A l’époque du Manyôshu, les waka se composaient sur les thèmes de la guerre et de l’amour, en y incorporant tous les aspects de la vie humaine. A la simplicité du sentiment s’ajoutait la beauté de l’expression poétique. Quelques changements eurent lieu avant la parution du Manyôshu, au X° siècle. Les poèmes ont plus d' »esprit », plus de poli, sont moins directs que précédemment, mais y restent un lyrisme et une subjectivité communs, un emprunt à la nature pour exprimer les sentiments du poète.
Pour en revenir au renku (ou poèmes liés), nous trouvons dans cette composition commune à plusieurs poètes quelque chose de plus joueur et artificiel. Les gens firent du renku parce que c’était plus facile que le waka, et y apportèrent plus de liberté et d’aise, ce qui est une des caractéristiques du haïku. Le renku atteint l’apogée de sa popularité à l’ère Muromachi (1392-1490); Sôgi (mort en 1502) fut le plus grand protagoniste de cette forme de versets. Le waka en vint graduellement à rechercher le yûgen, subtilité mystérieuse, et le seijaku, tranquillité de l’esprit, mais il dépendait toujours des mots pour produire ses effets et tomba souvent dans une simple imprécision. Les buts du waka et du haïku n’étaient pas différents, mais le fait que le renku ait deux auteurs ou plus, et qu’il y ait opposition entre les deux parties de la strophe : la partie haute (5/7/5) et la partie basse (7/7) procura une clarté d’atmosphère, une indépendance des deux parties et un besoin de condensation et de brièveté en chacune. De plus, cette division fit que le renku eut tendance à devenir descriptif et objectif, puisque l’identité d’humeur est plus difficile à atteindre que la similarité du sujet. De plus, en contradiction avec le waka, qui tenait son origine de la cour, les renkus étaient pratiqués par moines et reclus, et ceci donna finalement au haïku sa saveur bouddhique, légèrement pessimiste et d’évasion, une certaine attitude passive de « spectateur » du monde, qu’il n’a jamais perdues.
Après Sôgi, le renku commença à perdre son originalité et sa puissance; les règles se multiplièrent et devinrent compliquées. A l’époque de Sôkan (1465-1553), on introduisit de nouveaux matériaux, des mots quotidiens, des pensées inattendues, des contradictions de formes et de matières, des éléments spirituels et humoristiques qui finalement donnèrent au haïku un « sens » différent de celui du waka. A l’époque où nous atteignons Teitoku (1570-1653), le renku de haïkaï était devenu encore plus libre, et c’est son principal sujet de célébrité, car son action principale consistait alors en jeux de mots, et autres calembours purement intellectuels. A cela s’opposa le style Danrin, sous Sôin (1604-1682) qui essaya de rendre cet humour plus pirituel et moins verbal. Quand, à nouveau, la poésie eut besoin d’une nouvelle vie, Onitsura (1660-1738) et Bashô appaurent. Bashô composa des renku ou des haïkaï sa vie entière. Suivra un exemple du traitement de poèmes liés par Bashô, dans sa maturité, et ses disciples.
Donnons d’abord quelques unes des règles les plus importantes. Le hokku, ou verset de départ (de 5/7/5) contient un mot de saison, et ouvre le bal; le bal se poursuit en fait jusqu’où l’instinct des participants le souhaite. Le deuxième verset (7/7) accomplit le sentiment du hokku, remplit le paysage, mais le 3° verset (de nouveau 5/7/5) apporte un changement, le transportant dans un nouveau royaume d’expérience ou d’imagination poétiques. Il se termine normalement par un participe présent, menant ainsi le poème loin du hokku vers de nouvelles pâtures. La saison change selon le voeu des poètes, mais quelques règles gouvernent aussi cela.
L’exemple choisi est un chaînon fait en 1690, quatre ans avant la mort de Bashô, entre Bashô, Kyorai, Bonchô et Shihô (ou Fumikuni). Il se trouve dans un recueil appelé Le manteau de paille du singe, édité par Bonchô et Kyorai. Il contient des haïkus, des renkus, un journal de voyage de Bashô. La sélection présente est une série de renkus appelée : La Première Pluie de l’Hiver, Hatsushigure :
PREMIèRE PLUIE D’HIVER
Ses plumes
le milan a lissé
dans la première pluie d’hiver
(Kyorai)
Une rafale de vent a soufflé les feuilles;
elles sont calmes
(Bashô)
Les braies mouillées
au matin,
passant la rivière
(Bonchô)
Un arc de bambou
menaçant le blaireau
(Shihô)
Le lierre rampe au-dessus de
la porte de bois,
sous la lune du soir.
(Ba.)
Ils dissimulent aux autres
les fameuses poires.
(K.)
Croquant rapidement
des sketches à l’encre de Chine,
l’automne passe plaisamment.
(S.)
Confortables
les chaussettes tricotées
(Bo?)
Tout
dans le silence
est rempli de paix
(K.)
Le hameau d’abord aperçu,
l’on souffle la corne de midi.
(Ba.)
Le matelas usé
de l’année dernière
est humide et crasseux.
(Bo.)
Les pétales de la fleur de lotus
tombent par un et par deux
(S.)
La soupe
d’algues de Suizenji
est la première réussite
(Ba.)
Sept milles et plus encore
de voyage
(K.)
Ce printemps aussi
le serviteur de Rodô
reste à son poste.
(S.)
La greffe prend
sous la lune de nuit brumeuse
(Bo.)
Le bassin de pierre moussu
se trouve à côté
des fleurs de cerisiers
(Ba.)
Je me sens mieux
malgré ma colère de ce matin
(K.)
En un repas
mangeant la nourriture
de deux jours
(Bo.)
Comme s’il allait neiger,
le vent du nord des îles froides.
(S.)
Quand le temps s’assombrt,
ils montent jusqu’au temple sur le pic
allumer la lanterne
(K.)
Les hototogisu ont tous
chanté leur dernier chant.
(Ba.)
Minceur osseuse;
pas encore la forme
pour se lever
(S.)
Tirant l’attelage
chez le voisin
(Bo.)
Elle laissera passer
par la barrière de cognassiers
celui qui lui donne le mal d’amour.
(Ba.)
» Allons, il faut nous séparer;
voici ton épée »
(K.)
Tout en émoi
elle peigne
ses cheveux en désordre
(Bo.)
Voyez la, inquiète
et affolée
(S.)
Dans le ciel dégagé
de l’aube,
la lune au déclin
(K.)
Automne; dans le lac Biwa
le premier gel du mont Hira.
(Ba.)
Une porte rustique;
il chante en vers
son sarrasin dérobé.
(S.)
Dans le vent du soir,
habitué à porter des habits de coton rembourré
(Bo.)
Empaqueté, et dormant ensemble,
de nouveau partir
du logement de cette nuit
(Ba.)
Le ciel est encore rouge
des nuages des soufflets
(K.)
Une maison fabriquant des selles;
par la fenêtre
des fleurs de cerisiers
(Bo.)
Au milieu des vieilles feuilles du néflier
ses bourgeons éclatent.
(S.)
°
(à suivre, p.129)
13 août 2009 à 7:41
Merci! (((-:
13 août 2009 à 7:49
avec grand plaisir !
daniel