Ogiwara Seisensui par M. Ueda – 19/19.

(pp. 333-4) :

Pour Seisensui, écrire du haïku était un mode de vie, une discipline morale. Il remplissait beaucoup des fonctions d’une religion. Composer du haïku aidait à soulager la douleur face à la tragédie. Il permettait de vivre une vie spirituelle satisfaisante, même si matériellement appauvrie. Il aidait à maîtriser les passion qui, si on les laissait libres, pouvaient atteindre une taille monstrueuse. Il apportait paix et calme au milieu de l’époque moderne affairée. Pour faire court, écrire du haïku aidait les gens à atteindre un état d’esprit suprêmement heureux.

Pour appuyer son assertion, Seisensui citait des exemples de personnes pour qui le haïku fonctionnait comme une sorte de religion. L’une d’elles était Kaitô Hôko (1902-40) *, un jeune patient tuberculeux d’abord attiré par le christianisme et qui chercha ensuite du réconfort dans le haïku.
Une libellule rouge aussi

est venue en visite

tout seul

satisfait

Ce haïku de style libre de Hôko suggère que non seulement la libellule mais aussi le poète malade étaient satisfaits. Il savait qu’il allait mourir, car la tuberculose était alors incurable. Cependant il était calme, à la fois philosophiquement (sans cela la libellule aurait été trop effrayée pour l’approcher) et spirituellement (sinon il n’aurait pas pu écrire un haïku). Il avait été capable d’atteindre cette paix de l’esprit en s’identifiant à une libellule, qui fait partie de la nature.

Les exemples préférés de Seisensui de la fonction religieuse, suprême, du haïku incluaient aussi des poèmes des moines Hôsai et Santôka. Le haïku suivant, de son cru, écrit pendant une maladie, pouvait également en faire office :

maintenant dans le lit

maintenant hors du lit…

des grappes de glycine

sont visibles 

aussi du lit

Clairement, la maladie de Seisensui n’était pas aussi grave que celle de Hôko, puisqu’il pouvait sortir de son mlit de temps à autre. Mais il n’avait pas la force de rester debout pendant de longues heures, et le lent processus de recouvrement l’irritait parfois. Ce qui pacifiait son esprit, c’était de s’approcher de la nature et d’en apprécier la beauté.

Ces exemples sont des haïkus de style libre, et ils illustraient bien les idées de Seisensui à propos de l’utilité de la poésie. On se demande cependant si ces idées ne s’appliqueraient pas tout aussi bien à la tradition entière du haïku. Presque tout ce que Seisensui dit à propos du plaisir et de l’utilité du haïku de style libre peut remonter jusqu’à Bashô. Seisensui ne cachait pas ce fait ; en vérité, il citait souvent Bashô pour conforter ses arguments. Eu égard à l’utilisation du haïku, il ne fut pas du tout un innovateur. Mais ce fait prouve que la nouvelle forme de poésie à laquelle il dédia sa vie était le haïku et pas le vers libre. Il n’y avait aucun doute dans son esprit qu’il suivait fidèlement la voie du haïku traditionnel. La question de forme mise à part, Seisensui concevait le haïku d’une manière plutôt traditionnelle, même si beaucoup de ses contemporains ne reconnurent pas qu’il le fit.

* Hôko joignit le groupe « Nuages stratifiés » en 1925. Beaucoup de ses haïkus, recueillis dans « Trois grues » reflètent sa bataille prolongée, perdante, contre la tuberculose.

°°°

Fin du chapitre 7 consacré à Ogiwara Seisensui, dans Modern Japanese Poets, Stanford University Press, 1983, par Makoto Ueda (Professeur de japonais à la Stanford University, N.Y….)

(tr. fr. (c) Daniel Py, Paris-Orly, 1er trimestre 2016).

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