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Réflexion(s) d’après Eric Amann in ‘Le Poème sans mots’ (p.14) :

14 décembre 2011

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« En Occident, l’expérience poétique originelle + les réactions intellectuelles et émotionnelles du poète = le poème achevé. Mais, dans le haïku, l’expérience originelle – la réaction personnelle du poète = le haïku achevé. »

: Eric Amann, in Le Poème sans mots, éd. gammes, 2006, p.14.

: (C’est) en ce sens (que) l’on abstrait déjà le « je » du haïku.

Dans le haïku, certains exaltent la présence du « je » : c’est un contresens ontologique.

Le commentaire (intellectuel, émotionnel…) de l’auteur de son haïku le fait basculer vers/dans le tanka, ou le senryû…

Le « haïjin » invite le lecteur à partager (la beauté (?), la grandeur (?), l’émotion (?) d’) un moment en ne lui montrant que ce moment. Il lui dit : vois, écoute, sens, goûte… Il n’a pas besoin d’ajouter « avec moi » : c’est inclus, sous-entendu, évident ; ce serait banal, plat, inutile (puisqu’évident) et alourdissant de le dire – écrire!
Bashô cherchait « karumi », la légèreté. Abstraire un peu plus le « je » de l’auteur va aussi dans le sens, est aussi le sens de cette légèreté.

Le NON-JE du haïku

(Kyôku mou – ah !):

Le moi est lourd
le moi est gourd
le moi nous bourre
le mou
ah !

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Dire exactement ce que l’on voit…
(: l' »ascèse » de) Retourner vers le réel –
Que « dire » ne trompe pas le réel / le vu… / le vécu !
Témoigner sans ajouter (son affect, sa pensée,…), sans fantasmer…
Coller au (plus près du) réel.

Le haïku, c’est l' »art » du vrai.
Mais que l’Art au Naturel s’accole !

Le réel décolle tes mots,
recolle les mots (du vrai),
c’est le miroir (chaque matin) essuyé…

Zénifie ton haïku !

L' »ascèse », c’est de débroder,
de ne pas déborder du réel…

Pour moi, le haïku
est définitivement
« zénifiant »

(voire… « zénificateur » !…)

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D.(14/12/11)

AWARE – B. Drevniok – p.27-31

6 mai 2011

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(p.27)
La tradition du haïku
(p.28)
La « tradition-haïku » est un bref synopsis de l’origine, de la forme, des caractéristiques et de la technique d’écriture du haïku.
Vous avez fait vos premiers pas dans le « voyage-haïku ». Voici un résumé augmenté de quelques faits = un sommaire de ce poème appétissant : le haïku.
(p.29)
Le haïku est :

court, non rimé, imagé et objectif, c’est une sorte de poème de la nature évocateur, qui suggère plus qu’il ne dit.
Il s’est développé au Japon à travers des siècles, jusqu’à – et y compris – aujourd’hui.
Des marchands et des visiteurs du Japon rapportèrent le haïku d’abord en Europe, puis aux USA, où il est maintenant florissant.
Le mot HAÏKU vient de l’expression « haikai renga no hokku », qui signifie « verset de départ d’un long poème lié ». A l’évidence, le poète Shiki créa le mot télescopé HAIKU pour signifier « haika no ku », « couplet haiku », écrit séparément, ne faisant pas partie du plus long « renga », mais qui retenait les caractéristiques du verset de départ du renga, et tout particulièrement le « mot de saison ».
(p.30)
L’expérience-haïku, elle-même, est universelle.
Elle est un moment dans le temps et l’émotion de ce moment.
A cause des grandes différences entre les langues japonaise et anglaise, on ne peut pas écrire le haiku en japonais et celui en anglais sous exactement la même forme.
Cependant, le haïku en anglais doit exprimer l’expérience-haïku, sinon on ne peut pas considérer que c’est du haïku.
(p.31)
La poésie occidentale et le haïku sont très différents l’un de l’autre.
« Dans la littérature occidentale, l’expérience poétique PLUS les réactions intellectuelles et émotionnelles du poète EGAL le poème achevé. Dans le haïku, l’expérience d’origine MOINS la réaction personnelle du poète EGAL le haïku terminé. » (citation du Poème sans Mots du Docteur Eric Amann [voir éd. gammes, 2006, trad. D.Py]).
Ainsi, le haïku se présente d’une manière unique, donnant au lecteur l’expérience même, à travers images et sensations qui montrent sa réalité dans un langage concret et objectif, sans explications ni commentaires subjectifs.

