dans certaines régions de mon pays. Tous ces exemples prouvent que l’idée d’une collaboration artistique est connue en occident.
Si le haïku au Japon se développa à partir du poème lié (ces deux formes y co-existent encore aujourd’hui ), les haijins occidentaux ont fait le chemin inverse. Après avoir eu une grande expérience du haïku, quelques poètes en sont devenus des autorités et ont eu le courage de pratiquer le renku — poésie de collaboration. La peur du poète occidental devant sa feuille blanche se transforme en joie dès qu’il commence à coopérer avec un ou plusieurs autres poètes pour écrire un renku. D’après mon expérience, je peux dire que ça a été un grand plaisir que d’écrire des renkus par la poste, le fax, l’e-mail, dans différents moyens de transport, voitures, trains, métros, bus, et dans des lieux variés : maisons, restaurants, musées, hôtels, parcs, salles de conférence, écoles, universités, etcétéra. Quels que soient les lieux ou moyens de communication, le processus de création, les contacts directs, l’atmosphère
cordiale, l’échange d’idées et de nouvelles, l’évaluation critique faite par le meneur de la séance de renku, la joie de rencontrer d’autres poètes, la lecture
finale du poème ne sont qu’une partie des éléments constitutifs du renku, poésie écrite par un groupe de poètes en collaboration.
On pourrait comparer un renku à un duo, à un trio, quatuor, quintette… ou à un orchestre de chambre. Chaque artiste joueur doit contribuer à l’harmonie de l’ensemble. Aucun n’y est purement soliste. Le rythme ternaire :1°) de la preparation; 2°) du développement; 3°) du final rapide; (en un mot : jo-ha-kyu) dans le renku, nous évoque les rythmes et les mouvements d’une composition musicale. La première partie du renku, appelée préparation — ou « jo » — peut être comparé à un mouvement de symphonie tel un largo, un adagio, un grave ou un andante. Sa partie centrale, ou développement (« ha »), à un allegro, et sa dernière partie : final rapide (ou « kyu ») à un presto.
Il faut savoir quand jouer « con brio » (: avec brio), giocoso (: joyeux), assai (assez vite), vivace (vif), ma non troppo (mais pas trop), etcétéra. Et le sabaki (le meneur, le maître) du renku peut tenir le rôle du chef d’orchestre. Il peut suggérer des améliorations sur un mot, ou un vers. Il peut aussi rejeter une bonne strophe qui ne s’accorde pas parfaitement à l’ensemble.
En comparant une séance d’écriture du renku avec un concert de jazz, je ne peux m’empêcher d’évoquer un grand musicien contemporain d’Europe de l’Est : le serbe Goran Bregovic, qui s’associe à des musiciens et des chanteurs de Serbie, de Bulgarie et de Roumanie lors de ses concerts. Les chanteurs chantent dans leur langue natale de façon à ce que le public entende les sonorités particulières aux différentes régions culturelles. Le
dialogue entre les membres de l’orchestre et les joueurs solistes roumains, ou entre
les chanteurs bulgares et l’orchestre, crée une atmosphère de timbres variés inoubliable. Je pense que, à l’instar de la musique de Goran Bregovic, un renku écrit par des poètes vivant dans différents pays peut faire ressortir une harmonie orchestrée par le « maître » de la séance.
Le riche mandala kaléidoscopique de la vie est créé à la fois par les traditions culturelles apportées par chaque poète et par l’esprit que chaque poète exprime à son insu. Le lien entre les strophes et la musique dirigée par le maître qui donne des suggestions à tous les poètes pour construire la structuire du poème entier. Le changement (la rupture, le saut) résulte de la grande diversité des personnes. Ainsi créé, à travers cette diversité des cultures et harmonisé par le maîrte, le renku peut être compris par des lecteurs partout dans le monde. On peut donc pratiquer le renku non seulement dans son pays natal, mais aussi dans des pays où les gens ont l’habitude d’autres formes de poésie.
Comme toute oeuvre d’art, un poème doit avoir une structure et un rythme. Dans « Son et Forme dans la poésie moderne », Harvey Gross écrit : « Le rythme n’est ni en dehors du sens, ni un ornement du poème. Les structures rythmiques sont des formes expressives, des éléments de connaissance qui communiquent ces expériences que seule une conscience rythmique peut communiquer, réponses humaines emphatiques au passage du temps. » Dans le renku, le rythme est donné et par le leader du groupe, et par la contribution de chaque poète. La sonorité et le sens des mots créent le rythme du poème. En lisant ou en écoutant un renku, nous avons l’impression d’entendre beaucoup de voix différentes. Nous percevons quelquefois des dialogues, quelquefois un monologue à proximité. Des rythmes se répondent, se font écho dans notre oreille mentale. Des mots se répondent et créent une tension à travers les voix changeantes. Dans cette poésie de collaboration, il est important de savoir où et quand on place les effets élégiaques, les accents, les tonalités neutres, les contrastes , les repos et les actions, la nature et les personnes, les thèmes de religion, de sport, etcétéra. Seul le leader peut, encore une fois, coordonner toutes ces composantes du
rythme ou de la structure du renku. Les strophes semblent être des fragments de
conversations ou des scènes d’un voyage. On peut voir chaque scène comme une
photographie indépendante ou comme reliée à une autre par la droite ou par la gauche.
Ma collaboration avec quelques membres du Groupe de Haiku Evergreen, mené par Ikuyo Yoshimura fut une expérience intéressante. Les poètes japonais écrivirent les réponses suivantes à mon poème :

le Temple Ryoan-ji —
parmi les chants des cigales
j’en dessine les pierre
Ion Codrescu

Kimiko Minoura écrivit :
lumière du soleil à travers les arbres —
quelques visiteurs

Miyako Nomura :
après le coucher du soleil
profitons des cierges magiques

Reiko Takagi :
se précipitant pour saluer
les lucioles luisent

et Ikuyo Yoshimura :
un avion de papier
volant autour des enfants

Comme vous le voyez, mon poème a inspiré à chacun une image différente, même si dans leurs strophes liées ils ont conservé le lieu et la saison.
Avant de commenter un renku écrit par des poètes de différents pays, il me fallait d’abord en choisir un. Ce ne fut pas chose aisée. J’écris des renkus depuis bientôt dix ans et j’ai eu l’occasion de collaborer avec des poètes de France, d’Irlande, d’Amérique, du Japon et bien sûr de Roumanie. J’ai aussi eu l’honneur de présider des séances de renku en Hollande, en Roumanie, aux U.S.A. et en Irlande. Aux Etats-Unis et au Japon j’ai eu le privilège d’écrire des renkus sous la direction de quelques poètes célèbres, tels Masahisa (Shenku) Fukuda, Jitsuro Tsuchiya, Meiga Higashi, Tadashi Kondo, Kris Kondo, Mami Orihara, Ikuyo Yoshimura et William J. Higginson. De ces renkus composés avec ces poètes, j’en ai choisi un, composé sur l’Île de Sado, le 23 Août 1998, au milieu d’un paysage qui me fait penser au Japon ancien. Jitsuro Tsuchiya menait cette séance.
Pour la première fois en visite sur l’île de Sado, je fus immédiatement captivé par la beauté du lieu et l’hospitalité des gens. S’étant aperçu que j’aimais les pierres rouges caractéristiques de cette île, le professeur Fukuda m’en offrit une en souvenir de la « Soirée d’Admiration des Étoiles ». Je reçus ce cadeau juste avant le petit déjeuner. Ce petit caillou poli était rouge avec des points sombres et des veinules légèrement gris-brun. Contrastant avec la nappe, on aurait dit que ce petit rocher était une île ou une montagne émergeant de l’immensité de l’océan blanc. Tous, autour de la table regardaient, fascinés par son éclat dans la lumière du matin. Il m’apparut que cette pierre resterait toujours comme un lien entre l’île de Sado et la Roumanie. À ce moment me vint l’inspiration d’écrire le hokku (verset initial) d’un demi-kasen (renku de dix-huit strophes) :

une pierre rouge
s’ajoute à mes souvenirs —
automne sur Sado
Ion

Atsuko Takagi donne une superbe réponse à ce hokku. L’élément statique du
hokku se change en mouvement grâce aux mots : « pins courbés par le vent » ( « wind bent pines »). La radiation émise par la pierre sur la table trouve son équivalent dans la lune qui voile le paysage dans une atmosphère poétique.
La présence en anglais des sons « s », « d », « t », « n », dans  » wind bent pines  » (« les pins courbés par le vent »), crée une sonorité similaire au bruit du vent dans les pins :

courbés par le vent les pins
baignés de lune
Atsuko Takagi

Le troisième poète continue dans la même saison et renforce le mouvement de la deuxième strophe. Un jeu d’enfants qui imite un train et son tracé sinueux en forme une image convenable. On peut facielement imaginer leurs vêtements bariolés, leur joie, leurs rires cristallins, heureuse image d’un temps de moisson.

Fête de la moisson
le train fictif
rempli d’enfants
Seikai Hamamoto

Dans la quatrième strophe, la chaîne d’enfants se transforme habilement en un groupe de personnes plus âgées se serrant les mains après une longue absence :

des amis éloignés
poignées de mains chaleureuses
Akio Honma

C’est maintenant l’été. On coupe pour chacun une pastèque fraîche en portions égales. La forme sphérique de la pastèque accentue l’idée de rassemblement. En se réunissant autour de la table, ils partagent le même sentiment d’amitié :

sur un grand plat
une pastèque fraîche
découpée
Jitsuro Tsuchiya

Les amis sont transportés dans un autre plan, à un autre niveau, par une colonie de fourmis. Il y en a dans tous les coins de la cour. Peut-être est-on chez un célibataire, où pour le moment les fourmis sont les seuls visiteurs :

soudain la cour
grouille de fourmis
Kris Kondo

Quelque part une petite fille vêtue d’un yukata (ou kimono d’été), inspirée par les mouvements des danseurs professionnels, par le rythme de la musique et par la voix des chanteurs, essaie timidement d’imiter ce qu’elle voit :

en kimono
Karen imite
la danse de l’île
Seikai

Plus tard, un autre poète remarque un petit orteil fin dans une sandale japonaise à lacets rouges, ce qui produit un changement très naturel. L’image me fait penser aux croquis de Degas dans lesquels le peintre impressionniste immortalisa des ballerines en train de nouer leurs pointes.

lacet rouge enroulé
un petit orteil fin
Atsuko

Nous partons ensuite pour une autre scène dans un autre lieu où se trouve une statue célèbre dans une grande ville, où des gens se rencontrent. Ces lieux de rencontres existent partout dans le monde. C’est le début de la section « amour » de ce demi-kasen. Comme l’expérience humaine est semblable malgré les nationalités différentes, on peut rencontrer les mêmes situations: le retard de quelqu’un; quelqu’un qui ne vient pas du tout ; quelqu’un qui attend en vain :

las d’attendre
chaque nuit
au pied de Hachiko*
Ion

*Hachiko est un lieu de rendez-vous très connu à Tokyo où se trouve la statue d’un chien célèbre.

