INTRODUCTION AU RENKU INTERNATIONAL
: une Étude sur l’Expression dans le Renku,
(avec utilisation d’exemples de renkus internationaux de 1998)
par Shinku Fukuda
—————————————————————————————————————-
NIVEAUX D’EXPRESSION LINGUISTIQUE DANS LE RENKU
En plus de crier, pleurer et rire à l’instar des animaux, l’être humain a beaucoup de moyens de s’exprimer : par la peinture, par exemple, la musique, la sculpture et l’utilisation du langage.
Cette expression d’utilisation du langage possède une variété de genres tels que la poésie, les essais, les romans, les drames, les mythes. Selon mon idée de la théorie dimensionnelle du langage, ces expressions basées sur le langage se classent en trois catégories :
1) le langage du monologue : ainsi l’expression pour soi seul, la poésie, les essais, les journaux.
2) le langage de la communication ( pour communiquer avec / à l’autre) : les histoires, les articles.
3) le langage oral, pour léguer des histoires anciennes communément partagées : contes, folklore, vieilles légendes, mythologies …
De ces trois groupes, le renku appartient au langage du monologue.
Le renku n’est pas composé par un seul écrivain mais par plusieurs qui créent ensemble, ce qui fait que le renku est une expression du langage. Le renku fait par des poètes qui alternent des versets de 5-7-5 syllabes avec des versets plus courts de 7-7 syllabes, jusqu’au nombre final de 36 versets, s’appelle un “kasen keishiki” ou un renku de forme kasen.
Un poète apprécie le verset qui précède et y lie le sien. Chaque poète exerce ainsi de lui-même sa propre compréhension et sa propre expression. L’oeuvre ainsi complétée peut sembler appartenir au langage de la communication, mais cela n’est, en fait, pas le cas.
Une oeuvre de renku, comme un haïku, un tanka ou un poème de style occidental, correspond à “une composition”. C’est pourquoi on peut dire du renku qu’il appartient à un langage de monologue individuel présenté sous une forme qui inclut des strophes d’un certain nombre de poètes.
J’aimerais annoncer mon étude linguistique sur la composition du renku une autre fois.
Dans cette thèse-ci, j’examine la manière concrète d’écrire le renku.
Je désire commenter les deux renkus : “Shinig White” (“D’un Blanc Brillant ”) et “Pacific Ocean” (“Océan Pacifique”), choisis parmi des renkus internationaux créés en 1998, auxquels j’ai collaboré.
Je veux également montrer douze autres renkus en exemples, en espérant qu’ils vous donneront des aperçus précieux pour composer des renkus.
—————————————————————————————————————-
ETUDE DE L’EXPRESSION DANS LE RENKU
Le renku est un morceau de littérature accompli par deux ou plusieurs poètes. Il a développé un format unique et occupe une place spéciale dans la littérature mondiale. Tandis qu’en général la littérature est faite d’oeuvres individuelles, on peut dire du renku qu’il est une oeuvre commune, faite par un groupe de personnes. Beaucoup de gens s’assemblent dans un même lieu pour ce faire. On le dénomme “ za-no-bungei “ (= littérature de groupe). De nos jours, cependant, grâce au développement du fax, de l’e-mail, on peut facilement partager la composition du renku entre personnes vivant loin les unes des autres. Avec ce changement, une simple rencontre peut facilement se muer en “ groupement international “ !
Puisque le renku s’obtient en rassemblant les personnalités différentes d’écrivains différents, il est intéressant et excitant à cause de son développement inattenu. Il n’est aucunement arrêté à l’avance contrairement à la plupart des formes d’art et de littérature. Comment lier une strophe à la précédente et développer au-delà dépend de l’esprit et de la personnalité de chaque auteur. En la répétant , la changeant ou la développant, les participants complètent une oeuvre. Son essence et son charme viennent de ces tours, de ces développements imprévus.
Pour composer un renku, des règles formelles ont été élaborées quant aux nombres de catégories de mots, de répétitions, quant aux techniques réthoriques telles les antithèses, expressions, métaphores ou onomatopées. Il va sans dire que le renku possède son format propre, et ses propres directives (“sikimoku”).
Je désire maintenant expliquer les règles du renku, et comment il se fait.
1) QU’EST-CE QU’UN RENKU ?