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(à suivre, p.32-)

Avant-propos à The Modern English Haiku (de G. Swede) par LeRoy Gorman

28 août 2010

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Avant-propos :

De quel livre élémentaire le poète de haïkus en anglais dispose-t-il ? Quelles références mises à jour possède le professeur d’anglais pour enseigner le haïku ? Sur ces deux points, rien de bien significatif n’a vu le jour depuis Le Poème sans mots d’Eric Amann, et cette œuvre n’est malheureusement pas aussi disponible qu’elle le devrait. La documentation la plus accessible devrait encore être An Introduction to Haiku, par Henderson, mais regrettablement, la majeure partie de ce qu’écrivit Henderson s’appuie uniquement sur les poètes classiques du haïku japonais. Un manuel concis mais érudit, qui ne donnerait pas qu’un aperçu sur le haïku classique, tel celui de Henderson, mais rendrait hommage aux réalisations contemporaines, devrait exister depuis longtemps.
Des années ’50 jusqu’au milieu des années ’60, le haïku en anglais a connu une nouvelle popularité. L’imitation des classiques et des conceptions erronées semblent malheureusement imposer une norme qui a pour conséquence une évolution minime de la forme. Sur les talons de cette renaissance quelque peu sentimentale vint la réalisation selon laquelle les poètes anglophones commencèrent à redéfinir la forme en écrivant des haïkus contrairement à la tradition. Avec pour résultat que le haïku en anglais s’élança pratiquement d’un retard datant du 17ème siècle jusque dans l’ère moderne, voire parfois dans l’ère post-moderne.
C’est à l’apogée de cette réalisation que les essais de ce livre prennent toute leur importance. George Swede identifie les fausses conceptions, présente une histoire succincte, discute des règles traditionnelles, saute dans une analyse des règles modernes, et bien plus encore. Il y a ici quelque chose pour actualiser les connaissances de chaque lecteur, même s’il est très au fait du haïku.
Pour moi, c’est dans l’approche de « Vers une définition du Haïku moderne en anglais » aussi bien que du « Haïku et des nouvelles technologies » que le recueil de Swede devient particulièrement pertinent.
Il s’écarte juste assez de l’approche classique pour faire œuvre révolutionnaire en en tirant ses conclusions qui se basent sur un examen d’œuvres réalisées par des poètes anglophones contemporains. Et ce qu’il en retire fournit un excellent point de départ pour une redéfinition majeure du haïku qui se fait attendre depuis longtemps, ni à partir de ce que critiques et chercheurs ont conclu par déduction les uns des autres, ni sur les « tessons » des poètes qui ont vécu et tiré leur inspiration d’une époque depuis longtemps révolue, mais sur la base de ce que les poètes eux-mêmes écrivent.
Il ne fait aucun doute que le lecteur sera d’accord pour dire que celui-ci est l’ouvrage important mais concis longtemps espéré par poète et enseignant réunis. Personne ne s’étonnera que le statut incontestable de Swede en tant que poète majeur du haïku anglophone, que sa contribution sans égale en tant qu’éditeur de la première anthologie de haïku canadien et que sa probité sensible et modeste de poète ne peuvent que garantir la qualité de cet ouvrage.

LeRoy Gorman
(1981).

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trad. française : Daniel Py (Aylmer (QC) – Paris (FR), juillet-août 2010),
avec les aimables autorisations de M. George Swede et de M. LeRoy Gorman.

Cette récente traduction devrait être publiée prochainement, grâce à l’aide précieuse et au concours de Mme Dorothy Howard, aux éditions Gammes,
67 rue du Court
Gatineau (QC) J9H 4M1
Canada

(qui a également publié, en français : Le Poème sans mots de E.Amann (tr. D.Py).