Comme chacun sait, notre monde est devenu un village planétaire, grâce aux modes de communication rapides. On ne peut arrêter aucune nouvelle. Elle est immédiatement connue dans le monde entier grâce à l’e-mail, au fax ou à la télévision par satellite :

l’irritation d’une femme
fait le tour du monde
Kris Kondo

Il n’est pas rare de rencontrer des touristes de plusieurs pays ou d’entendre des langues étrangères partout dans le monde. Le lien avec la strophe précédente est très subtil et raffiné :

des voix s’élèvent
trois langues
en alternance
Seikai

Le dynamisme exprimé par « en alternance » continue dans la strophe suivante avec l’expression « les stocks fluctuent ». Cette strophe contribue à la diversité de ce demi-kasen. On ne peut ignorer les problèmes sociaux, surtout de nos jours où les rapports entre les divers domaines de notre vie s’influencent et se conditionnent :

les stocks fluctuent
les taux d’échange aussi
Jitsuro

Une des règles importantes de la plupart des formes de renkus est d’utiliser les quatre saisons dans une succession choisie par l’inspiration des poètes. Les fluctuations des stocks ou les taux de change se transforment sur un autre plan en mouvements amples d’un patineur qui s’entraine seul sur un lac gelé reflétant la lune. L’hiver domine l’ensemble comme dans les peintures de Breughel. La glace est épaisse et solide, et le patineur peut
s’entrainer en toute sécurité. L’image est suggérée en tons de gris pour la glace, de
noir pour le ciel nocturne et aussi par deux éléments : le patineur et la lune qui se reflète. Les couleurs sont limitées et l’harmonie est obtenue par des éléments non exposés : le ciel, la forme de la mare, les traces rondes du patineur sur la glace et la lune dans le ciel :

sur la mare
un patineur encercle
la lune
Ion

De l’extérieur l’objectif bouge vers l’intérieur. C’est encore l’hiver. Il fait froid :

dans le kotatsu**
la chaleur familiale
Akio

**le kotatsu désigne l’ endroit d’une pièce dans les maisons japonaises traditionnelles, où un feu (ré)chauffe les gens, l’hiver.

La chaude atmosphère familiale se prolonge dans la strophe suivante. Ici le dialogue entre les poètes du renku atteint un niveau certain de spontanéité. Toutes les règles traditionnelles semblent s’abolir :

À propos
qu’est-il advenu du vin
qu’on nous a offert ?
Atsuko

La dimension spirituelle de l’existence est également présente puisque la religion, les dieux, les croyances, fois, superstitions et bien d’autres us et coutumes font partie de notre vie quotidienne. L’énoncé de la strophe suivante est neutre et simple:

réussis les examens d’entrer
allons prier à Yushima
Seikai

L’examen d’entrée est le premier pas dans une carrière. Le réussir est comme accueillir le printemps tant attendu. Dans la strophe suivante observez le transfert des jeunes étudiants en jeunes arbres :

la ville nouvelle
avec de jeunes arbres
tous en fleur
Kris

Notre sabaki (ou leader) écrit la dernière strophe. Aux fleurs des jeunes arbres se juxtapose l’image d’un chat, dans un lien plein d’humour et néanmoins délicat :

dans les habits d’un grand couturier
un chat de printemps pose
Jitsuro

À la fin de ce demi-kasen, le lecteur a l’impression que la vie continue et que cet ageku (ou dernier verset) dépeint un moment de l’immense éternité.
Bien que ce ne soit qu’un demi-kasen, les conseils avisés de maître Jitsuro Tsuchiya et la merveilleuse collaboration des six poètes présents en firent un renku riche et harmonieux. Je me souviens de l’ambiance détendue, chaleureuse et amicale de l’écriture de ce poème. Une énergie positive émanant de chaque poète imprégnait l’atmosphère. Cela dépassait les mots. Il régnait un silence parfait lorsqu’on composait une strophe. De temps à autre on pouvait entendre la respiration d’un poète, le léger bruit d’un crayon parcourant une feuille de papier ou le son d’un saijiki qu’on ouvrait ou fermait. Quand tous avaient fini d’écrire, le meneur accueillait les propositions qu’il lisait à haute voix. Nous aimions les écouter, toutes. Nous les analysions ou exprimions notre contentement en utilisant des interjections en Japonais en Anglais ou en Roumain. Il nous importait de connaître l’opinion du meneur de jeu à propos de nos strophes ou les commentaires des autres poètes. Enfin le poète dont on choisissait le verset était admiré et félicité par les autres.
Une analyse attentive confirmera que la beauté de ce demi-kasen réside dans le fait que le discours poétique créé par les six poètes respecte toutes les règles esthétiques du genre. Il couvre une grande diversité de plans spaciaux et temporels, offre une grande palette de points de vue et de changements dans les sujets. Nous essayâmes d’englober les sujets les plus larges possibles dans le riche mandala kaléidoscopique de la vie ; la nature, la terre, les animaux, les plantes, l’évolution,, la structure, le vivant, les affaires humaines, les gens, les métiers, la religion, la mode, les sports, etcétera. La séquence des quatre saisons, l’alternance des scènes où la présence humaine domine et des scènes d’où l’homme est absent, l’implication de différents personnages en action (ce qu’on nomme le ji-ta-ba: soi-même, l’autre, le lieu), l’observation de la vie sous différents angles et perspectives, les contrastes entre un paysage élargi et une scène intime, entre l’ensemble et le détail, la juxtaposition de la lumière forte et de l’obscurité, l’image du clair-obscur, la rencontre du microcosme et du macrocosme, de la joie et de la tristesse, du silence et du bruit, du statique et du dynamique, sont les autres éléments qui caractérisent l’habileté du maître à guider les cinq autres poètes, comme dans un orchestre de chambre où chaque joueur n’essaye pas seulement de s’intégrer à l’ensemble mais tente aussi d’apporter sa propre technique et son sens de l’expression, même si on ne l’entend que pour un laps de temps assez court.
Dès le départ on crée un poème simultanément en deux langues — le Japonais et l’Anglais — si bien que chaque poète devait sortir de sa propre culture pour pénétrer dans l’autre. Aussitôt qu’une strophe était écrite dans une langue, elle était aussitôt traduite dans l’autre. C’était une collaboration inlassable. Les traductions donnaient lieu à différentes suggestions, des solutions étaient proposées, on choisissait les meilleurs mots en tenant
compte de leurs sonorités.
Je suis très honoré d’avoir pu collaborer à ce renku. Mes commentaires courts et incomplets en donnent une certaine interprétation, mais je suis sûr qu’en le lisant à l’écart vous trouverez d’autres interprétations. Qui peuvent être semblables aux miennes ou bien très différentes. Plus un poème permet d’interprétations, meilleur il est. Cette diversité
d’interprétations devrait être naturelle parce que ce demi-kasen a été réalisé par six
poètes : quatre Japonais, un Américain, et un Roumain. De plus, les auteurs appartiennent à des générations différentes. Chaque poète y oeuvra avec sa propre expérience, sa personnalité, son tempérament propre et sa propre culture.  »

***

(traduit de l’anglais par Daniel Py)

INTRODUCTION AU RENKU par Shinku Fukuda

7 mars 2010

INTRODUCTION AU RENKU INTERNATIONAL

: une Étude sur l’Expression dans le Renku,
(avec utilisation d’exemples de renkus internationaux de 1998)

par Shinku Fukuda

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NIVEAUX D’EXPRESSION LINGUISTIQUE DANS LE RENKU

En plus de crier, pleurer et rire à l’instar des animaux, l’être humain a beaucoup de moyens de s’exprimer : par la peinture, par exemple, la musique, la sculpture et l’utilisation du langage.
Cette expression d’utilisation du langage possède une variété de genres tels que la poésie, les essais, les romans, les drames, les mythes. Selon mon idée de la théorie dimensionnelle du langage, ces expressions basées sur le langage se classent en trois catégories :
1) le langage du monologue : ainsi l’expression pour soi seul, la poésie, les essais, les journaux.
2) le langage de la communication ( pour communiquer avec / à l’autre) : les histoires, les articles.
3) le langage oral, pour léguer des histoires anciennes communément partagées : contes, folklore, vieilles légendes, mythologies …
De ces trois groupes, le renku appartient au langage du monologue.
Le renku n’est pas composé par un seul écrivain mais par plusieurs qui créent ensemble, ce qui fait que le renku est une expression du langage. Le renku fait par des poètes qui alternent des versets de 5-7-5 syllabes avec des versets plus courts de 7-7 syllabes, jusqu’au nombre final de 36 versets, s’appelle un “kasen keishiki” ou un renku de forme kasen.
Un poète apprécie le verset qui précède et y lie le sien. Chaque poète exerce ainsi de lui-même sa propre compréhension et sa propre expression. L’oeuvre ainsi complétée peut sembler appartenir au langage de la communication, mais cela n’est, en fait, pas le cas.
Une oeuvre de renku, comme un haïku, un tanka ou un poème de style occidental, correspond à “une composition”. C’est pourquoi on peut dire du renku qu’il appartient à un langage de monologue individuel présenté sous une forme qui inclut des strophes d’un certain nombre de poètes.
J’aimerais annoncer mon étude linguistique sur la composition du renku une autre fois.
Dans cette thèse-ci, j’examine la manière concrète d’écrire le renku.
Je désire commenter les deux renkus : “Shinig White” (“D’un Blanc Brillant ”) et “Pacific Ocean” (“Océan Pacifique”), choisis parmi des renkus internationaux créés en 1998, auxquels j’ai collaboré.
Je veux également montrer douze autres renkus en exemples, en espérant qu’ils vous donneront des aperçus précieux pour composer des renkus.

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ETUDE DE L’EXPRESSION DANS LE RENKU

Le renku est un morceau de littérature accompli par deux ou plusieurs poètes. Il a développé un format unique et occupe une place spéciale dans la littérature mondiale. Tandis qu’en général la littérature est faite d’oeuvres individuelles, on peut dire du renku qu’il est une oeuvre commune, faite par un groupe de personnes. Beaucoup de gens s’assemblent dans un même lieu pour ce faire. On le dénomme “ za-no-bungei “ (= littérature de groupe). De nos jours, cependant, grâce au développement du fax, de l’e-mail, on peut facilement partager la composition du renku entre personnes vivant loin les unes des autres. Avec ce changement, une simple rencontre peut facilement se muer en “ groupement international “ !
Puisque le renku s’obtient en rassemblant les personnalités différentes d’écrivains différents, il est intéressant et excitant à cause de son développement inattenu. Il n’est aucunement arrêté à l’avance contrairement à la plupart des formes d’art et de littérature. Comment lier une strophe à la précédente et développer au-delà dépend de l’esprit et de la personnalité de chaque auteur. En la répétant , la changeant ou la développant, les participants complètent une oeuvre. Son essence et son charme viennent de ces tours, de ces développements imprévus.
Pour composer un renku, des règles formelles ont été élaborées quant aux nombres de catégories de mots, de répétitions, quant aux techniques réthoriques telles les antithèses, expressions, métaphores ou onomatopées. Il va sans dire que le renku possède son format propre, et ses propres directives (“sikimoku”).
Je désire maintenant expliquer les règles du renku, et comment il se fait.

1) QU’EST-CE QU’UN RENKU ?

Le renku commence par un verset long, sur 3 lignes, de 5/7/5 onji. Le deuxième poète y lie un deuxième verset court sur deux lignes, de 7/7 onji, suivi par un troisième long (5/7/5) de nouveau. On complète le renku en alternant ces formes 5/7/5 et 7/7. Un renku de 36 versets s’appelle un kasen.

2) LES FORMATS DES RENKUS

Il y a plusieurs longueurs de renkus, dont les plus traditionnels : le kasen (36 strophes), le “hankasen” ou demi-kasen (18 strophes), le nijûin (20), le kocho (24), le tankako (20), le “sonnet” (14), etc.
Aujourd’hui, en dehors du Japon, comme par exemple en Amérique du Nord et en Europe, les poètes semblent préférer le format court de 12 strophes. Cette tendance me satisfait peu, notamment du point de vue du développement et de l’apogée.

