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« Le rire dans le haiku japonais » par Nobuyuki Yuasa

22 février 2013

Tiré de « Haijinx » Vol. I, n° 1 (printemps 2001), et d’après Rediscovering Bashô – une célébration de son tricentenaire, Global Books, 1999 :

« Le rire dans le haiku japonais »
par Noboyuki Yuasa,
fait partie d’un recueil d’essais qui détaillent les influences de Bashô sur le haïku d’aujourd’hui:

°°°

On conçoit généralement de nos jours que le rire appartient au domaine du senryû et que même un sourire n’est qu’accidentel dans le haïku. Il y a en effet beaucoup à dire pour la défense de ce point de vue habituel. Le haïku s’est formé à partir du hokku, poème initial de versets liés, requérant plus de dignité et de profondeur que le restant des poèmes de la chaîne, tandis que le senryû s’est formé à partir des « hiraku », les strophes comme simples membres de la partie centrale de la chaîne où l’on attendait plus d’esprit et d’imagination. On a aussi considéré généralement deux choses comme essentielles au haïku : le « kigo » , un « mot-de-saison » qui donne de l’élégance au poème, et le « kireji », un « mot-de-coupe » qui élève le statut du poème en lui donnant son indépendance syntaxique et son pouvoir émotionnel. Ni l’un ni l’autre ne sont nécessaires dans le senryû. De plus, on dit que les traits caractéristiques du senryû se trouvent dans la peinture (description) de « jinji », les affaires humaines, normalement de manière comique, et dans l’utilisation franche de « zokugo », des termes vulgaires.
Ayant dit cela, je ne peux cependant pas m’empêcher de questionner cette vue traditionnelle. Quand Yamazaki Sokan (1460-1540) et Arakida Moritake (1473-1549) initièrent le « haikai no renga », à l’ère Muromachi, celui-ci fut intentionnellement créé comme une révolte contre la tradition élégante du waka et du renga. Ceci étant suggéré par le titre même de l’anthologie qu’édita Sokan : Inu Tsukuba Shu, « Inu » signifiant « chien » et « Tsukuba » n’étant pas uniquement une métaphore du waka, mais également le titre de l’anthologie de renga compilée par Nijo Yoshimoto (1320-1388). Un exemple de l’anthologie de Sokan nous convaincra facilement de la « chiennerie » de sa poésie :

Sirote tes larmes –
Il n’y a rien pour moucher ton nez
dans ce mois sans dieux

Dans le japonais original, puisque « sans dieux » et « sans papier » se prononcent de la même manière, il y a là un jeu de mots qui impressionne le lecteur par son esprit. D’après les critères actuels, c’est probablement plus du senryû que du haïku. Pourtant, il fut choisi pour cette anthologie par le poète que l’on considère habituellement comme le père de la tradition du haïku. On peut voir le même esprit dans le poème suivant, de Sokan lui-même :

Dans la pleine lune
fourrez un manche, cela fera
un superbe éventail

Ce poème est iconoclaste au sens où la pleine lune, considérée traditionnellement comme l’incarnation même de la beauté élégante est ramenée du ciel à la terre. Cependant le poème n’est pas sans posséder quelque beauté, parce que lune et éventail mettent en valeur la fraîcheur du soir.

Un exemple de Moritake, maintenant :

Le saule vert
peint un sourcil sur le visage
d’une berge

Ce poème, à mon avis, est plus traditionnel que celui de Sokan en ce qu’il décrit une belle scène printanière, mais l’emploi hardi d’une métaphore le « distingue » de la poésie traditionnelle. On lit le poème d’une double façon, car derrière le saule nous voyons le visage d’une femme avec de beaux sourcils.

