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Compte-rendu du kukaï du Marché de la Poésie

17 juin 2012

Place Saint-Sulpice (Paris 75006), le 16 juin 2012.

Bonsoir !

Sur le stand 517 (de L’iroli, entre autres,)
en présence de douze personnes, 24 haïkus ont été échangés.

°

Avec trois voix :

ailes du héron –
dans mes jambes souvenir
de l’orgasme

: isabel Asunsolo

jogging
ah ! l’agilité du merle
dans la flaque d’eau

: Lucia Supova.

Une coccinelle
sur la main de l’enfant
le bijou parfait

: Moniques Serres.

°

Avec deux voix :

Allongée
au pied des arbres –
vertige

: Valérie Rivoallon.

câlin du soir
sur le mur
son ombre portée

: Mériem Fresson.

Dix fois au jardin
pour le persil, pour le linge…
Pivoines en fleur

: Moniques Serres.

Minuit l’hiver
le bruit d’une scie
solitude

: Buson.

°°

Avec une voix :

Des gouttes de pluie
Le bruit des vagues de la mer
L’été commence

: Hiro Hata.

l’insecte
fait le tour de l’assiette :
jambon cru – saucisse

: Daniel Py

nuit d’été
un papillon blanc fend l’air
quelle fraîcheur !

: Philippe Bréham

sanctuaire shintô
sur le jardin les lanternes
dessinent le silence

: Philippe Bréham.

soulevant une roue
pou ne pas écraser un gendarme
– trottoir de Vitry

: Daniel Py

Sur ses lèvres
j’ai déposé mes soupirs –
frissons dans les reins.

: Patrick Fetu.

une tortue me regarde
— les pétales sur la surface de l’étang
la doublent

: Lucia Supova.

°

Le prochain kukaï de Paris aura lieu samedi 15 septembre, 16h30 au bistrot d’Eustache (probablement !).
Bonnes vacances, bel été à tou(te)s !

Daniel

Pour contrer Barthes (et autres Sieffert…) ?

21 novembre 2011

Retrouvé, de Jean Sarocchi, dans la Revue d’études Japonaises « Daruma » n°1,
du printemps 1997, au sein de son article « traduire le haïku », pp.17-80 :

°

« les 17 syllabes du haiku traditionnel, réparties 5/7/5, sont souvent rendues,
en français ou en anglais, par un compte à peu près égal de syllabes, réparties
en trois vers. Il suffit de lire des haiku dans leur graphie japonaise pour
s’apercevoir à l’oeil nu (c’est-à-dire non armé d’intellection) que les trois
vers n’y sont pas, ou rarement. Or le spécialiste patenté, René Sieffert,
s’applique, tel un scrupuleux écolier, à ce comptage, sans éviter pour autant le
mécompte. (…) En revanche, fasciné par Barthes, dont l' »Empire des signes »
figure, dans la décennie 1970-80, une sorte de livre canonique, [Maurice Coyaud]
ne s’interroge nullement sur la sorte d’intimité que Barthes entretient avec le
haiku. Et si je fronde les spécialistes parce qu’ils échouent à traduire, il me
faut avec eux m’étonner que les traductions soient reçues telles quelles, sans
soupçon, par des écrivains aussi subtils que Barthes. Mais Barthes n’est pas un
poète, le signe a trop d’empire sur lui. »
(p.19)

°
(p.29 :)

« si Roland Barthes se leurre dans l' »Empire des signes » quand il espère
s’initier là-bas à une « systématique de l’inconcevable », ils ([Merleau-Ponty et
Barthes] nous charment, l’un et l’autre, par ces « abstracts » de philosophe ou de
sémiologue, qui trahissent leur ancrage d' »Occidentaux ».

°

(p.31)
« Je n’ai pas lu Bashô, Barthes non plus ne l’a pas lu, ni même Bonnefoy ou
Jaccottet : font comme si ; leur contradiction, c’est d’avouer qu’ils n’y
entendent rien, puis de commenter ou de célébrer comme s’ils avaient entendu  »

°

(p.42)
« On peut s’étonner que Barthes, si fasciné par les signes, et convaincu qu’un
signe ne s’ouvre jamais que sur le visage d’un autre signe, n’envisage pas,
citant des haiku, les signes japonais, chaque fois, correspondant, et leur
calque phonique, pire, qu’il ne s’interroge même pas sur la qualité de ces
signes traduits dont il se suffit comme s’ils appartenaient à « l’empire des
signes », au même titre que la tempura ou le sashimi. A fortiori s’étonnera-t-on
que Bonnefoy, poète, lui, et de surcroît capable sur l’écriture-peinture du
haiku d’une pénétrante réflexion, se hasarde à interpréter des poèmes dont il ne
vérifie pas le graphisme et la sémantique, s’exposant ainsi à des bévues. »