Le renku commence par un verset long, sur 3 lignes, de 5/7/5 onji. Le deuxième poète y lie un deuxième verset court sur deux lignes, de 7/7 onji, suivi par un troisième long (5/7/5) de nouveau. On complète le renku en alternant ces formes 5/7/5 et 7/7. Un renku de 36 versets s’appelle un kasen.
2) LES FORMATS DES RENKUS
Il y a plusieurs longueurs de renkus, dont les plus traditionnels : le kasen (36 strophes), le “hankasen” ou demi-kasen (18 strophes), le nijûin (20), le kocho (24), le tankako (20), le “sonnet” (14), etc.
Aujourd’hui, en dehors du Japon, comme par exemple en Amérique du Nord et en Europe, les poètes semblent préférer le format court de 12 strophes. Cette tendance me satisfait peu, notamment du point de vue du développement et de l’apogée.
3) LE “MENEUR” DU RENKU (“SABAKITE”)
Pour faire évoler un renku en groupe, il est nécessaire qu’il y ait un leader familier des règles et qui ait une bonne expérience du renku. Il sélectionne (”sabaku”) une strophe parmi celles écrites par plusieurs auteurs, l’évalue (“jijou-suru”) et la corrige (“icchoku”), si elle ne suit pas le flux. Le meneur du renku a une grande autorité et peut être comparé au chef d’un orchestre symphonque, au point qu’on peut dire que le renku est complété principalement par le sabakite.
De nos jours, aux USA, deux noms sont souvent cités : l’ écrivain et son (sa) correcteur (-trice). Cela montre la différence de coutumes et de cultures entre les Japonais, qui respectent l’harmonie et les Américains qui respectent l’individu.On a souvent l’occasion de sentir ces différentes cultures dans les sujets, le sens, les us et coutumes, au sein du renku international.
4) COMMENT ÉCRIRE LE RENKU
Je voudrais expliquer comment on note par écrit le renku. Autrefois on n’écrivait pas le renku sur la même feuille de papier du premier au dernier verset. On utilisait deux feuilles (kaishi) de deux feuillets chacune, pliés vers le haut. Autrement dit, le recto de la première feuille comportait 4 pages : le titre et la date de la composition et les 6 premières strophes appelées “omote rokku” ou 6 strophes du 1°feuillet recto. Le dos comprenait 12 strophes. Le recto de la deuxième feuille portait 12 strophes et son verso les 6 dernières et enfin les noms des poèrtes du renku (renju) et le nombre de versets. Après cela les feuilles sont reliées avec un fil l’une sur l’autre.
Aujourd’hui on utilise ce format quand un “hono haïkaï” (haïkaï formel) est composé& dans un temple ou haut-lieu shintoïste, suivant ainsi le vieux rite appelé shoshiki (renku du style traditionnel de Bashô). En 1990, on utilisa ce cérémonial pour le haïkaï formel qui eut lieu au temple Gichuji à Otsu, où se trouve la tombe de Bashô. (Cor Van den Heuvel, ancien président de la HSA – Société Américaine de Haïku – fut de cette cérémonie).
De nos jours on écrit couramment le renku sur une même page ou dans un carnet en inscrivant “ 1° feuillet recto, 1° feuillet verso, 2° feuillet recto, 2° feuillet verso “ sur chaque page correspondante. La plupart des groupes de renku possèdent leurs propres formats imprimés avec des notes succintes sur les directives de composition aux endroits appropriés.
Si l’on tient compte de ces 4 feuillets, les positions des versets spéciaux attribués à la lune, aux fleurs et à l’amour sont réparties également. Quand je compose des renkus avec des personnes en dehors du Japon, je leur dis ces choses, et suis heureux quand ils semblent les comprendre.
5) TABLEAU SUR LES THEMES DE SAISONS DANS LE RENKU
Suit une explication de la structure du kasen ( renku de 36 strophes).
Premier feuillet recto :
*
Premier feuillet verso :
*
deuxième feuillet recto :
*
deuxième feuillet verso :
*
Sa forme de base est généralement la suivante : les deux positions pour les fleurs sont fixes (11°v. du 1° folio verso et 5° v. du 2° folio verso) tandis que les versets de lune peuvent avancer de leur position normale, mais pas reculer.
Au Japon les fleurs (de printemps) et la lune (d’automne) représentent la beauté dans les mondes naturels et physiques si bien qu’on les soigne particulièrement. Les versets d’amour représentent la lumière de la vie dans le monde. Yasunari Kawabata, lors de la réception de son Prix Nobel, discourut sur le sens esthétique des Japonais, souligné par la neige, la lune et les fleurs.