Cette tradition ouvertement comique, débutée avec Sokan et Moritake, fut d’une certaine manière révisée dans les premières années de l’ère d’Edo par Matsunaga Teitoku (1571-1653) qui essaya d’élever le « haikai no renga » du niveau d’une rébellion infantile. Il dit dans Tensui Sho que puisque le « haikai » est une forme de « waka », il ne faudrait pas le rabaisser au rang de poésie vulgaire. Mais Teitoku ne renia pas le rire. Il essaya plutôt de l’affiner. Un de ses disciples, Saito Tokugen (1559-1647) compara le renga au No et le haikai aux « kyogen » (interludes comiques joués entre les pièces de théâtre No), disant que tout ce qui était « inférieur », comme le kabuki, devrait être banni. Voici un poème de Teitoku qui montre la différence existant entre lui et les poètes le précédant :

Les boulettes aux fleurs
elles semblent préférer, toutes ces
oies sauvages qui s’en retournent

Teitoku provoqua souvent le rire en utilisant une expression proverbiale à un endroit inattendu. Dans ce poème, le proverbe populaire « des boulettes plutôt que des fleurs » sert à expliquer pourquoi les oies sauvages retournent au nord quand le printemps arrive au Japon.

Teitoku réussit, sans aucun doute, à chasser la vulgarité du haïkaï. D’un autre côté, il est indéniable que sa poésie devint quelque peu pédante : plus savante mais moins imaginative que celle de ses prédécesseurs. Cette tendance fut vivement attaquée par Nishiyama Sôin (1605-1682). Celui-ci forma avec ses disciples un groupe appelé « Danrin », ce qui signifie « forêt loquace ». Ce nom suggère que son groupe était plus proche de la vie des gens du commun. Par suite de cela, ils s’éloignèrent de la pédanterie de Teitoku, infusant à leur poésie un esprit de plus grande liberté. Voici un poème de Soin :

les ayant regardé longtemps
je chéris les fleurs, mais, ah,
la douleur dans mon cou !

Derrière ce poème nous voyons le tanka de Saigyo :

Les ayant regardé longtemps,
je chéris les fleurs si tendrement
que quand elles se dispersent
je ressens d’autant la tristesse
de leur faire mon dernier adieu

Nous devons ici admettre que, dans une certaine mesure, le poème de Soin est iconoclaste, mais d’une qualité autre que celui de Sokan. Le but de Sokan, nous l’avons vu, était de détruire le monde élégant du waka, tandis que celui de Soin était plutôt de présenter une scène humoristique. Je crois pouvoir dire que Soin fut le premier poète à découvrir la légitimité du rire dans le « haikai no renga ». Je pense que c’est ce que Okanichi Ichu (1639-1711) ressentait quand il disait dans Haikai Mokyu que l’essence du haikai est le rire (kokkei). Selon lui, le haïkaï devait s’écrire « sans rime ni raison », c’est-à-dire avec « des mots qui sortent spontanément de la bouche pour plaire à l’auditeur. »

Noboyuki Yuasa.

Les 1012 haikai de Bashô : 233-237)

20 février 2012

°
(Composé en voyant un écran de fleurs de pruniers et un corbeau à la maison de Sakuei. On y tint une séance de renga avec ce verset-ci comme hokku (verset de départ).)

un corbeau errant
son vieux nid est devenu
un prunier

(printemps 1685)

NB : La note d’en-tête fut ajoutée par Dohô dans son livre Shô Ô Zen-den. Dans ce poème, Bashô se compare au corbeau peint sur l’écran. Au lieu de séjourner dans la simplicité d’un nid de corbeau, il dort au milieu des fleurs de prunier parce qu’il demeure chez un ami élégant. Les corbeaux ne sont habituellement pas tenus pour des oiseaux migrateurs, mais l’idée d’un corbeau errant signifie un oiseau de passage, ou un prêtre en voyage.

°

le plan
pour Kiso en avril
contempler les fleurs

(printemps 1685)

NB : Kiso était le nom d’une région d’une rivière montagneuses. À cause de l’altitude, les fleurs de cerisiers fleurissaient plus tardivement.

°
(Sur la route de Nara :)

c’est sûrement le printemps
sur les montagnes sans nom
un fine brume

(printemps 1685)

NB : Pour aller de Nagoya à Nara, Bashô devait franchir une chaîne montagneuse. Au printemps, les montagnes du bord de mer amassent de l’humidité et remplissent les vallées d’une brume chaude. Y penser fait surgir de nombreux sentiments d’amour et de nostalgie.