°

(p.51)
 » L’on prétend que le haïku suspend le sens, ne veut rien dire (Barthes), donc
le commentaire serait impossible. Faux ! Le haiku veut toujours dire quelque
chose. L’idée que ça ne veut rien dire est une coquetterie de sectaires
précieux. Buson écrit : « c’est le soir, l’automne je pense seulement à mes
parents ». Si le commentaire ici n’est pas de mise, ce n’est pas que le sens soit
manquant, c’est qu’il est transparent. Mais nombre de haiku tels quels
(traduits) décevants pour le lecteur étranger gagnent évidemment à être
commentés. »

°

(p.58)
« Question de mouche, je ne sens aucune différence entre Issa (« dans la véranda
la mouche frotte ses mains suppliantes on la tue ») et moi. Tout le discours de
Barthes sur la différence japonaise s’effondre : capucin de cartes truquées. »

°
Bien à vous,
D.

« HAIKU », vol I, n° 3 – extraits

7 novembre 2011

°

When the plum bossoms have fallen, / How lonely / the willow-tree
Buson
Quand les fleurs de prunier sont tombées / qu’il est seul / le saule !

°

« Poetry will spring up by itself when you and the object have become one, when you have looked deep enough into nature to see a hidden glimmer.
However well-worked your poems may be, if your feelings are not natural – if you and the object have not become one – then your poems are not true poems, but mere imitations of reality. »
Bashô
« La poésie surgira d’elle-même quand vous et l’objet serez devenus un, quand vous aurez regardé assez profondément dans la nature pour y voir une lueur cachée.
Aussi bien travaillés que puissent être vos poèmes, si vos sentiments ne sont pas naturels – si vous et l’objet ne faites pas un – alors vos poèmes ne sont pas de vrais poèmes, mais de simples imitations de la réalité. »

Summer’s end : / – Heaven and earth / dissolve in rain
fin de l’été : / – Ciel et terre / se dissolvent sous la pluie

pink-speckled carp / all the way to Osaka / at Expo ’67
Natasha Isawa
une carpe à pois roses : / tout le chemin jusqu’à Osaka / à l’Expo de 1967

beneath the shade / of the plum tree / lie the rotten plums
Gerald Lesniak
sous l’ombre / du prunier / gisent les prunes pourries

fall / trees undress / a leaf at a time
Janet Codina
automne / les arbres se dénudent / une feuille à la fois

in the gutter, / rain-soaked and rotting : / yesterday’s headlines !
Eric Amann
dans le caniveau, / trempés par la pluie, pourrissants, / les gros titres d’hier !

cold October day : / a black wasp, slowly dying, / crept across the path
Irma Wassal
jour froid d’octobre / une guêpe noire, agonisante, / rampe en travers du chemin

forewarner of storm – / a torn gray leaf like a bird / flies past the window
Irma Wassal
annonçant la tempête – / une feuille grise déchirée / comme un oiseau passe devant la fenêtre

beautiful city / of familiar streets and towers / blurred by the night rain
Irma Wassall
belle ville / de rues et de tours familières / estompée(s) par la pluie nocturne

°

« Haiku : « shorthand poetry, cut down to its bare bones. »
Janet codina
« Le haïku : de la poésie abrégée, polie jusqu’à l’os. »

°°°

« Windows » – Le haïku de forme libre – par Stephen Wolfe (4)

10 octobre 2011

°
Le Haïku de forme libre

Le haïku traditionnel (ou «teikei haiku») a plusieurs caractéristiques qui définissent clairement le genre. D’abord la forme se compose de 3 parties divisées en syllabes de 5-7-5. En de rares cas on trouve une syllabe supplémentaire dans la première ou dans la deuxième partie, appelée «jiamari». On considère souvent que c’est un défaut d’avoir à recourir à une tactique aussi indisciplinée.
La prochaine exigence du haïku est la présence du «kigo», une référence saisonnière qui souligne le moment vécu à l’intérieur de la structure universelle de la nature. On trouve des milliers de mots de saison dans le Haikai Saijiki, œuvre volumineuse divisée par saison. Ce livre a traditionnellement été le texte définitif pour déchiffrer quelle phase de quelle saison
se trouve dans tel ou tel haïku.
L’élément suivant du haïku traditionnel sont les «kireji», des mots qui servent à couper la ligne ou à interjeter un sentiment d’émerveillement et à augmenter l’intensité du poème. Bien que pas obligatoires comme la forme 5-7-5 ou le kigo, les kireji sont présents dans certains des plus grands haïkus traditionnels. Les «kireji» les plus communs sont «ya», «keri» et «kana». «Ya» s’emploie le plus souvent dans la partie initiale, telle que dans le haïku immortel de Bashô :