6) LES SUJETS
En écrivant un renku, on utilise tous les sujets concernant le ciel, la terre et l’homme. Dans une composition on doit éviter au possible un sujet qui a déjà été employé dans une strophe précédente. En utilisant audacieusement des sujets complètement différents, le changement dans les versets devient possible et l’on crée ainsi un riche mandala kaléidoscopique de la vie.
Traiter des matériaux n’attire communément pas l’intérêt, on doit donc recourir à quelque chose d’inventif ou à quelques nouveaux dispositifs basés sur l’observation.
– Phénomènes naturels : pluie, neige, vent, glace, nuage, soleil, lune, étoile, saison.
– Terre : montagne, champ, route, jardin, rivière, mer, lac, mare, forêt
– Animaux : oiseau, poisson, insecte, autres animaux
– Plantes : herbe, arbre, fleur, légume, champignon, algue
– Constructions : maison, immeuble, magasin, pont
– Transports : voiture, train, avion, bateau,
– Vie : habillement, mode, nourriture, alcool, cigarette, thé, confiserie,
– Affaires humaines : voyage, amour, tristesse, événement, jeu, agriculture, souvenir,
– Gens : adulte, étudiant, enfant, étranger, nom, image,
– Métiers : agriculture, commerce, industrie, professorat, doctorat, employé de bureau,
– Arts : calligraphie, peinture, antiquités, poterie, sculpture, musique, danse, spectacle,
– Signes des temps : politique, économie, éducation, armée, guerre, modes,
– Religions : shintoïsme, bouddhisme, chrétienté, croyances populaires, Jour des Morts,
– Sports : sumo, athlétisme, jeux de balles, course hippique, meeting sportif, sports d’hiver,
– Pays : le sien ou l’étranger, nom de pays, nom de lieu,
– Le corps humain : membres, maladie, médecine,
– Equipements : instruments, machines, produits,
– Apprentissage : littérature, philosophie, archéologie, science, maths, physique, sciences naturelles
7) LA POSITION DE FLEUR(S)
Les Japonais ne peuvent pas entendre le mot “fleur” sans l’associer aux fleurs de cerisiers. En outre, ils ont la reconnaissance ethnique commune que les fleurs de cerisiers sont les reines et représentent toutes les autres fleurs. Mais, en-dehors du Japon, il y a moins de fleurs de cerisiers. Il est alors difficile à ces gens d’associer la fleur de cerisier à une fleur. Ils ont tendance à vouloir nommer concrètement la fleur, à savoir une fleur de pêcher, de poirier, de cerisier. Pour beaucoup une fleur, en général, ne saurait être représentée par la fleur de cerisier, fleur représentative du Japon.
Des gens vivant à San Francisco et quelques Américains peuvent comprendre l’idée de “fleur” qu’ont les Japonais, et peuvent donc s’y identifier. Si nous voulons internationaliser le renku, il nous faut d’abord présenter les cerisiers et leurs fleurs aux autres pays. Comme je souhaite que tous les gens des pays étrangers puissent sentir la beauté et la fragilité des fleurs de cerisiers !
8) Versets d’amour
Il y a deux sections pour des versets d’amour dans un renku, et si ces deux versets d’amour se suivent dans une section, cela dramatise tous les passages de l’oeuvre. L’atmosphère de la séance devient très plaisante quand il s’agit d’amour, que les participants soient Japonais ou étrangers. Les poètes du renku s’échauffent. Je pense que si nos chefs d’état écrivaient des versets d’amour avant de commencer leurs discussions politiques, ce serait la manière la plus rapide assurément d’établir la paix dans le monde.
9) LE RYTHME JO-HA-KYU
J’aimerais examiner le développement d’une oeuvre du point de vue du “jo-ha-kyu”. On a utilisé ce terme pour montrer le développement en musique, mais il a été utilisé dans la théorie du “noh” par Zeami, le maître du Noh. En 1994, M. Higginson (des USA) a souligné l’importance du jo-ha-kyu dans sa lecture lors de sa conférence à l’université Seikei où se tenait le Colloque International sur le renku. Je pense que son opinion fut précieuse.
À ce propos, le titre de mon allocution, à cette occasion, était :Le Rapport sur l’échange du Renku International par le “Club Renku de la Voie Lactée”.
