Posts Tagged ‘Issa’

Haiku, etc. de Py – janv. 2013 – 2/2haïku etc, Py, janvier 2013 2/2

9 février 2013

Haïku, etc. Py, janvier 2013 – 2/2

°°°

Pneu crevé :
jante, l’amollie !

(à Mantes-la-jolie ?)

dans quelle mesure
un linceul est-il
un lin/seul ?

enlinceulé
enlinseulâbre
dans son lin seul…

°

Ici pissa
maintes fois
cet imitateur d’Issa

/

Ici pissa
souventes fois
un imitateur d’Issa

°

sur le carnet
se posent
la neige
et le haïku de neige

°

le ruisselet des plantes
sur le trottoir gelé…

(Reims, mi-janvier)

°

train du soir
par la portière ouverte
montent quelques flocons

°

négocier / mégo(s)cier

°

indistincts
le ciel
la terre
blancs

(TGV Paris-Reims)

°
(Ancien :)

déménagement –
une coccinelle
sur le pare-brise

°

les merdes de chiens
aussi
couronnées
de neige

°

du coin de l’absolu
où il se trouvait,
il rêva
sans limites

( : Asobu)

°

levé la nuit
pour démouler le pain :
la neige

levant la tête
vers le ciel
discerner
les flocons

claire la cour
de nuit
les murs blanchis
de neige

flocons tombés,
tout repose –
un peu de vent
sur les tiges

levé
pour voir
la neige
posée

ciel blanc
terre blanche :
l’aube
d’un dimanche

°

dans l’arbre dénudé
le nid se remplit
de neige

(20/1/13)

arbre dénudé
la neige
repeint le nid

neige :
la femme
pousse son homme
qui pousse
leur bébé

°

boisson au curcuma –
quelques touches du clavier
jaunissent

°

sous le lampadaire
le nid
rempli de neige

°

Il se suicida.
Par manque d’humour.

Pensant qu’il manquait d’humour, il se suicida.

Il se cui/sida

°

la rebondistance = la distance parcourue lors d’un saut.

°

calligraphie de branches
sur la neige
d’une voiture

°

des pas
de passants
empreintés
sur la chaussée
enneigée

°

matin blanc
bruit de pelle

°

dans l’arbre nu
le nid
a recueilli
la neige

/

en haut de l’arbre
le nid
accueille * la neige

* recueille

°

la neige tombe
au fond du verre
un cachet
effervesce

°

rhapsodie pour piano sale

°

une carte de veaux…

°

aujourd’hui,
du portefeuille
du beau-père
décédé :
20 euros
tout ronds

°

moi
et le ciel du soir
(nous) avons des choses
à ne pas nous dire

(d’après une photo du 53 rue Pouchet, 75017, 2007-2010.)

le ciel (du soir)
et moi
avons des choses
à (ne pas) nous dire

°

p
anneau

p
anier

(de basket * , * = panier (angl.))

°

les mots dévalisent…
un mot, des valises…
une valise de mots…
( : mot-valise )

°

c’est quoi ?
séquoia ?

°

avant-hier
le Mont Blanc
(sous le vent)
avait des cheveux de neige !

°

encensoir :
barque
sur le bois (noir) de la table –
le mât fume

°

(Musique : Silence…)

une anche passe…

°

le fil rouge
pour monter les anches
à la fenêtre
la neige

°

bien des neiges ont tombé
depuis la mort de ton papa :
45 jours

°

le confortable
cocon * (…)

* le cocon douillet ( : or.) /…

(Chevilly-Larue, 21/1)

/

tombant flocons,
glissant pluie

: down the windscreen *

(* le long du pare-brise)

le son des flocons
tout autour (…)
:

°

dans la gêne
sous la neige
– flocons sur le carnet

°

(Radio-Classique, Schubert, 21/1, 16h25 :)

« la clarinette crémeuse (de… )» *

* pas baveuse, non ! :

°

sous la neige
une peau d’orange –
( )

la neige tombe
et tombe le soir
– lévitation

°

lévitation… à la valse ?…

razla rizla fumla moquette ( !)

°

la neige
sur le carnet *

bloque la bille
du bic
ah !

(* dilue l’encre bleue, )

°

épisode nueigeux …

°

La Coupe de fric des Nations ( ? ) *
(* la Coupe d’Afrique des Nations)

le couple de flics de la Nation ( ? )

un couple de flics à la Nation ( ? )

°

Larme honnie

/

soulever les pierres
– du langage
– du champ sémantique (…)

/

Allez, colle !
(à l’école !)

°

hier
sur un siège du RER
dans un coffret « Bonne Année » :
un tas de merde fraîche

°

des classes dorénavantales,

… de dorénaventures…

°

été
paille –
cou

hiver :
caille –
cou

automne ? :
mailles –
cou

senryû :
raille –
cou

ou

taille –
cou ?

ou
cisaille –
cou ?

vieillesse :
vaille que vaille –
cou

°

portière(s) ouverte(s) *
le froid monte **
dans le train

(* arrêt en gare)
(** pénètre / entre)

/

arrêt en gare –
le froid
monte dans le train

°

j’ai teint
la chambre en noir…

°

dépôt de banal…

°

chantier des aires…

°

Cachez ce « Je »
que je ne saurais lyre
(dans le haïku) !

°

(senryû de guerre :)

uranium
Mali
France
nucléaire

/

uranium
Mali
France

°

quelques flocons de neige
sur la page du carnet
l’encre accroche

°

le cumul de l’an ploie,
(neige du dernier jour) *

/ neige du trente-et-un)

/

le cumul de l’an ploie,
l’arbre neige

°

crise de foin
( : allergie)

°

l’expression du soi(r)

°

le(s) c(h)oeur(s) de l’Armée rose…

°

Aux sources thermales
de Yama nouchi machi
se baignent les singes

(: d’après Seegan Mabesoone, à propos du lieu de résidence de son ami Tami Kobayashi, aubergiste, dans les montagnes au Nord de Nagano.)

°

trente ans de cônes / cornes / conne(s) : – s’y faire ?

°

le mot « vif » se doit d’être court
de même que « bref »
et que « court » !

Ainsi « flash », si prononcé « flâ(â)che » *, est un « contresens », une « impossibilité », un « oxymoron »

(* dans un bus, à Reims : « le ticket flash ! »)

« Rapide » n’est pas si vif

les mots (, dans la mesure où ils) collent à leur sens…

°

Au(x) confin(s) des mots…

°

Une « forme » ne s’use-t-elle pas ? (cf le 5/7/5 « quin-centenaire » du haïku )

°

Si tu cherches le « moi » : où est-il ?
Cache-le : il se révèle… *

(* tu le fais sortir du bois / du moi ?…)

°

(re)descendre à la racine des mots…

°

un RER
nommé VIDE
file devant moi
– soir de fin janvier

°

l’épouse – au – crime

(é)poussette…

°

où / que sont les racines de cette joie ?

« Les racines de la joie »

et que tutti va(ille) bene ?

/

engendrer la joie

°

la boulangère tapisse de riz
(son gars tôt)

°

le(s) costume(s) de concert(s) *
déjà remisé(s)
dans une penderie annexe –
64 ans

(* la queue-de-pie)

°

la goutte
à l’instant où elle va
se détacher de la branche

la sonorité
du musicien au moment où
il va se taire…

°

sur ce panneau routier :
MONTROU E

(Nationale 7)

°

tant qu’il y a
cette neige en tas :
mots blancs

°

(L’) Olympe l’accable

°

Maurice Barrésille

°

L’âge ité du beau cale…

°

le quai noir de monde
(le quai blanc de neige)
un engin distribue des coups

(Orly, gare RER, matin)

/

(comme les mots viennent
à la conscience ( : )
au papier)

°

une touche *
et puis s’en va

une touche
et qui suffit…

(… à montrer l’ensemble)
elliptiquement,
par allusion

(* « L’unique trait de pinceau »

: tendre vers (l’unique coup de pinceau) : dans le haïku too !

Après remplir le haïku, vider le haïku !

°

du sang dans le sel …

°

les mots :
les morts
ne sont pas loin

(// parallèlement couchés
/ couchés eux aussi )

°

ça sentirait-il le printemps
ce soir de fin janvier ?
– cinémathèque

°

France-Mali :
Touche pas à mon uranium !

°

(ancien :)

ce matin
une toile d’araignée
en neige

(17/12/09)

°°°

(Séquence au bonhomme de neige :)

le bonhomme de neige
heureux
de sa première nuit blanche

le bonhomme de neige
a passé sa première nuit
à sourire

un fantôme de neige
au nez orange

dans la bouche
du bonhomme de neige
des dents de glace

il a poussé
lors de sa première nuit
des dents de glace

1er matin
le bonhomme de neige
a poussé
ses premières dents
de glace

le bonhomme de neige
aveuglé de 2 feuilles sombres

le fantôme de neige
sa carotte arrachée
a le nez creux

ça fond tout autour :
le bonhomme de neige
se sent seul

dernière pyramide debout :
le bonhomme de neige

allergique à la carotte
le bonhomme de neige
a le nez creux

déneigement
dans la cour seule subsiste
la tête du bonhomme

de plus en plus seul
dans la cour
le bonhomme de neige

le bonhomme de neige
redevient
tas de neige
son sourire du Cheshire *
s’estompe

(* : allusion à Lewis Carroll in Alice in Wonderland)

bleu fondu
le sourire du bonhomme de neige
remplit son visage

le bleu(té) de son sourire
envahit son visage
– fonte des neiges *

(* / – bonhomme de neige se réchauffe)

son sourire s’élargit
à tout son visage :
fonte de la neige

sourire dilué :
le bonhomme de neige
à fond

son sourire s’étend
(bleu)
à tout son visage :
fonte de la neige

son sourire
bleuit son visage :
fonte du bonhomme

dernier monceau de neige :
le bonhomme
au visage bleu

dernier vestige
de la neige
le bonhomme
an tas vague…

de neige
plus qu’un tas
bonhomme

lam-
beaux
et laids
résidus
de neige
le bonhomme
fait de la résistance

immarcescible
pyramide
le dernier carré
du bonhomme de neige

du bonhomme
ne reste plus
qu’un chapeau de neige
sous la pluie

tant qu’il y a
cette neige en tas :
mots blancs

au pied
du dernier tas de neige
une (…)

(: 21-28/1/13)

°°°

Commentaires sur le haïbun, et sur le Chichi no shuen nikki, d’Issa, par S.(L.) Mabesoone

1 février 2013

Extraits d’un échange entre Monique Serres et Seegan (Laurent) Mabesoone, avec leur permission. Qu’ils en soient remerciés ici :

De Seegan (Laurent) Mabesoone, à Monique Serres, daté du 23 janvier 2013 :

« En ce qui concerne la définition du genre haïbun, je crois qu’il est possible de se référer à d’autres japonologues que moi, MM Sieffert, Origas ou Mlle Pigeot, entre autres.
Je vais essayer de résumer : depuis Bashô (ou plus exactement depuis Yayu (1701-1783) avec son « Uzura koromo »), le haïbun s’est différencié du kyobun (« prose folle » = prose relevant de haïjin, par opposition aux textes élégants gabun des kajin – poètes de waka).
En effet, le haïbun est considéré dès lors comme « un texte de style typique du haikai ». (Pour le « Haibun gaku daijiten » de Kadokawa : haikai teki bunsho).
Ainsi, le problème n’est pas de savoir si le texte comprend ou non des haiku (hokku). Par exemple, le « genjuan no ki » de Bashô n’en comprend qu’un ou deux (selon les manuscrits).
Ce « style typique du haikai », en prose, tout comme dans le hokku ou le renku, consiste dons dans la concision (kanketsusa) et les sauts de registre (kire), d’où naît le haimi (« humour du haikai » ou « esprit du haikai »).
À ce titre, le Okuno hosomichi (traduit par Sieffert « Sente du bout du Monde ») peut être considéré comme un haïbun, bien sûr, mais il est généralement classé dans les kikobun (« proses de l’itinéraire », dites aussi Michiyukibun, cf J. Pigeot, etc.). Car ce texte possède aussi tous les traits stylistiques des récits de voyages médiévaux.
Bref, le « Chichi no shuen nikki » d’Issa est considéré à juste titre comme le plus grand haibun du XIXè siècle (Bunka/bunsei).
Même s’il ne comprenait pas un seul hokku, il le serait tout de même, car on y observe un style concis et hybride, avec de nombreux « sauts de registres» entre la réalité la plus prosaïque et les considérations religieuses, philosophiques, voire littéraires (ceci est facilement perceptible dans le texte original, car il existe dans le japonais classique une quasi-incompatibilité entre le style grave su sino-japonais et la souplesse du « japonais de souche » ; le haibun se joue de cette frontière).
Comment dire… imaginez qu’il existe en français un style mélangeant avec « l’esprit du sous-entendu » le latin antique et le français moderne ! C’est cela le haïbun, avec ou sans haiku dans le texte.