herbes d’été (ya)
restes
des rêves guerriers

Ici le «ya» installe les herbes d’été comme étant l’image de base du poème, et ce qui suit tourne autour de cette image ou ce symbole. Un autre exemple et le plus traditionnel de tous les haïkus :

vieille mare (ya)
une grenouille saute
le bruit de l’eau

Bashô ici installe la vieille mare, en utilisant «ya», comme l’image centrale du poème. L’action subséquente se base sur l’existence de cette image initiale.
Dans un autre des haïkus classiques de Bashô, on note l’usage de «keri» :

sur une branche dénudée
s’arrête un corbeau (keri)
crépuscule d’automne

« Keri » est ici utilisé pour élever le langage utiliser pour décrire un événement plutôt commun. « Keri » est un mot seulement employé dans le « bungo », langage littéraire. De plus, il coupe la ligne, renforçant l’impact de la « phrase » finale : « crépuscule d’automne ». En employant « keri », Bashô a relié les trois parties – la branche dénudée, le corbeau qui se pose et le crépuscule d’automne – sans utiliser trop de prépositions encombrantes. La dernière phrase coule des deux premières sans avoir l’air d’être une explication.
Un autre exemple du « keri » post-verbal :

la rose de Sharon au bord de la route
par mon cheval
mangée (keri)

Bashô emploie ici « keri » dans la partie finale pour ajouter une touche culminante.
L’emploi de « kana » est semblable à celui de « keri » sauf que « kana » suit des noms et se trouve presque toujours situé à la fin du haïku. Par exemple, dans ce haïkaï de Bashô :

à travers le lever de soleil soudain
dans les fleurs de pruniers
un chemin de montagne (kana)

Le « kana » terminal ajoute une touche d’émerveillement et de surprise tout en donnant un tour littéraire. La même chose ce produit avec cet autre haïkaï de Bashô :

quelle fleur est-ce
je ne sais ;
parfum (kana)

L’utilisation du mot « kana », ici, ajoute un coup à la fin et en même temps souligne que le « parfum » est la raison d’être du poème.
Bien que « ya », « kana » et « keri » soient les kireji les plus fréquemment employés, il y en a beaucoup d’autres qui sont utilisés afin d’ajouter une connotation littéraire et afin de placer une émotion.
En termes de forme donc, les trois attributs indicateurs du haïku traditionnel sont la forme en 5-7-5 avec une syllabe supplémentaire à l’occasion, le kigo ou la référence saisonnière, et le kireji qui ajoute de l’émotion et rend le poème littéraire.
En termes de contenu, on assimile généralement le haïku à la nature et son cours, « setsugekka », littéralement « neige, lune et fleurs » qui charrient cependant le sens général des phénomènes naturels. Le haïku traditionnels a tendance à examiner la relation de l’homme avec la nature, et sa perception de la nature.
Le haïku de forme libre oblitère totalement les règles du haïku. Il n’y a pas de forme préconçue. Seisensui et Ippekirô ont tendance à écrire des poèmes plus longs que le 5-7-5, alors que Santôka et Hôsaï optèrent pour la brièveté. Les kireji sont rarement employés, et sont dédaignés comme étant des reliques d’un genre artificiel de poésie. Les kigos sont souvent omis, et quand il y a un mot de saison, il est employé comme partie intégrante au poème plutôt que comme une obligation préalable. Ippekirô, qui publia un magazine semi-radical de haïku appelé « Kaiko« , parla de sa poésie en ces termes :

Quelques uns disent que ce sont des haïkus. D’autres disent que ce n’en sont pas. Quant à moi, peu m’importe comment vous les appelez. Mes poèmes, à mon idée, se positionnent différemment du haïku. En premier lieu je me fiche du sentiment de la saison. *