Sur les 36 versets d’un kasen, la 1° feuille recto a 6 versets qui constituent le “jo”, le prologue. On doit y utiliser des thèmes plaisants ou paisibles. On peut dire qu’on écrit “ en costume et cravate”. C’est pourquoi on n’y inclut pas d’impressions trop fortes ou de thèmes controversés tels Dieu, le bouddhisme, l’amour, l’incertitude, les souvenirs, la maladie, des noms de lieux ou de personnes. Même les débutants japonais sont capables d’écrire inconsciemment ici sur l’amour ou la mauvaise santé. C’est un rôle important pour le sosho, meneur du renku, d’y veiller et de guider les poètes. Dans le renku international, cela représente un challenge important d’éduquer des meneurs de renku étrangers.
Les 12 versets du 1° feuillet verso correspondent au premier passage “ha” du développement. Ici les sujets inabordables dans le 1° feuillet recto peuvent y être abordés. On peut maintenant lier sans crainte avec des idées libres. Des contenus et des goûts diffèrents du verset précédent ou du verset encore antérieur (“sauté”) doivent s’y lier.
On peut dire aisément qu’on écrit ici “sans costume ni cravate”. La combinaison du verset précédent et du verset lié forment un monde.
L’esprit de question et réponse, qui constituait la forme la plus ancienne du renku, est à l’oeuvre dans ces deux versets.
Il est intéressant d’apprécier chaque couple de versets d’un renku achevé. En faisant ceci on comprend non seulement l’objectif de lier les versets, mais également la personnalité des écrivains.
Le deuxième feuillet recto correspond à la deuxième partie du “jo” (continuation du développement). Cette partie s’écrit plus librement, avec assurance, l’esprit étincelant, et une variété d’accents audacieux.
Les sujets déjà employés doivent être évités. On peut utiliser comme nouveaux matériaux des sujets incluant Dieu ou la religion, l’alcool, la politique. Il est nécessaire d’écrire des versets sérieux, élégants, plaisants, drôles et ironiques en connection avec les strophes précédentes. Dans un montage en cours, on doit changer audacieusement l’orientation du courant. Ce qui impoorte dans le renku est la présence d’esprit, l’inattendu, et d’écrire dans un sentiment “pas trop proche du verset précédent, ni trop éloigné non plus”, ainsi que le rythme. Le changement est l’outil le plus important du renku, afin que soit créée une représentation riche et variée de l’existence humaine dans la nature.
Les versets du 2° feuillet verso correspondent à “kyu”, la conclusion. Cette partie doit être écrite calmement ou plaisamment. Ici, de nouveau, on peut dire qu’on écrit “en costume et cravate”. Ainsi se complète une composition (manbi).
On dit que cet impromptu du changement ou montage du renku influença profondément le compositeur américain John Cage (1912-1992) dans sa technique de composition. Un leader de renku peut être comparé à un chef d’orchestre.
10) HOKKU – WAKIKU – DAISAN (verset initial, second, troisième)
Normalement, le verset initial est écrit par l’Invité d’Honneur avec gratitude, telle une salutation. Seul ce verset de départ peut être écrit librement, sans tabou, à l’exclusion des autres versets du prologue. Même un verset de souvenirs ou de deuil est possible, à condition qu’il soit d’une expérience partagée par cette assemblée spécifique.
Le “verset de côté” ( ou deuxième verset) y succède, avec l’hôte qui répond par un accueil chaleureux à l’invité. Il est donc lié au précédent dans la même saison et la même scène que le 1° verset.
Sans nommément remercier, ce 2° verset implique entièrement ce sentiment. Dans le renku japonais, le 2° verset se termine en inji-in (par une phrase nominale ou un caractère chinois) alors que dans le renku international il n’y a pas de restriction.
Après cet échange de politesses, le renku commence réellement au 3° verset. Il devrait différer des deux versets précédents quant aux scènes et aux lieux. Si les deux premiers versets se situent en extérieur, le 3° devrait être en intérieur avec des personnages (ce que l’on nomme “ninjo” et que j’expliquerai en détail ultérieurement.
Ce 3° verset doit finir en suggérant (ce qui se fait par l’usage d’un verbe auxiliaire en japonais). Dans le renku international il n’en est pas besoin, sauf quand on le traduit en japonais.
À partir du 4° verset, il faut lier avec changement, considérer comment développer le verset précédent sans répéter quoi que ce soit déjà mentionné auparavant. Il faut bien comprendre le verset précédent et analyser le sujet et l’atmosphère du verset à lier. Il ne faut pas lier un verset trop semblable au précédent, ce qui s’appelle “betazuke” (lien collant). Pour écrire le renku, on doit toujours garder comme objectif le changement.