Seegan (Laurent) Mabesoone.

Idem, du 30 janvier 2013 :

(…)
Pour ce qui est de mon analyse du texte en japonais, il y a ma thèse… en japonais, sur le site de l’université Waseda, ci-dessous :
http://dspace.wul.waseda.ac.jp/dspace/handle/2065/493?mode=full

De Monique Serres à Seegan Mabesoone, le 24 janvier 2013 :

Afin de mieux visualiser le « style typique haikai », ses sauts de registres avec le jeu sur les frontières entre éléments prosaïques et réflexions plus philosophiques s’appuyant sur des niveaux de langue différents, vous serait-il possible (…) de l’expliciter sur un passage de votre traduction, par exemple : le passage du 4 mai du journal d’Issa – cette grande journée lumineuse de rémission dans la maladie du père – (…)

De Seegan Mabesoone à M.S., le 30/1/13 :

Entre les passages d’Issa :
1)
« Le 4. Grand changement » jusqu’à « jusqu’au village de Furuma », Seegan commente :
« Tout ce passage est très prosaïque, réaliste, dans une langue « vulgaire » : japonais de base « kun yomi ».

Entre
2)
« Les nuages de pluie avaient disparu » et « entendre ses premières vocalises. » :
« passage très littéraire, mais toujours en japonais de base « kun yomi », et non en sino-japonais : références à la littérature féminine classique de Heian – wabun

Entre :
3)
« En fait, ledit oiseau… » et « d’entendre chanter le coucou pour la première fois. » :
« À nouveau, prose vulgaire. »

Entre
4)
« Voici le coucou ! » et « Jour de rémission » :
Deux hokku particulièrement « raffinés » (miyabi/ga), sans mélange « raffiné-vulgaire », ce qui est inhabituel dans les hokku d’Issa. Ce style fait donc écho au passage en « prose élégante » du 2)

Entre
5)
« Aujourd’hui c’est le jour du repiquage » jusqu’à « où nous le garderions encore quelque temps avec nous ! » :
« passage en langue vulgaire, incroyablement réaliste pour son époque, sans aucune référence, pour rappeler une certaine vulgarité de l’entourage d’Issa »

Entre
6)
« Le lien entre un enfant » et « je suis resté à lui masser le cou et les pieds. » :
« passage très littéraire, mais cette fois, dans un style antique sino-japonais (l’équivalent de notre latin). Nombreuses citations en – lecture chinoise des caractères, ou expressions abstraites tirées des classiques chinois (kan-bun), afin de conclure dans un style « carré », adapté au sujet philosophique. »

« Voici un peu comment les « sauts de registres » constituent le « sel » du style hybride qu’est le haïbun.
Le changement de style permet de créer un choc émotionnel et de seulement sous-entendre la subjectivité (comme à l’intérieur d’un haïku, avec la juxtaposition inattendue de deux sujets). »

Seegan (Laurent) Mabesoone.

ISSA : Chichi no Shûen Nikki (1801) : Haibun, traduit par S. Mabesoone.

17 décembre 2012

Chichi no Shûen Nikki
(1801)
Journal des derniers jours de mon père
de KOBAYASHI Issa

traduit par Seegan MABESOONE

***

« Ma traduction d’un haibun célèbre d’Issa, le Chichi no shuen nikki (assez long, tiré de ma thèse à Waseda (Université) et de mon mémoire à Paris 7). Ma traduction du Chichi no shuen nikki est la seule traduction intégrale en français jusqu’à présent (elle est inédite – mise à part ma thèse, dont elle constitue une annexe). »

Seegan Mabesoone, dans un courriel à D.P. daté du 11/12/2012.

***

Le 23 /4 – Ç’était une journée ensoleillée. Il n’y avait pas un nuage dans
le ciel pur et serein . On pouvait entendre, à travers la montagne, les
premières notes du coucou. Mon père, entre autres choses, donnait de
l’eau aux plants d’aubergines.
Tout à coup – je me demandai ce qui lui était passé par la tête ! –
il tomba en avant, comme si les rayons du soleil printanier l’avaient
frappé dans le dos.
Moi, Issa, je lui dis: Mais que vous arrive-t-il ! Tomber ainsi la tête la
première dans un endroit si répugnant ! Et je m’employai à le relever en le
prenant dans mes bras (Plus tard, je devais comprendre que, dès cet
instant, il avait déjà un pied dans la tombe…Est-ce possible, un jour si
funeste !).
Mon père me dit qu’il ne se sentait pas très bien et, soudain, la fièvre
commença à monter. Sa peau était brûlante comme le feu. J’avais beau lui
donner à manger, il était incapable d’avaler une bouchée.
Moi, je ne savais que faire. J’étais là, seul, bouleversé, sur le point de
perdre mes esprits, et je ne trouvai rien d’autre à faire que quelques
massages pour l’apaiser.

Le 24. Beau temps. J’ai reçu des médicaments de mon ami Chikuyo et
j’en ai donné a mon père.

Le 25. Temps nuageux, puis beau temps. La maladie de mon père
s’aggrave de jour en jour. Ce matin, il ne réussissait même pas à avaler un
peu d’eau de cuisson de riz.
La seule chose qui me donne espoir, c’est qu’il continue à prendre son
médicament, goutte après goutte. Du matin au soir il répète sans cesse:
Ça fait mal ! J’en peux plus ! et il se tord de douleur en agitant bras et
jambes.
La tristesse que j’éprouve, me trouvant là, à côté de lui, est un sentiment
plus douloureux encore que si je souffrais moi-même.

Le 26. Beau temps. J’ai prié Jinseki du village de Nojiri de venir ausculter
mon père. Son pouls est irrégulier; c’est ce qu’on appelle un
refroidissement des intestins à symptômes internes. Il n’a pas une chance
sur mille de voir son état s’améliorer, m’a-t-il dit, sans me laisser aucun
espoir. Le coeur renversé, j’étais là comme sur un bateau à la dérive.
Mais, même rendu à de telles extrémités, j’ai insisté pour qu’il prenne son
médicament.
Une tante de Nojiri est venue passer la nuit ici.

Le 27. Temps pluvieux. Dans un moment de solitude extrême, alors que la
pluie qui tombait assombrissait encore cette journée, mon cher ami
Chikuyo m’a fait parvenir ceci:

Pluie de la mousson
Pour vous abriter, peut-être,
Tendez-vous les mains au ciel ?

Le 28. Beau temps. De bon matin, mon père m’a dit que c’était
aujourd’hui jour de prière en souvenir du décès du Révérend
Fondateur et il est allé se laver la bouche… J’ai eu beau essayer de
l’arrêter en lui disant que cela était mauvais pour sa fièvre, il a
absolument refusé de m’écouter.
Face à l’autel bouddhique, il a récité les soutras comme à l’habitude, mais
sa voie était rauque.
À le regarder par derrière, si affaibli, je me suis senti bien découragé.

Le 29. Alors que sa maladie s’aggrave, mon père a bien voulu penser à
l’avenir de ma personne car, moi, je me retrouve seul au monde.
Il a dit qu’il me concédait de diviser en deux, entre mon frère et moi-même,
le peu de terres qu’il possède.
Péniblement, à bout de souffle, il a donné ses instructions: D’abord, la
rizière appelée Kawashima et celle du lieu-dit de Kahara seront la
propriété du cadet !
Alors, Senroku, qui semblait ne pas apprécier les volontés de notre père,
s’y est opposé.
Senroku et notre père se sont disputés, et la journée s’est terminée là-dessus.
De telles querelles se produisent parce que nous sommes tous
aveuglés par l’avidité, les fausses idées et le manque de sincérité.
C’est une chose bien répugnante que le manque de piété filiale et
l’abandon des hommes aux cinq souillures de ce bas monde.
Le soir venu, le pouls de mon père battait à un rythme particulièrement
irrégulier. Comme j’étais inquiet à l’idée de rester seul auprès de lui, je me
suis dit que Senroku, même rebelle aux volontés paternelles, était tout
de même du même sang que moi et je lui ai demandé de dormir aux côtés
de notre père, au cas où viendrait sa dernière heure. J’ai fait cela parce
que, quoiqu’il en soit, je pense à mon frère cadet. Du côté de la lampe,
penché vers le visage de mon père, je restai là à veiller. Toute la nuit, mon
père dans sa souffrance, allongé sur le dos, ne cessa de souffler
violemment. Cela faisait mal au coeur de le voir ainsi. Puis la douleur se
retira comme se retire la marée et mon père s’apaisa un moment. [Au
matin] mon père m’a fait savoir qu’il voulait essayer un remède [à base]
de foie d’ours que l’on peut se procurer, dit-il, chez le médecin de Nojiri.
Nojiri ne se trouve qu’à une lieue de Kashiwabara, mais, sachant
que ma [belle-]mère s’était, elle aussi, disputée avec mon père la veille, je
ne voulais pas m’en aller et laisser mon père sans garde sûre. Sans dire la
chose à mon père, j’ai envoyé mon frère cadet à ma place.
Or justement, les pluies de la mousson qui étaient tombées pendant la
nuit venaient de s’arrêter et mon père, toujours soucieux de l’eau qui
déborde par dessus les talus des rizières, me demanda: Où est passé
Senroku ? Je n’avais rien à cacher; je lui répondis en disant les choses
telles qu’elles étaient. Mon père se mit alors dans une colère sans
pareille. Pourquoi l’as-tu envoyé courir après ce foie d’ours sans me
demander mon avis ! Alors, même toi, tu te moques de moi ! me
réprimanda-t-il. Arrivant juste au bon moment de la chambre à coucher,
ma [belle-]mère en profita pour élever la voix et dire, entre autres
choses: Ce fainéant de Issa ! Envoyer Senroku sans même le laisser
prendre son petit-déjeuner ! Ah, ça ne l’embête pas, lui, que son frère
cadet ait le ventre vide, hein ! Moi, seul, sans personne pour me soutenir,
je subissais leur courroux. Au point où j’en étais, la seule chose que je
pouvais faire était [de me mettre a genoux ,] de poser le front sur le
tatami en pleurant et en joignant les mains, et de demander pardon : Je
ne le ferai plus; je ferai attention ! Alors la colère de mon père se calma
un peu. Quoiqu’il en soit, pourquoi prendrais-je mal les avertissements
de mon père ? Même si [un jour] mon père me demandait de mourir, [je
sais que] ce serait pour mon bonheur. D’ailleurs sa voix, même en colère,
avait quelque chose de faible et inspirait la pitié. Quelle joie, en fait, de
me faire corriger par mon père alors qu’hier soir je me préparais à le
perdre à jamais ! Ceci dépasse encore ce que peut ressentir une tortue
aveugle [perdue dans les flots] qui trouve une branche [à laquelle
s’accrocher]. Sur ce, le soleil commença à monter dans le ciel et mon
frère, sans se presser, revint de sa commission.