Ce point de vue est peut-être général pour les poètes de forme libre. Cependant, au cours des différents entretiens qui ont ponctué cette enquête, j’ai reçu des regards courroucés quand j’employais l’expression de « haïku de forme libre ». Le terme d' »ichigyôshi », poème d’une ligne, semblait apaiser les traditionalistes. Pour beaucoup d’érudits et de poètes âgés, le haïku est le haïku et c’est tout : Hôsaï et Santôka écrivirent des poèmes qui n’avaient pas de rapport avec le haïku.
L’éloignement du matériau poétique du haïku traditionnel avait tendance à élargir l’utilisation de procédés poétiques considérés comme tabous dans le haïku traditionnel. Shiki, quand il dénonçait Bashô comme étant trop subjectif, soutenait ardemment la notion de Buson de « ari no mama », les choses telles qu’elles sont. Buson croyait qu’il était du devoir de l’artiste de capturer la réalité objective sans aucune interférence subjective. Buson pratiquait lui-même ce qu’il énonçait à la fois dans sa peinture et dans sa poésie. Selon cette école de pensée, Bashô violait la doctrine de base en apportant trop du sentiment du poète lui-même dans son oeuvre. En survolant l’oeuvre de haïjins tels que Buson, Shiki et Kyoshi on réalise vite que le genre était déjà amplement devenu « shasei », des sketches de scènes naturelles ; l’objectivité, « kyakkansei » l’emportait sur la subjectivité, « shukansei ».
Dans la poésie du mouvement de la forme libre, on observe un fort retournement dans l’approche poétique. La subjectivité prend le dessus. La vision intérieure du poète se mêle au monde extérieur pour créer une révolution du haïku. L’impressionnisme, « inshô » et le symbolisme, « shôchô », deviennent une partie intégrale du poème. La conscience du poète est la base de l’expression. Deux termes souvent associés avec le haïku de forme libre sont « jiko no naishin », son coeur ou monde intérieur, et « dokuji no haiku », des haïkus de la nature originale, unique, de chacun. Les mondes poétiques de Buson et de Hôsaï semblent se situer sur des galaxies différentes.
Seisensui utilisait le slogan « geijutsu yori geijutsu ijo e », « plutôt que l’art, au-delà de l’art ». Buson aurait frémi en entendant ces mots.
Un autre aspect qu’on trouve dans le haïku de forme libre de Santôka et de Hôsai , est celui d’un profond sentiment religieux. La foi spirituelle de Hôsai se manifeste souvent par des symboles tels qu’un enfant, la mer ou une feuille tombée. Souvent ses vers en apparence simples font écho à la profondeur de Kôans Zen. Quand il dit, par exemple :

manquant le but,
le clou se tord

le lecteur sent peut-être que Hôsai parle de la vie en général et de notre approche d’elle. Il ne serait pas surprenant d’entendre un maître Zen demander « pourquoi le clou se tordit-il quand il ne fut pas tapé droit ? »
Un exemple supplémentaire de cette poésie qui ressemble au Koan Zen :

On dirait que les fourmis ne sortent plus de leur trou

Ici encore, on pourrait poser la question : « pourquoi ? »

°

* R.H. Blyth, A History of Haiku, vol. II, (Tokyo : Hokuseido Press, 1964, p. 205.

(à suivre…L’Ère Taishô et le Haïku de Forme Libre)

Haiku : A Poet’s Guide – Lee Gurga – (4)

24 août 2011

p.5 :

Haïku japonais classique

Dans son livre Le Haiku Essentiel (The Essential Haiku) Robert Hass présente l’oeuvre de trois haïjins célèbres : Bashô Matsuo, Buson Yosa et Issa Kobayashi. Les Japonais reconnaissent traditionnellement quatre grands maîtres : ces trois-ci et Shiki. Quelques uns de nos jours feraient de Chiyo-ni (1703-1775), la plus célèbre des femmes maîtresses du haïku, la cinquième.
Bashô, premier des grands maîtres du haïku, fut actif pendant la deuxième moitié du dix-septième siècle. Il vécut à une période où le haikai no renga (poésie liée) était à l’apogée de sa popularité. Le haikai no renga descendait de la poésie raffinée de cour appelée simplement renga. Une dérivation populaire de la classe des marchands, le haikai no renga était apprécié pour son humour et son exposition d’esprit verbal. Bien qu’il soit connu de nos jours comme un grand haijin, Bashô gagna sa vie, en fait, en enseignant le haikai no renga. Au fur et à mesure que le temps passa, le caractère superficiel de la plupart des choses qui s’écrivaient alors le mécontenta, et il s’efforça de développer par le hokku une poésie de plus grande profondeur. Son poème le plus célèbre :

vieille mare…
une grenouille saute
bruit de l’eau

est remarquable par sa simplicité et son absence d’étalage verbal. On peut l’interpréter soit comme un rapport sans ornement de quelque chose que Bashô expérimenta, ou comme l’énoncé profond d’une illumination Zen.
[…]