°
(Au deuxième mois, je me retirai dans le Hall de Nigatsudô :)

les moines
tirant de l’eau
du bruit glacé des sabots

ou :

tirant de l’eau
les bruits de sabots
des moines gelés

(hiver 1685)

NB : À Nara, dans le temple Tôdaiji se tenait, généralement pendant les deux premières semaines du deuxième mois du calendrier lunaire, correspondant maintenant au mois de mars, une Cérémonie du Puisage de l’Eau. Quand les moines tournaient autour de l’autel, dans leurs déambulations nocturnes, leurs sabots de cèdre rendaient un bruit comme s’ils marchaient sur une terre gelée. La fin de la cérémonie consistait à tirer de l’eau de la source Akai, maintenant appelée Asakai.

°
(À Take no Uchi dans la province de Kazuraki vivait un homme qui prenait grand soin de sa famille. Au printemps il employait beaucoup de travailleurs aux rizières et à l’automne pour la moisson. Sa maison était remplie du parfum des fleurs de prunier, ce qui encourageait et consolait les poètes affligés.)

printemps précoce
vendant du vin de fleur de prunier
le parfum

(printemps 1685)

NB : Ce bouilleur de saké non désigné organisa une séance de renga. Quand on coupe la racine d’iris sucré en petits morceaux pour adoucir le saké, la boisson est appelée vin de prune. Il y a ici une devinette non-dite : qui vend les prunes, le parfum ou la saison des fleurs de prunier ?
°
(à suivre, 238-1012)

Haiku : A Poet’s Guide – Lee Gurga – (4)

24 août 2011

p.5 :

Haïku japonais classique

Dans son livre Le Haiku Essentiel (The Essential Haiku) Robert Hass présente l’oeuvre de trois haïjins célèbres : Bashô Matsuo, Buson Yosa et Issa Kobayashi. Les Japonais reconnaissent traditionnellement quatre grands maîtres : ces trois-ci et Shiki. Quelques uns de nos jours feraient de Chiyo-ni (1703-1775), la plus célèbre des femmes maîtresses du haïku, la cinquième.
Bashô, premier des grands maîtres du haïku, fut actif pendant la deuxième moitié du dix-septième siècle. Il vécut à une période où le haikai no renga (poésie liée) était à l’apogée de sa popularité. Le haikai no renga descendait de la poésie raffinée de cour appelée simplement renga. Une dérivation populaire de la classe des marchands, le haikai no renga était apprécié pour son humour et son exposition d’esprit verbal. Bien qu’il soit connu de nos jours comme un grand haijin, Bashô gagna sa vie, en fait, en enseignant le haikai no renga. Au fur et à mesure que le temps passa, le caractère superficiel de la plupart des choses qui s’écrivaient alors le mécontenta, et il s’efforça de développer par le hokku une poésie de plus grande profondeur. Son poème le plus célèbre :

vieille mare…
une grenouille saute
bruit de l’eau

est remarquable par sa simplicité et son absence d’étalage verbal. On peut l’interpréter soit comme un rapport sans ornement de quelque chose que Bashô expérimenta, ou comme l’énoncé profond d’une illumination Zen.
[…]

AWARE – B. Drevniok – p.27-31

6 mai 2011

°
(p.27)
La tradition du haïku
(p.28)
La « tradition-haïku » est un bref synopsis de l’origine, de la forme, des caractéristiques et de la technique d’écriture du haïku.
Vous avez fait vos premiers pas dans le « voyage-haïku ». Voici un résumé augmenté de quelques faits = un sommaire de ce poème appétissant : le haïku.
(p.29)
Le haïku est :

court, non rimé, imagé et objectif, c’est une sorte de poème de la nature évocateur, qui suggère plus qu’il ne dit.
Il s’est développé au Japon à travers des siècles, jusqu’à – et y compris – aujourd’hui.
Des marchands et des visiteurs du Japon rapportèrent le haïku d’abord en Europe, puis aux USA, où il est maintenant florissant.
Le mot HAÏKU vient de l’expression « haikai renga no hokku », qui signifie « verset de départ d’un long poème lié ». A l’évidence, le poète Shiki créa le mot télescopé HAIKU pour signifier « haika no ku », « couplet haiku », écrit séparément, ne faisant pas partie du plus long « renga », mais qui retenait les caractéristiques du verset de départ du renga, et tout particulièrement le « mot de saison ».
(p.30)
L’expérience-haïku, elle-même, est universelle.
Elle est un moment dans le temps et l’émotion de ce moment.
A cause des grandes différences entre les langues japonaise et anglaise, on ne peut pas écrire le haiku en japonais et celui en anglais sous exactement la même forme.
Cependant, le haïku en anglais doit exprimer l’expérience-haïku, sinon on ne peut pas considérer que c’est du haïku.
(p.31)
La poésie occidentale et le haïku sont très différents l’un de l’autre.
« Dans la littérature occidentale, l’expérience poétique PLUS les réactions intellectuelles et émotionnelles du poète EGAL le poème achevé. Dans le haïku, l’expérience d’origine MOINS la réaction personnelle du poète EGAL le haïku terminé. » (citation du Poème sans Mots du Docteur Eric Amann [voir éd. gammes, 2006, trad. D.Py]).
Ainsi, le haïku se présente d’une manière unique, donnant au lecteur l’expérience même, à travers images et sensations qui montrent sa réalité dans un langage concret et objectif, sans explications ni commentaires subjectifs.