11) JI – TA – BA (soi, l’autre, le lieu).
Le renku considère que le changement est important. Il doit donc être composé en changeant le soi, l’autre, les lieux ainsi que les saisons.
Il y a cinq sortes de versets :
a) ji (impliquant des personnes = soi) : verset à la 1° personne, ou l’impliquant.
b) ta (impliquant des personnes = l’autre) : verset à la 3° personne
c) jita ( “ = soi et l’autre) : verset aux 1° et 2° personne
d) ba (n’impliquant pas de personnes = lieu) : verset avec seulement une scène objective
e) ashirai (public) : verset qui concerne les affaires humaines, mais ne montre pas de protagoniste clairement défini.
Par exemple, si on écrit un verset “ji” (soi) trois fois en succession, l’oeuvre manquera de changement et deviendra monotone. Dans le cas de trois “ta” (autre) ou 3 “ba” (lieu), ce sera la même chose.
Dans le cas de soi-lieu-soi, même si de “soi” à “lieu” on change, le retour à “soi” sera régressif et manquera de changement.
On doit aussi éviter : autre-soi-autre
lieu- personne ou soi- lieu
En écrivant le 3° verset, regardez d’abord le 1° verset (ou “saut-par-dessus (uchikoshi) et soyez attentif à ne pas répéter aucun matériau utilisé dans l’uchikoshi devant lui.
Quelques exemples :
1) soi-soi-autre
2) soi-lieu-autre
3) soi-lieu-lieu
4) autre-soi-lieu
5) autre-autre-soi
6) lieu-lieu-soi
7) lieu-soi-autre
8) lieu – soi et autre – soi et autre
9) soi-et autre -soi et autre- soi
10) soi et autre- soi-autre
Trois versets en succession ne doivent pas avoir le même modèle, et le dernier (verset lien) ne pas avoir le même modèle que l’anté-pénultième.. Les poètes de renku ressentirent peu de confort à écrire la même sorte de verset que l’anté-pénultième, si bien qu’ils l’appelèrent d’un autre nom et l’évitèrent. Un de ces noms est “kannonbiraki” (une porte à double battant) où une statue du Bouddha est assise. La raison en est que la porte du zushi ( autel miniature) s’ouvre également de gauche et de droite à partir du centre. L’autre nom est “rinne” (réincarnation) en termes bouddhistes, cela signifie que les créatures vivantes répètent leur vie et leur mort à travers le monde d’illusions après leur mort.
Il est parfois difficile de savoir, selon le sens d’un verset, s’il est soi ou autre, lieu ou autre. Dans ce cas, il doit être apprécié avec indulgence, en fonction de sa relation à l’avant-dernier verset.
12) L’AGEKU (verset final).
Le verset final s’appelle l’ageku, qui vient de makiageru, ou enrouler, en japonais. Il ne doit pas être de même facture que le verset initial, mais doit être un verset clair et détendu, qui exprime la joie de compléter l’oeuvre. Les sujets tristes sont à éviter.
—————————————————————————————————————-
COMMENTAIRES DE RENKU INTERNATIONAUX
Je voudrais citer en exemples quelques renkus internationaux composés en 1998 par les membres du renku Club de la Voie Lactée et de moi-même.
Avec des explications simples des parties importantes, qui, je l’espère, seront utiles pour les débutants en renku.
Les mots de saison sont soulignés.
Saisons, fleurs et lunes seront représentées ainsi :
(na) = nouvel an
(pr) = printemps
(ét)= été au = automne
(hi) = hiver
(fl) = fleur
(lu) = lune
KASEN “ SHINING WHITE” (“ D’UN BLANC BRILLANT “)( par le Yuki Teikei Haiku Society)
Cette oeuvre fut complétée par les membres du Haïku Club dont le QG se trouve en Californie, et avec qui le Renku Club de la Voie Lactée entretient une relation amicale. À travers cette oeuvre, ils célébrèrent à la fois la nouvelle année et les poètes de renku du Club de Renku de la Voie Lactée, au Japon.
Ils célébrèrent non seulement la nature, les êtres humains, mais les poètes de renku à Tokyo et sur l’île de Sado, sur la mer, vers le soleil matinal se reflétant sur des vagues blanches, vues d’une maison située sur une plage, face à l’océan pacifique.