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Eric W Amann Le Poème sans mots / The wordless Poem (2)

6 octobre 2009

Chapitre 2 : SANS MOTS

Pas un mot ne fut échangé :
l’hôte, l’invité
et le chrysanthème blanc
Ryôta

Alan Watts, dans La Voie du Zen, appela le haïku « le poème sans mots ».
D’autres allèrent encore plus loin et le qualifièrent de « non-poème », voire
d’ « anti-poème ». Effectivement, si l’on compare le haïku à la majorité des
poésies occidentales, on ne peut échapper à la conclusion que le haïjin semble
éviter les mots plutôt qu’il ne les montre. Un haïku n’est jamais une formulation
complète. De même qu’un artiste japonais pose quelques légers coups de pinceau
dans un coin du tableau et laisse tout le reste vide, le maître de haïku dépose
quelques mots simples et laisse tout le reste au silence. Il est plus suggéré que
dit, il est plus caché que révélé. Un haïku n’est rien de plus qu’une allusion, une
simple suggestion de poème. Bashô lui-même disait que les meilleurs haïkaï
montrent moins de la moitié de leur sujet.

Cette brièveté absolue, ce style inachevé constitué de « mots absents » faisant
que le haïku ressemble souvent plus à un télégramme qu’à un poème, donnent
lieu à une autre caractéristique : l’impact soudain. Alors que pour Wordsworth la
poésie était « de l’émotion dont on se souvient dans la tranquillité », pour Bashô
c’était comme « l’abattage d’un grand arbre, comme le bond d’un ennemi, comme
trancher une pastèque ». Il n’y a pas de temps pour l’artifice ou l’ornement, pour
la sélection soigneuse de phrases choisies et pour toutes les parures littéraires. Il
est vrai que quelques haïkus montrent l’art exigeant de boîtes à bijoux laquées,
mais les meilleurs sont ceux qui semblent totalement sans invention, sans effort
et sans art, telle la nature elle-même :

Sieste de midi :
mes pieds contre le mur,
comme c’est frais!
Bashô

La neige tombe,
et un panneau « à louer »
qui n’y était pas hier!
Issa

Ici l’inspiration fut soudaine et l’effet sur le lecteur est aussi soudain. C’est ce
que Kenneth Yasuda appelle un « événement simultané ». On a pu le comparer à
une claque sur la joue, un coup de tonnerre ou la chute d’un caillou dans une
mare très calme. Des haïjins occidentaux l’ont aussi remarqué : l’Anglais Bill
Wyatt, par exemple, a comparé l’effet d’un haïku à « un coup sur la tête qui vous
laisse étourdi pour un moment ».

Ainsi, alors que la poésie occidentale est principalement séquentielle et
linéaire, montrant une progression de pensée et de sentiment plus ou moins
logique, le haïku, lui, est soudain et instantané. Il est si court qu’on peut le dire
sur un seul souffle, il est si petit sur la page que l’oeil peut l’absorber en une seule
fois.

Cette qualité de compression du langage, cette brièveté télégraphique du
haïku se perdent malheureusement dans beaucoup de traductions anciennes du
haïku. Voici, par exemple, comment Peter Beilenson a traduit le haïku le plus
célèbre de Bashô (Peter Pauper Press : Japanese Haiku) :

Sombre vieille mare endormie…
Rapide inattendue
Une grenouille
Fait plop! Éclaboussures!

Si l’on compare ceci à la traduction littérale qui apparaît en première page de
ce livre, nous notons que Beilenson a ajouté des mots tels que « sombre »,
« endormie », « rapide », et « inattendue » : quatre mots qui n’apparaissent
absolument pas dans le poème de Bashô! On ne peut pas non plus prétendre que
ces mots soient justifiés par des raisons grammaticales, puisque tous les quatre
sont des adjectifs. De fait, les haïjins japonais utilisent rarement des adjectifs.
Un adjectif qualifie un nom, c’est-à-dire limite le sens du nom. « Une vieille
mare sombre et endormie » est une image bien plus limitée qu’« une vieille
mare ». C’est pour cela que dans le haïku tout adjectif rajouté a tendance à
limiter le sens global du poème. Comme le dit Yasuda : « Nous ne voulons
aucun adjectif pour brouiller l’impression. Nous ne cherchons ni comparaison ni
métaphore pour que la scène reste claire. » Un haïku est « la poésie du
nom » (Yasuda).

Une traduction comme celle de Beilenson ci-dessus, dans laquelle le
traducteur a rempli de mots les espaces que le poète a délibérément laissés
ouverts devient donc un poème à l’occidentale. Ce n’est plus un vrai haïku, dans
la mesure où les qualités essentielles du haïku, c’est-à-dire son « absence de
mots » et l’ouverture de sa signification, ne survivent pas à la traduction.

Mais pourquoi cette insistance à rester autant « sans mots » que possible?
Pourquoi en faire autant pour tout dire avec le minimum de mots, pourquoi toute
cette mutilation de la grammaire dans le but de s’épargner quelques mots?