L’Essence du Haïku 7) par Bruce Ross

5 août 2011

étalant une natte de paille dans le champ
je m’assis et admirai
les fleurs de prunier

Buson

VI Nature et Beauté

La naturelle beauté d’émotion de la nature est un sujet royal dans le haïku japonais traditionnel. Les sujets correspondant au sentiment émotionnel et à la beauté comme sujets académiques légitimes dans l’esthétique occidentale se sont estompés à la fin du vingtième siècle. Cependant, ainsi que Shakespeare le nota : « Une rose, sous n’importe quel autre nom sentirait toujours aussi bon », et comme l’écrivain américain Gertrude Stein déclara célèbrement : « une rose est une rose est une rose. » Nous avons aussi le compte-rendu de Bashô même à propos de son émerveillement à admirer la lune toute une nuit autour d’une mare. Ransetsu traite également de ce point dans un haïku :

chrysanthèmes blancs
chrysanthèmes jaunes –
si seulement il n’y avait pas d’autres noms !

Bashô donna son propre point de vue à propos du sentiment affectif et de la beauté naturelle : « Il obéissait à la nature et était en phase avec elle et les quatre saisons. » De fait, ainsi même qu’un kigo est incorporé dans le haïku traditionnel, on incorpore au moins une strophe de fleur et une de lune dans la poésie japonaise en commun, le renga. Les fleurs de cerisiers sont probablement l’image de la beauté la plus couramment employée au Japon. Quand le mot de « fleur » est employé, il désigne la fleur de cerisier. Etant donné certaines théories sur la relation des fleurs de cerisiers aux kami ou esprits de dieux Shinto dans le Japon ancien, une équation valable pour le haïku serait que les fleurs de cerisiers égal le haïku, ou que la beauté naturelle égal le haïku.
Un haïku de Zoé Savina, de Grèce, explore cette équation :

vois, en pleine floraison,
à contre-endroit, et à contretemps,
les acacias sous la pluie

Les acacias sont principalement des arbres tropicaux avec de des amas serrés de fleurs jaunes ou blanches. Le poète, ici, souligne la métaphore absolue dans cet instant-haïku. Les arbres ne font pas que refléter la beauté par leurs fleurs. Cette beauté est rehaussée par la pluie. Cette beauté rehaussée élève l’instant-haïku du poème en une épiphanie d’intemporalité ainsi que l’exprime la deuxième ligne. De plus, le poète veut s’assurer que le lecteur comprenne la nature de cette beauté rehaussée en le dirigeant vers l’épiphanie, dans la première ligne. L’épiphanie est de voir les acacias tels qu’ils sont dans leur moment de beauté particulière.

(à suivre : VII) L’Entièreté.)

Poèmes de mort japonais – BOK – BUS

30 juin 2011

°
BOKUKEI (Nakajima Saburosuka)
(meurt le 16è jour du 5è mois de 1869)

coucou, moi aussi
je chante, crachant du sang
mes pensées bienveillantes

Le coucou a une gueule ruge, et à cause de cela, ou peut-être à cause de son cri rauque, un proverbe dit que « quand le coucou chante, son sang coule. »

°
BOKUSUI
(meurt le 29 novembre 1914, à 40 ans)

Un monde qui s’en va –
La neige qui fond
n’a pas d’odeur

°
BUFU
(meurt le 24è jour du 7è mois de 1792)

Ô, peu m’importe
où les nuages d’automne
dérivent !

°

BUNZAN
(meurt le 14è jour du 1er mois de 1787)

j’ai traverseé de l’année dernière
à la nouvelle –
aujourd’hui est la limite

°
BUSON
(meurt le 25è jour du 12è mois de 1783, à 68 ans)

ces derniers temps
les nuits s’achèvent
dans une blancheur de fleurs de prunier

On dit que, environ un mois avant sa mort, Buson alla ramasser des champignons dans les collines et qu’à son retour il tomba malade. Le 24è jour du 12è mois, veille de sa mort, il appela son disciple Gekkei, lui donna un pinceau et lui demanda d’inscrire trois poèmes. L’image d’un rossignol apparaît dans les deux premiers, et dans le troisième, celle d’un prunier. Ces deux images sont associées à la fin de l’hiver et au début du printemps.

