» Les zennistes […] ne pouvaient manquer d’influencer cette nouvelle mode, comme ils avaient influencé toutes les formes d’activité intellectuelle ou artistique depuis l’époque Ashikaga, et ajoutèrent à cette réunion d’amis esthétisants une touche d’étiquette et de rituel – mais enfin juste ce qu’il fallait pour convenir aux Japonais qui ne pourraient respirer sans un peu de rituel […]
Mais tout cela était bien moins pédant qu’il n’y pourrait paraître aujourd’hui, car ces attitudes mentales – celles du zen – étaient dans l’air qu’on respirait, étaient naturellement vécues par beaucoup, ne faisaient pas encore l’objet d’une montagne d’exégèses, d’analyses et de codifications.
[…]
Naturellement, ce point d’équilibre et de convergence est un paysage mental et ce qu’il faut bien appeler une cérémonie ou un divertissement n’est qu’un moment historique privilégié et transitoire. Ensuite, on a les miettes, l’acte et l’idée, mais elles ne se rapportent plus exactement et dans l’interstice, les exégètes et les pédants et les raseurs s’installent et glosent et pontifient, ce qui ne manque pas de se produire rapidement et la cérémonie du thé, après avoir été un « repos du guerrier », devint un exercice de simplicité, d’ailleurs fort coûteux et aride, pour aristocrates désoeuvrés, puis une performance fastidieuse vidée du contenu. Une fois que l’académisme s’en mêle, le tour de main le plus simple devient un petit capital qu’il s’agit de ne pas gaspiller et surtout de faire breveter avant qu’un concurrent ne vous le carotte pour saisir la boîte à thé à deux mains, le regard à la hauteur de l’horizon ; […] Tout cela s’exporte et se commercialise, comme le Baume tonique des Brahmanes ou comme l’Eau véritable du Jourdain. La fraîcheur s’est perdue en route, et quand la culture n’est plus fraîche elle empoisonne aussi sûrement qu’une moule avariée. »
N. Bouvier op. cit. p. 181-183
Étiquettes : cérémonie du thé
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