Comme je désirerais voir
parmi les fleurs du matin
le visage de Dieu
Bashô
VI La Complétude.
La métaphore absolue dans le haïku contient la présentation d’un état de complétude dans lequel le particulier mène aux choses premières et absolues. Ici, Bashô retrouve que les racines de la fleur de cerisier égal l’équation du haïku dans laquelle le sentiment spirituel recherché est exposé dans la beauté naturelle. Un tel sentiment spirituel a plusieurs composants. Dans la bouche du poète Gary Snyder, qui s’exerça au bouddhisme Zen : « la conscience de la vacuité produit le coeur de compassion. » Dans sa construction bouddhiste Mahayana, la compassion pour tous les êtres qui forme la base de cette vue religieuse s’affirme sur la vacuité cosmique que toutes les formes ont en partage. En termes védiques, « La forme est la vacuité, la vacuité est la forme. » Dans le haïku une telle compassion bouddhiste soutient souvent la résonnance affective du particulier dans un poème donné. D’un autre point de vue religieux, celui des fondateurs de l’Hassidisme, le Baal Shem Tov, « Tout ce qui a été créé par Dieu contient une étincelle de sainteté. » Dans le haïku une telle élévation de toutes choses soutient une poésie centrée sur l’appréciation émotionnelle de telles choses et la résonnace shintoïste où rochers, arbres et cascades sont considérés comme sacrés.
Un taoïste dirait : « Pénétrez dans la tranquillité. » La Complétude, le Tao se trouveraient dans un tel état. Cet état, de plus, on le trouve à travers des particularités, les soit-disant « dix mille choses ». Ainsi, dans le calme, que ce soit dans une forêt montagneuse reculée ou dans une ville moderne populeuse, les choses s’offriront à vous avec pour résultat une sorte de joie, de crainte, de célébration, d’émerveillement, et, pendant un moment, d’entièreté.
Le Roumain Ion Codrescu nous offre un tel moment de complétude dans un de ses haïku :
une mare dans le champ
l’odeur de la moisson persiste
dans la nuit
Dans ce poème méditatif, l’auteur est ému par la vision d’une mare dans un champ, la nuit. C’est le focus sur un détail dans son état de calme aussi bien qu’une incarnation du calme lui-même. Le travail de la journée est absent. Le champ a été moissonné. Mais l’odeur des moissons et de la terre retournée persistent pour approfondir et augmenter cet état de calme. L’odeur devient une « métaphore organique » de l’union entre le particulier et l’absolu qui émerge dans le haïku en tant qu’état de complétude, moment sublime dans lequel un auditeur ou un lecteur peut pénétrer.
Dans ce sens plus élevé du haïku, de plus, avec les mots du critique littéraire George Steiner : « Quand le mot du poète s’arrête, une grand lumière naît. »
VIII Conclusion
Il est important de considérer maintenant l’essence du haïku dans l’histoire mondiale. La nature du sentiment et de l’émotion est en train de s’émousser dans ce qu’on appelle l’ère post-moderne. Parce que le haïku dépend du sentiment, les valeurs post-modernes vont en réalité coopter l’essence du haïku en cooptant la nature du sentiment. En jeu également se trouve la connexion importante du haïku avec la nature, parce que, ces jours-ci, la nature elle-même semble être dans un état critique. Nous désirons tous une connexion avec tout un chacun et avec le monde, et recherchons quelque espèce de complétude. Actuellement, dans notre vie quotidienne, la nature et la beauté ont de moins en moins de sens, et l’instant-haïku, ou l’attention aux détails, également. C’est peut-être pourquoi le Japonais Shôkan Tadashi Kondo, lors de la deuxième Conférence Européenne sur le Haïku, évoqua Thoreau lors de la discussion à propos de son projet proche du saijiki « 72 charmes saisonniers » et appela le haïku de la « poésie écologique ». La métaphore absolue du haïku pourrait sauver le particulier, nos sentiments, la nature et la beauté. Il pourrait aider à préserver notre sens de la complétude – même en cet âge post-moderne – et peut-être même, le monde lui-même.
FIN
(Article de Bruce Ross, paru dans la revue Modern Haiku, 38/3.
pp.51-62 et partiellement lu à la Deuxième Conférence Européenne sur le Haïku, à Vadstena, Suède du 8 au 10 juin 2007.)
Trad. française : (c) Daniel Py, Orly, 21 Juillet- 5 août 2011.)