Le 1 / 5 – Ciel pur et temps clair. Les épis de blé frémissent dans le vent
d’un air empressé et les fleurs de lys apparaissent, soudain, rouges ou
blanches. Chacun se presse, car c’est le moment de repiquer le riz et de
sortir les semis. Mon père, lui qui était toujours en bonne santé, ne peut
même pas se lever, ce qui lui semble insupportable. En plus de cela,
comme les jours rallongent, à partir de midi il ne cesse de s’exclamer :
Alors, cette journée n’est pas encore terminée ? Quelle tristesse
j’éprouve quand je pense à ce qu’il ressent !

Le 2. La maladie s’est aggravée; mon père souffre énormément.
Ma [belle-]mère, depuis cette dispute avec mon père, ne daigne même
plus le regarder. Quant a mon frère cadet, depuis l’affaire de la division
des terres, il n’est plus en bons termes avec notre père. À voir cette
haine si laide entre moi et mon frère, j’en arrive à me dire que, quelle que
soit la colère du moment et quoi qu’on pense de la difficulté d’être demi-frères,
tout cela vient du fait que nous étions ennemis dans une vie
antérieure.
Mon père, lui, désolé de voir que je ne ferme pas l’oeil de la nuit pour le
veiller, me dit des mots pleins de gentillesse, comme: Va donc faire une
sieste et récupère de ta fatigue !Ah, va faire un tour dehors pour te
changer les idées ! etc. Ma [belle-]mère, elle, passe sa colère sur mon
père et blâme la moindre de ses faiblesses, en oubliant tous ses devoirs
d’obéissance.
Cela vient aussi du fait qu’elle ne supporte pas de me voir à son chevet.
Je sais bien qu’elle réussit ainsi a rendre mon père témoin d’une triste
situation, mais je ne vois pas comment, dans un tel contexte, je pourrais
tourner le dos et fuir je ne sais où.
Le 3. Beau temps. Jinseki a avoué que sa cuiller à pilule ne pouvait plus
rien pour mon père. Alors, j’ai pensé que l’on pourrait demander les
services de ces guérisseurs qui ont toujours allié le culte des divinités
shintoïstes et du Bouddha puis, à la vue des résultats, utiliser les
pouvoirs du bouddhisme ésotérique, ou encore supplier tout autre
protection du ciel … mais mon père a refusé de s’écarter des principes
de sa secte. [Moi,] je me retrouvais les mains vides, sans rien d’autre à
faire qu’attendre la fin. Rendu à de telles extrémités, je voulus tout de
même faire venir Doyu, le médecin du temple Zenkoji, et j’envoyai
quelqu’un le chercher de toute urgence. En attendant impatiemment
l’arrivée du médecin, je me disais que mon père était toujours relié au fil
précieux de la vie et qu’il pouvait encore redevenir l’homme qu’il était.
Devant chaque maison on allumait les flambeaux, comme le jour tombait…
(avant correction: Le soleil s’effaçait dans un coin du mur ). Alors,
j’aperçus un palanquin; je m’empressai de montrer le malade [au
médecin]. Tout comme Jinseki, celui-ci me dit que mon père n’avait pas
une chance sur mille de rester de ce monde. [Avec l’impression que] la
corde à laquelle je m’accrochais avait fini par se couper, j’attendais
seulement que la nuit se termine et je m’efforçais de faire boire un peu
d’eau de cuisson de riz a mon père.

Le 4. Grand changement par rapport à hier: le visage de mon père est
resplendissant. Il m’a même dit : Je veux manger quelque chose ! Alors
ma joie fut sans limite. J’avais le sentiment qu’il était en train de reprendre
vie grâce au médicament de la veille. Je me mis à diluer [dans de l’eau
chaude] de la fécule de dent-de-chien et mon père en but trois ou
quatre bols. Doyu lui-même a dit ceci: Si cela se traduit par un
changement durable, c’est que la guérison doit être proche. Moi aussi je
me sens bien soulagé, car c’est moi qui passe tout mon temps au chevet
[du malade]. Comme le vénérable Doyu devait s’en retourner,
je l’ai raccompagné jusqu’au village de Furuma. Les nuages de pluie
avaient disparu vers l’ouest et vers l’est, le ciel était clair comme jamais.
Comme à point nommé, un coucou montra le bout de son nez et fit
entendre ses premières vocalises. En fait, ledit oiseau devait chanter
depuis longtemps déjà mais, comme je m’occupais de mon père du matin
au soir et du soir au matin depuis le début de sa maladie, mon coeur
étant vide de toute autre préoccupation après toutes ces choses
insensées, et j’avais l’impression d’entendre chanter le coucou pour la
première fois.

Voici le coucou !
Ce beau jour, pour moi aussi,
Est un jour béni.

Viens nous rafraîchir,
Lune éclairant la maison !
Jour de rémission.

Aujourd’hui, c’est le jour du repiquage du riz. Tous les voisins qui nous
aident, tous les employés [saisonniers] et tous les habitants de cette
maison sont sortis pour la journée, car c’est un évènement annuel
important. Moi, je suis resté seul au chevet de mon père.
Sur ce, le soleil finit par s’effacer dans un coin du mur et vint le moment
de servir le repas. Comme il s’agit d’une maladie [contagieuse] que tout
le monde redoute, j’ai ramené mon père dans sa chambre à coucher. On
pouvait entendre mon frère cadet parler en ces termes avec un serviteur:
Si mon père était mort tout de suite, il serait en bonne place au paradis
bouddhique. C’est tout juste si il ne disait pas que notre père vivrait trop
vieux au cas où nous le garderions encore quelque temps avec nous!
Le lien entre un enfant et ses parents est pourtant une chose que l’on ne
vit pas deux fois; même si l’on pouvait passer cent ans avec ses parents,
il n’y aurait pas lieu de s’en lasser.
Le féroce tigre lui-même ne dévore pas ses parents et ne dit-on pas que
le corbeau, oiseau pourtant détesté de tous, s’occupe de ses vieux
parents pendant cinquante jours ?.
Alors, au nom de quoi un être humain peut-il dire des choses pareilles ?
Du coup, notre père en a encore ressenti de la peine et moi, approchant
la chandelle, je suis resté à lui masser le cou et les pieds.

Le 5. Le médicament semble bien convenir à mon père. Je lui en ai fait
reprendre plusieurs fois. A chaque fois, par dessus les cendres [où
bouillait la solution], je regardais avec attention le visage resplendissant
de mon père, qui dormait d’un air paisible.
J’ai pris son pouls et je n’ai rien trouvé d’anormal. Ainsi, je ne pus que me
réjouir de le voir guéri à quatre-vingt-dix pour-cent…
[Cependant,] quand je repense maintenant à ce qui s’est passé par la
suite, je me dis que je croyais à cette guérison seulement parce que je la
désirais.

Tu es déjà là,
A mes pieds, mais depuis quand ?
Petit limaçon !

Le 6. Comme il faisait beau, je me suis dit que mon père devait être las de
rester couché sur le dos toute la journée. J’ai plié sa couverture et je lui
ai dit de s’y adosser.
Alors il a commencé à me parler des choses du passé: C’est vrai que toi,
tu as perdu ta mère à l’âge de trois ans. Tu as eu beau grandir, tes
relations avec ta belle-mère ne s’arrangeaient pas.
Jour après jour, cela nous faisait mal au coeur, et soir après soir, ton âme
brulait de colère. Je n’avais pas un moment de tranquillité.
Alors, j’ai eu une idée: Tant que tu resterais avec nous, cette situation
n’aurait pas de fin, mais, si on t’éloignait un moment du pays natal, à la
fin, tu éprouverais certainement de la nostalgie [pour ta belle-mère].
Au printemps de tes quatorze ans, je t’ai fait partir au loin, à Edo.
Quelle triste histoire ! Si j’avais été un père normal, j’aurais attendu
encore trois ou quatre années puis je t’aurais laissé t’occuper des
affaires de la maison. Tu te serais senti sécurisé et nous, nous aurions pu
profiter de nos dernières années.
Quand je t’ai envoyé gagner ta vie dans cette ville féroce alors que tu
étais encore tout jeune, que tu n’avais que la peau sur les os, tu as
dû penser que j’étais un père bien cruel.
Mais oublie donc tout ça, dis-toi que c’était ta destinée pour cette vie !
D’ailleurs, je me suis rendu à Edo moi aussi cette année, à l’occasion d’un
pèlerinage sur les traces d’un des vingt quatre disciples de Shinran. Je
suis allé te voir chez toi. [Je me souviens que] je pensais: même si je
meurs en voyage, mon fils sera la pour me prêter secours.
Et voila que, à ton tour, tu viens jusqu’ici pour me voir et que tu te
retrouves à t’occuper de ma maladie. C’est dire à quel point nos destins
sont profondément liés ! Maintenant, même si je pars pour l’autre monde,
je n’aurai rien à regretter !
Mon père parlait en versant de chaudes larmes et moi, Issa, je restais le
visage baissé sans pouvoir dire un mot. J’avais passé vingt cinq années
éloigné, sans cet amour paternel plus profond que les neiges éternelles
du Mont Fuji , plus indélébile qu’un double bain de teinture écarlate!
[Vingt cinq années s’étaient écoulées] aussi vite qu’une roue dévalant
une pente et moi, j’avais passé mon temps à divaguer tout comme ces
nuages qui se trouvent à l’ouest quand on les cherche à l’est. En mon for
intérieur, je me repentais d’avoir tant tardé à revoir mes parents, d’avoir
attendu que mes cheveux blanchissent comme du givre.
Je me disais que ma faute dépassait même les cinq péchés capitaux.
Mais, si j’avais versé des larmes à mon tour, ceci aurait eu pour effet
d’augmenter encore la peine de mon père. En m’essuyant les yeux, avec
un sourire forcé, je dis ceci à mon père: Ne vous faites pas de souci,
faites plutôt en sorte de guérir bientôt ! Et, lui donnant son médicament,
j’ajoutai: Dès que vous serez en bonne santé, je redeviendrai le Yataro
d’autrefois : je couperai les herbes, je bêcherai la terre et vous n’aurez
plus de souci à vous faire ! Veuillez me pardonner mon attitude passée !
Sur ce, mon père se réjouit au delà de toute limite.

Le 7. Beau temps. Senroku est allé au temple Zenkoji pour se procurer
des médicaments. Les longues journées d’été semblent interminables à
mon père, et j’ai réfléchi à ce qu’il aimerait bien manger. Sachant qu’il
n’affectionne pas particulièrement les céréales, j’avais pensé à lui offrir
une poire. Mais, dans ce pays de Shinano-où-les-gens-coupent-les-bambous,
notre maison se trouve bien démunie; ici on aperçoit encore
des taches blanches de neige parmi le feuillage verdoyant et, partout,
sur la lande comme sur les montagnes, souffle encore un vent froid,
même en été. Or justement, la voix du tout premier vendeur de prunes se
fit entendre à notre porte. Mon père me dit avec un ton d’enfant gâté : Je
veux manger des prunes vertes ! Mais ceci, malgré toute ma compassion,
je ne pouvais le lui accorder.
Quelle tristesse ! Comme j’aimerais voir enfin le jour où il pourra oublier
les prescriptions du médecin ! Je souhaite de tout mon coeur qu’il puisse
[manger] tout ce qui lui tombe sous la main, mais quand je le vois, la tête
pendante, sans forces, je me dis que son état n’est pas si encourageant.
Le 8. Jour de repos pour le travail agricole. Les gens s’étant informés les
uns les autres [de l’état de mon père], de nombreuses personnes,
appartenant ou non à la famille, sont venues nous rendre visite. Certains
ont apporté du saké, d’autres de la farine de sarrasin, disant que mon
père affectionne ces choses. Mon père, d’un air réjoui, acquiesçait de la
tête, joignait les mains et remerciait chaque visiteur. Les Tang, sur ce
point, étaient d’accord avec les Japonais, et disaient : Une montagne
d’or après la mort ne vaut pas un verre de saké encore en vie.
Plutôt que d’épuiser tous les fastes du service bouddhique après la
disparition de quelqu’un, il vaut mieux avoir adressé à cette personne une
parole tendre de son vivant.
En ces temps de décadence, chacun blâme le moindre écart lorsqu’il
s’agit des autres, sans voir ses propres erreurs, pourtant bien plus
grandes. Et, dissimulant tant de choses sombres, nous ne sommes même
plus capables de voir notre propre manque de piété.