3) LE “MENEUR” DU RENKU (“SABAKITE”)

Pour faire évoler un renku en groupe, il est nécessaire qu’il y ait un leader familier des règles et qui ait une bonne expérience du renku. Il sélectionne (”sabaku”) une strophe parmi celles écrites par plusieurs auteurs, l’évalue (“jijou-suru”) et la corrige (“icchoku”), si elle ne suit pas le flux. Le meneur du renku a une grande autorité et peut être comparé au chef d’un orchestre symphonque, au point qu’on peut dire que le renku est complété principalement par le sabakite.
De nos jours, aux USA, deux noms sont souvent cités : l’ écrivain et son (sa) correcteur (-trice). Cela montre la différence de coutumes et de cultures entre les Japonais, qui respectent l’harmonie et les Américains qui respectent l’individu.On a souvent l’occasion de sentir ces différentes cultures dans les sujets, le sens, les us et coutumes, au sein du renku international.

4) COMMENT ÉCRIRE LE RENKU

Je voudrais expliquer comment on note par écrit le renku. Autrefois on n’écrivait pas le renku sur la même feuille de papier du premier au dernier verset. On utilisait deux feuilles (kaishi) de deux feuillets chacune, pliés vers le haut. Autrement dit, le recto de la première feuille comportait 4 pages : le titre et la date de la composition et les 6 premières strophes appelées “omote rokku” ou 6 strophes du 1°feuillet recto. Le dos comprenait 12 strophes. Le recto de la deuxième feuille portait 12 strophes et son verso les 6 dernières et enfin les noms des poèrtes du renku (renju) et le nombre de versets. Après cela les feuilles sont reliées avec un fil l’une sur l’autre.
Aujourd’hui on utilise ce format quand un “hono haïkaï” (haïkaï formel) est composé& dans un temple ou haut-lieu shintoïste, suivant ainsi le vieux rite appelé shoshiki (renku du style traditionnel de Bashô). En 1990, on utilisa ce cérémonial pour le haïkaï formel qui eut lieu au temple Gichuji à Otsu, où se trouve la tombe de Bashô. (Cor Van den Heuvel, ancien président de la HSA – Société Américaine de Haïku – fut de cette cérémonie).
De nos jours on écrit couramment le renku sur une même page ou dans un carnet en inscrivant “ 1° feuillet recto, 1° feuillet verso, 2° feuillet recto, 2° feuillet verso “ sur chaque page correspondante. La plupart des groupes de renku possèdent leurs propres formats imprimés avec des notes succintes sur les directives de composition aux endroits appropriés.
Si l’on tient compte de ces 4 feuillets, les positions des versets spéciaux attribués à la lune, aux fleurs et à l’amour sont réparties également. Quand je compose des renkus avec des personnes en dehors du Japon, je leur dis ces choses, et suis heureux quand ils semblent les comprendre.

5) TABLEAU SUR LES THEMES DE SAISONS DANS LE RENKU

Suit une explication de la structure du kasen ( renku de 36 strophes).

Premier feuillet recto :

*

Premier feuillet verso :

*

deuxième feuillet recto :

*

deuxième feuillet verso :

*

Sa forme de base est généralement la suivante : les deux positions pour les fleurs sont fixes (11°v. du 1° folio verso et 5° v. du 2° folio verso) tandis que les versets de lune peuvent avancer de leur position normale, mais pas reculer.
Au Japon les fleurs (de printemps) et la lune (d’automne) représentent la beauté dans les mondes naturels et physiques si bien qu’on les soigne particulièrement. Les versets d’amour représentent la lumière de la vie dans le monde. Yasunari Kawabata, lors de la réception de son Prix Nobel, discourut sur le sens esthétique des Japonais, souligné par la neige, la lune et les fleurs.

6) LES SUJETS

En écrivant un renku, on utilise tous les sujets concernant le ciel, la terre et l’homme. Dans une composition on doit éviter au possible un sujet qui a déjà été employé dans une strophe précédente. En utilisant audacieusement des sujets complètement différents, le changement dans les versets devient possible et l’on crée ainsi un riche mandala kaléidoscopique de la vie.
Traiter des matériaux n’attire communément pas l’intérêt, on doit donc recourir à quelque chose d’inventif ou à quelques nouveaux dispositifs basés sur l’observation.

– Phénomènes naturels : pluie, neige, vent, glace, nuage, soleil, lune, étoile, saison.
– Terre : montagne, champ, route, jardin, rivière, mer, lac, mare, forêt
– Animaux : oiseau, poisson, insecte, autres animaux
– Plantes : herbe, arbre, fleur, légume, champignon, algue
– Constructions : maison, immeuble, magasin, pont
– Transports : voiture, train, avion, bateau,
– Vie : habillement, mode, nourriture, alcool, cigarette, thé, confiserie,
– Affaires humaines : voyage, amour, tristesse, événement, jeu, agriculture, souvenir,
– Gens : adulte, étudiant, enfant, étranger, nom, image,
– Métiers : agriculture, commerce, industrie, professorat, doctorat, employé de bureau,
– Arts : calligraphie, peinture, antiquités, poterie, sculpture, musique, danse, spectacle,
– Signes des temps : politique, économie, éducation, armée, guerre, modes,
– Religions : shintoïsme, bouddhisme, chrétienté, croyances populaires, Jour des Morts,
– Sports : sumo, athlétisme, jeux de balles, course hippique, meeting sportif, sports d’hiver,
– Pays : le sien ou l’étranger, nom de pays, nom de lieu,
– Le corps humain : membres, maladie, médecine,
– Equipements : instruments, machines, produits,
– Apprentissage : littérature, philosophie, archéologie, science, maths, physique, sciences naturelles

7) LA POSITION DE FLEUR(S)

Les Japonais ne peuvent pas entendre le mot “fleur” sans l’associer aux fleurs de cerisiers. En outre, ils ont la reconnaissance ethnique commune que les fleurs de cerisiers sont les reines et représentent toutes les autres fleurs. Mais, en-dehors du Japon, il y a moins de fleurs de cerisiers. Il est alors difficile à ces gens d’associer la fleur de cerisier à une fleur. Ils ont tendance à vouloir nommer concrètement la fleur, à savoir une fleur de pêcher, de poirier, de cerisier. Pour beaucoup une fleur, en général, ne saurait être représentée par la fleur de cerisier, fleur représentative du Japon.
Des gens vivant à San Francisco et quelques Américains peuvent comprendre l’idée de “fleur” qu’ont les Japonais, et peuvent donc s’y identifier. Si nous voulons internationaliser le renku, il nous faut d’abord présenter les cerisiers et leurs fleurs aux autres pays. Comme je souhaite que tous les gens des pays étrangers puissent sentir la beauté et la fragilité des fleurs de cerisiers !

8) Versets d’amour

Il y a deux sections pour des versets d’amour dans un renku, et si ces deux versets d’amour se suivent dans une section, cela dramatise tous les passages de l’oeuvre. L’atmosphère de la séance devient très plaisante quand il s’agit d’amour, que les participants soient Japonais ou étrangers. Les poètes du renku s’échauffent. Je pense que si nos chefs d’état écrivaient des versets d’amour avant de commencer leurs discussions politiques, ce serait la manière la plus rapide assurément d’établir la paix dans le monde.

9) LE RYTHME JO-HA-KYU

J’aimerais examiner le développement d’une oeuvre du point de vue du “jo-ha-kyu”. On a utilisé ce terme pour montrer le développement en musique, mais il a été utilisé dans la théorie du “noh” par Zeami, le maître du Noh. En 1994, M. Higginson (des USA) a souligné l’importance du jo-ha-kyu dans sa lecture lors de sa conférence à l’université Seikei où se tenait le Colloque International sur le renku. Je pense que son opinion fut précieuse.
À ce propos, le titre de mon allocution, à cette occasion, était :Le Rapport sur l’échange du Renku International par le “Club Renku de la Voie Lactée”.
Sur les 36 versets d’un kasen, la 1° feuille recto a 6 versets qui constituent le “jo”, le prologue. On doit y utiliser des thèmes plaisants ou paisibles. On peut dire qu’on écrit “ en costume et cravate”. C’est pourquoi on n’y inclut pas d’impressions trop fortes ou de thèmes controversés tels Dieu, le bouddhisme, l’amour, l’incertitude, les souvenirs, la maladie, des noms de lieux ou de personnes. Même les débutants japonais sont capables d’écrire inconsciemment ici sur l’amour ou la mauvaise santé. C’est un rôle important pour le sosho, meneur du renku, d’y veiller et de guider les poètes. Dans le renku international, cela représente un challenge important d’éduquer des meneurs de renku étrangers.
Les 12 versets du 1° feuillet verso correspondent au premier passage “ha” du développement. Ici les sujets inabordables dans le 1° feuillet recto peuvent y être abordés. On peut maintenant lier sans crainte avec des idées libres. Des contenus et des goûts diffèrents du verset précédent ou du verset encore antérieur (“sauté”) doivent s’y lier.
On peut dire aisément qu’on écrit ici “sans costume ni cravate”. La combinaison du verset précédent et du verset lié forment un monde.
L’esprit de question et réponse, qui constituait la forme la plus ancienne du renku, est à l’oeuvre dans ces deux versets.
Il est intéressant d’apprécier chaque couple de versets d’un renku achevé. En faisant ceci on comprend non seulement l’objectif de lier les versets, mais également la personnalité des écrivains.

Le deuxième feuillet recto correspond à la deuxième partie du “jo” (continuation du développement). Cette partie s’écrit plus librement, avec assurance, l’esprit étincelant, et une variété d’accents audacieux.
Les sujets déjà employés doivent être évités. On peut utiliser comme nouveaux matériaux des sujets incluant Dieu ou la religion, l’alcool, la politique. Il est nécessaire d’écrire des versets sérieux, élégants, plaisants, drôles et ironiques en connection avec les strophes précédentes. Dans un montage en cours, on doit changer audacieusement l’orientation du courant. Ce qui impoorte dans le renku est la présence d’esprit, l’inattendu, et d’écrire dans un sentiment “pas trop proche du verset précédent, ni trop éloigné non plus”, ainsi que le rythme. Le changement est l’outil le plus important du renku, afin que soit créée une représentation riche et variée de l’existence humaine dans la nature.
Les versets du 2° feuillet verso correspondent à “kyu”, la conclusion. Cette partie doit être écrite calmement ou plaisamment. Ici, de nouveau, on peut dire qu’on écrit “en costume et cravate”. Ainsi se complète une composition (manbi).
On dit que cet impromptu du changement ou montage du renku influença profondément le compositeur américain John Cage (1912-1992) dans sa technique de composition. Un leader de renku peut être comparé à un chef d’orchestre.

10) HOKKU – WAKIKU – DAISAN (verset initial, second, troisième)

Normalement, le verset initial est écrit par l’Invité d’Honneur avec gratitude, telle une salutation. Seul ce verset de départ peut être écrit librement, sans tabou, à l’exclusion des autres versets du prologue. Même un verset de souvenirs ou de deuil est possible, à condition qu’il soit d’une expérience partagée par cette assemblée spécifique.
Le “verset de côté” ( ou deuxième verset) y succède, avec l’hôte qui répond par un accueil chaleureux à l’invité. Il est donc lié au précédent dans la même saison et la même scène que le 1° verset.
Sans nommément remercier, ce 2° verset implique entièrement ce sentiment. Dans le renku japonais, le 2° verset se termine en inji-in (par une phrase nominale ou un caractère chinois) alors que dans le renku international il n’y a pas de restriction.
Après cet échange de politesses, le renku commence réellement au 3° verset. Il devrait différer des deux versets précédents quant aux scènes et aux lieux. Si les deux premiers versets se situent en extérieur, le 3° devrait être en intérieur avec des personnages (ce que l’on nomme “ninjo” et que j’expliquerai en détail ultérieurement.
Ce 3° verset doit finir en suggérant (ce qui se fait par l’usage d’un verbe auxiliaire en japonais). Dans le renku international il n’en est pas besoin, sauf quand on le traduit en japonais.
À partir du 4° verset, il faut lier avec changement, considérer comment développer le verset précédent sans répéter quoi que ce soit déjà mentionné auparavant. Il faut bien comprendre le verset précédent et analyser le sujet et l’atmosphère du verset à lier. Il ne faut pas lier un verset trop semblable au précédent, ce qui s’appelle “betazuke” (lien collant). Pour écrire le renku, on doit toujours garder comme objectif le changement.