°
(à suivre…)

40 HAIKU d’hiver – ARBRES et FLEURS – Blyth – p.1266-1281.

13 juin 2011

°
(p.1266 :)

le soleil couchant
derrière le nid de l’aigle
dans les branches du camphrier

Bonchô



chrysanthèmes d’hiver;
du son de riz tombé
autour du moulin manuel

Bashô

après les chrysanthèmes,
en dehors du radis blanc,
il n’y a rien

Bashô

°
(p.1267 :)

allant arracher les radis blancs,
le petit garçon
perché sur le bât

Bashô

à cheval sur le navet long,
je tirai de toutes mes forces :
sa petite racine !

Ginkô

l’arracheur de radis blancs
montre le chemin
avec un radis blanc

Issa

°
(p.1268 :)

dans la rivière hivernale,
arraché et jeté,
un navet rouge

Buson

des démons semant de l’orge
dans les longs rayons
du soleil couchant

Buson

ombres d’hommes
semant de l’orge
dans les longs rayons du soleil couchant

Buson

°
(p.1269 :)

désolation hivernale ;
dans la cuve d’eau de pluie
marchent les moineaux

Taigi

désolation hivernale ;
des ordures déposées
au fond de la rivière

Ichiku

parmi les arbres de l’hiver
quand la hache s’enfonça,
l’odeur !

Buson

°
(p.1270 :)

les deux rois Deva
tannés par les intempéries
au milieu des bocages d’hiver du temple Mii

Kikaku

dans le bocage hivernal
des échos
d’il y a bien, bien longtemps

Issa

°
(p.1271 :)

l’herbe de la pampa tombe :
l’oeil peut voir
le froid qui augmente

Issa

herbe de la pampa flétrie ;
il était une fois,
une vieille sorcière…

Issa

après avoir acheté des poireaux,
je m’en revins
parmi les arbres desséchés

Buson

°
(p.1272 :)

les jonquilles,
enclos dans la barrière du jardin :
Mont Tsukuba

Issa

des renards jouent
parmi les narcisses ;
claire nuit de lune

Buson

musique sacrée de nuit;
dans les feux de joie
volettent les feuilles teintes

Issa

°
(p.1273 :)

il a l’air d’avoir cent ans,
le jardin de ce temple,
avec ses feuilles tombées !

Buson

les feuilles étant tombées,
qu’elle est misérable, la glycine
du vieux temple !

Buson

de près, de loin,
on entend la voix des cascades,
les feuilles tombent

Bashô

°
(p.1274 :)

le feu pour la pêche;
les vagues lappant,
feuilles teintées qui tombent

Richô

°
(p.1275 :)

le vent apporte
assez de feuilles
pour faire un feu

Ryôkan

le chaton
immobilise la feuille
un moment

Issa

°
(p.1276 :)

les feuilles qui volent
dans le champ d’en face
provoquent le chat !

Issa

°
(p.1277 :)

les feuilles tombées ont sombré
et gisent sur un rocher
sous l’eau

Jôsô

les feuilles du chêne
sont tombées ce matin ;
cuve au soja caillé

Issa

°
(p.1278 :)

les feuilles tombent
pour pour le gagne-pain
du coucou

Issa



les feuilles tombent;
je n’ai même pas
de fût à saumure

Bashô

°
(p.1279 :)

soufflant de l’ouest
les feuilles se rassemblent
à l’est

Buson

quand le vent souffle du nord
les feuilles fraternisent
au sud

Buson

la tempête de montagne
repousse ensemble
les oiseaux aquatiques

Buson

une rafale de vent :
les oiseaux d’eau
deviennent blancs

Buson

°
(p.1280 :)

peu de gens ;
une feuille tombe ici
une feuille, là

Issa

les balayant
puis ne les balayant pas,
les feuilles tombées

Taigi

les feuilles en tombant
gisent l’une sur l’autre;
la pluie tombe sur la pluie

Gyôdai

°
(p.1281 :)

tranquillité –
un oiseau marche sur des feuilles tombées :
leur bruit !

Ryûshi

les herbes du jardin
tombent –
et gisent
ainsi

Ryôkan

°

FIN DE HAIKU (vol IV) de R.H. Blyth, Hokuseido Press, 1982.

(traduction de l’anglais : Daniel Py, 1/4/2007-13/6/2011.)