Moi qui ai la chance
De m’être réincarné
En être humain,

Je voudrais tant vivre droit
Comme les jeunes bambous !

Cette nuit-la, à partir de minuit environ, mon père, ne réussissant pas à
dormir et trouvant la nuit longue, me demanda à trois, quatre, sept… neuf
reprises : Cette nuit ne finira-t-elle donc pas ? Et le coq, ne chante-il pas
encore ? Mais on apercevait seulement la clarté des étoiles et, au bout
de l’auvent, les ombres des sapins et des érables dans une obscurité
profonde, d’où provenait le chant lugubre d’un hibou. Ah, quelle
tristesse ! Chacun connaît l’histoire de celui qui fit ouvrir les portes d’un
poste-frontière en imitant le chant du coq.
Cependant, les lueurs de l’aube, elles, ne dépendent que du ciel. Je ne
possède pas ces pouvoirs magiques qui permettent [de faire naître la
lumière] en enfermant du feu dans un sac et il n’est pas non plus en mon
pouvoir de rappeler le soleil après le couchant. Tout ce que je peux faire,
c’est pencher la chandelle vers mon père et le veiller en regardant son
visage.

Le 10. Beau temps. Sans cesse mon père se lamente et répète qu’il veut
manger une poire. Je me suis enquis de la chose auprès de toutes nos
relations dans les environs – famille ou proches -, auprès de mes amis,
des personnes ayant une certaine fortune; j’ai visité tous ceux qui me
venaient à l’esprit, mais il ne se trouva pas une seule personne ayant
gardé une poire en réserve… Même en été, ce village de montagne est un
endroit bien démuni. Aujourd’hui, comme mon père a épuisé ses
médicaments, je me suis préparé dès la première heure du matin et je suis
parti pour le Zenkoji. Dans le ciel du mois de juin l’aube commençait a
poindre. Les hautes montagnes étaient encore blanches de neige et,
parmi le feuillage verdoyant, quelques fleurs rappelaient encore le
printemps. J’aperçus avec nostalgie [cette pente sur laquelle la neige en
fondant prend la forme d’] un semeur et, comme à point nommé, un
coucou montra le bout de son nez, chantant mieux que jamais quelques
vocalises.
Mais – allez savoir pourquoi ? -, dans mon coeur ce n’était pas un matin
heureux. Peu avant sept heures du matin, je suis arrivé
à l’étape appelée Mure. Il s’agit du village où mon vieux père
m’accompagna autrefois, le jour où il m’envoya, moi Issa, [mener
ma vie] à Edo. Vingt quatre années ont passé depuis. Le bruit de la
rivière, le relief de la côte… j’avais encore certaines choses en mémoire,
et ceci me fit ressentir quelque joie. Mais je ne reconnaissais le visage de
personne. Afin d’arriver chez le médecin avant qu’il ne quitte son
domicile, j’ai accéléré le pas, et je suis arrivé au Zenkoji vers huit heures
du matin. Apparemment, c’était encore l’heure du petit déjeuner pour le
docteur Doyu, mais comme j’entendais sa voix dans le fond [du cabinet],
je m’empressai d’aller lui rapporter l’évolution de la maladie.
Sur le champ, il se saisit de sa cuiller à pilule et réalisa la préparation.
Dans ce haut lieu du bouddhisme de la Terre Pure, les enseignes des
boutiques se font concurrence, les drapeaux publicitaires volent au vent
et des gens de tous les pays vont et viennent. Tous sans exception
souhaitent renaître en Bouddha dans l’autre monde. Quant à moi, j’étais
venu à la demande de mon père, afin de rapporter des médicaments et,
également, afin de me procurer une poire. Comme je ne m’étais pas
encore acquitté de cette seconde commission, je me contentai de saluer
de loin le Bouddha [du Zenkoji], puis, quitte à remuer ciel et terre dans
l’espoir de trouver une seule poire, je me mis a parcourir, sans poser pied
à terre, tous les commerces de produits séchés et tous les magasins de
fruits et légumes. Mais quelle tristesse ! Il ne se trouva pas une seule
personne pour me présenter un morceau de poire… Pourtant, on connaît
ces histoires anciennes disant qu’untel a trouvé des champignons dans la
neige, ou des poissons sur la glace [grâce à sa piété filiale]. Et moi qui ne
réussis même pas à me procurer une seule poire ! Le ciel m’aurait-t-il
abandonné ? Le Bouddha et les dieux
refuseraient-ils de me voir ? Mon manque de piété filiale était-il une
volonté de l’autre monde ? Quoiqu’il en soit, mon père attendait
certainement [avec impatience] sa poire. Si je rentrais sans rien,
comment faire pour le consoler ? Pensant à tout cela, je sentis comme un
poids sur ma poitrine, et, me lamentant, je me mis a verser des larmes en
plein milieu de la chaussée. Les passants riaient de moi et me prenaient
pour un fou. Alors, tout honteux, je restai là, les bras croisés et la tête
pendante, le temps de me calmer et de reprendre mes esprits.
Où pourrais-je trouver une chose qui, même ici [au Zenkoji], demeure
introuvable !
Afin d’être de retour au plus vite et de donner au moins à mon père ses
médicaments, j’ai marché, les mains vides, jusqu’au village de Yoshida.
Là, trois, quatre ou cinq corbeaux sauvages m’aperçurent et élevèrent la
voix devant moi. Ceci ne fit qu’augmenter mon inquiétude à propos de la
santé de mon père et j’accélérai le pas à en perdre haleine.
A l’heure où l’ombre des montagnes indique deux heures de l’après-midi,
j’étais de retour à la maison.
Mon père avait un visage plus resplendissant que jamais, et il se donnait
même la peine de sourire. Lui raconter que je n’avais pas trouvé de poire,
et il aurait sûrement perdu sa bonne humeur… Alors que j’hésitais sur la
stratégie à suivre, il me posa la question de lui-même. Je lui répondis en
disant les choses telles qu’elles étaient. [Puis,] afin de le calmer, j’ai
ajouté des choses sans fondement, en me perdant dans les nues:
Demain, je me rendrai à Takada et je vous en ramènerai, à coup sûr…
Et j’ai passé une soirée bien amère.

Le 11. Comme c’est un jour d’entretien des champs, tout le monde a quitté
la maison, les uns portant des faux, les autres des bêches, et je me suis
retrouvé en tête-à-tête avec mon père. Il était étendu là, paisiblement.
Moi, Issa, je chassais les mouches de son visage tout en préparant ses
médicaments. Alors que j’étais en train de regarder son visage maladif,
mon père se mit à parler et à évoquer l’avenir: Mon état a beau se
dégrader, je vois bien comment les choses évoluent… Les gens de cette
maison essaient de faire de nous deux ennemis. Ou encore, ils médisent
sur nous. Moi, tant que je serai en vie, quitte à me sacrifier pour toi, je
ferai tout pour que tu puisses rester un jour ou une heure de plus dans
cette maison. Mais, si je disparaissais, tu aurais sûrement beaucoup de
mal à te battre contre eux. De jour comme de nuit, tu connaîtrais les
souffrances du monde des Furies. Puis, sans respecter mes dernières
volontés, tu t’en irais pour de [lointains] pays… Tout ceci m’apparaît
encore plus clairement que si je le voyais dans un miroir! Mais tu es,
comme tout mortel, sujet à la maladie, à la peine, à la mort et à la
souffrance. Si, ensuite, tu rentrais au pays natal, les jambes courbées et
les reins rompus, toute la famille et tous les proches, te montrant du
doigt, te traiteraient avec plus de mépris que pour un chien ou un chat.
Et moi, sous le gazon [, te regardant,] comme je serais triste… et comme
je serais déçu !
Mon père versait de chaudes larmes, et moi aussi, Issa, je fondais en
larmes, mais de bonheur, car, vraiment, il fallait bien être mon père pour
prendre ainsi pitié d’un malheureux orphelin.
Sans cesser de pleurer, je relevai enfin le visage pour lui dire : Ne vous
faites pas de soucis ! Cette fois-ci, quitte à échanger ma vie contre la
vôtre, je réussirai à vous faire guérir. Guérissez donc au plus vite ! [Et
puis] moi aussi, je prendrai femme en accord avec vos volontés, et je
resterai à votre disposition pour vous servir ! Quand j’eus dit cela, mon
père sourit d’un air satisfait. Il était bientôt midi, et tous ceux qui étaient
partis aux champs commencèrent à rentrer à la maison, les uns après les
autres.

Le 12. Comme le malade ne cesse de demander de l’eau fraîche, ce qui est
interdit par le médecin, je lui ai donné de l’eau que j’avais fait bouillir puis
refroidir. Cette eau est tiède ! a-t-il dit en se lamentant. Il est vrai que
mon père souffre, à cause de la fièvre. Cependant, je ne vois pourquoi je
lui donnerais quelque chose de nocif ! Quand on lui parle des
prescriptions de médecin, il répète: C’est sans coeur, de dire des choses
comme ça ! et il refuse de prêter l’oreille.
À la suite de cela, ma [belle-]mère, qui était fâchée contre lui hier
encore, lui a fait boire trois ou quatre tasses d’eau du puits, les unes
après les autres, sans se soucier du danger. Ça au moins, c’est de l’eau
fraîche et pure ! Ce qu’on m’a donné jusqu’a présent, ce n’était pas de
l’eau ! Au nom de quoi Issa a-t-il osé se moquer de moi ? a-t-il dit en se
plaignant. [Autrefois], Hikan, pour avoir critiqué le roi Choo, eut la
poitrine écartelée. Ainsi, lorsque des gens méchants sévissent dans un
pays, il n’y a plus de place pour la vertu.
À la suite de cela, pour faire plaisir à mon père, on lui donna plus de trois
litres d’eau fraîche en une journée. C’était si difficile pour moi, me
trouvant à son chevet, d’avoir en face des yeux une chose dont je savais
pertinemment qu’elle était mauvaise, sans pouvoir dire un mot de mise en
garde. Les bons médicaments sont amers dans la bouche, mais ils sont
efficaces contre la maladie.
Et les mots de mise en garde, ils ne plaisent pas a l’oreille, mais ils sont
une aide pour une famille en péril.
Mon père, lui, sourit d’un air satisfait à ceux qui lui donnent du poison et
pense du mal de celui qui lui impose ses médicaments. Comment cela
est-il possible, lui donner une chose nocive, alors que toute la famille
devrait être unie dans l’espoir de sa guérison ?
Le monde est vraiment mal fait !