11) JI – TA – BA (soi, l’autre, le lieu).

Le renku considère que le changement est important. Il doit donc être composé en changeant le soi, l’autre, les lieux ainsi que les saisons.

Il y a cinq sortes de versets :

a) ji (impliquant des personnes = soi) : verset à la 1° personne, ou l’impliquant.
b) ta (impliquant des personnes = l’autre) : verset à la 3° personne
c) jita ( “ = soi et l’autre) : verset aux 1° et 2° personne
d) ba (n’impliquant pas de personnes = lieu) : verset avec seulement une scène objective
e) ashirai (public) : verset qui concerne les affaires humaines, mais ne montre pas de protagoniste clairement défini.
Par exemple, si on écrit un verset “ji” (soi) trois fois en succession, l’oeuvre manquera de changement et deviendra monotone. Dans le cas de trois “ta” (autre) ou 3 “ba” (lieu), ce sera la même chose.
Dans le cas de soi-lieu-soi, même si de “soi” à “lieu” on change, le retour à “soi” sera régressif et manquera de changement.
On doit aussi éviter : autre-soi-autre
lieu- personne ou soi- lieu
En écrivant le 3° verset, regardez d’abord le 1° verset (ou “saut-par-dessus (uchikoshi) et soyez attentif à ne pas répéter aucun matériau utilisé dans l’uchikoshi devant lui.

Quelques exemples :
1) soi-soi-autre
2) soi-lieu-autre
3) soi-lieu-lieu
4) autre-soi-lieu
5) autre-autre-soi
6) lieu-lieu-soi
7) lieu-soi-autre
8) lieu – soi et autre – soi et autre
9) soi-et autre -soi et autre- soi
10) soi et autre- soi-autre
Trois versets en succession ne doivent pas avoir le même modèle, et le dernier (verset lien) ne pas avoir le même modèle que l’anté-pénultième.. Les poètes de renku ressentirent peu de confort à écrire la même sorte de verset que l’anté-pénultième, si bien qu’ils l’appelèrent d’un autre nom et l’évitèrent. Un de ces noms est “kannonbiraki” (une porte à double battant) où une statue du Bouddha est assise. La raison en est que la porte du zushi ( autel miniature) s’ouvre également de gauche et de droite à partir du centre. L’autre nom est “rinne” (réincarnation) en termes bouddhistes, cela signifie que les créatures vivantes répètent leur vie et leur mort à travers le monde d’illusions après leur mort.
Il est parfois difficile de savoir, selon le sens d’un verset, s’il est soi ou autre, lieu ou autre. Dans ce cas, il doit être apprécié avec indulgence, en fonction de sa relation à l’avant-dernier verset.

12) L’AGEKU (verset final).

Le verset final s’appelle l’ageku, qui vient de makiageru, ou enrouler, en japonais. Il ne doit pas être de même facture que le verset initial, mais doit être un verset clair et détendu, qui exprime la joie de compléter l’oeuvre. Les sujets tristes sont à éviter.

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COMMENTAIRES DE RENKU INTERNATIONAUX

Je voudrais citer en exemples quelques renkus internationaux composés en 1998 par les membres du renku Club de la Voie Lactée et de moi-même.
Avec des explications simples des parties importantes, qui, je l’espère, seront utiles pour les débutants en renku.

Les mots de saison sont soulignés.

Saisons, fleurs et lunes seront représentées ainsi :

(na) = nouvel an
(pr) = printemps
(ét)= été au = automne
(hi) = hiver
(fl) = fleur
(lu) = lune

KASEN “ SHINING WHITE” (“ D’UN BLANC BRILLANT “)( par le Yuki Teikei Haiku Society)

Cette oeuvre fut complétée par les membres du Haïku Club dont le QG se trouve en Californie, et avec qui le Renku Club de la Voie Lactée entretient une relation amicale. À travers cette oeuvre, ils célébrèrent à la fois la nouvelle année et les poètes de renku du Club de Renku de la Voie Lactée, au Japon.
Ils célébrèrent non seulement la nature, les êtres humains, mais les poètes de renku à Tokyo et sur l’île de Sado, sur la mer, vers le soleil matinal se reflétant sur des vagues blanches, vues d’une maison située sur une plage, face à l’océan pacifique.

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KASEN “SHINING WHITE” ( “D’UN BLANC BRILLANT ”) , mené par Alex Benedict, le 24/1/1998, dans la maison de Patricia Machmiller à Monterey (Californie).

1° FEUILLET RECTO :

vagues d’un blanc brillant – / la mer au matin du jour de l’an / forme une longue ligne
Kiyoko – (na)

frissonnement des branches / premier vent d’est en haut de la corniche
Alice – (na)

la neige subsiste – / on ouvre un carnet / à une page neuve
Lynne – (pr)

arrêtant le moteur / pour entendre le chant des grenouilles
Fay – (pr)

maculée ça et là / une marelle d’enfant / sous la lune de printemps
Patricia – (pr)(lu)

près de cette bobine de fil / un marteau et des pinces
Alex –

1° FEUILLET VERSO

le hall du Grand Bouddha / j’achète un charme antisismique / dans un sac en satin
June –

Grand-mère lui donne un baiser / et la serre dans ses bras en partant
Kiyoko –

brillant au soleil / mille yeux pourpres / la queue ouverte du paon
Lynne –

une tempête de poussière passe devant nous / Kilimanjaro lointain
Alice –

mon instructeur de kayak / à la jambe artificielle / absent depuis une semaine
Fay –

leur bref retour d’exil / grâce à la visite du pape
Patricia –

un homme sur la lune – / émission spéciale / sur Prospector
Alex – (au)(lu)

champ de chaume, sa tête blonde / endormie contre le sac-à-dos taché
June – (au)

ciel clair d’automne / parmi les bouffées de nuages / un nuage en forme de chien
Kiyoko – (au)

l’odeur du popcorn / s’échappant d’un bus de touristes
Lynne –

jardinière construite / sur le toit du penthouse / cerisiers en fleurs
Alice – (pr)(fl)

la feuille d’impôts par accident / au fond des toilettes
Fay – (pr)

2° FEUILLET RECTO :

concert de printemps : potins / entre musiciens sur / l’affaire Paula Jones
Patricia – (pr)

du fond du verre / des bulles de champagne
Christopher –

son suicide – / je me souviens du chapeau / que Gu Cheng se fit lui-même

cercueils de bois sculpté / à un dollar – en espèces uniquement
Alex –

tranquillité du soir / une frange d’herbe givrée / au bord de la mare
Lynne – (hi)

portant des bougies, chacun enroulé / dans une couverture d’alpaga
Patricia – (hi)

la princesse la plus jeune / s’enfuit presque / déguisée en servante
Alice –

“ mettre la culotte d’un autre homme / pourrait te porter chance”, lui dit-elle
Lynne –

je me demande bien / si, après toutes ces années / il va me reconnaître
Alice –

menteur pathologique / sa deuxième compagne
Fay –

équinoxe d’automne / l’ombre pointe / sur six heures
Alex – (au)

la lune sur la carrière de pierres / le bruit des bottes sur le chemin
Patricia – (au)(lu)

2° FOLIO VERSO :

Jour des Morts / une troupe de danseurs en plumes / se grime
June – (au)

le projectionniste ferme / à temps pour voir le dernier film
Lynne –

tubes de cuivre enroulés / une goutte de liquide clair / se forme, puis tombe
Alice –

dans la corbeille aux livres gratuits / quelque chose qu’elle voulait lire
June

collé au bonbon / le papier alu se détache par bandes / – fleurs de cerisiers
Patricia – (pr)(fl)

colostrum, et enfin / le chevreau tète
June – (pr)

(Kiyoko Tokutomi, Alice Benedict, Lynne Leach, Fay Aoyagi, Patricia J. Machmiller, Alex Benedict, June Hymas, Christopher Herold)

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COMMENTAIRE :

1° FEUILLET RECTO :

Le Verset initial… est écrit à propos de l’espoir radieux. La scène grandiose est remplie de l’énergie des vagues. Kiyoko Tokutomi, fondatrice de la Société de Haïku Yuki Teikei l’écrivit pour les poètes du renku présents.

Verset de côté (= 2° v.)… recevant fortement le verset initial, Alice lie le pin qui frissonne avec le premier vent d’est sur la falaise, complétant ainsi la scène.

3° verset… Dans les 2 premières strophes, il s’agit d’une scène extérieure sans personnages. Pour changer, on voit une personne utilisant un journal dans une pièce. Ici est exprimée brillamment l’atmosphère d’un début de printemps.

4° verset… La poétesse relie ensuite avec la scène de quelqu’un au dehors, qui écoute le chant des grenouilles, concrétisant ainsi encore plus le sentiment du verset précédent.

5° verset … sous une lune de printemps embrumée, le dessin de la marelle d’un enfant est associé au chant des grenouilles

6° verset … Ce verset montre la scène où une bobine de fil, un marteau et des pinces permettent aux enfants de confectionner un jouet. Dans cette strophe, les personnes ne sont pas nommées directement, mais on peut facilement imaginer le plaisir de leur journée.

1° FEUILLET VERSO :

Le verset de début est associée à la grande statue du Bouddha à Nara, au Japon, si bien que le verset signifie que la poétesse la visita et en revint avec un souvenir. Dans ce verset le changement est très efficace parce qu’il est double : de quelque chose de petit à quelque chose de grand et de son pays natal au Japon. Il peut avoir été écrit sur la base de son expérience au Japon lors de sa visite avec la Société de Renku Yuki Teikei, pour participer à la 2° rencontre de haïku Japon-USA de 1997.

Le 2° verset signifie que la grand-mère de la strophe précédente revient d’un voyage au Japon et embrasse sa petite-fille après une longue absence. Avec un personnage qui entre en scène, le poète réussit à apporter une atmosphère chaleureuse et amicale dans ce verset. C’est la strophe avant celle de l’amour, qui se nomme donc : “position avant le verset d’amour” ou “verset invitant au verset d’amour” (koimae).

3° verset… cette poétesse interprète le verset précédent comme étant un baiser et une étreinte entre un homme et une femme. Elle l’associe à l’amour aussi éblouissant que la queue d’un paon. La brillance de l’amour est bien exprimée.

4° verset… Ce verset semble être un simple verset d’amour “de lieu” (ba), mais lié à un autre verset d’amour, il est associé à une fuite amoureuse. La romance de la strophe précédente contraste avec la dure réalité d’une tempête de sable. Un monde dramatique se trouve créé par ces deux versets. Ceci fait, je pense, le charme du renku.

5° verset … Ceci est une strophe sur les affaires courantes. Après un état de tension dû à la tempête, cette poétesse fait le lien avec un professeur absent. En contraste avec le Kilimanjaro ce verset suggère une gorge. Cette manière de lier s’appelle “tsuizuke” (ou contre-lien).

6° verset… Au professeur à la jambe artificielle, on lie une autre personne, le Pape. On appelle ce lien “mukaizuke” (contre-lien). Grâce à la visite du Pape, des exilés reviennent momentanément. Il faut noter que ces 3 versets qui utilisent des sujets modernesprovoquent un grand développement en ajoutant du changement à chacun des passages. Ce développement convient bien à un passage de “ha”.

7° verset … Aux nouvelles du soir, une autre personne, un reporter fait part, dans une édition spéciale, de l’alunissage d’un vaisseau spatial. La scène se déplace avec bonheur de la terre à la lune. C’est la position de lune, et la technique est très réussie parce qu’au lieu de la lune lointaine, le poète évoque un alunissage. Le but est de séparer par ce passage du sujet d’une réalité telle que la discorde sur terre ou la politique.