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
KASEN “SHINING WHITE” ( “D’UN BLANC BRILLANT ”) , mené par Alex Benedict, le 24/1/1998, dans la maison de Patricia Machmiller à Monterey (Californie).
1° FEUILLET RECTO :
vagues d’un blanc brillant – / la mer au matin du jour de l’an / forme une longue ligne
Kiyoko – (na)
frissonnement des branches / premier vent d’est en haut de la corniche
Alice – (na)
la neige subsiste – / on ouvre un carnet / à une page neuve
Lynne – (pr)
arrêtant le moteur / pour entendre le chant des grenouilles
Fay – (pr)
maculée ça et là / une marelle d’enfant / sous la lune de printemps
Patricia – (pr)(lu)
près de cette bobine de fil / un marteau et des pinces
Alex –
1° FEUILLET VERSO
le hall du Grand Bouddha / j’achète un charme antisismique / dans un sac en satin
June –
Grand-mère lui donne un baiser / et la serre dans ses bras en partant
Kiyoko –
brillant au soleil / mille yeux pourpres / la queue ouverte du paon
Lynne –
une tempête de poussière passe devant nous / Kilimanjaro lointain
Alice –
mon instructeur de kayak / à la jambe artificielle / absent depuis une semaine
Fay –
leur bref retour d’exil / grâce à la visite du pape
Patricia –
un homme sur la lune – / émission spéciale / sur Prospector
Alex – (au)(lu)
champ de chaume, sa tête blonde / endormie contre le sac-à-dos taché
June – (au)
ciel clair d’automne / parmi les bouffées de nuages / un nuage en forme de chien
Kiyoko – (au)
l’odeur du popcorn / s’échappant d’un bus de touristes
Lynne –
jardinière construite / sur le toit du penthouse / cerisiers en fleurs
Alice – (pr)(fl)
la feuille d’impôts par accident / au fond des toilettes
Fay – (pr)
2° FEUILLET RECTO :
concert de printemps : potins / entre musiciens sur / l’affaire Paula Jones
Patricia – (pr)
du fond du verre / des bulles de champagne
Christopher –
son suicide – / je me souviens du chapeau / que Gu Cheng se fit lui-même
cercueils de bois sculpté / à un dollar – en espèces uniquement
Alex –
tranquillité du soir / une frange d’herbe givrée / au bord de la mare
Lynne – (hi)
portant des bougies, chacun enroulé / dans une couverture d’alpaga
Patricia – (hi)
la princesse la plus jeune / s’enfuit presque / déguisée en servante
Alice –
“ mettre la culotte d’un autre homme / pourrait te porter chance”, lui dit-elle
Lynne –
je me demande bien / si, après toutes ces années / il va me reconnaître
Alice –
menteur pathologique / sa deuxième compagne
Fay –
équinoxe d’automne / l’ombre pointe / sur six heures
Alex – (au)
la lune sur la carrière de pierres / le bruit des bottes sur le chemin
Patricia – (au)(lu)
2° FOLIO VERSO :
Jour des Morts / une troupe de danseurs en plumes / se grime
June – (au)
le projectionniste ferme / à temps pour voir le dernier film
Lynne –
tubes de cuivre enroulés / une goutte de liquide clair / se forme, puis tombe
Alice –
dans la corbeille aux livres gratuits / quelque chose qu’elle voulait lire
June
collé au bonbon / le papier alu se détache par bandes / – fleurs de cerisiers
Patricia – (pr)(fl)
colostrum, et enfin / le chevreau tète
June – (pr)
(Kiyoko Tokutomi, Alice Benedict, Lynne Leach, Fay Aoyagi, Patricia J. Machmiller, Alex Benedict, June Hymas, Christopher Herold)
°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
COMMENTAIRE :
1° FEUILLET RECTO :
Le Verset initial… est écrit à propos de l’espoir radieux. La scène grandiose est remplie de l’énergie des vagues. Kiyoko Tokutomi, fondatrice de la Société de Haïku Yuki Teikei l’écrivit pour les poètes du renku présents.
Verset de côté (= 2° v.)… recevant fortement le verset initial, Alice lie le pin qui frissonne avec le premier vent d’est sur la falaise, complétant ainsi la scène.
3° verset… Dans les 2 premières strophes, il s’agit d’une scène extérieure sans personnages. Pour changer, on voit une personne utilisant un journal dans une pièce. Ici est exprimée brillamment l’atmosphère d’un début de printemps.