Le 13. Ce matin, mon père a le coeur particulièrement léger, et il a
demandé : Je veux boire du saké ! Ceci étant formellement interdit par le
médecin, j’étais décidé à ne pas lui en donner un goutte tant qu’il ne
serait pas totalement guéri. Or les gens venus le voir, s’adressant à moi,
ont dit : Imaginez qu’il meure ! Après, vous n’auriez que des remords de lui
avoir interdit une chose qu’il aimait tant ! Si vous lui donnez, en quantité
raisonnable, une ou deux bouchées de ce qu’il désire, quelle que soit
cette chose, vous aurez fait une bonne action, pour sûr ! Ceux qui
attendaient la moindre occasion pour semer la discorde se tenaient là,
l’oreille dressée… Du coup, toute la matinée on a laissé faire au malade
ce qu’il voulait, en lui donnant et en lui redonnant [du saké].
Le malade, comme quelqu’un qui aurait [enfin] trouvé un bateau pour
traverser un gué, continuait de boire; à son visage, [on voyait bien] qu’il
satisfaisait un désir quotidien. On aurait dit une baleine aspirant la mer.
En une matinée, il absorba près d’un litre [de saké].
Même un enfant de trois ans froncerait les sourcils en voyant le
comportement grossier [de ma belle-famille], vis-à-vis de quelqu’un qui
n’a pas mangé un seul repas consistant pendant presque vingt jours.
Moi, Issa, j’avais beau serrer les poings, les mains moites de sueur,
je ne pouvais me battre seul contre deux, et finalement je n’ai pas réussi
à les empêcher de faire. S’il y a bien une chose déplorable, c’est cette
façon d’agir de la part de ceux qui, en apparence, sont pleins
d’attentions mais qui, dans leur for intérieur, ne souhaitent que la mort
de mon père !

Le 14. Ainsi ce matin, quand on observe bien son visage, on aperçoit des
boursouflures qu’il n’avait pas hier. Et ça, c’est difficile à accepter.
À coup sûr, les effets nocifs du saké ont dû lui monter au visage.
En fait, à bien y regarder, le nombre de boursouflures a doublé sur les
quatre membres aussi. Je me suis dit qu’un médicament contre les effets
nocifs de l’alcool serait bien utile, mais il n’arriverait jamais à temps dans
cette campagne perdue. Et je suis resté là sans savoir que faire.
On dit que l’homme désire voir ce qui est caché et manger ce qui est
interdit. Voila pourquoi mon père a dit : Je veux du saké.
Puis, à un moment donné, j’ai fini par me disputer [avec Senroku et sa
mère] en expliquant qu’aujourd’hui, quitte à m’opposer à ses volontés, je
ne lui donnerai absolument pas [de saké]. Alors mon père s’est mis à se
plaindre, sur un ton que j’avais rarement entendu : Tu n’es pas médecin, à
ce que je sache ! Qu’est-ce que tu en sais, toi ? Hier, j’ai bu, et ça n’a rien
change, alors je ne vois pas le problème ! Arrête de traîner en longueur,
et amène-moi [mon saké] en vitesse !
Là, je ne pouvais plus rien dire pour le ramener à la raison. Alors, je lui ai
donné [du saké], en lui faisant promettre qu’il ne boirait qu’une seule
tasse. Il but cette tasse en savourant et en lapant [le saké]. Je voyais
bien qu’il en désirait une autre, mais je lui dis: Tenez-vous en là ! et je ne
lui en donnai plus. Je pouvais entendre, à côté, ceux qui m’accusaient de
priver mon père. Mais il est quand même évident qu’on ne doit pas
aggraver une maladie en augmentant la fièvre avec du saké, comme on
ranimerait un feu en ajoutant des bûches!

Le 15. Inquiet de l’apparence du visage de mon père, j’ai attendu que le
jour se lève et je me suis mis à l’observer. [Au milieu du visage,] sur
l’organe qui indique la richesse ou la pauvreté, étaient apparues des
taches noires du plus mauvais augure.
J’aurais voulu montrer ceci au médecin immédiatement. Mais le médecin
se trouve à cinq lieues d’ici, et les [autres] habitants de la maison ne
m’auraient pas donné leur accord [pour le faire venir]. Il était inutile de
rester ainsi, seul à me tourmenter.
C’était aussi inutile que les coups de faux [désespérés] d’une mante
religieuse. Alors, je n’ai rien fait, et la nuit a fini par venir.
Or, depuis le premier jour qu’il est alité, mon père n’a pas manqué une
seule fois à la récitation matinale et vespérale des soutras.
Maintenant qu’il ne réussit plus à se lever de son lit, il reste sur sa
couche, à la lueur d’une faible chandelle, et il entonne ses prières
d’une voix qui n’est plus tout à fait la sienne. Je ne sais pourquoi, mais
l’entendre ainsi me rend plus triste encore. Moi, je souhaite seulement
que les [mauvais] jours passent vite. La nuit, j’attends le matin avec
impatience et le jour, j’attends le coucher du soleil. Cette nuit encore, je
l’ai passée à attendre la lumière du matin… Quand, enfin, le chant du coq
se fit entendre, le malade se réjouit et moi, je me sentis un peu rassuré.

Le 16. Beau temps. Ce qui m’inquiète [le plus], ce sont ces boursouflures
sur le visage. Cependant, parmi les gens qui viennent voir mon père,
certaines disent: Les maladies contagieuses, quand elles durent plus de
vingt jours, il n’y a pas lieu de s’inquiéter! Vu tout le temps qui est déjà
passé, tout va bien. Ayez confiance ! Mais d’autres gens disent, en
s’approchant de son oreiller: N’oubliez pas de faire ce qu’il faut pour
aller au paradis ! et, enjoignant le malade de prier, elles se mettent
elles-mêmes à entonner des soutras à haute voix. Les gens qui me
prêtent force, sans douter de la guérison de mon père, ont
des paroles agréables, même si ce sont des paroles gratuites. Mais je
déteste les gens qui montrent à mon père la voie du paradis, même s’il se
peut qu’elles aient raison. De toutes façons, nous nous trouvons dans
un village ou personne ne comprend les enseignements saints.
Les habitants de cette maison, à commencer par mon frère cadet,
murmurent des choses comme ceci: Que mon père parte dès maintenant
pour le paradis bouddhique, et il aura bien vécu sa vie ! Il n’y a pas une
seule personne qui désire la guérison de mon père. Tout ce qui sort de
leurs bouches appartient au monde de l’incompréhension et de l’orgueil.
On reconnaît bien là les restes de cette coutume ancienne qui consistait
à abandonner les vieilles personnes[dans la montagne] .

Le 17. De jour en jour son visage est de plus en plus boursouflé, et il a
aussi la gorge prise, ce qui m’inquiète tout autant. Dès le début de la
maladie de mon père, on pouvait observer une légère toux, mais c’est
maintenant devenu le principal souci causé par la maladie, avec les
boursouflures. Jusqu’à présent, ce n’était pas bien grave, et la toux
s’apaisait avec de l’eau sucrée. Mais maintenant, le commun des mortels
n’y peut plus rien faire. Alors, j’ai envoyé un courrier express à Jinseki de
Nojiri. Puis j’ai attendu impatiemment sa venue. Au bout du compte, la
journée s’est terminée et, moi, je me demandais ce qui était arrivé [au
médecin]. D’habitude, je passais toutes mes nuits à attendre l’aube,
laquelle vient particulièrement vite en ce mois de juin. Or, cette fois-ci, la
nuit me parut bien longue, à cause du médecin qui tardait à venir.
Quoiqu’il en soit, l’heure du repas du matin arriva et mon père sembla un
peu soulagé.

Le 18. Au matin, mon père semblait se sentir un peu mieux, et il me dit: Je
veux me redresser et m’adosser au futon ! Moi, tout heureux, je pliai son
futon comme à l’habitude. Cependant, après quelque temps adossé, il
commença à avoir du mal à respirer et me dit : Je veux m’allonger à
nouveau ! À ce moment précis, Jinseki arriva et, s’empressant de voir
l’état de mon père, me dit : Son pouls est satisfaisant. Seules les
boursouflures et la toux ne sont pas normales; je vais vous donner un
médicament pour réduire les boursouflures. Alors, il prit sa cuiller à
pilules et prépara immédiatement une solution, que l’on fit boire à mon
père. Il semble que cette solution convient bien à la maladie, car mon
père urina plusieurs fois puis, soulagé, s’endormit paisiblement.
Alors que je lui massais les pieds comme à l’habitude, il se réveilla
soudain, et me dit : Tu sais, je te suis reconnaissant de t’occuper de moi,
comme ça, sans compter les jours et les nuits. Se retrouver ainsi, dans de
tels moments, voila [ce qu’on appelle] des liens profonds entre un père
et son fils ! Il ne faut pas que tu voies uniquement le côté désagréable !
Il pleurait tout en parlant. Moi, je lui dis : Si je suis en vie aujourd’hui, je le
dois entièrement à l’amour de mes parents !
Alors, même si votre maladie durait dix ans, ou même vingt ans, je ne vois
pas pourquoi j’éprouverais le moindre ressentiment envers mes parents.
Ayez le coeur en paix et faites en sorte de guérir ! Et lui de me répondre :
Moi aussi, j’ai espoir en la guérison, mais cette maladie est ce que j’ai
connu de pire dans ma vie… Qui sait ce qui peut m’arriver, à n’importe
quel moment ? Alors, même si je devais partir pour l’au-delà, il faut que tu
obéisses à ce que j’ai dit, que tu prennes femme et que tu ne t’éloignes
plus de ce pays ! Même après ma mort, tu ne dois pas t’opposer à mes
volontés ! Alors, je lui dis pour le rassurer: Vos paroles sont d’une telle
bonté. Et moi, bien que j’aie un coeur de bois et de pierre, je vous
promets devant les dieux du Ciel et de la Terre que je ne m’écarterai
jamais de vos volontés, même si vous deviez disparaître !
Sur ce, mon père dormit paisiblement et la journée se passa dans la
tranquillité. Vers quatre heures de l’après-midi, comme il y avait un départ
pour le Zenkoji, mon père demanda qu’on lui rapportât du sucre.
Alors [ma belle-mère] se mit de mauvaise humeur et éleva la voix: Ça fait
combien de fois qu’on achète du sucre, combien de fois jusqu’à présent !
Et elle continua à discuter du prix des choses : Tu as l’intention de
manger encore du sucre, alors que tu es en train de mourir !Et une
nouvelle dispute commença.
De temps en temps, mon père me disait de manger [un peu] du sucre que
j’utilisais pour la confection de son traitement contre la toux. [Ma belle-mère]
avait dû s’imaginer que je mangeais moi-même le sucre et elle s’était
mise à nous insulter de cette façon.
Quoiqu’on en dise, c’est un monde bien effrayant que celui de la
cupidité.
Ce soir-la, vers onze heures et demi, mon père eut une forte poussée de
fièvre, et il me dit: Je veux de l’eau fraîche ! Alors que je sortais pour aller
chercher de l’eau au puits, mon père, qui se croyait peut-être revenu au
temps de mon enfance, me dit, pour me mettre en garde : Ne tombe pas
dans le puits ! Ma [belle-]mère, déjà couchée, entendit ceci et répondit
sur le champ : Ah, ton fils, ton trésor ! Tu l’aimes donc tant que ça !
Elle était en furie, les yeux écarquillés, les cheveux dressés sur la tête
comme des aiguilles, avec un regard plein de haine. On aurait cru,
en effet, qu’elle était en train de se transformer en serpent.