8° verset … Ceci est aussi un verset en contre-lien. Pour contraster avec la surface de la lune, la poétesse nous propose un champ de chaumes sur la terre. Un homme fatigué dort contre un sac-à-dos.

9° verset … Ce poète interprète le verset précédent comme ayant lieu de jour. C’est un début d’après-midi d’automne et un nuage en forme de chien flotte dans le ciel. Une paisible scène aux champs (“lieu”) est ainsi liée. De là partent deux versets tournés vers l’espoir.

10° verset… Sous un nuage blanc, le bus d’excursion fait le tour de la ville, rempli de l’odeur des popcorns.

11° verset … Dans les pots situés sur le toit du penthouse, des cerisiers fleurissent magnifiquement. C’est un verset de lieu, mais les sentiments pour la vie quotidienne de quelqu’un qui aime créer de la nature, sont bien exprimés.

12° verset … Une feuille d’impôts qui aurait dû être envoyée est négligemment jetée dans les toilettes et y disparaît. Cette poétesse exprime son mépris et sa revanche sur la lourdeur des impôts et représente la peine et le défi d’un citoyen. C’est un lien habile.

2° FEUILLET RECTO :

1° verset … Discussion de musiciens pas seulement à propos des impôts mais aussi d’un scandale sexuel.

2° verset … Ce poète associe les bulles d’une coupe de champagne entre lui et son ami avec le sujet du concert de la strophe précédente.

3° verset … L’évanescence des bulles de champagne fait penser au suicide. Cette manière s’appelle “kokorotsuke” (“lien par le coeur”)

4° verset … Ce poète lie un verset de lieu à des cercueils en bois qui ne coûtent qu’un dollar mais payables en espèces. Ces deux versets à propos d’un poète décédé, on peut les interpréter comme exprimant la pauvreté et la solitude. C’est un exemple de l’humour original du renku.

5° verset … C’est un verset en “hibikitsuke” (“lien en écho”) qui est écrit en faisant un écho entre l’herbe givrée et le sentiment de solitude de ne posséder pas même un dollar. Ce lien est très sensible et habile.

Les versets 1 à 5 de ce 2° feuillet recto excellent à relier élégamment le développement.

6° verset … Cette poétesse associe les bougies avec le “soir” et la couverture avec “givrée”. Tous se rassemblent pour écouter des contes dans une lumière tamisée, enroulés dans leurs couvertures.

7° verset … À la lumière tamisée la poétesse associe un conte où la plus jeune princesse s’enfuit presque “ déguisée en servante “. C’est un “omokagetsuke” (lien par image). Cela se marie bien à l’atmosphère sombre de la strophe précédente. On peut aussi l’appeler lien-par-le-coeur (kokorotsuke)

8° verset… ici commence le verset d’amour. En interprétant le verset précédent comme étant d’un amour non partagé, son amie consultée lui conseille de l’oublier définitivement, et de chercher ailleurs…

9° verset … La poétesse associe “après toutes ces années “ à une séparation. Elle revoit son ex-compagnon des années ensuite, mais se demande s’il va la reconnaîrte derechef.

10° verset … L’amant est un “menteur pathologique” et elle pense avec ironie qu’il lui dira certainement : “ j’ai pensé à toi “. Ceci est intéressant parce que dans ces 5 derniers versets, l’évolution des sentiments de l’homme est liée avec humour. On dit que la fleur représentatrice de la nature est une fleur de cerisier et que la fleur de la vie est l’amour.

11° verset … Cette strophe signifie qu’en cette équinoxe d’automne une aiguille de la pendule marque 6 heures et que le jour se divise exactement en deux parties égales entre le jour et la nuit. Cela symbolise aussi le fait que si un homme peut mentir, une pendule ne le fait jamais. Cette strophe est écrite par contre-lien, contraste (“tsuitsuke”). Dans cette strophe un sens subtil s’exprime délicatement.

12° verset … écrit à propos d’une scène sous la lune, à l’équinoxe d’automne, dans laquelle les travaux du soir se poursuivent.

2° FEUILLET VERSO :

1° verset … Sur une place non loin du lieu précédent, des gens rassemblés pour le Jour des Morts dansent.

2° verset … La danse atteint son apogée et continue tandis que dans un cinéma s’achève la dernière séance et que le projectionniste ferme, à temps pour rentrer regarder sa télévision.

3° verset … Les gens sont partis tranquillement et la poétesse compare métaphoriquement cette scène à “une goutte de liquide clair” . Ce verset est lié-par-le-coeur parce que la poétesse a bien ressenti le sentiment et la suggestivité du verset précédent.

4° verset … Puis la poétesse est heureuse de trouver un livre qu’elle cherchait et de plus il est gratuit !

5° verset … Au verset sur le livre qu’elle trouva enfin, la poétesse lie avec ferveur qu’elle détache soigneusement peu à peu le papier collé au bonbon, sous les fleurs de cerisiers. L’expression par association est habile. Ce verset montre un sentiment de joie envers les fleurs en plein épanouissement.
Cette position de fleur s’appelle précisément “nioizuke” (lien-par-l’odeur), et on peut la dire la plus importante de l’oeuvre. En cas de performance d’un haïkaï formel, en arrivant à cette position, on brûle de l’encens en offrande aux dieux et au Bouddha. Le verset de position de la fleur est habituellement réservé à un ancien respecté du groupe.

6° verset … La poétesse associe un chevreau mangeur de papier au papier du verset précédent. Elle combine la joie du chevreau qui peut enfin sucer le lait, et celle de la poétesse qui atteint le verset final. Il est très paisible et d’un goût calme et convient bien pour un verset de fin. “

—————————————————————————————————————-
(…)

Tr. D.Py.

du RENKU – par T. Kondo & W.J. Higginson

7 mars 2010

LIEN ET CHANGEMENT

Un guide pratique pour la composition du renku
Par Tadashi Kondo et William J Higginson

INTRODUCTION

Dans son introduction à Renga (publié en 1971), Octavio Paz éclaircissait deux points. Ce livre mérite une attention maximale en tant qu’événement historique parce qu’il représente non seulement le premier essai, mais aussi le plus sérieux, d’un poète occidental quant à la composition du renku. L’introduction de Paz souligne deux points cruciaux qui justifient l’universalité et la valeur du renku au 21° siècle.
D’abord le renku est un signe universel partagé par des poètes de langage et de culture différents. Le renku de Paz fut en fait composé par quatre poètes représentant quatre langues et cultures différentes, dont l’espagnol, le français, l’anglais et l’italien. Ce renku fut en fait la première démonstration d’un renku international. Les poètes écrivirent en quatre langues différentes, avec pour langage commun : le renku. Paz dit que de nos jours nous n’avons plus de soit-disante poésie française ou de poésie américaine, mais seulement une poésie moderne dans son ensemble, écrite en différentes langues par des gens de cultures correspondantes. De plus, le renku peut être un médium commun à des poètes représentant différentes cultures du monde. Ainsi le renku peut constituer un signe universel qui aide à réunir ceux qui s’intéressent à une communauté globale sans frontières.
Le deuxième point est que le renku représente la poésie post-moderne. L’étude de Nietzsche sur Homère et le surréalisme reflète une réaction contre la tradition romantique individualiste qui fit suite aux conceptions de la Renaissance qui « encourageaient » une vue du monde humaniste. L’Humanisme a conduit à l’expansion de l’individualisme dans la société et à la montée toute-puissante de principes « anthropomorphistes » sur terre. Dans le monde futur, nous projetons un nouveau système de valeurs par lequel un équilibre est obtenu entre les gens dans la société et le système vivant sur terre. La globalisation et l’écosystème font partie des mots-clés qui reflètent notre vœu de restaurer le sens de la communauté parmi les gens et l’harmonie à l’intérieur du système du vivant sur terre. La vraie valeur de l’humanisme en face de la pierre de touche de la coopération. Le renku est un moyen approprié d’exprimer cette nouvelle vision du monde. C’est une poésie de coopération où l’individualisme est attelé à la tradition du Bouddhisme et du Shintoïsme et où la conscience écologique se pratique avec la cosmologie des mandalas.
Bien que le renku soit expérimenté en Occident depuis vingt-cinq ans, je pense qu’un guide pour sa composition est nécessaire afin de combler le fossé entre les communautés japonaise et occidentale. Il est essentiel de comprendre que le renku comporte deux forces dynamiques : le lien et le changement. La force du lien réunit deux versets adjacents, tandis que celle du changement engendre la variété et la diversité au travers du renku. Le lien agit sur un principe psychanalytique d’association qui va de la surface à une profondeur freudienne. Le changement, par ailleurs, a une nature logique, dans le sens qu’il contribue à l’agencement général d’une œuvre. Le critère primaire d’un bon renku est la qualité d’équilibre entre les liens et les changements.
Les auteurs sont impatients de suivre l’évolution du renku mondial, dans laquelle le renku japonais traditionnel est compris à juste titre comme une catégorie. Ce bref guide donne des informations sur le « savoir-faire » dans la composition du renku japonais traditionnel, résumé par ces deux concepts-clés : le lien et le changement. Avant de les comprendre, il nous faut connaître quelques bases de la structure générale d’un renku japonais traditionnel.

STRUCTURE FORMELLE DU RENKU

Il y a plusieurs longueurs et formes de renku :
• hyakuin 100 versets
• kasen 36 versets
• nijûin 20 v.
• hankasen 18 v. (1/2 kasen)
• shishi 16 v.
• jûsanbutsu 13 v.
• jûniku 12 v.
Le kasen (36 versets) est le plus pratiqué et sera étudié ici. Les autres formes n’offrent que des modifications mineures par rapport au kasen.
On écrit un kasen sur une feuille d’écriture (kaishi) de deux pages, de chacune18 versets. Le recto de la première page comporte 6 versets, le verso, 12 ; le recto de la deuxième page a 12 versets, son verso 6. On attribue à certains versets un thème spécial ou un objet précis. Par exemple, il y a trois places prévues pour la lune et deux pour les fleurs – généralement de cerisier. La structure principale d’un kasen est en trois parties, le prologue (ou préface), le développement et la conclusion (ou fin rapide). Le tableau suivant illustre cette configuration.

STRUCTURE DES FEUILLETS D’UN RENKU KASEN

PARTIE DU RENKU
FOLIO – CÔTÉ
N° de STROPHE *
NOM ou POSITION

Prologue
( jo ) 1° feuillet recto
( sho-ori no omote )
1 verset initial ( hokku )
2 verset de côté ( wakiku )
3 troisième v. (daisan )
4
5 verset de lune (2)
6

Développement ( ha )
1° feuillet verso
( sho-ori no ura )

1
5-7
8

11
12 (7)
(11-13) amour
(14) position v. de lune (2)
(17) position v. de fleur (3)
(18)

Développement (suite) ( ha )
2° feuillet recto
( nagori no omote )

1
(5-7)
11
12 (19)
(23-25) amour
(29) position v. de lune (2)
(30)

Conclusion ( kyu ) 2° feuillet verso ( nagori no ura )
1
2
3
4
5
6 (31)
(32)
(33)
(34)
(35) position v. de fleur (3)
(36) v. final ( ageku )

Notes : * les numéros des strophes n’apparaissent pas sur les feuillets. Cependant, on les utilise parfois à l’impression.
(2) en japonais, « tsuki noza »(le siège de la lune) : ce verset – ou un autre alentour – mentionnera la lune. Ce lieu est variable, pouvant être placé avant, mais pas après.
(3) « hana no za » (le siège des fleurs) : ce verset – ou un alentour – contiendra le mot fleur (hana), signifiant fleur de cerisier. Ce lieu est invariable.
N.B. : Le sujet « amour » (koi), apparaît traditionnellement en 2 ou 3 strophes consécutives près du milieu de chaque côté de la section du développement d’un kasen.
Les contenus spéciaux et le ton des versets nommés, grossièrement le rythme jo-ha-kyu, ainsi que la progression saisonnière d’un renku sont abordés dans le « Guide pour la composition du renku ».