4° verset… La poétesse relie ensuite avec la scène de quelqu’un au dehors, qui écoute le chant des grenouilles, concrétisant ainsi encore plus le sentiment du verset précédent.
5° verset … sous une lune de printemps embrumée, le dessin de la marelle d’un enfant est associé au chant des grenouilles
6° verset … Ce verset montre la scène où une bobine de fil, un marteau et des pinces permettent aux enfants de confectionner un jouet. Dans cette strophe, les personnes ne sont pas nommées directement, mais on peut facilement imaginer le plaisir de leur journée.
1° FEUILLET VERSO :
Le verset de début est associée à la grande statue du Bouddha à Nara, au Japon, si bien que le verset signifie que la poétesse la visita et en revint avec un souvenir. Dans ce verset le changement est très efficace parce qu’il est double : de quelque chose de petit à quelque chose de grand et de son pays natal au Japon. Il peut avoir été écrit sur la base de son expérience au Japon lors de sa visite avec la Société de Renku Yuki Teikei, pour participer à la 2° rencontre de haïku Japon-USA de 1997.
Le 2° verset signifie que la grand-mère de la strophe précédente revient d’un voyage au Japon et embrasse sa petite-fille après une longue absence. Avec un personnage qui entre en scène, le poète réussit à apporter une atmosphère chaleureuse et amicale dans ce verset. C’est la strophe avant celle de l’amour, qui se nomme donc : “position avant le verset d’amour” ou “verset invitant au verset d’amour” (koimae).
3° verset… cette poétesse interprète le verset précédent comme étant un baiser et une étreinte entre un homme et une femme. Elle l’associe à l’amour aussi éblouissant que la queue d’un paon. La brillance de l’amour est bien exprimée.
4° verset… Ce verset semble être un simple verset d’amour “de lieu” (ba), mais lié à un autre verset d’amour, il est associé à une fuite amoureuse. La romance de la strophe précédente contraste avec la dure réalité d’une tempête de sable. Un monde dramatique se trouve créé par ces deux versets. Ceci fait, je pense, le charme du renku.
5° verset … Ceci est une strophe sur les affaires courantes. Après un état de tension dû à la tempête, cette poétesse fait le lien avec un professeur absent. En contraste avec le Kilimanjaro ce verset suggère une gorge. Cette manière de lier s’appelle “tsuizuke” (ou contre-lien).
6° verset… Au professeur à la jambe artificielle, on lie une autre personne, le Pape. On appelle ce lien “mukaizuke” (contre-lien). Grâce à la visite du Pape, des exilés reviennent momentanément. Il faut noter que ces 3 versets qui utilisent des sujets modernesprovoquent un grand développement en ajoutant du changement à chacun des passages. Ce développement convient bien à un passage de “ha”.
7° verset … Aux nouvelles du soir, une autre personne, un reporter fait part, dans une édition spéciale, de l’alunissage d’un vaisseau spatial. La scène se déplace avec bonheur de la terre à la lune. C’est la position de lune, et la technique est très réussie parce qu’au lieu de la lune lointaine, le poète évoque un alunissage. Le but est de séparer par ce passage du sujet d’une réalité telle que la discorde sur terre ou la politique.
8° verset … Ceci est aussi un verset en contre-lien. Pour contraster avec la surface de la lune, la poétesse nous propose un champ de chaumes sur la terre. Un homme fatigué dort contre un sac-à-dos.
9° verset … Ce poète interprète le verset précédent comme ayant lieu de jour. C’est un début d’après-midi d’automne et un nuage en forme de chien flotte dans le ciel. Une paisible scène aux champs (“lieu”) est ainsi liée. De là partent deux versets tournés vers l’espoir.
10° verset… Sous un nuage blanc, le bus d’excursion fait le tour de la ville, rempli de l’odeur des popcorns.
11° verset … Dans les pots situés sur le toit du penthouse, des cerisiers fleurissent magnifiquement. C’est un verset de lieu, mais les sentiments pour la vie quotidienne de quelqu’un qui aime créer de la nature, sont bien exprimés.
12° verset … Une feuille d’impôts qui aurait dû être envoyée est négligemment jetée dans les toilettes et y disparaît. Cette poétesse exprime son mépris et sa revanche sur la lourdeur des impôts et représente la peine et le défi d’un citoyen. C’est un lien habile.
2° FEUILLET RECTO :
1° verset … Discussion de musiciens pas seulement à propos des impôts mais aussi d’un scandale sexuel.