20 HAIKU d’hiver + 3 de printemps – OISEAUX et ANIMAUX – Blyth – p.1256-1265

13 juin 2011

°
(p.1256 :)

la chauve-souris
vit cachée
sous le parapluie cassé

Buson

après avoir porté l’eau salée,
le pêcheur rentre chez lui,
laissant là les pluviers

Onitsura

°
(p.1257 :)

les pluviers de la côte
jouèrent,
mouillant leurs pattes

Buson

la lune à l’aube ;
les pluviers de la côte
s’évanouissent au loin

Chora

lavant une casserole –
ridules sur l’eau :
une mouette solitaire

Buson

°
(p.1258 :)

les oiseaux d’eau;
femme dans un bateau
lavant de jeunes légumes verts

Buson

oiseaux d’eau ;
au milieu d’arbres desséchés,
deux palanquins

Buson

un sanctuaire;
des oiseaux flottent endormis;
les lumières lointaines des jardins

Shiki

°
(p.1259 :)

l’oiseau aquatique,
bec dans son poitrail,
dort en flottant

Ginkô

l’oiseau aquatique
a l’air lourd –
mais il flotte !

Onitsura

°
(p.1260 :)

la poitrine
de l’oiseau aquatique
rencontre son reflet

Mahara

l’air sur le visage de la sarcelle d’hiver :
« j’ai fait du tourisme
sous l’eau ! »

Jôsô

le jour se lève ;
la voix des canards sauvages
entoure le château

Kyoroku

°
(p.1261 :)

la mer s’assombrit
la voix des canards sauvages
est vaguement blanche

Bashô

vagues de chaleur au printemps ;
un insecte inconnu
vole blanchement

Buson

°
(p.1263 :)

le bruit de la chauve-souris
volant dans le fourré
est sombre

Shiki

le bébé,
quand on lui montre même une fleur
ouvre la bouche

Seifu-jo

le jeune coucou
appelle ses parents
d’une voix jaune

Issa

le roitelet
gagne sa vie
bruyamment

Issa

°
(p.1264 :)

le roitelet gazouille –
mais devient adulte
de toute manière !

Issa

Voyez ! cette tombe solitaire
avec le roitelet,
c’est toujours ici !

Issa

°
(p.1265 :)

l’holothurie :
où sa tête, où sa queue ?
Dieu seul le sait

Kyorai

ne faisant absolument rien,
l’holothurie a vécu
huit-mille ans

Shiki

°
(p. 1266 : ARBRES ET FLEURS : à suivre…)

59 HAIKU d’hiver + 1 de printemps – Blyth – p.1231-1255

13 juin 2011

°
(p.1231 :)

réclusion hivernale;
la sarcelle
a l’habitude de la baignoire

Shiki

rivière en hiver;
y flottent
les fleurs offertes au Bouddha

Buson

la cascade s’assèche –
de l’eau goutte
sur les feuilles

Shimpû

°
(p.1232 : DIEUX ET BOUDDHAS)

Les bruits qui s’y sont mêlés
ont disparu :
reste le son du bol frappé

Chora

frappant le bol,
et buvant les gouttes de pluie
de mon visage

Raizan

°
(p.1233 :)

un enfant pleurant dans la nuit ;
nous franchîmes cette chaumière aussi
frappant les bols

Buson

endormant l’enfant,
et sortant frapper les bols –
l’obscurité

Buson

dépassant une maison
où l’on se marie –
frappant les bols

Kyoroku

frappant les bols,
les frères chantent
d’une même voix

Chora

°
(p.1234 :)

les lanternes –
encore plus pathétiques ;
prières hivernales

Buson

°
(p.1235 :)

dans les nuages
il y a des voix :
prières hivernales

Ryôta

les dieux s’en vont, l’on dirait ; *
hyororo, hyororo,
crient les milans

Issa

* Au 1er octobre, au Japon, tous les dieux quittent leur sanctuaire pour rejoindre le Grand Sanctuaire d’Izumo.



le dieu est absent;
ses feuilles mortes s’entassent,
tout est déserté

Bashô

°
(p.1236 :)

dans le temple Zen
des aiguilles de pin tombent;
le mois sans dieux

Bonchô

misérables
dieux de ma maison,
s’il vous plaît, accompagnez-les aussi !