LIEN ET CHANGEMENT – SE CONNECTER ET DIVERSIFIER

Une séance de renku ressemble au processus de déroulement d’un Mandala, dans ce sens qu’il représente un état cosmique de diversité et d’unité. La diversité est la nature de l’évolution, l’unité vient de l’amour cosmique. La nature de l’esprit humain est analogue à celle de l’univers.
Composer un renku c’est aussi comme assembler les pièces d’un puzzle de l’univers. Cela demande une conception cosmique pour prendre une pièce et trouver sa place dans le puzzle. Il n’y a pas deux pièces qui soient semblables ; il faut toujours continuer pour en trouver de nouvelles. Il y a deux moyens de base pour trouver et assembler les pièces du puzzle cosmique en écrivant le renku : le « lien » (tsukaeai) et le « changement » (tenji). Le « lien » a trait aux connexions ou rapports entre des versets adjacents ; le « changement » concerne les divers sujets et matériaux ainsi que la progression du renku. La suite de cet article présente ces idées traditionnelles, d’après l’œuvre de Matsuo Bashô (1644-1694) et de ses disciples.

LE LIEN – PRINCIPES DE RELATION

Un groupe de poètes, travaillant ensemble et se relayant, compose un renku en reliant un verset à un autre. La relation entre deux versets adjacents est un lien. Il existe différentes méthodes pour établir cette relation. Divers poètes et critiques ont décrit de plusieurs façons les relations de lien, suggérant des principes de relation utiles à la composition du renku. Alors qu’il y avait de nombreuses manières de décrire le lien avant Bashô, celui-ci contribua grandement à faire avancer le haikai no renga vers de nouveaux sommets. De nos jours, nous appelons renku ces haikai no renga composés dans l’esprit des principes du maître.
Bashô expliqua le développement des méthodes de liaison en les divisant en trois catégories : le lien à l’objet (mono-zuke), le lien de sens (imi-zuke) et le lien d’ambiance (nioi-zuke).
Le lien à objet comprend une association physique entre objets, espace ou temps dans des versets qui se succèdent. Par exemple, un parapluie dans un verset peut donner suite à des bottes dans le suivant ; une action dans un verset peut se poursuivre dans un nouvel espace ou moment dans le suivant, etc…Il peut sembler y avoir un lien de transition, mais il dépend des objets ou images directement en relation. Voici un exemple moderne de lien par objet, avec « allée » lié à « porte du fond » :
le cuisinier ouvre la porte du fond / pour regarder la neige (Robert Reed)
traces d’un chat / se croisant / dans l’allée ( Kris Kondo)

Le lien de sens fait référence aux nombreuses manières dont les mots peuvent se relater dans des vers adjacents. Cela peut aller des allusions spécifiques et des citations à des mots communément associés et des jeux de mots. Par exemple, le mot bleu désignant la couleur dans un verset peut suggérer un chanteur de blues dans le suivant.
Le lien d’ambiance est la nouvelle contribution de Bashô au dialogue ancien des poètes à propos du lien. Tandis que les poètes antérieurs avaient brièvement nommé « lien de cœur » (kokoro-zuke) un lien par une association de sens et d’émotion plutôt que par une association fondée sur des mots particuliers ou des catégories d’expérience, ce n’était qu’une méthode de liaison parmi d’autres plus importantes dans le renga classique et le haikai no renga . La plupart des autres sortes de liaison avant Bashô pouvaient être contenues dans ces catégories de lien à objet et lien de sens. Bashô changea et approfondit le concept de liaison en parlant du lien d’ambiance, qu’il divisa, avec ses élèves, en plusieurs catégories.
Le lien d’ambiance, en général, signifie une connexion entre versets par humeur ou émotions plutôt que par association d’idées. Shikô (1665-1731), disciple de Bashô, parla des « huit manières » de lier (hattai). Dans toutes, le lecteur, ou le poète qui suit dans la séance de renku doit se mettre dans le contexte du verset précédent afin de comprendre ou de créer le verset suivant. Un autre disciple, Dohô (1657-1730), utilisa les termes de « lire dans » (mikomi) et « conjecture » (omoinashi) pour décrire ce processus. L’idée en est d’interpréter le champ d’expérience incluse dans le verset précédent. Puis le lecteur ou le poète peut utiliser une des « huit manières » pour comprendre ou créer le verset suivant et le lien qui les joint.
Les Huit Manières sont la personne (sono hito), le lieu (sono ba), la saison (jisetsu), l’heure du jour (jibun), le climat (tensô), l’à-propos (jigi), la compassion ou empathie (kansô) et l’image nostalgique (omokage). À chaque fois, l’on entre dans le monde du verset précédent et l’on fait ressortir quelque caractéristique essentielle de ce monde supposé, dans le verset suivant. Ainsi, par exemple, on peut trouver le décor suggéré dans un verset comme convenant à un personnage introduit dans le verset suivant, ou inversement. On peut voir un aspect saisonnier possible dans un verset normalement sans saison, et ainsi entrer définitivement dans cette saison au verset suivant. Et ainsi de suite. L’à-propos se réfère aux modes en vigueur ; la compassion à une réponse véritablement empathique, voire religieuse. (On approfondira l’image nostalgique plus loin.)
Il existe nombre de mots utilisés par Bashô et ses disciples quant aux méthodes de lien d’ambiance, dont : l’odeur (nioi), l’écho (hibiki), le transfert (utsuri), la continuité (hashiri), le rang (kurai), l’image nostalgique (omokage) et le décor (keiki). Quelques exemples de versets liés les illustreront et développeront ce concept de lien d’ambiance.

EXEMPLES DE LIENS D’AMBIANCE

L’ODEUR (nioi) :

extrémités humides / un pin sous l’averse du soir ( Kikaku)
un moine zen / tout nu / se rafraîchit (Ko-oku)

*******

des pousses de riz s’allongent / dans une douce brise (Chinseki)
un jeune moine / commence par franchir / la passe Suzuka (Bashô)

Bien que dans chaque strophe rien ne fasse ouvertement référence à l’autre, dans chaque paire, on peut sentir une unité, un magnétisme entre les strophes. Du dernier exemple, un groupe d’érudits japonais dit : « la fragilité des jeunes pousses bercées par la brise la plus légère… s’apparente… à l’humeur incertaine d’un jeune prêtre qui, entré récemment dans les ordres, traverse une chaîne montagneuse désertique » (citation extraite de Haikai et Haiku, passage et traduction du Haiku Handbook, de W.J.Higginson, p. 195-196).

L’ÉCHO (hibiki) :

un corbeau orphelin / dans une lune troublant le sommeil (Senshi ?)
le voleur – / le bruit des lances provocantes / approfondit la nuit (Kikaku)

*******

dans le ciel azuré / de l’aube / la lune décroissante (Kyorai)
dans le lac d’automne / premier gel du Mont Hira (Bashô)

« Un lien plus fort, mais encore indirect, entre les versets s’appelle « écho ». (Dans le premier exemple) l’ordre troublé des choses dans l’insomnie du corbeau orphelin résonne dans l’entrechoc des lames, tandis qu’un voleur … court pour sa vie… (Dans le second exemple) la lune semble presque absente, disparaissant dans la lumière d’avant le lever du soleil. Le gel ressemble à une vapeur reflétée dans le lac calme et attend les rayons vaporisants du soleil. La tranquillité et l’attente se mêlent dans chaque verset » (The Haiku Handbook, p. 196-197).

LE TRANSFERT ou REFLET (utsuri) :

feuilles de châtaigne d’eau / s’enroulant et tournant / une sarcelle pleure (anon.)
un tambour à prières résonne – / dans l’ombre de la montagne, le gel (anon.)

*******

en sandales de neige / marchant dans les collines printanières / de Kamakura (Ko-oku)
hier, le ciel lointain / de Yoshiwara (Kikaku)

« Rogan, disciple de Bashô, dit du premier exemple : « La découverte au bord de l’eau des feuilles de châtaigne d’eau et du cri de la sarcelle… se reflète dans l’écoute du tambour à prières dans l’ombre de la montagne. » (Le deuxième exemple) montre un lien moins évident de même qu’un changement de la caractéristique locale de « reflet » (The Haiku Handbook p.197).
L’érudit moderne Nose Tomoji suggère la continuité (hashiri) comme étant une sous – catégorie de reflet ou transfert. Tandis que certains exemples de transfert ont une tonalité douce, d’autres en ont une plus intense.

LA CONTINUITÉ (hashiri) :

les ennemis attaquent / rugissement du vent dans les pins
aube – / mettant / le casque mou (anon.)

Ici, la bataille du premier verset est terminée et un chef de guerre revêt des habits plus légers que l’équipement complet tandis qu’il projette calmement sa prochaine manœuvre. On dirait presque une suite narrative directe.

LE RANG (kurai) :

coupant des légumes / pour rajouter au riz / l’esprit vide (Yaba)
le jour où les chevaux restent à l’abri / l’amour grandit à l’intérieur (Bashô)

« La strophe de départ présente l’image d’une jeune fille préparant un repas… Avoir des légumes sur le riz indique qu’elle appartient à la classe laborieuse, où les travailleurs prennent des repas simples. Dans la strophe suivante, un charretier fait son apparition… Un personnage rustre qui essaiera de séduire la première fille venue. » (Kondo, p.24).

L’IMAGE NOSTALGIQUE (omokage) :

pour un temps / vivant dans une hutte d’herbe / puis la démolissant (Bashô)
heureux d’être en vie – / on commande une nouvelle anthologie (Kyorai)

L’image nostalgique est une sorte d’allusion, mais plutôt que de faire allusion à un texte ou un poème spécifique, le lien est fondé sur la reconnaissance d’une possible référence à un personnage historique ou littéraire du passé. Ici, Kyorai vit que la strophe de Bashô pouvait suggérer la vie du fameux poète de waka Saigyô (1118 – 1190). Son premier essai disait : « les secrets de la poésie / malheureusement me sont inconnus » – une référence à la fameuse réplique de Saigyô à une question du Shogun Minamoto Yoritomo. Bashô pensait la référence trop directe et suggéra que Kyorai utilise plutôt l’image nostalgique. Alors, plutôt que de citer directement Saigyô, la strophe imagine ses sentiments et la raison de ceux-ci.
L’image nostalgique peut aussi concerner un personnage de fiction inventé sur le champ par le poète de renku. Bashô dit que l’excellence de la strophe suivante lui donnait une apparence de vérité.

LE DÉCOR (keiki) :

un jeune moine / commence par franchir / la passe de Suzuka (Bashô)
« Maître du Trésor Impérial ? » – / quelle voix appelle ? (Otokuni)

Ici, Otokuni donna vie au portrait presque lointain présenté par Bashô en assumant que le jeune moine était le Maître du Trésor Impérial avant de renoncer au monde, et en mettant cette idée dans la bouche d’une supposée connaissance antérieure rencontrée en chemin.
Le lien par le décor signifie soit développer un décor suggéré dans la strophe précédente, soit fournir un cadre pour l’action du verset précédent.
Faire un lien d’une strophe à l’autre est au cœur de la composition du renku. Mais, pour éviter la monotonie et la stagnation, il doit faire montre de progression et de diversité.

CHANGEMENT – PRINCIPES DE PROGRESSION ET DE DIVERSITÉ (tenji)

Ils régissent entièrement le renku. L’impératif majeur est d’avancer vers de nouveaux matériaux.

LA PROGRESSION.