2° verset … Ce poète associe les bulles d’une coupe de champagne entre lui et son ami avec le sujet du concert de la strophe précédente.
3° verset … L’évanescence des bulles de champagne fait penser au suicide. Cette manière s’appelle “kokorotsuke” (“lien par le coeur”)
4° verset … Ce poète lie un verset de lieu à des cercueils en bois qui ne coûtent qu’un dollar mais payables en espèces. Ces deux versets à propos d’un poète décédé, on peut les interpréter comme exprimant la pauvreté et la solitude. C’est un exemple de l’humour original du renku.
5° verset … C’est un verset en “hibikitsuke” (“lien en écho”) qui est écrit en faisant un écho entre l’herbe givrée et le sentiment de solitude de ne posséder pas même un dollar. Ce lien est très sensible et habile.
Les versets 1 à 5 de ce 2° feuillet recto excellent à relier élégamment le développement.
6° verset … Cette poétesse associe les bougies avec le “soir” et la couverture avec “givrée”. Tous se rassemblent pour écouter des contes dans une lumière tamisée, enroulés dans leurs couvertures.
7° verset … À la lumière tamisée la poétesse associe un conte où la plus jeune princesse s’enfuit presque “ déguisée en servante “. C’est un “omokagetsuke” (lien par image). Cela se marie bien à l’atmosphère sombre de la strophe précédente. On peut aussi l’appeler lien-par-le-coeur (kokorotsuke)
8° verset… ici commence le verset d’amour. En interprétant le verset précédent comme étant d’un amour non partagé, son amie consultée lui conseille de l’oublier définitivement, et de chercher ailleurs…
9° verset … La poétesse associe “après toutes ces années “ à une séparation. Elle revoit son ex-compagnon des années ensuite, mais se demande s’il va la reconnaîrte derechef.
10° verset … L’amant est un “menteur pathologique” et elle pense avec ironie qu’il lui dira certainement : “ j’ai pensé à toi “. Ceci est intéressant parce que dans ces 5 derniers versets, l’évolution des sentiments de l’homme est liée avec humour. On dit que la fleur représentatrice de la nature est une fleur de cerisier et que la fleur de la vie est l’amour.
11° verset … Cette strophe signifie qu’en cette équinoxe d’automne une aiguille de la pendule marque 6 heures et que le jour se divise exactement en deux parties égales entre le jour et la nuit. Cela symbolise aussi le fait que si un homme peut mentir, une pendule ne le fait jamais. Cette strophe est écrite par contre-lien, contraste (“tsuitsuke”). Dans cette strophe un sens subtil s’exprime délicatement.
12° verset … écrit à propos d’une scène sous la lune, à l’équinoxe d’automne, dans laquelle les travaux du soir se poursuivent.
2° FEUILLET VERSO :
1° verset … Sur une place non loin du lieu précédent, des gens rassemblés pour le Jour des Morts dansent.
2° verset … La danse atteint son apogée et continue tandis que dans un cinéma s’achève la dernière séance et que le projectionniste ferme, à temps pour rentrer regarder sa télévision.
3° verset … Les gens sont partis tranquillement et la poétesse compare métaphoriquement cette scène à “une goutte de liquide clair” . Ce verset est lié-par-le-coeur parce que la poétesse a bien ressenti le sentiment et la suggestivité du verset précédent.
4° verset … Puis la poétesse est heureuse de trouver un livre qu’elle cherchait et de plus il est gratuit !
5° verset … Au verset sur le livre qu’elle trouva enfin, la poétesse lie avec ferveur qu’elle détache soigneusement peu à peu le papier collé au bonbon, sous les fleurs de cerisiers. L’expression par association est habile. Ce verset montre un sentiment de joie envers les fleurs en plein épanouissement.
Cette position de fleur s’appelle précisément “nioizuke” (lien-par-l’odeur), et on peut la dire la plus importante de l’oeuvre. En cas de performance d’un haïkaï formel, en arrivant à cette position, on brûle de l’encens en offrande aux dieux et au Bouddha. Le verset de position de la fleur est habituellement réservé à un ancien respecté du groupe.
6° verset … La poétesse associe un chevreau mangeur de papier au papier du verset précédent. Elle combine la joie du chevreau qui peut enfin sucer le lait, et celle de la poétesse qui atteint le verset final. Il est très paisible et d’un goût calme et convient bien pour un verset de fin. “
—————————————————————————————————————-
(…)
Tr. D.Py.