°
(à suivre, p.32-)

HAIKU – R.H. Blyth – Vol 2 : Printemps – préface

7 février 2010

PRÉFACE :

Ce volume : Printemps, ainsi que les deux suivants : Été-Automne et Automne-Hiver, contiennent tous les bons haïkus que j’ai pu trouver depuis les débuts, jusqu’à Shiki (1866-1902) inclus. Il ne fait pas de doute que certains bons versets ont été oubliés par mégarde; j’espère y remédier dans une éventuelle édition ultérieure.
Le lecteur verra que l’arrangement par saisons offre une sorte d’index grossier pour retrouver les versets dont il se souvient par sujet. Certains versets possèdent deux sujets de saison, d’autres aucun, mais ils sont très rares. (Quant aux auteurs, ils seront répertoriés à la fin du quatrième et dernier tome.) J’aimerais inclure ici une brève notule sur l’histoire de cet arrangement des haïkus par saisons et par sujets. (Cela a déjà été traité, bien que plus superficiellement, dans le premier tome, section 5,8.
Dans le Golden Treasury de Palgrave,  » l’ordre tenté a été le plus efficace poétiquement « , mais il est très habilement combiné avec l’ordre chronologique. Il existe en anglais – ce qu’on peut difficilement trouver dans la littérature japonaise – des anthologies poétiques particulières sur par exemple les oiseaux, les fleurs, la mer, mais peu d’anthologies classées par saisons. Nous rencontrons quelques haïkus qui peuvent difficilement figurer dans la classification habituelle, tels des versets de compliments, ou de ceux qui décrivent des lieux célèbres; ils sont généralement placés dans une section  » divers « . Autrement, jusqu’aux temps modernes, il n’existait pas de versets étrangers à la classification par saisons. Cette insistance sur les saisons s’explique de différentes façons : par exemple, par la brièveté du haïku, les climats du Japon, l’influence du waka, et tous ceux-ci, à n’en pas douter, eurent un effet convergent. Avant tout, il faut noter que le hokku, ou premier verset d’un renku (poème en chaîne) était un verset qui indiquait la saison. Mais il faut remonter encore plus loin, jusqu’aux débuts mêmes de la poésie japonaise, pour trouver la raison vitale de la conscience profonde des saisons que les Japonais n’ont pas encore perdue.
Dans le Manyôshû (vers 750) nous constatons déjà l’amour profond et étendu des Japonais pour la nature; et dans l’extrait suivant, on distingue clairement deux saisons. Il fait partie d’un Poème Long de Yamabe Akahito (8ème siècle), composé lors de l’ascension du mont Kannabi, pensant à la Capitale (à Asuka) de l’empereur Temmu (673-686) :

Je regardais le Palais d’Asuka en ruine :
Les collines sont hautes, la rivière coule au loin.
Aux jours du printemps la montagne est belle à voir;
Aux nuits d’automne les eaux sont claires.
Ensemble parmi les nuages matinaux volent les grues ;
Dans les brouillards du soir les grenouilles chantent fort.