L’idée de base est de ne pas avoir la même catégorie d’expériences ou de sujets dans des versets alternés, en évitant une « régression » dans trois strophes consécutives. Dans une séquence de trois strophes, on a (en partant de la dernière) :
• la dernière – ou « verset liant » (tsukeku)
• celle du milieu – ou «verset précédent » (maeku)
• et la première – ou « verset du saut par-dessus » (uchikoshi).
Le compositeur du troisième verset (liant) doit éviter la régression (appelée aussi uchikoshi). C’est-à-dire que l’auteur de n’importe quel verset liant peut utiliser des matériaux en relation de sujet ou de thème avec ceux du verset précédent, mais ne doit répéter aucun des matériaux du premier verset.
Hokushi (1665 – 1718), disciple de Bashô, introduisit le principe de « lieu et personne » (ba-ninjô) pour aider les poètes à éviter cette régression. On peut dire que toutes les strophes d’un renku concernent des gens (ninjô) ou des lieux (ba). Le lieu comprend tout, depuis la géographie jusqu’au lieu d’une activité spécifique – virtuellement, toute strophe qui ne montre ni une personne ni un groupe. Un mille-pattes sur une feuille, un panier de fruits au marché, un oiseau dans le ciel… que son environnement soit nommé ou non, tout objet peut être interprété comme impliquant son décor, qualifiant ainsi sa strophe de lieu si elle ne renferme pas d’humains.
Les personnes sont de quatre catégories : « soi » (ji), « autrui » (ta), « soi et autrui » (ji-ta-han) et
« public » (ashirai). Une strophe à la première personne est « soi » ; à la troisième personne est « autrui » ; aux première et deuxième personnes est «soi et autrui ». Ashirai, ici traduit par public, fait référence à des versets qui parlent des affaires humaines, mais qui ne montrent pas de protagonistes clairement définis.
Les scènes d’intérieur ou d’extérieur ou les lieux doivent aussi changer à une fréquence raisonnable et ne doivent pas se répéter dans les première et troisième strophes. Ce principe s’applique aussi à la nature des choses, aux humeurs, aux états psychologiques, etc.

DIVERSITÉ – VARIÉTÉ DES SUJETS ET DES MATÉRIAUX

Les sujets et matériaux sont comme les deux faces d’une même pièce de monnaie et quelquefois il n’y a que de vagues distinctions entre eux.
Les matériaux incluent des choses telles que les corps célestes (tenshô), les éléments qui tombent (furi mono) tels la pluie, la rosée, le gel, la neige, la grêle…, ou qui s’élèvent (sobiki mono) tels le brouillard, les nuages, la fumée…, les humains (jinrin), les animaux (shôrui), les plantes (shokubutsu), le temps (jibun), les dieux (jingi), le Bouddhisme (Shakkyô), la nuit (yabun), les montagnes (sanrui), les bords aquatiques (suihen) et les habitations (kyosho).
Les sujets comprennent le souvenir (jukkai), l’amour (koi), le voyage (tabi), les quatre saisons (shiki), la lune (tsuki) et les fleurs (hana).
Ils correspondent aux composantes de l’univers du Mandala. Lors d’une session typique de renku, le maître, ou leader, aura une liste de sujets et de matériaux pour être certain que tous sont inclus dans chaque kasen. Voici les traductions des listes des maîtres de deux clubs de renku actifs de nos jours.

LISTES DES SUJETS ET MATÉRIAUX

– Jigensha Renku Club, Tokyo
Maître : Miyoshi Ryûkan

montagne pluie oiseau rizière commerce alimentaire
mer neige animal champ industrie textile
rivière vent poisson route agence immobilière
lac nuage insecte jardin thé
bateau gel saison herbes et fleurs
sauvages boisson alcoolisée
véhicule rosée arbres le corps
glace

gens armée dieux pitié instruments
et outils domestique
amour voyage Bouddha souvenir affaires humaines pays étranger
écriture maladie lune image
nostalgique
peinture nombre fleurs événement
du présent
musique mot étranger
sport

– Ki No Kai Renku Club, Kanagawa
Maître : Kusama Tokihiko

corps célestes montagnes et champs animal arbre
éléments montants bords aquatiques oiseau herbes et fleurs
sauvages
éléments descendants insecte récoltes
poisson

les dieux maladie et calamité souvenir
le Bouddha accident humeurs
l’éphémère

le corps l’habitat événement actuel
l’activité étude / apprentissage événement historique
vêtements loisirs événement planifié
nourriture voyage
boisson alcoolisée nom de lieu(x)
nom de personne(s)

Dans le renga classique, il y avait de longues listes de sujets et de matériaux, des mots spécifiques même, qui devaient être séparés par un certain nombre de strophes avant de pouvoir être réutilisés, ou ne devaient apparaître qu’un certain nombre de fois dans un renga donné. Mais comme ces listes venaient de la tradition du renga comprenant cent strophes ou plus par poème, elles nécessitaient une stricte réinterprétation pour que le kasen évite les répétitions excessives. Dans un kasen, la plupart des groupes permettent une seule occurrence de chaque sujet ou matériau, mais ils essaient de tous les y inclure ; au moins de s’assurer que chaque y est représenté.

CONCLUSION : L’ÉQUILIBRE EST LA CLÉ.

Pour faire un renku, il est crucial d’avoir un sens de l’équilibre entre le lien et le changement. Le changement est le squelette qui supporte la structure du renku, tandis que le lien est la chair et le sang qui lui donnent ses qualités de vie. Si trop d’emphase est apportée au changement, nous risquons de perdre le souffle et le plaisir des séances de renku. Si l’on ignore le changement, les résultats seront monotones.
Bashô disait qu’il préférait être un maître du lien qu’un pourvoyeur de changement. Bien que les deux soient essentiels au renku, il pourrait avoir signifié par là que le lien est plus important que le changement.

Tadashi Kondo, professeur d’anglais, département d’Économie, Université de Seikei
William J. Higginson, poète.

RÉFÉRENCES :
– Higashi, Meiga. Introduction to Renku (Renku Nyumon). Tokyo : Chuokoron, 1978.
– Higginson, William J. et Harter, Penny. The Haiku Handbook. Tokyo : Kodansha International, 1985.
– Imaizumi, Ugai. Way to Renku Writing (Renku Jissaku e no Michi). Tokyo :Nagata Shobo, 1980.
– Imoto, Noichi et Imaizumi, Jun’ichi. Renku Readings (renku Dokuhon). Tokyo : Taishukan, 1982.
– Inui, Hiroyuki et Shiraishi, Teizo. Invitation to Renku (Renku e no Shotai). Osaka : Izumi Shoin, 1989.
– Kondo, Tadashi. « Getting Started with Renku », in Edge (2.2 : Summer 1989), édition Richard Evanoff. Tokyo, 1989.
– Nose Tomoji. The Nature of Renku Literature (Renku Geijutsu no Seikaku). Tokyo : Kadokawa, 1970 (édition originale 1943).
– Ogata, Tsutomu. The World of Kasen (Kasen no Sekai). Tokyo : Kodansha, 1986.
– Okamoto, Shunjin. The Charm of Renku (Renku no Miryoku). Tokyo : Kadokawa, 1979.
– Paz, Octavio. « Introduction », in Renga, par O. Paz & Co. New York : George Braziller, 1971, p. 17-27.

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Traduction : Daniel Py

Mise au point à propos du renku

27 février 2010

°

Certains vulgarisateurs français ont répandu et répandent encore (M. C., D. C.,…) cette vue erronée que le renku est une succession de tankas.

Le renku est une succession de versets de trois et deux « lignes » alternativement, qui évolue(nt) selon le schéma de tuilage suivant :

(A(3) + B(2)) +
(B(2) + C(3)) +
(C(3) + D(2)) +
(D(2) + E(3)) +
(E(3) + F(2)) +
etc.

, ce qui – cela devrait paraître maintenant plus évident – n’a rien à voir avec de soit-disant tankas « empilés » ainsi :

A(3)B(2) + C(3)D(2) + E(3)F(2) + etc. !

Ceci aurait tendance à souligner la certaine méconnaissance qu’ont – et colportent – ces gens des mécanismes d’élaboration d’un renku !

°

d.(24/2/10)

HAIKU – R.H. Blyth – Vol 2 : Printemps – préface

7 février 2010

PRÉFACE :

Ce volume : Printemps, ainsi que les deux suivants : Été-Automne et Automne-Hiver, contiennent tous les bons haïkus que j’ai pu trouver depuis les débuts, jusqu’à Shiki (1866-1902) inclus. Il ne fait pas de doute que certains bons versets ont été oubliés par mégarde; j’espère y remédier dans une éventuelle édition ultérieure.
Le lecteur verra que l’arrangement par saisons offre une sorte d’index grossier pour retrouver les versets dont il se souvient par sujet. Certains versets possèdent deux sujets de saison, d’autres aucun, mais ils sont très rares. (Quant aux auteurs, ils seront répertoriés à la fin du quatrième et dernier tome.) J’aimerais inclure ici une brève notule sur l’histoire de cet arrangement des haïkus par saisons et par sujets. (Cela a déjà été traité, bien que plus superficiellement, dans le premier tome, section 5,8.
Dans le Golden Treasury de Palgrave,  » l’ordre tenté a été le plus efficace poétiquement « , mais il est très habilement combiné avec l’ordre chronologique. Il existe en anglais – ce qu’on peut difficilement trouver dans la littérature japonaise – des anthologies poétiques particulières sur par exemple les oiseaux, les fleurs, la mer, mais peu d’anthologies classées par saisons. Nous rencontrons quelques haïkus qui peuvent difficilement figurer dans la classification habituelle, tels des versets de compliments, ou de ceux qui décrivent des lieux célèbres; ils sont généralement placés dans une section  » divers « . Autrement, jusqu’aux temps modernes, il n’existait pas de versets étrangers à la classification par saisons. Cette insistance sur les saisons s’explique de différentes façons : par exemple, par la brièveté du haïku, les climats du Japon, l’influence du waka, et tous ceux-ci, à n’en pas douter, eurent un effet convergent. Avant tout, il faut noter que le hokku, ou premier verset d’un renku (poème en chaîne) était un verset qui indiquait la saison. Mais il faut remonter encore plus loin, jusqu’aux débuts mêmes de la poésie japonaise, pour trouver la raison vitale de la conscience profonde des saisons que les Japonais n’ont pas encore perdue.
Dans le Manyôshû (vers 750) nous constatons déjà l’amour profond et étendu des Japonais pour la nature; et dans l’extrait suivant, on distingue clairement deux saisons. Il fait partie d’un Poème Long de Yamabe Akahito (8ème siècle), composé lors de l’ascension du mont Kannabi, pensant à la Capitale (à Asuka) de l’empereur Temmu (673-686) :

Je regardais le Palais d’Asuka en ruine :
Les collines sont hautes, la rivière coule au loin.
Aux jours du printemps la montagne est belle à voir;
Aux nuits d’automne les eaux sont claires.
Ensemble parmi les nuages matinaux volent les grues ;
Dans les brouillards du soir les grenouilles chantent fort.