Le 19. Jusqu’à maintenant, mon père souriait d’un air confortable quand
[il sentait] l’arrivée du matin. Mais ce matin, il n’a même pas voulu boire
d’eau chaude, et son teint n’inspirait pas non plus la confiance. A partir
de midi, la maladie se transforma. Il ne se tordait plus [sur sa couche] et
ne gémissait plus en disant : Masse-moi ici ! Frappe-moi là, dans le dos !
Il se tenait seulement là, allongé comme un bouddha en bois, et
sommeillait en silence. Quelqu’un m’a dit : L’esprit de la maladie
contagieuse est en train de se retirer. Votre père ne va pas manger
pendant trois ou quatre jours, mais ceci n’est certainement pas mauvais !
Je souhaite du fond du coeur la prompte guérison de mon père. Ainsi,
apprendre de telles choses, c’est à la fois un bonheur pour mon père et
aussi une vraie consolation pour moi, qui travaille à la guérison de la
maladie. Au milieu de la nuit, vers quatre heures du matin, tout le monde
dormait tranquillement et la lampe éclairait à peine [la chambre]. On
entendait de temps en temps [la chouette chanter] nori suri oke…
Moi aussi, à cause de la fatigue accumulée, je dormais à moitié, en
dodelinant de la tête. Alors que tout était calme alentour, mon père
ouvrit grand les yeux, et dit : A…A…Allons-y ! Emmène-moi là-bas !.
Alors, je lui demandai : Où, où ça voulez-vous aller ? Et il prononça d’une
voix haute et claire, comme du temps où il n’était pas malade : Mais
voyons, bien sûr ! Au pays des âmes exaucées ! Moi, je me tenais à
l’écoute, inquiet, me disant que quelque chose devait lui déplaire, ou qu’il
s’agissait d’un délire. Alors, il fit des gestes pour signifier que je devais me
lever, et recommença à dire sans cesse : Allez, allons-y, allons-y ! Allez !
Moi, je répondis de même, quatre, sept ou neuf fois peut-être : Oui,
allez, allez ! Puis il se rendormit paisiblement. Quand j’y repense
maintenant, je me dis qu’il s’agissait là des derniers mots et, en quelque
sorte, des paroles d’adieu de mon père.

Le 20. La fièvre de mon père monte peu à peu. Ce matin, il a mangé une
seule bouchée de fécule de dent-de-chien diluée dans de l’eau.
Mais, à partir de midi, son teint est devenu verdâtre. Ses yeux restaient à
moitié fermés et il ne cessait de bouger les lèvres comme s’il voulait dire
quelque chose. À chaque respiration, il toussait en agonisant.
Et, peu a peu, son état s’affaiblissait encore. Au moment où le soleil à la
fenêtre approchait de sa dernière heure, il ne réussissait même plus à
reconnaître les gens autour de lui. Tout espoir était perdu. Ah, quelle
tristesse ! Moi, j’aurais donné ma vie pour que mon père retrouvât la
santé, ne serait-ce qu’une fois ! Toutes ces choses qu’il voulait manger,
je les lui avais interdites parce qu’elles étaient mauvaises pour sa maladie,
mais, rendu à ce point, même les soins de Giba ou de Henjaku n’auraient
servi à rien. Les nombreuses divinités du Ciel, non plus, n’y pouvaient
rien changer. Il n’y avait rien d’autre à faire que de réciter des prières
bouddhiques.

Est-ce le dernier jour
Que je passe à chasser les mouches
Du lit de mon père ?

Et la journée s’est terminée ainsi. Moi, sans savoir vraiment pourquoi, je
mouillais simplement les lèvres de mon père avec l’eau du récipient qui se
trouvait à son chevet. La lune du vingtième jour brillait à la fenêtre et tout
le monde dans la maison dormait paisiblement.
Sur ce, le chant du coq se fit entendre au loin et à ce moment le bruit de
la respiration de mon père devint beaucoup plus grave. Sa toux, qui
m’inquiétait depuis le début, lui obstrua plusieurs fois la gorge.
Ah, quelle tristesse ! Le fil précieux de la vie ne pouvait plus être
remplacé, mais j’espérais seulement qu’on pût débarrasser mon père de
cette toux !
Cependant je n’étais pas [le docteur] Kada et je ne connaissais aucune
technique merveilleuse.
Les dieux du Ciel et de la Terre n’avaient pas non plus eu pitié de moi.
Et je restais là, les mains vides et ballantes, avec ma souffrance intérieure
et ma tristesse, car je ne pouvais rien faire d’autre que d’attendre la fin.
Alors, la nuit commença à s’éclairer. Et, vers cinq heures du matin, mon
père, comme s’il s’endormait, cessa de respirer.
Quelle tristesse ! Je m’agrippai à son cadavre vide en souhaitant que ce
ne fût qu’un rêve et que je me réveillasse bientôt.
Rêve ou réalité ? En tous cas, j’avais l’impression d’avoir perdu mon
flambeau dans les ténèbres, et je me retrouvais seul au monde.
Les fleurs du printemps cruel, répondant à l’invitation du vent , se
dispersent. La lune d’automne, en ce bas monde, se cache [souvent]
entre les nuages… Il va sans dire que tous les êtres vivants de ce monde
doivent mourir un jour et que toute rencontre précède une séparation.
Chacun doit un jour emprunter cette voie. J’étais bien sot, en fait, quand
je pensais que la mort de mon père n’était pas pour aujourd’hui ou pour
demain. Et j’ai beau l’avoir veillé avec tout mon coeur, sans dormir, nuit
après nuit, tout cela ne fut qu’un peu d’écume disparue en un instant.
Même ceux qui, l’avant-veille encore, nourrissaient de l’inimitié à l’égard
de mon père et se disputaient avec lui versent de chaudes larmes
accrochés à son cadavre et ont du mal à réciter clairement les soutras.
C’est dire qu’il existait encore un lien conjugal entre ceux qui ont vieilli
ensemble et qui doivent finir dans la même tombe. Là, je pouvais m’en
apercevoir.
Comme le moine doit venir du village de Shihozaki, qui se trouve à neuf
lieues d’ici par la route, les funérailles sont prévues pour demain, le 22.
Les gens auxquels mon père était lié se sont rassemblés ici et ont
confectionné des fleurs en papier plié, entre autres choses… Pour un
instant, on avait l’impression d’oublier un peu sa peine. Alors, le soleil
descendit à la hauteur du mur et les corbeaux de la montagne,
annonçant le soir, s’envolèrent en direction des sommets de l’ouest. Puis
la cloche du soir dont le son [rappelle] l’instabilité de ce monde résonna
au dessus de chacun de nous.
Or, la venue du soir est déjà un moment nostalgique en temps normal.
Et quand la plupart des invités furent rentrés chez eux, même la lumière
de la chandelle à laquelle j’étais habitué me semblait insuffisante. Ceci
augmentait encore ma tristesse. Alors je me suis dit que ce soir-là était le
soir de la vraie séparation, et j’ai passé la nuit auprès du corps du mon
père, à l’observer, allongé là entre les nuées d’encens. L’avant-veille au
matin, il discutait encore des choses du passé et de l’avenir, et voilà que
maintenant il se retrouvait transformé en un corps inerte. D’ailleurs, ce
jour-là, je l’avais vu sourire pour la dernière fois. Jusqu’alors, et malgré
les souffrances de la maladie, la venue du matin lui procurait quelque
réconfort. Même en ce mois de juin où les nuits sont si courtes,
mon père était [toujours] impatient que le soleil se lève. Moi aussi, j’avais
hâte de voir le visage heureux de mon père quand l’aube vient, et je
maudissais [le retard] de la cloche et du coq . J’attendais toujours le
matin avec impatience, mais, cette fois, le matin qui venait était celui de la
séparation des liens de ce monde. A y penser, ma poitrine était remplie
[de peine] et j’avais le coeur brisé. Comme j’étais seul dans la chambre ,
je ne craignais le regard de personne. Ainsi, je pus verser des larmes de
sang et, les yeux brouillés, je ne dormis pas de la nuit.
Je restai là, à regarder le visage du défunt, et la nuit qui, jusqu’alors, me
semblait si longue, passa très rapidement.

Le 22. Les proches se sont rassemblés et le triste cadavre fut placé dans
son cercueil. Mon père n’est maintenant qu’un souvenir fragile et,
pourtant, les rumeurs vont déjà bon train. Quel monde pitoyable !
Hélas, – je ne sais pour quel péché commis dans une autre vie – je n’ai pas
pu vivre auprès de mes parents et les servir, bien que je sois l’aîné de la
famille. Cela dit, on ne peut pas dire que j’ai dilapidé le patrimoine de mes
parents en me complaisant dans les jeux de hasard et autres plaisirs.
Le Ciel a dû me réserver ce destin malheureux en punition des
méchancetés que j’avais commises dans une vie antérieure.
Même lorsque j’ai voulu faire preuve d’un pouce de piété filiale, j’ai
rencontré dix fois plus de diabolique jalousie.
Cette maison n’a jamais connu la paix, même pour un instant aussi-court-que-les-bois-des-faons. Au début de mon quatorzième printemps, mon
père a jugé qu’il fallait m’éloigner un moment du pays natal et, quittant
avec moi cette maison d’un air abattu, il m’a accompagné jusqu’à Mure.
Là, il m’a dit, en me parlant de tout son coeur : Ne mange rien de mauvais !
Ne te fais pas détester des gens ! Et reviens-moi vite, que je voie à
nouveau ton visage resplendissant ! Alors, comme je sentais que,
malgré moi, les larmes me montaient aux yeux, afin de ne pas paraître
indécis et d’éviter les moqueries de ceux qui partaient avec moi, afin aussi
de ne pas montrer à mon père quelque faiblesse, j’ai rassemblé tout mon
courage et je me suis séparé de lui.
Puis, à partir de ce jour-la, j’ai parcouru diverses provinces afin
d’apprendre le métier [de poète]. À l’est, j’ai composé pour la lune de
Matsushima ou de Kisakata et à l’ouest, j’ai murmuré des vers pour les
fleurs des cerisiers du Mont Yoshino ou du temple de Kohatsuse.
Sans aucune intention fixe, tel l’éclair [qui tombe au hasard], j’ai mené
ainsi mon existence, de montagne en montagne, de plage en plage,
jusqu’à ce que mes cheveux blanchissent comme du givre. Si je m’étais
trouvé au fond des montagnes, là où-les-arbres-sont-des-mirages, voire
dans un village perdu sur une route où-les-arbres-sont-enterrés, je ne
me serais certainement jamais douté, même en rêve, que la dernière heure
de mon père approchait.
Or cette fois, sans que je m’y attende, il m’a été donné de suivre sa
maladie du début à la fin; ceci montre que la corde qui liait nos destinées
n’était pas encore cassée. La divinité de Suwa-aux-mille-pouvoirs aurait-elle intercédé en notre faveur ? C’est tout à l’honneur de mon père et de
sa vie passée. Aujourd’hui, vers quatre heures de l’après-midi, une averse
passa entre les arbres, puis le temps se dégagea et, alors que le soleil
couchant brillait faiblement à travers les gouttelettes des herbes,
le moine de Shihozaki arriva enfin.
Tout de suite, le cortège funéraire se mit en route.
Les femmes qui étaient liées à mon père portaient sur la tête des tissus
en coton de couleur blanche et, le long du chemin plein de rosée, elles
pleuraient à volonté comme des cigales en été. Moi, j’essayais de cacher
ma tristesse, qui était indicible comme-la-couleur-des-fleurs-de-corête,
mais je n’avais aucun moyen de retenir mes larmes.
Le chemin n’était pas long.
Le cercueil fut placé sur un tas d’herbes. Je ne trouvais même plus la
force de tenir un bâtonnet d’encens entre mes doigts et j’avais
l’impression que tout ceci était un cauchemar. Le moine termina la
récitation du soutra, et le cercueil disparut dans la fumée.
C’est ainsi : rien ne dure, tout se transforme en ce monde.

Le 23. Dès l’aube, afin de procéder au recueillement des cendres, chacun
s’est muni de baguettes en bois de saxifrage et s’est dirigé vers la lande
d’Adashi. Ce matin, même la fumée, dernier souvenir [de mon père], s’est
dissipée, et tout ce qu’on voit, en réalité, c’est le vent soufflant tristement
dans les pins. Un soir de mars dernier, je retrouvais mon père, je trinquais
joyeusement avec lui, et voila que ce matin à l’aube, je [me trouve là à]
ramasser ses os blancs dans la tristesse de la séparation.
Joie et colère, misère et plaisir sont, dans ce monde, comme deux cordes
tressées l’une dans l’autre.
De toute façon, maintenant, plus rien ne peut m’étonner.
Mais mon seul soutien, depuis mon retour au pays natal jusqu’à ce jour,
c’était mon père. Maintenant, sur qui puis-je compter pour me prêter
force ? Je n’ai ni femme ni enfant pour consoler mon âme. Je suis plus
inconsistant que l’écume de l’eau qui vagabonde. Mon existence est plus
fragile qu’une poussière face au vent. Pourtant, [dans mon
cas,] le fil précieux de la vie ne veut pas rompre facilement.