Depuis l’époque du Manyôshû, le printemps avec le rossignol (japonais : uguisu), les fleurs de cerisier, les fleurs de glycine ; l’été avec le coucou, le rose, (le lys en tant que sujet disparaît subitement après le Kokinshû), les herbes d’été ; l’automne avec la voie lactée, la brise automnale, les feuillages rouges, le brame du cerf ; l’hiver avec la neige sur le pin, le givre sur les bosquets de bambous, tout ceci fut traité distinctement et avec un intérêt particulier et intégral. Cependant le Manyôshû lui-même n’est pas simplement divisé en printemps, été, automne et hiver. Le premier livre, par exemple, est arrangé chronologiquement, mais le huitième se compose de poèmes variés et épistolaires (amoureux), chacun sous les en-têtes des quatre saisons.
Pour les japonais de l’époque Manyô, l’homme et la nature étaient encore indistinguables. On ne peut pas dire que la nature n’était pas aimée pour elle-même, mais plutôt que la nature baignait l’homme, que l’homme et la nature s’interpénétraient, et que la distinction entre les poèmes d’amour et poèmes divers était encore plus forte dans leur esprit qu’avec les saisons. Par conséquent, quand le Japonais moderne ou l’émulateur étudiant étranger lit le Manyôshû, c’est avec un oeil très différent de celui des poètes de ces vers.
Pendant les cent cinquante ans qui séparent le Manyôshû du Kokinshû, la poésie chinoise fit florès au Japon, et beaucoup de recueils virent le jour. Parmi ceux-ci, il y a peu de poèmes de nature, et pas d’arrangements par saisons, jusqu’à cxe qu’on arrive au tardif Wakan Rôeishû (voir vol.1, p. 103), dont la première partie est divisée en printemps, été, automne et hiver, mais la seconde par thèmes : vent, nuages, vin, montagnes, etc. dans un ordre plus ou moins aléatoire. Ceci était le résultat d’un début de retour aux idéaux et aux buts du waka. Cependant, sous l’influence de poètes chinois tels que Tôenmei et Hakurakuten, le sentiment japonais de la nature s’approfondit, et avec lui, bien qu’indirectement, le sentiment de la différence entre les saisons.
Dans le Kokinshû, complété en 922, on trouve pour la première fois une classification claire par saisons, mais il faut remarquer qu’avec cet avantage-même vient le manque de spontanéité, le début de l’artificialité qui sera ultimement la mort de toute poésie. L’art qui seul donne sens à la vie cependant l’étouffe et l’étrangle. C’est le prix que nous payons pour l’extension de notre vision, à voir un monde dans un grain de sable, au lieu de simplement voir le sable lui-même ; à voir la fleur de prunier en tant que printemps, au lieu de seulement voir ses propres forme et couleur magnifiques. De ce point de vue on peut considérer que l’histoire de la poésie japonaise est faite de deux grands mouvements. Le Manyôshû cède sa spontanéité et non-conscience de soi au Kokinshû. Le génie de Bashô restaure lui restaure une certaine simplicité enrichie, et ceci se termine encore, deux ans ans plus tard, avec Shiki. (Dans la monumentale Complète Collection Classifiée de Haïku de Shiki, il y a un tel excès de systématisation, que la poésie y est noyée. Par exemple on n’y trouve pas moins de cinquante classes d’éventails, pour cela seul.)
Cependant, dans le Kokinshû les vrais sujets ne sont pas ceux des insectes, fleurs et herbes, mais des sentiments des poètes ; ces choses sont utilisées comme symboles de la pensée et de l’émotion humaine. Avec le Shinkokinshû, compilé pour la première fois en 1205, nous avons des poèmes objectifs de nature, du ciel, de la voix des insectes, du crépuscule, cela étant dû en partie à l’effet de la conscience qui s’approfondit par rapport à la signification des saisons.
Pour en venir au haïkaï, une des choses qui le fit se distinguer du renga, le poème en chaînes qui lui donna naissance, fut l’insistance sur non seulement l’opportunité (ainsi que le développa Abutsu-ni, qui mourut en 1283), mais sur la nécessité d’avoir un mot de saison dans le hokku, ou premier verset. Même dans les autres versets, l’idée de la saison n’était jamais absente de l’esprit du poète, bien que le verset lui-même pût être « mixte ».
Dans le Gosan de Teitoku (1570-1653), les choses sont très soigneusement appliquées à leur saison. Pour Bashô (1644-1694) la saison était l’élément le plus important du haïkaï, pas en tant que principe, mais comme mode d’intuition, une manière plus vaste de voir des choses particulières. En observant plus attentivement l’objet, nous voyons en lui le monde entier accomplir sa volonté parfaite. Et ceci provient des expériences historiques accumulées par les Japonais pendant plus de mille ans.
Dans un numéro récent du Supplément Littéraire du Times , le critique cite le haïku suivant de Bashô :

Sur une branche dénudée
un corbeau solitaire se perche
un soir d’automne.

