L’Essence du Haïku 3) par Bruce Ross

« J’ai vu les coupes et les tables de Platon,
mais pas son « esprit-coupe » ni son « esprit-table ».
: Diogène.

II) Le Particulier

Si cette chose mystérieuse est l’apparition de l’universel, cette apparition ne peut se manifester qu’à travers le particulier. Le particulier lui-même a sa propre qualité de mystère. Dans les meilleurs haïku, c’est le mystère du particulier qui en est l’essence. Essence que l’on trouve dans la sauterelle d’un haïku d’Issa :

une bise fraîche,
la sauterelle qui chante
de toute sa force

Qu’est-ce qui pourrait être plus simple qu’écouter une sauterelle ? Issa a particularisé, peut-être même personnalisé cette créature. Ce ne sont pas toutes les sauterelles qui exposent leur similitude, leur « esprit-sauterelle » dans celui-ci. Dans ce haïku, c’est une seule sauterelle qui produit son chant avec un grand enthousiasme. Elle se particularise par cet événement à ce moment particulier. La vie évidente de cette petite créature rend ses efforts à la fois nobles et comiques. Ce n’est pas un simple insecte ou une simple sauterelle : c’est cette sauterelle en particulier dans cette scène précise.
Le phénoménologiste Edmund Husserl voulait fonder l’activité mentale philosophique, dans le projet cartésien, sur le véritable contenu de la perception. Il suggéra une fourchette d’expériences pour en déterminer l’essence, et ainsi son credo était « zu den Sachen », « aux choses elles-mêmes ». Le haïku est ainsi. Il […] expérimente un moment du temps tout en particularisant les composantes de ce moment. Comme la « fourchette » de Husserl, il y a un élément central de vérité dans l’expérience-haïku.
Considérez l’escargot dans ce haïku de l’anglais David Cobb :

dans le jardin sombre
un éclair lointain –
la trace d’un escargot

L’escargot – ou plutôt son absence – est circonscrit par l’éclair qui illumine momentanément la trace brillante de la créature. L’auteur se trouve dans un jardin la nuit, en train peut-être d’observer l’orage lointain. Puis une révélation : la trace d’un escargot. Une telle trace est chose petite,lisse, luisante. Où est la vérité ici ? L’auteur peut être étonné ou émerveillé par la clarté luisante de la trace et considère peut-être un escargot, cet escargot, d’une nouvelle manière : une présence dans une absence. Par dessus tout, il y a un peu de mystère, comme si on voyait un fantôme vivant, dans cette trace. Le mystère de la trace de l’escargot fait aussi le lien avec le mystère de l’éclair, apportant tous deux la clarté et l’illumination au milieu des ténèbres.

(à suivre : III) Sentiment et Emotion.)

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