La raison en est que le haïku, comme le zen, « n’est pas nécessairement antimots,
mais se rend bien compte du fait que ceux-ci sont toujours susceptibles de
s’éloigner de la réalité pour devenir des concepts. Et ce concept est ce à quoi zen
et haïku s’opposent… Le zen insiste pour agir sur la chose elle-même et non sur
une abstraction vide. » (D.T. Suzuki)

« Agir sur la chose elle-même et non sur une abstraction vide » est aussi
l’essence du haïku. Une langue est un cimetière de mots morts qui ont perdu
depuis longtemps leur relation avec le réel, mais que l’on continue à employer
comme s’ils étaient de chair et de sang! Cela est particulièrement vrai en
Occident : « Au commencement était le Verbe » ainsi commence la fatale
confusion de l’occidental entre mots et réalités. Le prêtre sauve avec des mots, le
psychiatre soigne à l’aide de mots, on scelle les contrats par des mots, et
l’impression générale qui prévaut est que tous les maux du monde pourraient être
rapidement éradiqués si l’on pouvait rassembler tout le monde pour en parler. Au
XIXe siècle déjà, Nietzsche nous prévenait que les mots peuvent être illusoires,
qu’ils donnent l’impression que nous avons découvert quelque chose quand nous
n’avons fait que la nommer, que l’existence d’un mot garantit l’existence de ce
qu’il représente : « À travers mots et concepts, nous avons continuellement
tendance à penser que les choses sont plus simples qu’elles ne le sont en fait,
qu’elles sont séparées les unes des autres, qu’elles sont indivisibles, et qu’elles
existent chacune pour et par elle-même. »

Le but, par conséquent, de cette technique de raréfier les mots et de « pointer
directement » que l’on trouve aussi bien dans le zen que dans le haïku, est
d’éviter cette confusion entre les mots et les réalités, et cette illusion, par
conséquence, de la séparation des choses. Comme le Bouddha, qui donna le
premier exemple de « poésie muette » quand, un jour, il étonna ses disciples en
leur présentant une fleur sans dire un mot, le haïjin présente au lecteur quelque
chose dont aucun mot n’est superflu, sans commentaire, sans explication, sans
placer aucun obstacle entre le lecteur et la chose même. En ce sens « un haïku
n’est pas de la littérature dans la mesure où il se dispense des mots autant que
possible. » (R.H. Blyth)

Bien sûr, ce style d’écriture, dans lequel le poète « se débarrasse le plus
possible des mots », présente d’énormes difficultés pour le poète occidental qui
s’essaie au haïku. Voici trois exemples de haïkus occidentaux dans lesquels les
haïjins ont maîtrisé l’art de savoir où s’arrêter :

Lys :
hors de l’eau
hors de lui-même.
Nicholas A. Virgilio

Émergeant chaudes et roses
de leur peau –
les betteraves!
Anita Virgil

Ici, en utilisant moins de dix mots chacun, deux poètes américains ont capturé
la qualité « sans-mots » du haïku. Rien ne se place entre le lecteur et la chose;
aucune relation causale n’est ni exposée ni sous-entendue; le poème grandit et
émerge tel le lys, telles les betteraves – spontanément, sans effort, et sans aucun
artifice.

Écoutant…
Après quelques instants
je reprends ma hache.
Rod Willmot

Dans ce poème d’un haïjin canadien, nous sommes conviés à une expérience
plus personnelle; cependant, en évitant tout commentaire, toute mention d’un
sentiment subjectif, le poème reste « ouvert », le poète permet au lecteur de
prendre sa place et de réagir directement à l’expérience. Est-ce le craquement
d’une brindille ou le son de la foudre lointaine, le battement de son propre coeur,
ou ce « quelque chose » de mystérieux qui lui fait soudain cesser ses activités
monotones et tendre l’oreille?

En résumé, on dit qu’un haïku – comparé à un autre poème – est « sans
mots » dans la mesure où le poète se restreint à nommer simplement quelques
objets ou sensations, et permet au lecteur d’y réagir directement. En évitant des
commentaires subjectifs et des mots inutiles il laisse le poème « ouvert » à
l’intuition du lecteur. « La brièveté et la concision de la forme, ainsi que
l’implication la plus entière, sont l’essence de l’art du haïku. » (Kametaro Yagi)