Moi, je reste en vie,
Avec la rosée des herbes
Tombée sur mes mains !

Vers midi, des gens vinrent pour nous rendre visite, nous encourager et
parler de choses et d’autres. J’avais l’impression d’oublier un instant ma
tristesse. Mais le soir venu, la plupart des gens rentrèrent chez eux.
Et, même à la lueur de la chandelle, l’endroit où se trouvait la couche du
malade avait quelque chose de nostalgique. J’avais le sentiment que mon
père ne s’était endormi que pour un moment et que j’étais en train
d’attendre son réveil. J’avais encore cette vision de son visage souffrant
et j’entendais dans le fond de mon oreille sa voix qui m’appelait.
Dès que je somnolais un peu, il m’apparaissait en rêve et quand j’ouvrais
les yeux, je me retrouvais face à son image.

Nuit après nuit,
Les puces et les moustiques
Étaient son dernier souci !

L’eau qui s’est écoulée ne revient pas en arrière, et la pierre à feu [après
l’étincelle] n’est plus la même pierre. On pourrait pleurer huit mille fois,
cela n’y changerait rien : les êtres auxquels nous sommes liés s’éloignent
tous un jour.
Comme exilé dans un pays inconnu, moi, pauvre Issa solitaire, je n’ai plus
aucun soutien et je sens, en mon for intérieur, une tristesse digne de
pitié.

Le 28. C’est aujourd’hui le septième jour du deuil. [Je me souviens que]
mon père disait aux gens qu’il fallait que je prenne femme et que je
m’installe au pays. À moi aussi, il m’avait fait entendre raison sur ce sujet.
Mais certaines personnes ont feint de ne pas entendre et font la sourde
oreille. Il s’agit d’individus totalement asservis à leur cupidité, et je ne vois
pas comment ils se plieraient aux dernières volontés de mon père.
Cela ne servirait à rien de leur faire face encore une fois, le visage rouge
de colère.
Dus-je suivre à nouveau les nuages et l’eau qui coule, rester caché entre
quelque arbre et quelque rocher, endurer la pluie, supporter le vent, je
n’ai pas à avoir honte de ma condition de vagabond solitaire.
Mais ce serait désobéir aux volontés de mon père que d’abandonner
[tout espoir] sans dire mot.
Même une mauvaise pierre [a feu] fait des étincelles si on la frappe.
Même une cloche cassée résonne quand on cogne dessus.
La nature des choses est ainsi faite.
Quoiqu’il arrivât, je ne voulais pas quitter le pays sans explication,
ce qui aurait été contraire au désir de mon père défunt.
Nous avons donc discuté du partage des terres et il a été dit que la
volonté de mon père serait respectée.
Pour le reste, je laisse la branche aînée de la famille donner ses
instructions, et je cesse les discussions à partir de ce jour.

J’aimerais tant voir
L’aube et ces rizières vertes
Avec mon père !

***

Les faux-haïkus de Thomas Pilaster

15 octobre 2012

Rubrique : Les faux haïkus de Thomas Pilaster, in « Capacités réduites ».
Dans sa notice d’introduction, l’auteur * nous informe :

« Il faudrait s’entendre à la fin sur la définition du haïku. Le haïku est exclusivement japonais, intraduisible sans dommages. Sa construction rigoureuse – trois vers obéissant à une invariable métrique 5.7.5 – ne souffre nulle approximation, non plus que l’assemblage des petits os d’un squelette de rossignol et pour les mêmes raisons.
Apparu au XVè siècle, il est d’abord la forme privilégiée du jeu de mots et l’humour demeurera par la suite l’une de ses nuances essentielles, peut-être la plus subtile, autant dire que les tercets comiques de Pilaster ne relèvent pas du genre. »
(p.167)

« Le haïku s’apparente pour lui à une technique de chasse aux papillons sans les mains, sans filet ni chloroforme, également efficace pourtant puisque le spécimen capturé rejoint les autres crucifiés de la collection. Or le haïku japonais au contraire offre l’éternité à l’éphémère papillon ; le petit escargot n’est pas au bout de ses peines (« Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji »), mais Issa a construit tout exprès pour lui un escalier à sa taille.
De toutes façons, il faut être un cuistre affirmé pour oser profaner un genre poétique si singulièrement lié à un peuple et à sa culture. »
(pp. 169-170)

« Bashô a longtemps vécu dans un monastère bouddhiste et sa poésie se souvient de ce séjour. »

« Cette sagesse est évidemment étrangère à Pilaster qui ne recourt à la forme brève, au contraire, que pour n’être pas obligé de parler d’autre chose que de lui-même, de déborder du seul sujet qui l’occupe : son moi chétif et avaricieux tient tout entier dans chacun de ses tercets. »
(p.168).

« CAPACITÉS RÉDUITES » :

Je me ferai connaître
on ne verra que moi
par les fenêtres °

° « Le lecteur pourra au moins s’amuser à repérer dans ces tercets des effets de rimes ou d’assonances appartenant aux formes poétiques les plus désuètes, ainsi que des octosyllabes ou des alexandrins non moins sonores d’être différemment articulés -… »

Donc les arbres grandiraient
plus vite s’il pleuvait
de la soupe

Oh moi
je n’aurais pas osé
rayer le tigre

Le paon
se marie
à l’église °

° « Voir « Autant d’hippocampes » p. 85. D’une seule phrase, (« Le paon se marie à l’église. ») Pilaster fait trois vers. Le profit est évident. Mais l’effort est-il suffisant pour changer le phraseur en poète ? Notons au passage que dans l’annuaire du téléphone les noms et les numéros sont également disposés en colonnes. »

Ma grosse voisine nue
sa silhouette de danseuse
par le trou de la serrure

Quel bonheur
vous ici
moi ailleurs

Vite un sucre
pour ma phrase debout
sur ses pattes arrière °

° « L’auto-dérision ne saurait signifier qu’il n’y a pas effectivement de quoi rire ni dispenser personne de se moquer. »

Il n’aura pas volé
son rhume le bonhomme
de neige

Je suis mort dans mon lit
c’est moins formidable
qu’on ne le dit

Que ma veuve ° répande
autour d’elle dans le vent
ses cheveux

° « Pour un bon mot, certains, dit-on, n’hésiteraient pas à tuer père et mère. Pilaster, non moins cruel et cynique, feint d’oublier que sa femme est morte depuis quinze ans. »

Mon regard
depuis longtemps éteint
parvient encore aux étoiles

* Éric Chevillard, in ‘L’œuvre posthume de Thomas Pilaster’, éd. de Minuit, 1999, pp. 165-178.

°°°

Poèmes de mort de haijins – ISAN, ISSA.

27 janvier 2012

°
ISAN
(mort en 1698)

De ne pas avoir honoré mes parents
de mon vivant, à mes dernières heures
je ressens du remords

*

Les nuances automnales
des renouées ont l’air
de coupes de vin

Isan, apparemment disciple de Bashô, laissa deux poèmes de mort. Le premier traite des plus hautes injonctions de la doctrine de Confucius : l’honneur de ses parents. Il semble que ce verset qui ne respecte pas la forme – : l’original contient 24 syllabes – ni le contenu poétique, fut prononcé plus par Isan le fils que par Isan le poète.

°
ISSA
(mort le 19ème jour du onzième mois de 1827, à 65 ans.)

Qu’importe si je survis –
une tortue vit
cent fois plus longtemps

*

D’une cuvette
à une autre –
choses et charabia

On considère qu’Issa est un des plus grands haijins au Japon. Parmi les gens du commun, il est peut-être aimé plus que tout autre, à cause des vicissitudes de son existence, et de la simplicité humaine de sa poésie. Les annales de sa mort n’indiquent pas qu’il écrivit un poème de mort; ces deux poèmes sont tenus pour être ses jisei, par tradition populaire.
Une ancienne croyance orientale désigne la tortue comme un symbole de longue vie, lui attribuant une existence de dix mille ans. Un homme vivrait-il cent ans que sa vie ne durerait qu’un centième de celle de cette créature couverte d’une carapace qui traîne sa queue dans la boue. Pourquoi alors un homme devrait-il demander une autre année, un autre mois, un autre jour ?
Le mot « tarai » du second poème fait référence, peut-être aux « cuvettes » grâce auxquelles on nettoie les nouveaux-nés et les morts. La vie humaine n’est pas plus que charabia (« chimpunkan » désigne, familièrement, les sons inintelligibles d’une langue étrangère) qui commence au berceau et finit dans au tombeau.

°
(à suivre : ISSHO)

Pour contrer Barthes (et autres Sieffert…) ?

21 novembre 2011

Retrouvé, de Jean Sarocchi, dans la Revue d’études Japonaises « Daruma » n°1,
du printemps 1997, au sein de son article « traduire le haïku », pp.17-80 :

°

« les 17 syllabes du haiku traditionnel, réparties 5/7/5, sont souvent rendues,
en français ou en anglais, par un compte à peu près égal de syllabes, réparties
en trois vers. Il suffit de lire des haiku dans leur graphie japonaise pour
s’apercevoir à l’oeil nu (c’est-à-dire non armé d’intellection) que les trois
vers n’y sont pas, ou rarement. Or le spécialiste patenté, René Sieffert,
s’applique, tel un scrupuleux écolier, à ce comptage, sans éviter pour autant le
mécompte. (…) En revanche, fasciné par Barthes, dont l' »Empire des signes »
figure, dans la décennie 1970-80, une sorte de livre canonique, [Maurice Coyaud]
ne s’interroge nullement sur la sorte d’intimité que Barthes entretient avec le
haiku. Et si je fronde les spécialistes parce qu’ils échouent à traduire, il me
faut avec eux m’étonner que les traductions soient reçues telles quelles, sans
soupçon, par des écrivains aussi subtils que Barthes. Mais Barthes n’est pas un
poète, le signe a trop d’empire sur lui. »
(p.19)

°
(p.29 :)

« si Roland Barthes se leurre dans l' »Empire des signes » quand il espère
s’initier là-bas à une « systématique de l’inconcevable », ils ([Merleau-Ponty et
Barthes] nous charment, l’un et l’autre, par ces « abstracts » de philosophe ou de
sémiologue, qui trahissent leur ancrage d' »Occidentaux ».

°

(p.31)
« Je n’ai pas lu Bashô, Barthes non plus ne l’a pas lu, ni même Bonnefoy ou
Jaccottet : font comme si ; leur contradiction, c’est d’avouer qu’ils n’y
entendent rien, puis de commenter ou de célébrer comme s’ils avaient entendu  »

°

(p.42)
« On peut s’étonner que Barthes, si fasciné par les signes, et convaincu qu’un
signe ne s’ouvre jamais que sur le visage d’un autre signe, n’envisage pas,
citant des haiku, les signes japonais, chaque fois, correspondant, et leur
calque phonique, pire, qu’il ne s’interroge même pas sur la qualité de ces
signes traduits dont il se suffit comme s’ils appartenaient à « l’empire des
signes », au même titre que la tempura ou le sashimi. A fortiori s’étonnera-t-on
que Bonnefoy, poète, lui, et de surcroît capable sur l’écriture-peinture du
haiku d’une pénétrante réflexion, se hasarde à interpréter des poèmes dont il ne
vérifie pas le graphisme et la sémantique, s’exposant ainsi à des bévues. »

°

(p.51)
 » L’on prétend que le haïku suspend le sens, ne veut rien dire (Barthes), donc
le commentaire serait impossible. Faux ! Le haiku veut toujours dire quelque
chose. L’idée que ça ne veut rien dire est une coquetterie de sectaires
précieux. Buson écrit : « c’est le soir, l’automne je pense seulement à mes
parents ». Si le commentaire ici n’est pas de mise, ce n’est pas que le sens soit
manquant, c’est qu’il est transparent. Mais nombre de haiku tels quels
(traduits) décevants pour le lecteur étranger gagnent évidemment à être
commentés. »

°

(p.58)
« Question de mouche, je ne sens aucune différence entre Issa (« dans la véranda
la mouche frotte ses mains suppliantes on la tue ») et moi. Tout le discours de
Barthes sur la différence japonaise s’effondre : capucin de cartes truquées. »

°
Bien à vous,
D.