Issa

faisant leur lessive
tandis que les dieux sont absents –
il pleut aussi aujourd’hui

Issa

°
(p.1237 :)

les Dix Nuits : *
toutes sortes d’imbéciles
ce soir de pleine lune

Issa

* du 15 au 26 octobre, les croyants de la Secte de la Terre Pure se rassemblent dans les temples pour réciter le Nembutsu.

tant qu’on y est,
polir la pipe ;
la cérémonie avancée

Issa

simple et honnête,
le serviteur
balaie aussi la neige du voisin

Issa

°
(p.1238 :)

le Bouddha sur la lande ;
du bout de son nez
pend un glaçon

Issa

debout sous la pluie froide
pour le salut d’autrui,
Bouddha de la compassion

Issa

°
(p.1239 : AFFAIRES HUMAINES)

nettoyage de printemps –
Dieux et Boudhas
dehors sur l’herbe

Shiki

santé et forces défaillantes ;
mes dents raclent
sur le sable des algues

Bashô

première pluie d’hiver ;
seulement pour aujourd’hui,
que d’autres aussi soient vieux !

Bashô

°
(p.1240 :)

allant acheter du riz,
le sac couvert de neige
comme mouchoir !

Bashô

ce feu de charbon;
nos ans déclinent
de la même manière !

Issa

°
(p.1241 :)

le feu couvert;
du profond de la nuit
on cogne à la porte

Kyoroku

le feu couvert :
plus tard, ce qui est dans la poêle
se met à bouillir

Buson

m’éveillant la nuit;
la lampe basse,
l’huile gèle

Bashô

°
(p.1242 :)

apportant des veilleuses
pour chaque chambre –
le brame du cerf !

Kyoshi

j’approchai le brasero
de mes jambes, mais mon coeur
en était loin

Buson

dans la guérite, de jour,
un brasero :
personne…

Shiki

°
(p.1243

dehors, un Seigneur
trempé jusqu’aux os –
moi, sous mon kotatsu *

Issa

* Petit brasero sur lequel on étend des couvertures sous lesquelles on positionne pieds et jambes.

°
(p.1245 :)

le kotatsu
qui veille sur mon ermitage
est ma principale icône

Jôsô

pour y écrire,
le kotatsu
est juste un peu trop haut

Ensui

°
(p.1246 :)

le grillon crie
de manière oublieuse :
ce brasero !

Bashô

agité,
l’esprit du voyageur –
ce brasero portable

Bashô

dix ans d’étude dans la pauvreté :
une couverture
élimée

Shiki

°
(p.1247 :)

réparant une déchirure
dans le kamiko *
avec quelques grains de riz cuit

Buson

* : sorte de par-dessus fin pour se protéger du froid, fait de papier froissé traité au jus de kaki.

un kamiko
montre les entrailles
du haïkaï

Shiki

chrysanthèmes se fanant;
chaussettes séchant sur la clôture :
un beau jour

Shiki

°
(p.1248 :)

réclusion hivernale ;
écoutant, ce soir,
la pluie dans la montagne

Issa

cinquante ans,
mais non, jamais,
réclusion hivernale

Issa

°
(p.1249 :)

sans mérite
sans culpabilité :
réclusion hivernale

Issa



réclusion hivernale;
de nouveau je vais m’appuyer
contre ce poteau

Bashô

réclusion hivernale;
sur le paravent doré
le pin vieillit

Bashô

°
(p.1250 :)

réclusion hivernale;
au plus profond de l’esprit,
les montagnes de Yoshino

Buson

montagnes vues aussi
par mon père, comme ceci,
dans son confinement hivernal

Issa

°
(p.1251 :)

quand je vois l’océan,
chaque fois que je le vois,
ô, mère ! *

Issa

* La mère d’Issa mourut quand il avait trois ans.

la flamme immobile,
ronde sphère
de réclusion hivernale

Yaha

réclusion hivernale;
il y a une question que je voudrais poser
à Sàkyamuni

Shiki

°
(p.1252 :)

un oiseau appelle;
le bruit de l’eau s’assombrit
autour de la nasse

Buson

un clair matin d’hiver;
le charbon est de bonne humeur :
il craque, crépite !

Issa

la nuit avance :
bruit du charbon
qu’on casse sur du charbon

Ryôta

°
(p.1253 :)

le soleil
dans l’oeil du faucon
revenu sur mon poing

Tairo

à cheval
mon ombre
rampe glacée

Bashô

le soleil brille
sur les pierres
de la lande desséchée

Buson

°
(p.1254 :)

le vieux calendrier
me remplit de gratitude
comme un soutra

Buson

soir sombre –
la couverture du calendrier
qui s’achève

Buson

°
(p.1255 :)

« les fabricants de gâteaux de riz
sont chez le voisin ! »
dit l’enfant

Issa

°
(p.1256-1265 : OISEAUX ET ANIMAUX : à suivre…)