Avec ce commentaire plutôt énigmatique :

« C’est plus pour l’usage que pour la beauté. »

Ceci, je pense, est une « critique » juste de l’original également, et de tous les haïkus. Ils sont là pour que vous les utilisiez dans votre propre expérience poétique. Vous ne devez pas être un simple observateur de la littérature, mais devez jouer votre rôle dans sa re-création dynamique. Lire des haïkus est donc plus éprouvant que lire de la simple poésie, mais je ne connais rien de plus satisfaisant. Cela seul peut donner sens à la vie, et « justifie les desseins de Dieu pour l’homme.  »

°°°

à suivre : Le Nouvel An (p. 353-374).

Haiku de R.H. Blyth V.1 sect.1 8) Le renku (a)

13 août 2009

8) Le renku.

Un haïku est constitué de 17 syllabes qui peuvent être scindées en trois parties de cinq, sept et cinq. C’est la première partie d’un poème court, ou tanka, qui, lui, en contient 31 : 5/7/5-7/7. Les haïkus furent séparés des quatorze syllabes suivantes au XIV° siècle. On en trouve dans la Collection Tsukuba, compilée par Nijô Yoshimoto (1320-1388).
Tout d’abord il y eut des Poèmes Longs et des Poèmes Courts, les tanka. Puis, au début de l’ère chrétienne, les Courts Poèmes commencèrent par être composés par deux poètes, l’un faisant les 5/7/5, l’autre les 7/7. Une légende rapporte que Yamato-takeru no Mikoto (81-112), troisième fils de l’Empereur Keikô, composa un Court Poème Lié, c’est-à-dire un tanka, ou Court Poème fait par deux personnes. Dans le Manyôshu, compilation faite par Tachibana Moroe (684-757) au milieu du VIII° sècle, dans lehuitième livre, se trouvent de tels Poèmes courts Liés. Les Longs Poèes Liés, c’est-à-dire une succession de 5/7/5-7/7-5/7/5-77, etc. pendant 50 ou 100 vesets commencèrent à apparaître vers la fin de lEpoque Heian (794-858). De tels poèmes liés devinrent très populaires au début de l’Ere Kamakura (1186-1339), et deux écoles apparurent : la sérieuse Ushinha, et la comique Mushinha. La Mushinha donna le nom de Haikai Renga, « poèmes sportifs liés », abbrévié en Haikai à ses compositions, ce qui fut employé pour toute poésie et exercices poétiques tels. Le mot haiku est un mélange de cette expression haïkaï et hokku (le premier poème des Longs Vers Liés), haïkaï + hokku devenant haïku vers le milieu du XVIII° siècle. « Haïkaï » signifie parfois haïku, et certains anciens utilisent encore le mot de « hokku ».
Le haïkaï ou renku a pratiquement cessé de vivre au Japon. Le mépris de Shiki (1866-1902) pour cette forme de composition littéraire en est souvent donné comme la raison. Plus probablement, la difficulté de trouver quatre ou cinq véritables poètes en suffisante harmonie de caractère et d’humeur pour accomplir la tâche difficile d’écrire ensemble un tel poème a peut-être causé l’arrêt de cette pratique.
Le rapport du haïku au renku est un peu comme celui des anciennes statues grecques aux temples qui les abritaient. La statue ne fut taillée pour elle-même que progressivement. Historiquement et aussi dans le but de comprendre leur point de vue et leur ambiance, l’étude des haïkus doit être précédée de qelque connaissance de la nature des versets liés. On comprendra aisément que les poèmes lié subirent eux-mêmes développements et changements à la fois dans leur forme et leur esprit durant plus d’un millier d’années. On ne peut traiter de cela ici, mais on peut donner un court aperçu du développement du haïku à partir du waka en passat par le renku (, nom utilisé pour le « renga » à partir d’environ 1750).

(à suivre, p. 124