Depuis l’époque du Manyôshû, le printemps avec le rossignol (japonais : uguisu), les fleurs de cerisier, les fleurs de glycine ; l’été avec le coucou, le rose, (le lys en tant que sujet disparaît subitement après le Kokinshû), les herbes d’été ; l’automne avec la voie lactée, la brise automnale, les feuillages rouges, le brame du cerf ; l’hiver avec la neige sur le pin, le givre sur les bosquets de bambous, tout ceci fut traité distinctement et avec un intérêt particulier et intégral. Cependant le Manyôshû lui-même n’est pas simplement divisé en printemps, été, automne et hiver. Le premier livre, par exemple, est arrangé chronologiquement, mais le huitième se compose de poèmes variés et épistolaires (amoureux), chacun sous les en-têtes des quatre saisons.
Pour les japonais de l’époque Manyô, l’homme et la nature étaient encore indistinguables. On ne peut pas dire que la nature n’était pas aimée pour elle-même, mais plutôt que la nature baignait l’homme, que l’homme et la nature s’interpénétraient, et que la distinction entre les poèmes d’amour et poèmes divers était encore plus forte dans leur esprit qu’avec les saisons. Par conséquent, quand le Japonais moderne ou l’émulateur étudiant étranger lit le Manyôshû, c’est avec un oeil très différent de celui des poètes de ces vers.
Pendant les cent cinquante ans qui séparent le Manyôshû du Kokinshû, la poésie chinoise fit florès au Japon, et beaucoup de recueils virent le jour. Parmi ceux-ci, il y a peu de poèmes de nature, et pas d’arrangements par saisons, jusqu’à cxe qu’on arrive au tardif Wakan Rôeishû (voir vol.1, p. 103), dont la première partie est divisée en printemps, été, automne et hiver, mais la seconde par thèmes : vent, nuages, vin, montagnes, etc. dans un ordre plus ou moins aléatoire. Ceci était le résultat d’un début de retour aux idéaux et aux buts du waka. Cependant, sous l’influence de poètes chinois tels que Tôenmei et Hakurakuten, le sentiment japonais de la nature s’approfondit, et avec lui, bien qu’indirectement, le sentiment de la différence entre les saisons.
Dans le Kokinshû, complété en 922, on trouve pour la première fois une classification claire par saisons, mais il faut remarquer qu’avec cet avantage-même vient le manque de spontanéité, le début de l’artificialité qui sera ultimement la mort de toute poésie. L’art qui seul donne sens à la vie cependant l’étouffe et l’étrangle. C’est le prix que nous payons pour l’extension de notre vision, à voir un monde dans un grain de sable, au lieu de simplement voir le sable lui-même ; à voir la fleur de prunier en tant que printemps, au lieu de seulement voir ses propres forme et couleur magnifiques. De ce point de vue on peut considérer que l’histoire de la poésie japonaise est faite de deux grands mouvements. Le Manyôshû cède sa spontanéité et non-conscience de soi au Kokinshû. Le génie de Bashô restaure lui restaure une certaine simplicité enrichie, et ceci se termine encore, deux ans ans plus tard, avec Shiki. (Dans la monumentale Complète Collection Classifiée de Haïku de Shiki, il y a un tel excès de systématisation, que la poésie y est noyée. Par exemple on n’y trouve pas moins de cinquante classes d’éventails, pour cela seul.)
Cependant, dans le Kokinshû les vrais sujets ne sont pas ceux des insectes, fleurs et herbes, mais des sentiments des poètes ; ces choses sont utilisées comme symboles de la pensée et de l’émotion humaine. Avec le Shinkokinshû, compilé pour la première fois en 1205, nous avons des poèmes objectifs de nature, du ciel, de la voix des insectes, du crépuscule, cela étant dû en partie à l’effet de la conscience qui s’approfondit par rapport à la signification des saisons.
Pour en venir au haïkaï, une des choses qui le fit se distinguer du renga, le poème en chaînes qui lui donna naissance, fut l’insistance sur non seulement l’opportunité (ainsi que le développa Abutsu-ni, qui mourut en 1283), mais sur la nécessité d’avoir un mot de saison dans le hokku, ou premier verset. Même dans les autres versets, l’idée de la saison n’était jamais absente de l’esprit du poète, bien que le verset lui-même pût être « mixte ».
Dans le Gosan de Teitoku (1570-1653), les choses sont très soigneusement appliquées à leur saison. Pour Bashô (1644-1694) la saison était l’élément le plus important du haïkaï, pas en tant que principe, mais comme mode d’intuition, une manière plus vaste de voir des choses particulières. En observant plus attentivement l’objet, nous voyons en lui le monde entier accomplir sa volonté parfaite. Et ceci provient des expériences historiques accumulées par les Japonais pendant plus de mille ans.
Dans un numéro récent du Supplément Littéraire du Times , le critique cite le haïku suivant de Bashô :

Sur une branche dénudée
un corbeau solitaire se perche
un soir d’automne.

Avec ce commentaire plutôt énigmatique :

« C’est plus pour l’usage que pour la beauté. »

Ceci, je pense, est une « critique » juste de l’original également, et de tous les haïkus. Ils sont là pour que vous les utilisiez dans votre propre expérience poétique. Vous ne devez pas être un simple observateur de la littérature, mais devez jouer votre rôle dans sa re-création dynamique. Lire des haïkus est donc plus éprouvant que lire de la simple poésie, mais je ne connais rien de plus satisfaisant. Cela seul peut donner sens à la vie, et « justifie les desseins de Dieu pour l’homme.  »

°°°

à suivre : Le Nouvel An (p. 353-374).

HAIKU Blyth – renku (g)

16 août 2009

v.31 – automne
:
Une porte rustique;
son sarrasin dérobé,
il le chante en vers.

Ce poète peut transformer tous ses problèmes en poésie. Vivant sur les pentes du mont Hira sur les rives du lac Biwa. Chôki Sôzu composa un waka en entendant que le sarrasin de son voisin avait été dérobé :
Nusubito wa nagabakama o ba kitaru ran soba o torite zo hashiri sarikeru
Le voleur doit avoir porté de longs hakama, les rentrant sur les côtés (ou : prenant le sarrasin) en s’enfuyant.

La partie entre parenthèses montre le jeu de mots de soba wo torite. Les Hakama sont une sorte de jupes-pantalons.

v.32 – hiver
:
Dans le vent du soir
apprenant à porter des habits
de coton rembourré.

Le poète, sensible à la poésie de la perte de son sarrasin, est sensible également au froid, et met ses chauds vêtements d’hiver plus tôt qu’autrui.

v.33 – indif.
:
empaqueté, et dormant ensemble,
se lever à nouveau
du logement de cette nuit

Bashô décrit, d’après ses nombreuses années d’expérience, la misérable vie d’un professeur de poésie itinérant dans le Vieux Japon.

v.34 – indif.
:
Le ciel est encore rouge
des nuages des soufflets de forge.

Cette lumière rouge de la forge est ce que voit le voyageur qui se lève de bonne heure après une nuit inconfortable à l’auberge. Certains pensent que « tatara » se réfère non pas à des soufflets de forge, mais à un endroit, par exemple, au nord de Fukuoka. C’est peut-être mieux de ne le considérer que comme un adjectif ornemental pour le ciel, autre manière de dire : « le ciel brûlant ».

v.35 – printemps
:
Une maison fabriquant des selles;
par la fenêtre
des fleurs de cerisiers.

Ceci continue sur ce que voit le voyageur dans la banllieue de la ville : un artisan fabriquant des selles.

v.36 – printemps
:
Dans les vieilles feuilles du néflier
les bourgeons éclosent.

Ceci se trouve aussi dans le jardin du fabriquant de harnais. Le poème s’achève sur le printemps et dans le particulier.
Si le lecteur relit l’ensemble du renku, il peut très bien trouver que c’est presque aussi obscur qu’avant. Ceci, à cause de la difficulté inhérente à cette sorte de littérature, à cause du manque d’entraînement, et d’une lecture trop rapide. En tout cas, nous avons ici affaire à une sorte de poème communautaire, et nous pouvons y voir la vie poétique vécue par quatre anciens poètes japonais, à la fois indivduellement et en commun. Une partie de sa valeur réside précisément là où nous ne pouvons pas le saisir, dans le tuilage, l’interpénétration d’une scène avec une autre, de l’homme avec la nature. C’était dans ce genre de poésie que Bashô, Buson et Issa furent élevés, et ceci n’est pas seulement l’origine historique du haïku, mais doit avoir grandement influencé la composition du haïku séparé, par de grands ou de moins grands poètes. C’est-à-dire que chaque haïku possède une sorte de fluidité différente de l’impréciion. Cette fluidité le rend moins statique, moins circonscrit; nous voyons les choses dans leurs relations multiples en même temps que nous les voyons en tant qu’objets solitaires.

(à suivre : Nô, Ikebana, Cha no Yu, p.139-149)

HAIKU Blyth – renku (f)

16 août 2009

v.19 – indif.
:
En un repas
mangeant
la nourriture de deux jours

Quelquefois nous ne mangeons rien, et nous en trouvons bien, d’autres fois nous nous rattrapons. Ceci peut venir d’un caprice, mais c’est mieux de le prendre comme une nécessité, dans la nature des choses, et alors nous pouvons voir un lien entre ce fait et le devenir calme du verset 18. Quand il était en colère, il rata un repas.

v.20 – hiver
:
Comme s’il allait neiger,
le vent du nord sur les îles froides.

Les pêcheurs sont très hardis et font des prises aussi nombreuses que possibles (« deux jours de nourriture »), à la saison juste avant les premières chutes de neige. La tâche de Shihô, de continuer le verset 19 est très réussie.

v.21 – indif.
:
Quand le temps s’assombrit
ils montent jusqu’au temple sur le pic
pour allumer la lanterne.

On peut penser que ce temple se trouve en haut d’une des montagnes sur les îles où souffle le vent froid. Personne ne vit dans ces contrées reculées, et ils doivent monter là-haut chaque soir pour allumer la lanterne de pierre.

v.22 – été
:
Les coucous * ont tous
chanté leur dernier chant

* : hototogisu

Sur la route vers le sommet du pic, et de retour, à travers les forêts qui couvrent la montagne, on entendait les coucous dès le début de l’été, mais maintenant, après tant de voyages sur la montagne pour allumer les lampes du soir, on n’entend plus leurs voix. Bashô nous a donné ici, indirectement, le sentiment du passage du temps, très nécessaire dans le renku, pour combler les trous entre images et idées poétiques.

v.23 – indif.
:
Minceur osseuse,
la force de se lever :
pas encore.

Les coucous ont cessé leurs chants dans l’été qui s’avance, et l’homme malade est, comme eux, incapable de recouvrer sa force antérieure.

v.24 – indif.
:
Tirant l’attelage
chez le voisin.

Cette association d’idées est connectée au chapitre Yûgao du Genji Monogatari, où Genji rend visite à la nourrice de Daini, malade. La porte étant fermée, il appuie son équipage contre la barrière du jardin de Yûgao. Dans le verset de Bonchô, il y a une altération, mais ainsi s’établit le lien entre la « minceur osseuse » du v.23 et « le voisin » du v.24.

v.25 – indif.
:
Elle laissera passer
par la barrière des cognassiers *
celui qui lui donne le mal d’amour.

* : buisson épineux.

C’est la continuation du motif amoureux du verset précédent et il nous montre une femme qui a repoussé son amant, mais se met à le regretter, et désire le revoir.

v.26 – indif.
:
 » Allons, il faut nous séparer,
voici ton épée.  »

Le changement dans ce verset s’articule sur le départ (au lieu de la rencontre). Elle lui donne son épée comme il s’en va.

v.27 – indif.
:
Toute en émoi
elle peigne
sa chevelure en désordre.

En lui disant au-revoir, comme seule une femme peut le faire en ces circonstances les plus difficiles, elle se remémore son apparence.

v.28 – indif.
:
Voyez-la
qui rumine,
affolée.

Elle semble prête à prendre sa propre vie. (Quelques commentateurs pensent que ce verset se réfre à l’homme après qu’il eut quitté la maison.)

v.29 – automne
:
Dans le ciel sans nuages
de l’aube,
la lune au déclin.

Soudain changement ici, de l’homme à la nature, du relatif à l’absolu, du mouvement au repos.

v.30 – automne
:
dans le lac Biwa en automne,
le premier gel du mont Hira.

Hira est le nom d’une montagne au nord de Hieizan, au nord-est de Kyôto. Elle est renommée pour son paysage de neige au soir, étant l’une des Huit Vues d’Omi. Ce verset continue la description du paysage du verset précédent, en définissant plus précisément l’endroit. La montagne se reflète dans le lac.

°
(à suivre, p.137)