Haiku Blyth V.1, sect.4 : Shiki

p. 306/9 :

Shiki

 » Shiki ( 1869-1902), en opposition avec la tendance majoritaire à son époque, dépréciait Bashô et affirmait la supériorité de Buson. Ce qui lui plaisait, c’était l’objectivité de Buson, son attitude de peintre-poète à voir d’un regard clair, frais, le monde varié. Ce n’est pas ici l’endroit pour discuter d’objectivité et de subjectivité, mais nous pouvons dire qu’à leur meilleure expression, Bashô et Issa ont une subjectivité-objective, dans laquelle la vie se répand à l’intérieur de la vie poétique du poète, et ne souffre aucune distortion ou décoloration, mais révèle plutôt vividement sa propre nature intrinsèque :

yo no naka wa ine karu koro ka kusa no io

ma hutte de chaume;
dans le monde extérieur,
est-ce la moisson ?

: Bashô

Chez Shiki et Buson, l’objectivité a quelque chose de frais et de charmant; nous nous sentons en repos devant, car elle n’exige rien de nous. Quand Bashô et Issa échouent, nous tombons dans la sentimentalité, ou pire. Quand Buson et Shiki échouent, le paysage est de carton, et les choses appartiennent à un monde en deux dimensions, sans vie ni profondeur.
La personnalité de Shiki n’est peut-être pas très attrayante, mais quand nous lisons ses haïkus, nous sommes frappés par le grand nombre de strophes excellentes, parfaites, qu’il a écrites. Il croyait beaucoup en la nature, la « nature morte », l’évitement de tous les éléments intellectuels en poésie. Sa force et sa faiblesse résident dans son manque de religion. Cela apparaît dans cette lettre envoyée à son oncle alors qu’il était malade, alité :

 » Quand je mourrai, il est inutile d’annoncer l’enterrement. etc. La maison est petite et la rue étroite et si 20 ou 30 personnes s’y pressent, le cercueil serait impossible à transporter. Par quelque secte que ce soit qui présidera à ma messe funéraire, discours et détails lus de ma vie seront inutiles. Je ne souhaite pas de nom bouddhiste posthume, ni d’une tombe de pierre naturelle. Il ne sera pas nécessaire de veiller devant le cercueil. S’il y en a une, observez-la à tour de rôle. Pas de larmes de crocodiles, s’il vous plaît ! Parlez et riez comme d’habitude. « 

De cette absence de religion vint la clarté de sa vision et de son esprit, l’absence de sentimentalité, son amour de la vérité et son dévouement à la littérature. Mais nous sentons un manque de profondeur : on a jeté le bébé avec l’eau du bain.
(…)
Shiki est un humaniste, mais nous sentons en lui quelque chose d’un peu dur, superficiel, non-aimant.
Bashô posa les fondations du haïku, Buson élargit son domaine; Issa l’éleva au-dessus de l’art, de la poésie, de toute valeur esthétique. C’est ainsi qu’Issa est LE poète japonais, en ce qu’il est le plus proche du ciel quand il est le plus près de la terre. Shiki, bien que fortement réaliste, fait remonter le haïku jusqu’à Buson; il voit les choses sous l’aspect de la beauté, comme un artiste.
Nous pouvons comparer les 4 poètes dans les strophes qui suivent traitant du même sujet, plus un de Kikaku (…) :

Hitotsu-ya ni yûjo mo netari hagi to tsuki
: Bashô
logeant dans une auberge
avec des courtisanes :
fleurs de lespédèzes et lune

hototogisu akatsuki kasa wo kawase keri
: Kikaku
quartier des courtisanes
un coucou chante;
à l’aube, je dois acheter un parapluie

wakatake ya hashimoto no yûjo ariya nashi
: Buson

jeunes bambous;
les courtisanes d’Hashimoto
pas encore là ?

kogarashi ya nijû-yon-mon no yûjo goya
: Issa
orage d’automne;
une cabane de prostituées
à 24 cents la passe

funatsuki no chisaki kuruwa ya wata no hana
: Shiki
près du débarcadère
un petit enclos patenté;
fleurs de cotonnier

Le verset de Bashô n’exprime pas directement la compassion qu’il ressentit pour les malheureuses créatures avec lesquelles il lui arriva de partager l’auberge dans la ville-frontière d’ Ichifuru. Elles faisaient le pélerinage au Grand Sanctuaire d’Ise. En les comparant aux fleurs de lespédèzes et lui-même – ou son chemin de poésie  à la lune, Bashô glorifia les deux et les éleva de ce monde au monde de la poésie.
Kikaku traite le sujet avec nonchalance. Au matin, sur le point de quitter Yoshiwara, une averse le force à acheter un parapluie à l’extérieur ou (plus probablement) à l’intérieur du quartier. À ce moment chante un coucou. Kikaku est le poète dénué de religion, de vrai zen.
Buson est si absorbé dans le tableau, ses associations, si ramené dans le lointain, le passé historique, que les courtisanes sont le symbole de l’apogée florissante de Hashimoto. Ces femmes ne sont-elles pas toujours là, exerçant leur métier auprès des jeunes bambous qui poussent à profusion comme autrefois ? Les choses bien anciennes ont l’air de n’avoir jamais passé.
En contraste avec eux, Issa nous donne un tableau de vie dans lequel le seul élément artistique est la sélection de son matériau. Le vent inutile, insensé, sauvage, injustifié d’automne souffle. Le bâtiment minable, fragile, les femmes aux yeux durs, aux visages doux, même le prix pour lequel elles gagnent leur pitance, tous nous sont présentés sans commentaire ajouté. Issa fait cela et cependant révèle plus de sens que l’art le plus soigneux.
Shiki remonte à Buson. En réaction contre les poètes falots de son temps, qui prétendaient suivre Bashô, Shiki affirme en théorie et en pratique que nous devons suivre la nature dans ses manifestations extérieures. Ainsi le verset précédent de Shiki montre le petit appontement, l’enceinte avec son atmosphère indéfinissable, les fleurs blanches d’un champ de cotonniers. C’est une peinture de la vie, mais est-elle vivante, a-t-elle de la profondeur ?  »


°°°

(à suivre : Section 5 : La technique du haïku – p.312/343)

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