Haiku : A Poet’s Guide – Lee Gurga – (4)

24 août 2011

p.5 :

Haïku japonais classique

Dans son livre Le Haiku Essentiel (The Essential Haiku) Robert Hass présente l’oeuvre de trois haïjins célèbres : Bashô Matsuo, Buson Yosa et Issa Kobayashi. Les Japonais reconnaissent traditionnellement quatre grands maîtres : ces trois-ci et Shiki. Quelques uns de nos jours feraient de Chiyo-ni (1703-1775), la plus célèbre des femmes maîtresses du haïku, la cinquième.
Bashô, premier des grands maîtres du haïku, fut actif pendant la deuxième moitié du dix-septième siècle. Il vécut à une période où le haikai no renga (poésie liée) était à l’apogée de sa popularité. Le haikai no renga descendait de la poésie raffinée de cour appelée simplement renga. Une dérivation populaire de la classe des marchands, le haikai no renga était apprécié pour son humour et son exposition d’esprit verbal. Bien qu’il soit connu de nos jours comme un grand haijin, Bashô gagna sa vie, en fait, en enseignant le haikai no renga. Au fur et à mesure que le temps passa, le caractère superficiel de la plupart des choses qui s’écrivaient alors le mécontenta, et il s’efforça de développer par le hokku une poésie de plus grande profondeur. Son poème le plus célèbre :

vieille mare…
une grenouille saute
bruit de l’eau

est remarquable par sa simplicité et son absence d’étalage verbal. On peut l’interpréter soit comme un rapport sans ornement de quelque chose que Bashô expérimenta, ou comme l’énoncé profond d’une illumination Zen.
[…]

L’Essence du Haïku 3) par Bruce Ross

3 août 2011

« J’ai vu les coupes et les tables de Platon,
mais pas son « esprit-coupe » ni son « esprit-table ».
: Diogène.

II) Le Particulier

Si cette chose mystérieuse est l’apparition de l’universel, cette apparition ne peut se manifester qu’à travers le particulier. Le particulier lui-même a sa propre qualité de mystère. Dans les meilleurs haïku, c’est le mystère du particulier qui en est l’essence. Essence que l’on trouve dans la sauterelle d’un haïku d’Issa :

une bise fraîche,
la sauterelle qui chante
de toute sa force

Qu’est-ce qui pourrait être plus simple qu’écouter une sauterelle ? Issa a particularisé, peut-être même personnalisé cette créature. Ce ne sont pas toutes les sauterelles qui exposent leur similitude, leur « esprit-sauterelle » dans celui-ci. Dans ce haïku, c’est une seule sauterelle qui produit son chant avec un grand enthousiasme. Elle se particularise par cet événement à ce moment particulier. La vie évidente de cette petite créature rend ses efforts à la fois nobles et comiques. Ce n’est pas un simple insecte ou une simple sauterelle : c’est cette sauterelle en particulier dans cette scène précise.
Le phénoménologiste Edmund Husserl voulait fonder l’activité mentale philosophique, dans le projet cartésien, sur le véritable contenu de la perception. Il suggéra une fourchette d’expériences pour en déterminer l’essence, et ainsi son credo était « zu den Sachen », « aux choses elles-mêmes ». Le haïku est ainsi. Il […] expérimente un moment du temps tout en particularisant les composantes de ce moment. Comme la « fourchette » de Husserl, il y a un élément central de vérité dans l’expérience-haïku.
Considérez l’escargot dans ce haïku de l’anglais David Cobb :

dans le jardin sombre
un éclair lointain –
la trace d’un escargot

L’escargot – ou plutôt son absence – est circonscrit par l’éclair qui illumine momentanément la trace brillante de la créature. L’auteur se trouve dans un jardin la nuit, en train peut-être d’observer l’orage lointain. Puis une révélation : la trace d’un escargot. Une telle trace est chose petite,lisse, luisante. Où est la vérité ici ? L’auteur peut être étonné ou émerveillé par la clarté luisante de la trace et considère peut-être un escargot, cet escargot, d’une nouvelle manière : une présence dans une absence. Par dessus tout, il y a un peu de mystère, comme si on voyait un fantôme vivant, dans cette trace. Le mystère de la trace de l’escargot fait aussi le lien avec le mystère de l’éclair, apportant tous deux la clarté et l’illumination au milieu des ténèbres.

(à suivre : III) Sentiment et Emotion.)

40 HAIKU d’hiver – ARBRES et FLEURS – Blyth – p.1266-1281.

13 juin 2011

°
(p.1266 :)

le soleil couchant
derrière le nid de l’aigle
dans les branches du camphrier

Bonchô



chrysanthèmes d’hiver;
du son de riz tombé
autour du moulin manuel

Bashô

après les chrysanthèmes,
en dehors du radis blanc,
il n’y a rien

Bashô

°
(p.1267 :)

allant arracher les radis blancs,
le petit garçon
perché sur le bât

Bashô

à cheval sur le navet long,
je tirai de toutes mes forces :
sa petite racine !

Ginkô

l’arracheur de radis blancs
montre le chemin
avec un radis blanc

Issa

°
(p.1268 :)

dans la rivière hivernale,
arraché et jeté,
un navet rouge

Buson

des démons semant de l’orge
dans les longs rayons
du soleil couchant

Buson

ombres d’hommes
semant de l’orge
dans les longs rayons du soleil couchant

Buson

°
(p.1269 :)

désolation hivernale ;
dans la cuve d’eau de pluie
marchent les moineaux

Taigi

désolation hivernale ;
des ordures déposées
au fond de la rivière

Ichiku

parmi les arbres de l’hiver
quand la hache s’enfonça,
l’odeur !

Buson

°
(p.1270 :)

les deux rois Deva
tannés par les intempéries
au milieu des bocages d’hiver du temple Mii

Kikaku

dans le bocage hivernal
des échos
d’il y a bien, bien longtemps

Issa

°
(p.1271 :)

l’herbe de la pampa tombe :
l’oeil peut voir
le froid qui augmente

Issa

herbe de la pampa flétrie ;
il était une fois,
une vieille sorcière…

Issa

après avoir acheté des poireaux,
je m’en revins
parmi les arbres desséchés

Buson

°
(p.1272 :)

les jonquilles,
enclos dans la barrière du jardin :
Mont Tsukuba

Issa

des renards jouent
parmi les narcisses ;
claire nuit de lune

Buson

musique sacrée de nuit;
dans les feux de joie
volettent les feuilles teintes

Issa

°
(p.1273 :)

il a l’air d’avoir cent ans,
le jardin de ce temple,
avec ses feuilles tombées !

Buson

les feuilles étant tombées,
qu’elle est misérable, la glycine
du vieux temple !

Buson

de près, de loin,
on entend la voix des cascades,
les feuilles tombent

Bashô

°
(p.1274 :)

le feu pour la pêche;
les vagues lappant,
feuilles teintées qui tombent

Richô

°
(p.1275 :)

le vent apporte
assez de feuilles
pour faire un feu

Ryôkan

le chaton
immobilise la feuille
un moment

Issa

°
(p.1276 :)

les feuilles qui volent
dans le champ d’en face
provoquent le chat !

Issa

°
(p.1277 :)

les feuilles tombées ont sombré
et gisent sur un rocher
sous l’eau

Jôsô

les feuilles du chêne
sont tombées ce matin ;
cuve au soja caillé

Issa

°
(p.1278 :)

les feuilles tombent
pour pour le gagne-pain
du coucou

Issa



les feuilles tombent;
je n’ai même pas
de fût à saumure

Bashô

°
(p.1279 :)

soufflant de l’ouest
les feuilles se rassemblent
à l’est

Buson

quand le vent souffle du nord
les feuilles fraternisent
au sud

Buson

la tempête de montagne
repousse ensemble
les oiseaux aquatiques

Buson

une rafale de vent :
les oiseaux d’eau
deviennent blancs

Buson

°
(p.1280 :)

peu de gens ;
une feuille tombe ici
une feuille, là

Issa

les balayant
puis ne les balayant pas,
les feuilles tombées

Taigi

les feuilles en tombant
gisent l’une sur l’autre;
la pluie tombe sur la pluie

Gyôdai

°
(p.1281 :)

tranquillité –
un oiseau marche sur des feuilles tombées :
leur bruit !

Ryûshi

les herbes du jardin
tombent –
et gisent
ainsi

Ryôkan

°

FIN DE HAIKU (vol IV) de R.H. Blyth, Hokuseido Press, 1982.

(traduction de l’anglais : Daniel Py, 1/4/2007-13/6/2011.)

20 HAIKU d’hiver + 3 de printemps – OISEAUX et ANIMAUX – Blyth – p.1256-1265

13 juin 2011

°
(p.1256 :)

la chauve-souris
vit cachée
sous le parapluie cassé

Buson

après avoir porté l’eau salée,
le pêcheur rentre chez lui,
laissant là les pluviers

Onitsura

°
(p.1257 :)

les pluviers de la côte
jouèrent,
mouillant leurs pattes

Buson

la lune à l’aube ;
les pluviers de la côte
s’évanouissent au loin

Chora

lavant une casserole –
ridules sur l’eau :
une mouette solitaire

Buson

°
(p.1258 :)

les oiseaux d’eau;
femme dans un bateau
lavant de jeunes légumes verts

Buson

oiseaux d’eau ;
au milieu d’arbres desséchés,
deux palanquins

Buson

un sanctuaire;
des oiseaux flottent endormis;
les lumières lointaines des jardins

Shiki

°
(p.1259 :)

l’oiseau aquatique,
bec dans son poitrail,
dort en flottant

Ginkô

l’oiseau aquatique
a l’air lourd –
mais il flotte !

Onitsura

°
(p.1260 :)

la poitrine
de l’oiseau aquatique
rencontre son reflet

Mahara

l’air sur le visage de la sarcelle d’hiver :
« j’ai fait du tourisme
sous l’eau ! »

Jôsô

le jour se lève ;
la voix des canards sauvages
entoure le château

Kyoroku

°
(p.1261 :)

la mer s’assombrit
la voix des canards sauvages
est vaguement blanche

Bashô

vagues de chaleur au printemps ;
un insecte inconnu
vole blanchement

Buson

°
(p.1263 :)

le bruit de la chauve-souris
volant dans le fourré
est sombre

Shiki

le bébé,
quand on lui montre même une fleur
ouvre la bouche

Seifu-jo

le jeune coucou
appelle ses parents
d’une voix jaune

Issa

le roitelet
gagne sa vie
bruyamment

Issa

°
(p.1264 :)

le roitelet gazouille –
mais devient adulte
de toute manière !

Issa

Voyez ! cette tombe solitaire
avec le roitelet,
c’est toujours ici !

Issa

°
(p.1265 :)

l’holothurie :
où sa tête, où sa queue ?
Dieu seul le sait

Kyorai

ne faisant absolument rien,
l’holothurie a vécu
huit-mille ans

Shiki

°
(p. 1266 : ARBRES ET FLEURS : à suivre…)