HAIKU de R.H. Blyth V.1, sect.1 Le waka (b)

Hito sumanu fuwa no sekiya no itabisashi arenishi nochi wa tada aki no kaze

Personne ne vit à la barrière de Fuha;
L’appentis de bois est en ruine;
Tout ce qui reste
Est le vent d’automne

D’après ceci, tiré du Shin Kokinshu, Bashô composa ce qui suit :

aki-kaze ya yabu mo hatake mo fuwa no seki

Vent d’automne :
Halliers et champs,
La barrière de Fuha.

ce qui est bien inférieur au waka. Cela en retire la partie la plus poétique, la pensée des deux dernières lignes, et nécessite le waka en post-scriptum pour en saisir le sens. On peut développer l’original et la traduction :

Ce qui fut autrefois la barrière de Fuha,
n’est plus maintenant que halliers et champs :
Le vent d’automne.

Ici nous retrouvons ce que Bashô avait en tête, en arrière-pensée peut-être, et qui n’est pas dans le waka.

Tout ce qui reste
Est le vent d’automne

contient quelque chose d’un peu faux dans le sentiment; le vent d’automne n’est pas tout ce qui reste. Le waka vise à cette mélancolie qui est réelle, mais ne constitue pas toute la réalité. Le haïku dit que le vent d’automne EST la barrière, les champs et les bosquets, l’âme du poète qui donne sens et valeur à la scène. Le verset de Bashô est un échec, mais c’est l’échec de l’imagination créatrice se battant avec le matériau et la forme. Un autre verset de Bashô montre sa préoccupation du waka :

Imo arau onna saigyô naraba uta yoman

Une femme lavant des pommes de terre;
Si Saigyô était ici,
Il écrirait un waka.

Bashô réalisa la qualité lyrique de ses sensations, et qu’elle requérait la forme du waka.
Venons-en maintenant aux différences générales entre waka et haïku : on peut dire, une fois encore, que le waka vise à la beauté, beauté parfois superficielle, si l’on veut, qui exclut toutes choses laides. Le but du haïku n’est pas la beauté, mais quelque chose de plus profond et de plus large. C’est la signification, une signification poétique, « un choc de surprise modérée » que le poète reçoit quand le haïku naît et que le lecteur reçoit quand il renaît dans son esprit. Il serait par exemple impossible de réécrire en waka ceci :

Musasabi no kotori hami-hiru kare-no kana
Buson

L’écureuil volant
broie le petit oiseau
sur la lande désolée

Le haïku trouve des états d’esprit intensément intéressants qui ne sont aucunement en rapport avec la beauté :

Yo ni ireba naoshitaku naru tsugi-ho kana
Issa

Après la nuit,
je commençai à vouloir changer
la manière dont je l’avais greffé.

Le waka est ce qu’en terme d’art plastique on pourrait nommer décoratif. En termes musicaux il nous rappelle des Chansons sans Paroles; par exemple :

Ômi no umi yûnami-chidori na ga nakeba kokoro mo shinu ni inishie omôyu
Hitomaro

Ah, pluviers, quand vous pleurez
sur les vagues vespérales d’Omi, –
Combien je me lamente,
me souvenant du passé lointain !

La transition du cri des pluviers à une humeur mélancolique et le souvenir conséquent d’anciennes choses malheureuses, d’un passé lointain, sont conventionnels mais pas insincères. Ce waka est réussi en pertie parce qu’il ne vise pas très haut. Dans ce sens nous pouvons dire qu’un haïku faible est meilleur qu’un bon waka. Cependant, la seule longueur du waka permet au poète de dire et faire des choses qui ne peuvent être dites et faites dans un haïku. Il y a une séquence naturelle, une graduation explicitée qui requiert les trente et une syllabes du waka. Ceci est illustré par l’exemple précédent et le suivant :

Negawaku wa hana no shita nite haru shinamu sono kisaragi no mochizuki no koro
Saigyô

Mon désir
est de mourir
sous les fleurs de cerisiers
au printemps,
la quinzième nuit
du deuxième mois

qui est le jour de l’entrée du Bouddha dans le Nirvana, quand les fleurs de cerisiers sont à leur apogée. Le verset suivant en est une sorte d’écho postérieur :

Hotoke niwa sakura no hana wo tatematsure waga nochi no yo wo hito toburawaba
Saigyô

Déposez des fleurs de cerisiers
aux pieds du Bouddha,
si vous désirez prier pour mon âme
dans le monde à venir.

Prenons un waka bien postérieur mais encore fameux :

Ura ura to nodokeki haru no kokoro yori nihoi idetaru yamazakura bana
Kamo Mabuchi (1697-1769)

Du coeur du printemps
clair et embaumé
sont soufflées
ces fleurs de cerisiers de la montagne

Dans cette strophe le sujet est les fleurs de cerisiers de la montagne, et leur relation avec le printemps; elles représentent la nature même du printemps en procédant de lui. Les fleurs symbolisent la nouvelle vie du monde comme glace et neige hivernales se dissolvent et disparaissent. Ce verset est caractéristique de Mabuchi dans son appréciation des waka du Manyôshu. Le mot « soufflées » qui littéralement signifie « viennent odorantes » s’applique à la forme et à la couleur aussi bien qu’à la senteur véritable. Mais pour toute sa poésie et sa beauté, le poème de Mabuchi, dans son symbolisme et son assertion du rapport entre les fleurs et le printemps, reste bien du waka et n’est pas du haïku.

Kagiri naku kanashiki mono wa tomoshibi no kiete no nochi no nezame nari keri
Kagawa Kageki

M’éveillant la nuit
après l’extinction
des feux –
une infinité
de griefs.

Le haïku suivant est tellement plus ordinaire, plat et non-poétique :

Shoku no hi wo shoki no utsusu ya haru no yû
Buson

Allumant une chandelle
avec une autre chandelle;
soir de printemps.

Mais le haïku saisit un moment de profondeur inexplicable. Il ne regarde ni avant ni après, mais se confine à l’intemporel, quand la vie soudain s’approfondit et tout l’univers assiste à l’éclairage d’une bougie.
Le waka dit tout ce qu’il souhaite dire, exprimant une douleur poignante et un désir ardent, apportant sa signification sans ambages au lecteur :

Yamazato no haru no yûgure kitemireba iriai no kane ni hana zo chiri keri
Nôin Hôshi

Arrivant au village de montagne
un soir de printemps,
la cloche du soir sonnait,
les fleurs tombaient.

(à suivre…p.114)

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